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25/03/2024 | FRANCE | N°20VE02202

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 5ème chambre, 25 mars 2024, 20VE02202


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La commune de Gif-sur-Yvette a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner solidairement les entreprises générales Urbaine de Travaux SAS et Travaux de plâtrerie Ile-de-France (TPIF) et les maîtres d'œuvre, Messieurs D... B... et A... E..., architectes, à lui verser, sur le fondement de la responsabilité décennale, la somme de 64 038,27 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2011, date de dépôt du rapport d'expertise, avec capit

alisation des intérêts échus à compter du 11 avril 2012, de mettre à la charge solidaire ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Gif-sur-Yvette a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner solidairement les entreprises générales Urbaine de Travaux SAS et Travaux de plâtrerie Ile-de-France (TPIF) et les maîtres d'œuvre, Messieurs D... B... et A... E..., architectes, à lui verser, sur le fondement de la responsabilité décennale, la somme de 64 038,27 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2011, date de dépôt du rapport d'expertise, avec capitalisation des intérêts échus à compter du 11 avril 2012, de mettre à la charge solidaire des entreprises générales Urbaine de Travaux SAS et TPIF et des maîtres d'œuvre Messieurs B... et E... les entiers dépens pour un montant de 15 688,48 euros, ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1803417 du 29 juin 2020, le tribunal administratif de Versailles a condamné solidairement la société Urbaine de Travaux, la société TPIF, M. B... et M. E... à verser à la commune de Gif-sur-Yvette la somme de 64 038,27 euros TTC en réparation des désordres résultant de la non-conformité des vitrages de l'ensemble du bâtiment dit " C... social de l'Abbaye ", ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2018 et leur capitalisation à compter du 11 mai 2019, condamné solidairement la société Urbaine de Travaux, la société TPIF, M. B... et M. E... au paiement des frais d'expertise pour un montant de 12 125,24 euros, condamné les sociétés Urbaine de Travaux et Travaux de plâtrerie Ile-de-France, d'une part, et M. B... et M. E..., d'autre part, à se garantir mutuellement à hauteur, respectivement, de 80 % et 20 % des condamnations mises à leur charge, mis à la charge solidaire de la société Urbaine de Travaux, la société TPIF, M. B... et M. E... la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Gif-sur-Yvette sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 août 2020 et le 21 janvier 2021, sous le n° 20VE02202, M. E... et M. B..., représentés par Me Duval-Stalla, avocat, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de la commune de Gif-sur-Yvette ou, à titre subsidiaire, de rejeter les demandes de toute autre partie formées à leur encontre ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la SAS Urbaine de Travaux et la société Travaux de plâtrerie Ile-de-France (TPIF) à les garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre, y compris au titre des dépens et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Gif-sur-Yvette ou de toute autre partie perdante, la somme de 7 000 euros à leur verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué méconnaît l'autorité de la chose jugée par le tribunal administratif de Versailles dans son jugement n° 1405260 du 29 janvier 2018 ; la demande présentée par la commune de Gif-sur-Yvette sous ce n° 1405260 portait sur le même objet et la même cause que celle présentée ultérieurement sous le n° 1803417 ; par suite, c'est à tort que les juges de première instance ont estimé que la demande de la commune de Gif-sur-Yvette présentée sous le n° 1803417 n'était pas irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement n° 1405260 ;

- à titre subsidiaire, ils ne sauraient être tenus pour responsables des désordres constatés sur les vitrages de l'ouvrage, ceux-ci ayant été regardés par l'expert comme entièrement imputables à la société SHMI qui a réalisé ces travaux ; aucune erreur de surveillance ne peut leur être imputée ; le maître d'œuvre n'a pas à être présent pour surveiller tous les travaux ;

- ils doivent être entièrement garantis par les entreprises titulaires des marchés de travaux dès lors qu'ils n'ont commis aucune faute caractérisée et d'une gravité suffisante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 décembre 2020, la société Travaux de plâtrerie Ile-de-France (TPIF), représentée par Me Valeanu, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) de rejeter les demandes de la commune de Gif-sur-Yvette ;

3°) de rejeter les demandes de condamnations formées à son encontre ou, à titre subsidiaire, de condamner solidairement la société Urbaine de Travaux et MM. E... et B... à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

4°) rejeter toutes les demandes formées au titre des dépens et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du tribunal administratif de Versailles n° 1405260 du 29 janvier 2018 est revêtu de l'autorité de la chose jugée et c'est donc à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a fait droit aux demandes de la commune de Gif-sur-Yvette ;

- à titre subsidiaire, elle n'a aucunement participé aux travaux ayant conduit aux désordres constatés ; elle se limitait aux travaux de gros œuvre de maçonnerie et l'ensemble des travaux en cause ont été exécutés par la société Urbaine de travaux ou ses sous-traitants ; aucun défaut de surveillance ne peut lui être imputé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2021, la société Urbaine de Travaux, représentée par Me Pauper, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) de prononcer un sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour sur l'affaire n° 18VE01090 ;

3°) à titre subsidiaire, de rejeter la demande de la commune de Gif-sur-Yvette ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Gif-sur-Yvette la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a omis de répondre à sa demande de sursis à statuer ; il aurait dû surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour dans l'affaire n° 18VE01090 ;

- l'action en responsabilité décennale était prescrite dès lors que le délai de cette garantie a commencé à courir le 27 mars 2007 et était échu à la date d'introduction de la demande de la commune de Gif-sur-Yvette le 11 mai 2018 ;

- la commune de Gif-sur-Yvette ne peut réclamer le remboursement de sommes qu'elle n'avait pas à avancer dès lors que la société SHMI était tenue de reprendre les ouvrages défectueux et que son assureur a pris en charge ce sinistre ;

- sa responsabilité ne peut être engagée dès lors que seule la société SHMI, sous-traitant, est responsable de ces désordres.

Par un mémoire en défense et des pièces, enregistrés le 10 avril 2021, le 6 mai 2021 et le 7 mai 2021, la commune de Gif-sur-Yvette, représentée par Me Kauffmann, avocat, demande à la cour :

1°) de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour sur la requête n° 18VE01090 ;

2°) de rejeter la requête ;

3°) de condamner solidairement les entreprises Urbaine de Travaux et TPIF et MM. B... et E... à lui verser la somme de 64 038,27 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2011, avec capitalisation des intérêts à compter du 11 avril 2012 ;

4°) de mettre à la charge solidaire des parties perdantes les entiers dépens pour un montant de 15 688,48 euros ;

5°) de mettre à la charge solidaire des parties perdantes la somme de 5 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les travaux n'ont été réceptionnés que le 4 février 2008, avec réserves, et plusieurs désordres, notamment sur les vitrages, ont été ultérieurement constatés par courrier du 20 mars 2008 ; la non-conformité des vitrages rend l'ouvrage impropre à sa destination ;

- la circonstance que ces travaux ont été exécutés par des sous-traitants n'exonère pas les entreprises titulaires de leur responsabilité, conformément à l'article 113 du code des marchés publics ;

- les travaux de reprise relatifs aux vitrages ont été estimés à 64 038,27 euros par l'expert judiciaire ;

- aucune identité de cause ne peut être relevée entre la demande formée sur le fondement de la garantie de parfait achèvement et celle formée sur le fondement de la garantie décennale ; par suite, aucune autorité de la chose jugée ne faisait obstacle à ce que le tribunal condamne les entreprises titulaires et les maîtres d'œuvre au titre de la garantie décennale ;

- elle justifie de sa qualité pour agir dès lors que la réception de l'ouvrage a été prononcée et que le conseil municipal a autorisé, par délibération du 24 juin 2008, l'intégration dans l'actif communal des travaux remis par le SIEVYB ; ce dernier a été dissous par un arrêté du 10 septembre 2009 ;

- elle a droit au remboursement des sommes exposées au titre de l'expertise, à hauteur de 15 688,48 euros.

Par une ordonnance du 15 avril 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 mai 2021, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Des pièces présentées pour la société Urbaine de Travaux, par Me Pauper, avocat, ont été enregistrées le 4 août 2021, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Des pièces présentées pour la commune de Gif-sur-Yvette, par Me Kauffmann, avocat, ont été enregistrées le 6 février 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction.

II. Par une requête, enregistrée le 2 septembre 2020, sous le n° 20VE02276, la société Urbaine de Travaux, représentée par Me Pauper, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) de prononcer un sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour sur l'affaire n° 18VE01090 ;

3°) de rejeter la demande de la commune de Gif-sur-Yvette ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Gif-sur-Yvette la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a omis de répondre à sa demande de sursis à statuer ; il aurait dû surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour dans l'affaire n° 18VE01090 ;

- l'action en responsabilité décennale était prescrite dès lors que le délai de cette garantie a commencé à courir le 27 mars 2007 et était échu à la date d'introduction de la demande de la commune de Gif-sur-Yvette le 11 mai 2018 ;

- la commune de Gif-sur-Yvette ne peut réclamer le remboursement de sommes qu'elle n'avait pas à avancer dès lors que la société SHMI était tenue de reprendre les ouvrages défectueux et que son assureur a pris en charge ce sinistre ;

- sa responsabilité ne peut être engagée dès lors que seule la société SHMI, sous-traitant, est responsable de ces désordres.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2021, M. E... et M. B..., représentés par Me Duval-Stalla, avocat, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) de rejeter les demandes de la commune de Gif-sur-Yvette ou, à titre subsidiaire, de rejeter les demandes de toute autre partie formées à leur encontre ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la SAS Urbaine de Travaux et la société Travaux de plâtrerie Ile-de-France à les garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre, y compris au titre des dépens et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Gif-sur-Yvette ou de toute autre partie perdante, la somme de 6 000 euros à leur verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué méconnaît l'autorité de la chose jugée par le tribunal administratif dans son jugement n° 1405260 du 29 janvier 2018 ; la demande présentée par la commune de Gif-sur-Yvette sous le n° 1405260 portait sur le même objet et la même cause que celle présentée ultérieurement sous le n° 1803417 ; par suite, c'est à tort que les juges de première instance ont estimé que la demande de la commune de Gif-sur-Yvette présentée sous le n° 1803417 n'était pas irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement n° 1405260 ;

- à titre subsidiaire, ils ne sauraient être tenus pour responsables des désordres constatés sur les vitrages de l'ouvrage, ceux-ci ayant été regardés par l'expert comme entièrement imputables à la société SHMI qui a réalisé ces travaux ; aucune erreur de surveillance ne peut leur être imputée ; le maître d'œuvre n'a pas à être présent pour surveiller tous les travaux ;

- ils doivent être entièrement garantis par les entreprises titulaires dès lors qu'ils n'ont commis aucune faute caractérisée et d'une gravité suffisante.

Par un mémoire en défense et des pièces, enregistrés le 10 avril 2021, le 6 mai 2021 et le 7 mai 2021, la commune de Gif-sur-Yvette, représentée par Me Kauffmann, avocat, demande à la cour :

1°) de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour sur la requête n° 18VE01090 ;

2°) de rejeter la requête ;

3°) de condamner solidairement les entreprises Urbaine de Travaux, Travaux de plâtrerie Ile-de-France et MM. B... et E... à lui verser la somme de 64 038,27 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2011, avec capitalisation des intérêts à compter du 11 avril 2012 ;

4°) de mettre à la charge solidaire des parties perdantes les entiers dépens pour un montant de 15 688,48 euros ;

5°) de mettre à la charge solidaire des parties perdantes la somme de 5 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les travaux n'ont été réceptionnés que le 4 février 2008, avec réserves, et plusieurs désordres, notamment sur les vitrages, ont été ultérieurement constatés par courrier du 20 mars 2008 ; or, la désignation de l'expert judiciaire a interrompu le délai de la prescription décennale ;

- la non-conformité des vitrages rend l'ouvrage impropre à sa destination ;

- la circonstance que ces travaux ont été exécutés par des sous-traitants n'exonère pas les entreprises titulaires des marchés de travaux de leur responsabilité, conformément à l'article 113 du code des marchés publics ;

- les travaux de reprise relatifs aux vitrages ont été estimés à 64 038,27 euros par l'expert judiciaire ;

- elle justifie de sa qualité pour agir dès lors que la réception de l'ouvrage a été prononcée et que le conseil municipal a autorisé, par délibération du 24 juin 2008, l'intégration dans l'actif communal des travaux remis par le SIEVYB ; ce dernier a été dissous par arrêté du 10 septembre 2009 ;

- elle a droit au remboursement des sommes exposées au titre de l'expertise, à hauteur de 15 688,48 euros.

Par une ordonnance du 15 avril 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 mai 2021, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Des pièces présentées pour la société Urbaine de Travaux, par Me Pauper, avocat, ont été enregistrées le 4 août 2021, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Des pièces présentées pour la commune de Gif-sur-Yvette, par Me Kauffmann, avocat, ont été enregistrées le 6 février 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Un mémoire présenté pour la société Urbaine de Travaux, par Me Pauper, avocat, a été enregistré le 5 mars 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Houllier,

- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,

- et les observations de Me Kauffmann, pour la commune de Gif-sur-Yvette.

Considérant ce qui suit :

1. MM. B... et E..., sous le n° 20VE02202, et la société Urbaine de Travaux, sous le n° 20VE02276, font appel du jugement n° 1803417 du 19 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles les a condamnés in solidum avec la société Travaux de plâtrerie Ile-de-France (TIPF) à verser à la commune de Gif-sur-Yvette la somme de 64 038,27 euros TTC en réparation des désordres affectant les vitrages de l'ensemble du bâtiment dit " C... social de l'Abbaye " et la somme de 12 125, 24 euros au titre des frais d'expertise, et a condamné les sociétés Urbaine de Travaux et TIPF ainsi que MM. B... et E... à se garantir mutuellement à hauteur respectivement de 80 % et 20 % de ces condamnations. Ces requêtes sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur la requête n° 20VE02202 :

En ce qui concerne l'appel principal :

S'agissant de l'autorité de la chose jugée :

2. La demande formée par la commune de Gif-sur-Yvette le 11 mai 2018 devant le tribunal administratif de Versailles sous le n° 1803417 tendant à obtenir la condamnation des sociétés Urbaine de Travaux et TPIF ainsi que de MM. B... et E... sur le fondement de la garantie décennale ne présente pas une identité de cause avec la première demande de la commune fondée sur la garantie de parfait achèvement et de bon fonctionnement, qui a fait l'objet du jugement n° 1405260 du tribunal administratif de Versailles du 29 janvier 2018, confirmé par l'arrêt de la cour n° 18VE01090 du 23 février 2023. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir, dans la présente instance, de la chose jugée par ce précédent jugement, alors même qu'à la date à laquelle le tribunal s'est prononcé sur le fondement de la responsabilité décennale, la cour de céans n'avait pas encore statué sur l'appel formé par la commune contre le jugement rendu le 29 janvier 2018.

S'agissant de la responsabilité décennale des maîtres d'œuvre :

3. Les requérants soutiennent que les désordres en litige ne sauraient leur être imputés dès lors qu'en leur qualité de maître d'œuvre, ils n'avaient pas à surveiller l'ensemble des actions menées sur le chantier. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise remis le 11 avril 2011, que les désordres constatés sur le vitrage de l'ensemble du bâtiment résultent de l'absence de " verre STADIP " sur le vitrage intérieur, en méconnaissance du DTU 39 et des stipulations du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et qu'ils rendent l'ouvrage impropre à sa destination. Si l'expert impute ces désordres à la société SHMI, sous-traitant de la société Urbaine de Travaux, qui n'a pas respecté les documents contractuels, ni les demandes du bureau Veritas en la matière, il estime également que ces manquements auraient pu être identifiés par la maîtrise d'œuvre. Dans ces conditions, eu égard à sa mission de surveillance des travaux et au caractère généralisé des désordres constatés, la maîtrise d'œuvre aurait dû relever l'absence de " verre STADIP " sur les vitrages intérieurs, en méconnaissance des stipulations contractuelles. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a estimé que les désordres étaient imputables aux maîtres d'œuvre et que la commune était fondée à rechercher leur responsabilité décennale.

S'agissant de la garantie due par les entreprises de travaux :

4. L'engagement de la responsabilité d'un maître d'œuvre, dans le cadre de sa mission de surveillance de l'exécution du marché implique seulement de rechercher si le comportement du maître d'œuvre présente un caractère fautif, eu égard à la portée de son intervention compte tenu des propres obligations des autres constructeurs.

5. Si MM. E... et B... soutiennent qu'ils n'ont commis aucune faute caractérisée d'une gravité suffisante, leur responsabilité en qualité de maître d'œuvre peut être engagée à raison d'un simple comportement fautif. Or, il résulte de ce qui a été exposé au point 3 du présent arrêt qu'en ne relevant pas l'absence de STADIP sur les vitres intérieures MM. E... et B... ont, en leur qualité de maître d'œuvre, manqué à leur obligation de surveillance du chantier. Par suite, compte tenu de la responsabilité prépondérante de l'entreprise chargée des travaux, c'est à bon droit que le tribunal a fixé à 20 % la part de responsabilité de MM. E... et B... et a estimé qu'ils ne devaient être garantis par les sociétés Urbaine de Travaux et TPIF qu'à hauteur de 80 % de la condamnation solidaire.

6. Il résulte de ce qui précède que MM. E... et B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles les a condamnés, in solidum avec la société Urbaine de Travaux et la société TPIF, à verser à la commune de Gif-sur-Yvette la somme de 64 038,27 euros TTC en réparation des désordres constatés sur les vitrages et la somme de 12 125,24 euros au titre des dépens et a limité à 80 % la garantie due par les entreprises de travaux.

En ce qui concerne l'appel incident et l'appel provoqué de la société TPIF et l'appel provoqué de la société Urbaine de Travaux :

7. En premier lieu, compte tenu de la responsabilité prépondérante des entreprises chargées des travaux dans la survenance des désordres, la société TPIF n'est pas fondée à soutenir qu'elle devrait être garantie à plus de 20 % par les maîtres d'œuvre.

8. En deuxième lieu, les conclusions des sociétés Urbaine de Travaux et TPIF, qui ont été provoquées par l'appel de MM. E... et B... et présentées après l'expiration du délai d'appel, en vue d'obtenir la décharge ou la réduction des condamnations prononcées à leur encontre au profit de la commune de Gif-sur-Yvette ne seraient recevables qu'au cas où MM. E... et B..., appelants principaux, obtiendraient la décharge ou une réduction de l'indemnité qu'ils ont été in solidum condamnés à verser à la commune de Gif-sur-Yvette. Le présent arrêt rejetant l'appel de MM. E... et B..., les conclusions présentées par les sociétés Urbaine de Travaux et TPIF tendant à l'annulation du jugement attaqué et au rejet des demandes de la commune de Gif-sur-Yvette ne sont pas recevables. Elles doivent, par suite, être rejetées.

9. Enfin, les conclusions de la société Urbaine de Travaux aux fins de sursis à statuer sont, en tout état de cause, devenues sans objet, l'arrêt de la cour n° 18VE01090 ayant été mis à disposition des parties le 23 février 2023.

En ce qui concerne l'appel incident et l'appel provoqué de la commune de Gif-sur-Yvette relatif aux frais d'expertise :

10. A supposer que la commune de Gif-sur-Yvette puisse être regardée comme demandant que les frais d'expertise avancés par elle et liquidés à hauteur de 15 688,48 euros TTC par l'ordonnance du 28 avril 2011 lui soient remboursés par la partie perdante, il résulte du point 13 du jugement attaqué que la somme de 3 563,24 euros a été mise à la charge des sociétés Urbaine de travaux et Travaux de plâtrerie Ile-de-France et la somme de 12 125,24 euros, à la charge in solidum de la société Urbaine de travaux, de la société Travaux de plâtrerie Ile-de-France et des maîtres d'œuvre, MM. B... et E.... Par suite, dès lors qu'aucune somme n'a été mise à sa charge, les conclusions de la commune sur ce fondement ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la requête n° 20VE02276 :

En ce qui concerne l'appel principal :

S'agissant de la régularité du jugement attaqué :

11. La société Urbaine de Travaux soutient que le tribunal administratif a omis de répondre à ses conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à statuer sur la demande de la commune de Gif-sur-Yvette dans l'attente de l'arrêt de la cour sur l'affaire n° 18VE01090. Toutefois, s'agissant d'un pouvoir propre du juge, le tribunal n'était tenu ni de viser ces conclusions, ni même d'y répondre explicitement. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'omission à statuer sur les conclusions aux fins de sursis à statuer doit être écarté. Par ailleurs, les conclusions aux fins de sursis à statuer présentées en appel sont, en tout état de cause, devenues sans objet, cet arrêt ayant, ainsi qu'il a été dit, été mis à disposition des parties le 23 février 2023.

S'agissant de la prescription :

12. Il résulte tant des dispositions précitées de l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 que de l'article 2241 dans sa rédaction issue de cette même loi que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance. Les dispositions de l'article 2239 du code civil, issues de cette loi, selon lesquelles le délai de prescription est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge, ne sont quant à elles applicables qu'aux expertises ordonnées à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 qui a institué cette nouvelle cause de suspension du délai de prescription.

13. Il résulte de l'instruction qu'à supposer que la réception de l'ouvrage puisse être regardée comme ayant été prononcée, comme le soutient la requérante, le 26 mars 2007, le délai de prescription a été interrompu le 21 mars 2008 par la saisine, par la commune de Gif-sur-Yvette, d'une demande en référé expertise. Ce délai a recommencé à courir le 14 mai 2008, date de l'ordonnance du juge du tribunal désignant l'expert. Par suite, à la date d'introduction de la demande de la commune de Gif-sur-Yvette devant le tribunal administratif de Versailles, le 11 mai 2018, le délai de prescription de dix ans n'était pas échu.

S'agissant de la responsabilité décennale de la société Urbaine de Travaux :

14. En premier lieu, si la société requérante soutient que la commune ne pouvait engager des sommes au titre de la réparation du vitrage alors que la société SHMI était contractuellement tenue de réparer, sans surcoût pour la commune, les désordres constatés, il ne résulte pas de l'instruction que la commune n'aurait pas avancé ces frais au remboursement desquels elle a droit au titre de la garantie décennale.

15. En second lieu, aux termes de l'article 113 du code des marchés publics, alors en vigueur : " En cas de sous-traitance du marché, le titulaire demeure personnellement responsable de l'exécution de toutes les obligations résultant de celui-ci ".

16. La circonstance que les travaux à l'origine du désordre ont été réalisés par un sous-traitant de la société Urbaine de Travaux et de la société TPIF n'a pas pour effet de dégager ces entreprises de leur responsabilité, ces dernières restant seules tenues à l'égard du maître d'ouvrage de l'exécution du contrat tant pour les travaux qu'elles ont personnellement réalisés que pour ceux qui ont été confiés à un sous-traitant. Par suite, la société Urbaine de Travaux ne peut s'exonérer de sa responsabilité décennale envers la commune de Gif-sur-Yvette en invoquant la faute commise par la société SHMI, sa sous-traitante. C'est donc à bon droit que le tribunal administratif de Versailles a, par le jugement attaqué, retenu l'imputabilité des désordres affectant le vitrage à la société Urbaine de Travaux.

17. Il résulte de ce qui précède que la société Urbaine de Travaux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles l'a condamnée, solidairement avec la société TPIF et MM. E... et B..., à verser à la commune de Gif-sur-Yvette la somme de 64 038,27 euros TTC en réparation des désordres constatés sur les vitrages et la somme de 12 125,24 euros au titre des dépens.

En ce qui concerne les conclusions d'appel incident et d'appel provoqué de MM. E... et B... :

18. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 et 5, MM. E... et B... ne sont pas fondés à soutenir qu'ils devraient être garantis à plus de 80 % par la société requérante, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de ces conclusions.

19. En second lieu, les conclusions de MM. E... et B..., qui ont été provoquées par l'appel de la société Urbaine de Travaux et présentées après l'expiration du délai d'appel, en vue d'obtenir la décharge ou la réduction des condamnations prononcées à leur encontre au profit de la commune de Gif-sur-Yvette ne seraient recevables qu'au cas où la société Urbaine de Travaux, appelante principale, obtiendrait la décharge ou une réduction de l'indemnité qu'elle a été condamnée à verser à la commune de Gif-sur-Yvette. Le présent arrêt rejetant l'appel de la société Urbaine de Travaux, les conclusions présentées par MM. E... et B... tendant à l'annulation du jugement attaqué et au rejet des demandes de la commune de Gif-sur-Yvette ne sont pas recevables. Elles doivent, par suite, être rejetées.

En ce qui concerne l'appel incident et l'appel provoqué de la commune de Gif-sur-Yvette relatif aux frais d'expertise :

20. A supposer que la commune de Gif-sur-Yvette puisse être regardée comme demandant que les frais d'expertise avancés par elle et liquidés à hauteur de 15 688,48 euros TTC par l'ordonnance du 28 avril 2011 lui soient remboursés par la partie perdante, il résulte de ce qui a été exposé au point 10 du présent arrêt que ces conclusions doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Gif-sur-Yvette, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que MM. E... et B... et la société Urbaine de travaux demandent à ce titre. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge respective de MM. E... et B... et la société Urbaine de Travaux la somme de 800 euros à verser à la commune de Gif-sur-Yvette sur le fondement des mêmes dispositions.

22. La présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, les conclusions tendant au remboursement de ces frais doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes n° 20VE02202 et n° 20VE02276 présentées respectivement par MM. E... et B... et la société Urbaine de Travaux sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident et provoqué de la société Urbaine de Travaux et de MM. E... et B..., les conclusions d'appel incident et provoqué de la commune de Gif-sur-Yvette et les conclusions d'appel incident et provoqué de la société Travaux plâtrerie Ile-de-France sont rejetées.

Article 3 : MM. E... et B..., d'une part, et la société Urbaine de Travaux, d'autre part, verseront, chacun, la somme de 800 euros à la commune de Gif-sur-Yvette au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E..., à M. D... B..., à la société Urbaine de Travaux, à la commune de Gif-sur-Yvette et à la société Travaux de plâtrerie Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 7 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,

M. Camenen, président assesseur,

Mme Houllier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2024.

La rapporteure,

S. HoullierLa présidente,

C. Signerin-Icre

La greffière,

C. Fourteau

La République mande et ordonne au préfet de l'Essonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

Nos 20VE02202 et 20VE02276


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE02202
Date de la décision : 25/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. - Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: Mme Sarah HOULLIER
Rapporteur public ?: Mme JANICOT
Avocat(s) : SELARL DUVAL-STALLA & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-25;20ve02202 ?
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