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20/10/2023 | FRANCE | N°22MA00541

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 20 octobre 2023, 22MA00541


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 24 juillet 2019 par laquelle le maire de Beausoleil l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, avec privation de sa rémunération.

Par un jugement n° 1903990 du 15 décembre 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté la requête de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 février 2022 et un mémoire enregistré le 11 mai 2022 et non communiqué, M. A..., repr

ésenté par la SELARL WW et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 décem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 24 juillet 2019 par laquelle le maire de Beausoleil l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, avec privation de sa rémunération.

Par un jugement n° 1903990 du 15 décembre 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté la requête de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 février 2022 et un mémoire enregistré le 11 mai 2022 et non communiqué, M. A..., représenté par la SELARL WW et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 décembre 2021 du tribunal administratif de Nice ;

2°) d'annuler la décision du 24 juillet 2019 prise par le maire de Beausoleil ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Beausoleil la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges ne se sont pas prononcés sur la légalité de la mesure de suspension en tant qu'elle prévoit une entrée en vigueur immédiate au cours de son placement en congé maladie ;

- en se fondant sur des circonstances postérieures à la décision de suspension, les premiers juges ont méconnu leur office ;

- la décision litigieuse est insuffisamment motivée ;

- en prévoyant une entrée en vigueur immédiate alors qu'il était en arrêt maladie, la décision litigieuse est entachée d'une erreur de droit ;

- la décision est entachée d'erreurs de fait, dès lors que les conditions permettant de suspendre un agent contractuel de droit public, tenant à la nécessité de préserver l'intérêt du service, à l'existence de faits suffisamment vraisemblables et à la présomption d'une faute grave, n'étaient pas en l'espèce remplies ;

- la décision est entachée d'un détournement de pouvoir et revêt le caractère d'une sanction déguisée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2022, la commune de Beausoleil, représentée par Me Vincensini, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. A... ;

2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 13 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Danveau,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Jahier représentant la commune de Beausoleil.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté par la commune de Beausoleil à compter du 1er septembre 2012 et a exercé notamment ses fonctions en qualité de collaborateur du maire en charge du protocole et de l'organisation de fêtes et cérémonies. Par un arrêté du 24 juillet 2019, le maire de Beausoleil l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, avec privation de sa rémunération. M. A... a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Nice qui, par un jugement du 15 décembre 2021, a rejeté sa demande. Par la présente requête, M. A... relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des points 12 et 13 du jugement attaqué que, contrairement à ce que soutient M. A..., le tribunal administratif de Nice n'a pas omis de répondre au moyen tiré de l'illégalité de la décision litigieuse en tant qu'elle prévoit une entrée en vigueur immédiate au cours du placement en congé maladie de l'agent.

3. M. A... soutient que les premiers juges ont méconnu leur office en se fondant sur des circonstances postérieures à la date de la décision litigieuse. Ce faisant, le requérant critique l'appréciation au fond portée par les premiers juges sur son recours pour excès de pouvoir et un tel moyen, qui relève du bien-fondé du jugement, est sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée :

4. A supposer que le requérant ait entendu soulever un tel moyen, la circonstance, à la supposer exacte, que l'entretien professionnel de M. A... qui s'est tenu le 30 avril 2019 n'aurait pas été conduit par son supérieur hiérarchique direct mais par la contrôleuse de gestion de la collectivité est en tout état de cause sans incidence sur la décision de suspension attaquée.

5. Ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges, la mesure de suspension est une mesure conservatoire prise dans l'intérêt du service et ne constitue pas une sanction disciplinaire. Elle n'est donc ni au nombre des décisions qui doivent être motivées par application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, ni au nombre de celles pour lesquelles le fonctionnaire intéressé doit être mis à même de consulter son dossier. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision

du 24 juillet 2019 est inopérant.

En ce qui concerne la légalité interne :

6. Aux termes de l'article 30 de loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au présent litige : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire (...). / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. (...) ". Mais, selon le II de l'article 32 de la même loi, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, sont applicables aux agents contractuels le chapitre II, l'article 22, l'article 22 ter, l'article 22 quater, l'article 23 bis à l'exception de ses II et III, l'article 24 et le présent chapitre IV, à l'exception de l'article 30. ".

7. Il ressort de ces dispositions que l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, alors en vigueur, est inapplicable à la situation de M. A... qui était alors un agent contractuel. Cependant, et alors que ni le décret du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale, ni aucun autre texte applicable aux agents contractuels de la fonction publique territoriale, n'instituent une telle possibilité pour ces agents, les dispositions précitées de l'article 32 de la loi du 13 juillet 1983, éclairées par les travaux parlementaires ayant présidé à leur adoption, n'ont pas eu pour objet et ne sauraient avoir pour effet de mettre un terme à cette possibilité, ouverte même sans texte, pour l'autorité compétente, d'écarter provisoirement de son emploi un agent contractuel qui se trouve sous le coup de poursuites pénales ou fait l'objet d'une procédure disciplinaire, lorsqu'elle estime que l'intérêt du service l'exige. Cette mesure, lorsqu'elle est prononcée aux fins de préserver l'intérêt du service, est une mesure à caractère conservatoire qui peut être prise lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.

S'agissant du moyen tiré de l'erreur de fait :

8. Il ressort des pièces du dossier qu'un agent contractuel, travaillant à la direction de l'animation de la cité et des équipements de la commune de Beausoleil, sous l'autorité hiérarchique de M. A... d'avril 2017 jusqu'en septembre 2018, a dénoncé le 8 juillet 2019 des faits de harcèlement sexuel et moral dont il aurait été victime de la part de M. A.... Il ressort de l'enquête administrative interne, diligentée par la directrice des ressources humaines et la directrice générale des services, que cet agent a rapporté des contacts physiques non consentis et réitérés malgré son opposition, des propos intimidants et inappropriés à son égard, des pressions psychologiques et des menaces en vue d'obtenir des faveurs sexuelles. Celui-ci précise que M. A... lui aurait indiqué qu'il l'avait recruté " pour son travail et pour ses besoins personnels ", qu'il prenait l'habitude de le convoquer dans son bureau, qu'il fermait alors à clé, pour exiger de sa part des fellations, et qu'il l'aurait insulté à plusieurs reprises, notamment à la suite de son départ au sein d'un autre service, le 29 octobre 2018, en lui précisant qu'il ferait tout pour que son contrat de travail soit résilié. Le rapport d'enquête comporte des témoignages concordants, précis et circonstanciés de plusieurs agents, M. A..., alors en arrêt maladie, n'ayant pas sollicité un report de sa convocation prévue initialement le 22 juillet 2019 ou l'audition d'autres témoins. A supposer même qu'un des onze témoignages émanerait d'une personne qui aurait manifesté une animosité personnelle à l'égard de M. A..., cet élément n'est pas de nature à remettre en cause la matérialité des faits reprochés relatés de façon concordante par les autres témoignages, en particulier en ce qui concerne les faits de harcèlement moral dénoncés par l'agent. Si le requérant se référe également à une dispute avec la directrice adjointe des services techniques, devenue la supérieure hiérarchique de l'agent en cause à compter du mois d'octobre 2018, cet élément, au demeurant accompagné d'autres échanges amicaux entre les deux personnes, ne permet pas de remettre en cause la véracité des déclarations émises et l'attitude anormale de M. A... à l'égard de son agent. Il en va de même du témoignage de la responsable adjointe des bâtiments communaux, expliquant avoir dû intervenir en raison d'un comportement inapproprié de M. A..., ou encore de celui de la secrétaire du service animation, qui avait apporté son soutien à M. A... au vu des échanges sms produits, tout en admettant lors de l'enquête l'attitude irrespectueuse et déplacée de celui-ci à l'égard de son agent. Les circonstances que les deux agents auraient entretenu dans le passé une relation intime, qu'ils ne travaillaient plus ensemble depuis le mois d'octobre 2018, que M. A... a lui-même déposé plainte pour dénonciation calomnieuse, que l'agent à l'origine de la dénonciation n'a pas immédiatement dénoncé les faits, que certains de ses messages ne révélaient pas de ressentissement particulier à l'égard de M. A... quelques mois avant son dépôt de plainte ou encore que la plainte pénale de ce dernier pour des faits de viol a été classée sans suite le 4 mars 2020, ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation du maire de la commune sur la nécessité, à la date à laquelle la décision en litige a été prise, d'une suspension à titre conservatoire de M. A.... Dès lors, et même si la matérialité des faits est contestée par M. A..., le maire de la commune de Beausoleil a pu, en l'état des éléments alors portés à sa connaissance, estimer que les faits imputés à M. A... revêtaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.

S'agissant du moyen tiré de l'erreur de droit :

9. Aux termes de l'article 7 du décret du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale : " L'agent contractuel en activité bénéficie, sur présentation d'un certificat médical, de congés de maladie pendant une période de douze mois consécutifs ou, en cas de service discontinu, au cours d'une période comprenant trois cents jours de services effectifs, dans les limites suivantes : / 1° Après quatre mois de services, un mois à plein traitement et un mois à demi-traitement ; / 2° Après deux ans de services, deux mois à plein traitement et deux mois à demi-traitements ; / 3° Après trois ans de services, trois mois à plein traitement et trois mois à demi-traitement. ". Aux termes de l'article 12 de ce décret : " Les prestations en espèces servies en application du régime général de la sécurité sociale par les caisses de sécurité sociale ou par les régimes de protection sociale des professions agricoles en matière de maladie, maternité, paternité et accueil de l'enfant, adoption, invalidité, accidents du travail ou maladie professionnelle ainsi que les pensions de vieillesse allouées en cas d'inaptitude au travail sont déduites du plein ou du demi-traitement maintenu par les collectivités ou établissements en application des articles 7 à 10. "

10. L'autorité hiérarchique est fondée à prononcer une mesure de suspension provisoire à l'encontre d'un agent qui bénéficie d'un congé de maladie ou de longue maladie. La suspension n'entre alors en vigueur qu'à compter de la date à laquelle ce congé prend fin, sa durée étant toutefois décomptée à partir de la signature de la décision qui la prononce. Dans ce cas, même si elle ne prévoit pas expressément une entrée en vigueur différée, la décision de suspension ne produit effet qu'à compter de la date à laquelle ce congé prend fin, et ne met donc pas fin au congé de maladie ou de longue maladie, ni au régime de rémunération afférent à celui-ci.

11. Il ressort des pièces du dossier que le maire de Beausoleil, par la décision contestée du 24 juillet 2019, a suspendu M. A... de ses fonctions de collaborateur du maire à compter de la date de notification de l'arrêté et interrompu le versement de ses traitements à compter de cette même date. Il est cependant constant qu'à la date de la décision attaquée, M. A... était placé en arrêt maladie depuis le 12 juillet 2019 jusqu'au 19 août 2019. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des bulletins de paie produits, que M. A... n'a perçu aucun salaire au titre du mois d'août 2019, seules des indemnités journalières ayant été versées en septembre 2019 par l'assurance maladie pour compenser ses pertes de revenus. Il suit de là que la décision attaquée du 24 juillet 2019, notifiée le 26 juillet suivant, ne pouvait, compte tenu de la situation de l'intéressé qui était placé en congé maladie, être à effet immédiat mais devait voir son entrée en vigueur différée au terme du congé maladie. Dès lors, cette décision, qui a suspendu M. A... de ses fonctions sans traitement à compter de sa notification, est entachée d'excès de pouvoir en tant qu'elle s'applique antérieurement au terme du congé maladie, fixé au 19 août 2019.

S'agissant du détournement de pouvoir :

12. Eu égard aux éléments exposés au point 8, il ne ressort pas des pièces du dossier que la suspension de fonctions litigieuse soit constitutive d'une sanction disciplinaire déguisée, alors qu'il est constant qu'elle a conformément à son objet précédé le déclenchement effectif de poursuites disciplinaires et n'a ainsi pas eu pour objet d'échapper à l'application des règles de la procédure disciplinaire et de faire obstacle à l'exercice des droits de la défense. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le maire de Beausoleil aurait agi dans un but étranger à ceux au vu desquels le pouvoir de prendre cet acte lui a été conféré. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'un détournement de pouvoir et d'un détournement de procédure doit être écarté.

13. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 24 juillet 2019 prise par le maire de la commune de Beausoleil, en tant qu'elle s'applique antérieurement au terme du congé maladie.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chaque partie la charge de ses frais d'instance.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1903990 du 15 décembre 2021 du tribunal administratif de Nice est annulé.

Article 2 : La décision du 24 juillet 2019 du maire de la commune de Beausoleil prononçant la suspension de M. A... est annulée en tant qu'elle s'applique antérieurement au terme du congé maladie.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la commune de Beausoleil.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2023, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente,

- Mme Rigaud, présidente assesseure,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2023.

2

N° 22MA00541


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA00541
Date de la décision : 20/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-01 Fonctionnaires et agents publics. - Discipline. - Suspension.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : WW et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-10-20;22ma00541 ?
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