Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La Société anonyme (SA) Lyonnaise des eaux France a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la délibération du 25 juin 2013 par laquelle le conseil général du Puy-de-Dôme, d'une part, a accepté la transformation de la société d'économie mixte pour l'exploitation des réseaux d'eau potable et d'assainissement (SEMERAP) en société publique locale et, d'autre part, en a approuvé les statuts.
Par jugement n° 1301532, 1301534 du 10 mars 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
La cour administrative d'appel de Lyon, saisie d'un appel de la SA Lyonnaise des eaux France, a admis l'intervention volontaire de la SEMERAP au soutien des conclusions du département du Puy-de-Dôme et a annulé ledit jugement ainsi que la délibération du 25 juin 2013 par un arrêt n° 15LY01099 du 4 octobre 2016, lui-même annulé sur pourvois du syndicat intercommunal Sioule et Morge et de la SEMERAP, par décision n° 405702 du Conseil d'État lue le 14 novembre 2018.
La requête d'appel de la société Suez Eau France, qui succède à la SA Lyonnaise des eaux France, a été renvoyée à la cour et réenregistrée le 21 novembre 2018 sous le n° 18LY04153. La société Suez Eau France a présenté trois nouveaux mémoires, enregistrés le 30 novembre 2018, le 24 avril 2019 et le 10 septembre 2019.
Dans le dernier état de ses écritures, elle demande :
1°) d'annuler le jugement n° 1301532, 1301534 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand et la délibération du 25 juin 2013 par laquelle le conseil général du Puy-de-Dôme a accepté la transformation de la SEMERAP et en a approuvé les statuts ;
2°) d'enjoindre au département du Puy-de-Dôme de céder les actions qu'il détient dans le capital de la SEMERAP, dans le délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte journalière de 200 euros ;
3°) de mettre à la charge du département du Puy-de-Dôme une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- les écritures du département sont irrecevables faute d'habilitation donnée à l'actuel président du conseil départemental ;
- le jugement attaqué qui rejette comme irrecevable sa demande alors que la délibération en litige lèse ses intérêts statutaires, doit être annulé ;
- contrairement à ce que soutient le département, sa demande de première instance, enregistrée dans le délai de deux mois décompté depuis soit le rejet implicite soit le rejet exprès de sa demande de déféré n'est pas tardive ;
- la délibération litigieuse, qui n'a pas été précédée de l'envoi individuel des documents prévus par l'article L. 3121-19 du code général des collectivités territoriales, est entachée d'un vice de procédure que ne purge pas l'urgence alléguée sur laquelle l'assemblée ne s'est pas prononcée en méconnaissance du même article ;
- la SEMERAP ne satisfaisant pas à la condition de complémentarité d'activités statutaires posée par l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi n° 2019-463 du 17 mai 2019, ces dispositions ne peuvent fonder la délibération attaquée ;
- le département ne disposant d'aucune des compétences de la SEMERAP, la délibération méconnaît l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales, dans son ancienne rédaction comme dans celle issue de l'article 1er de la loi n° 2019-463 du 17 mai 2019 ;
- la SEMERAP n'ayant que la qualité d'intervenante volontaire, elle n'est pas fondée à présenter des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par mémoires enregistrés le 31 août 2015 et le 26 septembre 2015 (dans l'instance n° 15LY01099) et le 24 décembre 2018 (dans la présente instance), le département du Puy-de-Dôme conclut au rejet des requêtes et demande que soit mise à la charge de la société Suez Eau France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande de première instance est tardive, faute de preuve d'une décision de rejet d'exercice du déféré ;
- la délibération litigieuse ne lésant pas directement ses intérêts, elle n'a pas intérêt à agir ainsi que l'a jugé le tribunal ;
- le moyen de légalité externe est irrecevable faute d'avoir été articulé dans la demande d'exercice de déféré et subsidiairement et pris en toutes ses branches, il n'est pas fondé en raison de l'urgence, sur laquelle il a été régulièrement délibéré et de la complète information des membres de l'assemblée ;
- il dispose d'attributions légales de compétences dans le domaine de l'eau et de la gestion des déchets qui l'habilitent à devenir actionnaire de la SEMERAP en application de l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales.
Par mémoires enregistrés le 16 juin 2015 (dans l'instance initiale n° 15LY01099), le 23 juillet 2019 et le 8 octobre 2019 (dans la présente instance), la SEMERAP intervient au soutien des conclusions du département du Puy-de-Dôme et demande à la cour de mettre à la charge de la société Suez Eau France une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- la délibération litigieuse est conforme aux dispositions de l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales dans leur rédaction issue de l'article 1er de la loi n° 2019-463 du 17 mai 2019, en vigueur à la date du 25 juin 2013 en vertu de l'article 4 de la même loi ;
- par délibération du 25 juin 2013, le conseil départemental a approuvé la cession de toutes les actions détenues par la collectivité.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 2019-463 du 17 mai 2019 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Arbarétaz, président,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,
- les observations de Me D... pour la société Suez Eau France, de Me A... pour le département du Puy-de-Dôme, et de Me B... C... pour la SEMERAP ;
Considérant ce qui suit :
Sur la régularité du jugement :
1. La transformation de la SEMERAP en société publique locale permettra à ses actionnaires, acheteurs publics, de lui confier sans mise en concurrence préalable des prestations concourant aux services publics du cadre de vie et de la protection de l'environnement. La délibération du 25 juin 2013 ayant pour effet de réduire les commandes publiques que le département du Puy-de-Dôme est susceptible d'attribuer après mise en concurrence, elle lèse directement les intérêts de la société Suez Eau France dont l'objet social lui donne vocation à réaliser des prestations dans les domaines d'activité de la SEMERAP. En conséquence, le tribunal n'a pu, sans entacher son jugement d'irrégularité, rejeter la demande en annulation comme irrecevable au motif que la SA Lyonnaise des Eaux France ne justifiait pas d'un intérêt direct et certain pour contester la délibération du conseil général du Puy-de-Dôme du 25 juin 2013. Le jugement attaqué du 10 mars 2015, en ce qu'il rejette les conclusions dirigées contre la délibération prise le 25 juin 2013 par le conseil général du Puy-de-Dôme, doit être annulé.
2. Il y a lieu, pour la cour de statuer par la voie de l'évocation sur la demande présentée par la SA Lyonnaise des eaux France devenue société Suez Eau France devant le tribunal administratif contre ladite délibération du conseil général du Puy-de-Dôme.
Sur le fond du litige :
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre fin de non-recevoir opposée par le département du Puy-de-Dôme, tirée de la tardiveté de la demande de première instance ;
3. Aux termes de l'article L. 3121-19 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors en vigueur : " Douze jours au moins avant la réunion du conseil général, le président adresse aux conseillers généraux un rapport, sous quelque forme que ce soit, sur chacune des affaires qui doivent leur être soumises. / (...) / (...) en cas d'urgence, le délai prévu au premier alinéa peut être abrégé par le président sans pouvoir être toutefois inférieur à un jour franc. / Le président rend compte dès l'ouverture de la séance du conseil général, qui se prononce sur l'urgence et peut décider le renvoi de la discussion, pour tout ou partie, à l'ordre du jour d'une séance ultérieure ".
4. D'une part, faute de définition particulière donnée par les dispositions précitées, le rapport qu'il incombe au président de l'assemblée d'adresser préalablement à la séance s'entend, selon le sens commun, de tout écrit exposant l'objet et la finalité d'un projet. Or, il ressort des pièces du dossier que les membres du conseil général du Puy-de-Dôme ont été rendus destinataires, cinq jours avant la séance du 25 juin 2013 en raison de l'urgence déclarée par l'exécutif, du projet de délibération précédé d'un exposé des motifs résumant l'objet de l'opération soumise à approbation ainsi que son incidence sur le régime de la commande publique applicable aux prestations confiées à la future société publique locale. Bien que n'étant pas matériellement dissociées, ces explications permettaient à leurs destinataires d'appréhender la portée de leur vote et répondaient aux exigences du premier alinéa de l'article L. 3121-19 précité du code général des collectivités territoriales.
5. D'autre part, si le troisième alinéa de l'article L. 3121-19 du code général des collectivités territoriales fait obligation au président de demander à l'assemblée de se prononcer sur l'urgence dès l'ouverture de la séance, ce ne peut être que dans la mesure où l'intégralité de l'ordre du jour en relève. Rien ne s'oppose, en revanche, à ce que cette question soit soumise préalablement à l'examen des seuls points pour lesquels l'examen d'urgence a été demandé. La délibération attaquée n'est, en conséquence, pas irrégulière au motif que le président du conseil général a recueilli l'accord de l'assemblée sur l'urgence de délibérer de la transformation du statut de la SEMERAP, lorsque cette question a été appelée à l'ordre du jour. Il suit de là que le moyen tiré du vice de procédure, pris en ces deux branches, doit être écarté comme non fondé sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur l'exception d'irrecevabilité du moyen opposée par le département du Puy-de-Dôme.
6. Aux termes de l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi du 17 mai 2019 susvisée : " Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer, dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi, des sociétés publiques locales dont ils détiennent la totalité du capital. / Ces sociétés sont compétentes pour réaliser des opérations d'aménagement (...), des opérations de construction ou pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d'intérêt général Lorsque l'objet de ces sociétés inclut plusieurs activités, celles-ci doivent être complémentaires. La réalisation de cet objet concourt à l'exercice d'au moins une compétence de chacun des actionnaires (...) ", tandis qu'aux termes de l'article 4 de la même loi : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les dispositions de la présente loi s'appliquent aux sociétés mentionnées aux articles (...) L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales (...) constituées antérieurement à sa date de publication ".
7. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la SEMERAP a été constituée en société publique locale par l'assemblée générale extraordinaire convoquée le 29 juin 2013, antérieurement à la publication de la loi du 17 mai 2019 et, d'autre part, que le jugement attaqué qui annule la délibération du 25 juin 2013 approuvant les statuts et la prise de participation du département du Puy-de-Dôme au capital, frappé d'un appel recevable, n'a pas acquis force de chose jugée. En conséquence, la légalité de ladite délibération doit être examinée au regard des conditions énoncées par l'article L. 1531-1 précité du code général des collectivités territoriales.
8. A cet égard et d'une part, l'article 2 des statuts de la SEMERAP assigne à la nouvelle société publique locale la livraison de prestations dans les domaines de l'eau ou de la collecte et de l'élimination des déchets. Ces activités, quoique multiples, ont pour finalité de satisfaire les besoins quotidiens de la population et sont donc complémentaires au sens des dispositions précitées. La délibération litigieuse n'a, dès lors, pas méconnu ces dispositions pour avoir approuvé des statuts assignant à la société publique locale en voie de constitution plusieurs activités.
9. D'autre part, l'article L. 3232-1-1 du même code attribue aux départements une mission d'assistance technique des communes ou établissements publics de coopération intercommunale en matière d'eau et d'assainissement tandis que les articles L. 211-7 du code de l'environnement et L. 151-36 du code rural et de la pêche maritime leur confient, dans le cadre du schéma d'aménagement et de gestion des eaux, l'étude, la réalisation et l'entretien de travaux et ouvrages d'approvisionnement en eau et de maîtrise des eaux pluviales ou de lutte contre l'érosion. De telles missions, qui impliquent l'accomplissement de prestations de maîtrise d'oeuvre, d'assistance à maîtrise d'ouvrage ou de gestion des équipements concourant aux services publics d'eau potable, de collecte des eaux usées et des effluents étant au nombre de celles qui, en vertu de l'article 2 des statuts de la SEMERAP, pourront être confiées à la nouvelle société publique locale, le département du Puy-de-Dôme partageait avec celle-ci ces compétences et a pu légalement en devenir actionnaire pour lui confier la réalisation de cet objet au sens des dispositions précitées.
10. Il résulte de ce qui précède que la société Suez Eau France n'est pas fondée à demander l'annulation de la délibération du 25 juin 2013 par laquelle le conseil général du Puy-de-Dôme a accepté la transformation de la SEMERAP et en a approuvé les statuts. Ses conclusions à fin d'annulation et, par voie de conséquence, à fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant au paiement des dépens et à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société Suez Eau France contre le département du Puy-de-Dôme, tandis que les conclusions de celui-ci, présentées par la partie perdante, doivent être rejetées. La SEMERAP, intervenante volontaire, n'ayant pas la qualité de partie au litige, les conclusions qu'elle présente contre l'État doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1301532, 1301534 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en ce qu'il rejette les conclusions dirigées contre la délibération du 25 juin 2013 par laquelle le conseil général du Puy-de-Dôme a accepté la transformation de la SEMERAP et en a approuvé les statuts, est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Suez Eau France est rejeté.
Article 3 : Les conclusions du département du Puy-de-Dôme et de la SEMERAP présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Suez Eau France, au département du Puy-de-Dôme, au syndicat intercommunal de Sioule et Morge et à la société d'économie mixte pour l'exploitation des réseaux d'eau potable et d'assainissement.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 janvier 2020.
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