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04/07/2024 | FRANCE | N°23LY00932

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 04 juillet 2024, 23LY00932


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, qui a transmis cette demande au tribunal administratif de Lyon par une ordonnance du 7 décembre 2021, d'annuler la décision du 29 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement et la décision par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a implicitement rejeté son recours hiérarchique.



Par un jugement n° 2109823 du 17 janvier 2023, le tribunal a

annulé ces décisions (article 1er).



Procédure devant la cour



Par une requête et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, qui a transmis cette demande au tribunal administratif de Lyon par une ordonnance du 7 décembre 2021, d'annuler la décision du 29 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement et la décision par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a implicitement rejeté son recours hiérarchique.

Par un jugement n° 2109823 du 17 janvier 2023, le tribunal a annulé ces décisions (article 1er).

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 mars et 28 juillet 2023, la société Le Batistou, représentée par Me Monnier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en ce que le tribunal a annulé ces décisions du 29 mars 2021 et implicite de rejet ;

2°) de rejeter la demande de première instance correspondante de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable, visant à l'annulation du jugement attaqué ;

- c'est à tort que les premiers juges, compte tenu des articles L. 1226-2 et L. 1226-10 du code du travail, ont estimé qu'elle n'avait pas respecté son obligation de recherche d'un reclassement, laquelle a été sérieuse, loyale et complète, et s'est avérée infructueuse.

Par un mémoire enregistré le 3 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Robillard, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Le Batistou au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête de la société Le Batistou est irrecevable, ne contenant pas de moyen susceptible de conduire à l'annulation du jugement attaqué ;

- à titre subsidiaire, le moyen qu'elle soulève n'est pas fondé.

Par un mémoire enregistré le 15 septembre 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion déclare s'associer aux conclusions présentées par la société Le Batistou.

Par une ordonnance du 15 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Scheye, substituant Me Monnier, pour la société Le Batistou ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Le Batistou exerce une activité de fabrication de jambon et de saucisson et fait partie du groupe Bernard Salaisons. Mme A..., recrutée par cette société en qualité d'ouvrière de production, initialement par contrat d'intérim à compter du 14 mars 2011 puis par contrat à durée indéterminée du 12 mai 2011, était affectée en dernier lieu au sein d'un atelier de conditionnement de mini-saucissons et bénéficiait du mandat de membre suppléant au comité social et économique. Mme A..., placée en arrêt de travail pour maladie depuis le 26 octobre 2020, a fait l'objet d'une visite médicale sur demande le 18 décembre 2020 à l'issue de laquelle le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste mais apte à un poste n'exposant pas à la fleur de saucisson. Après avoir sollicité et obtenu de ce médecin des précisions et procédé à une recherche de reclassement, qu'elle a estimée infructueuse, la société Le Batistou, à l'issue d'une procédure interne, a alors demandé à l'inspection du travail l'autorisation de licencier Mme A... pour inaptitude physique, par courrier reçu le 18 février 2021, qui lui a été accordée par une décision du 29 mars 2021. Par une décision implicite, la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique de Mme A... formé par un courrier du 27 mai 2021. La société Le Batistou, à laquelle le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion déclare s'associer, relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon qui a annulé ces décisions.

Sur la recevabilité :

2. Si Mme A... fait valoir que la requête de la société Le Batistou serait irrecevable, faute de contenir un moyen susceptible de conduire à l'annulation du jugement attaqué, cette requête contient un moyen visant à critiquer le motif de censure retenu par les premiers juges pour annuler les décisions du 29 mars 2021 et implicite de rejet. Elle est par suite recevable, de sorte que la fin de non-recevoir opposée à titre principal par Mme A... doit être écartée.

Sur le fond :

3. Aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. / Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. ".

4. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise. En revanche, dans l'exercice de ce contrôle, il n'appartient pas à l'administration de rechercher la cause de cette inaptitude.

5. De plus, il appartient à l'administration de s'assurer que l'employeur a, conformément aux dispositions du code du travail relatives au reclassement des salariés inaptes en vigueur à la date de la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Lorsqu'après son constat d'inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié, ses préconisations peuvent, s'il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l'employeur.

6. Pour accorder à la société Le Batistou l'autorisation de licencier Mme A... pour inaptitude physique par la décision contestée du 29 mars 2021, l'inspecteur du travail, après avoir notamment constaté l'inaptitude de l'intéressée relevée par le médecin du travail le 18 décembre 2020 et ses préconisations, qu'elle ne contestait pas, a estimé que cette société avait satisfait à son obligation de reclassement de l'intéressée, en relevant que la recherche d'un reclassement, bien que " peu sérieuse et précise ", avait été infructueuse et n'était pas contestée par Mme A.... Pour se prononcer ainsi, l'inspecteur du travail a noté que la société Le Batistou avait, durant le mois de janvier 2021, sollicité les sociétés du groupe auquel elle appartenait en vue du reclassement de l'intéressée, soit les sociétés " Salaisons Bernard " et " Saveurs et traditions conseil ", qui avaient répondu défavorablement à cette demande, et que si Mme A... avait, par le passé et à plusieurs reprises, montré son intérêt pour un poste de " secrétaire ADV situé à l'accueil ", toutefois, ce poste pouvait cependant être exposé, même en l'absence d'étude sur ce point, dès lors qu'il était situé dans les locaux de la société Le Batistou, à la fleur de saucisson avec laquelle l'intéressée ne pouvait plus être mise en contact.

7. Il ressort des pièces du dossier que, compte tenu des critiques émises par l'inspecteur du travail lors de l'enquête contradictoire, ayant eu lieu le 11 mars 2021, adressées à la société Le Batistou sur les conditions de consultation du comité social et économique sur les possibilités de reclassement de Mme A..., cette société a informé cette autorité, par courriel du 17 mars 2021, qu'elle entendait procéder à une nouvelle recherche de reclassement. Ainsi, la société Le Batistou a de nouveau sollicité les sociétés du groupe " Salaisons Bernard " et " Saveurs et traditions conseil " par courriers du 17 mars 2021, en apportant des précisions par rapport aux courriers adressés au mois de janvier 2021, sur l'expérience de la salariée au sein de la société, lesquels précisaient qu'étaient joints notamment le curriculum vitae de Mme A..., l'avis d'inaptitude du 18 décembre 2020, et les préconisations complémentaires que le médecin du travail avait formulées quant à la possibilité pour l'intéressée d'être formée, rien ne permettant de dire que ces documents n'auraient pas été joints à ces courriers. Par un courrier électronique du 18 mars 2021, la société " Saveurs et traditions conseil " a répondu défavorablement, du fait de sa nature de société holding n'employant aucun salarié. Puis la société " Salaisons Bernard " a également répondu le 19 mars 2021, de manière précise et circonstanciée, en indiquant les postes existant en son sein et ceux qui étaient disponibles, et pour le seul poste qui aurait pu être offert à Mme A... du fait de sa faible exposition à la fleur de saucisson, correspondant à un emploi de désosseur de carcasse, qu'il nécessitait des qualifications spécifiques, soit notamment des compétences en matière de boucherie que ne possédait pas l'intéressée. Ensuite, au regard de ces éléments et après examen des différents postes de travail existant en son sein, au regard de leur disponibilité et de leur exposition à la fleur de saucisson, aucun poste qui aurait pu être proposé à Mme A... compte tenu des préconisations du médecin du travail et des qualifications de l'intéressée n'étant disponible, la société Le Batistou a de nouveau saisi le comité social et économique qui, bénéficiant de toutes ces informations, a émis un avis favorable à l'unanimité sur l'impossibilité de la reclasser le 29 mars 2021, soit le même jour que la décision de l'inspecteur du travail.

8. Il apparaît que, comme le fait valoir la société Le Batistou, le seul poste de désosseur de carcasse existant au sein de la société " Salaisons Bernard " sur lequel Mme A... aurait pu être reclassée, compte tenu de son état de santé, ne correspondait vraisemblablement pas à ses compétences, même après une éventuelle formation, compte tenu de ses diplômes et de son expérience professionnelle telle qu'elle ressort de son curriculum vitae joint au dossier. Au demeurant, l'employeur n'est pas tenu de proposer au salarié, en vue d'un reclassement, une formation de base différente de la sienne et relevant d'un autre métier. Si Mme A... s'est prévalue, tant devant les premiers juges que devant la cour, de l'existence d'un poste de " secrétaire ADV situé à l'accueil " mentionné par l'inspecteur du travail dans sa décision, en toute hypothèse, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait été, postérieurement à la déclaration d'inaptitude du 18 décembre 2020, vacant. Enfin, si l'inspecteur du travail a indiqué dans la décision contestée que Mme A... ne contestait pas la recherche de reclassement, en toute hypothèse, il résulte de l'instruction qu'il aurait pris la même décision sans se fonder sur un tel élément.

9. Par suite, l'inspecteur du travail a pu légalement estimer, par la décision contestée du 29 mars 2021, au regard de tous les éléments existant à la date de son édiction, en dépit de sa rédaction maladroite, que la société Le Batistou avait satisfait à son obligation de reclassement de Mme A... et, en l'absence d'autre élément y faisant obstacle, lui accorder l'autorisation de licencier cette dernière pour inaptitude physique. C'est donc à tort que les premiers juges se sont fondés sur le motif tiré de l'absence de caractère sérieux de la recherche de reclassement pour annuler cette décision et, par voie de conséquence, le rejet implicite du recours hiérarchique formé par Mme A....

10. Il résulte de ce qui précède, aucun autre moyen n'ayant été invoqué par Mme A... à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal ou en appel, que la société Le Batistou est fondée soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 29 mars 2021 de l'inspecteur du travail et le rejet implicite du recours hiérarchique. Par suite, la demande d'annulation de ces décisions présentée par Mme A... doit être rejetée.

11. Il n'y pas a lieu, dans les circonstances de l'espèce, pour l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de Mme A... une somme au titre des frais exposés par la société Le Batistou et non compris dans les dépens.

12. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Le Batistou une somme au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2109823 du 17 janvier 2023 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Lyon tendant à l'annulation de la décision du 29 mars 2021 de l'inspecteur du travail et de la décision implicite du ministre de rejet de son recours hiérarchique est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par les parties devant la cour est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Le Batistou, à Mme B... A... et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement ;

M. Chassagne, premier conseiller ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

Le rapporteur,

J. ChassagneLa présidente de la formation de jugement,

A. Duguit-Larcher

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY00932

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00932
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-035-02 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Motifs autres que la faute ou la situation économique. - Inaptitude ; maladie.


Composition du Tribunal
Président : Mme DUGUIT-LARCHER
Rapporteur ?: M. Julien CHASSAGNE
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : SELARL PARALEX

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;23ly00932 ?
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