Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner le centre hospitalier René Dubos de Pontoise à lui verser la somme de 180 000 euros en réparation des préjudices résultant de sa révocation illégale et du harcèlement moral dont il a été victime, majorée des intérêts et de leur capitalisation.
Par un jugement n° 1905480 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 28 mars 2022, 5 décembre 2023 et 23 mai 2024, M. C..., représenté par Me Philippot, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa réclamation préalable du 27 décembre 2018 ;
3°) de condamner le centre hospitalier René Dubos à lui verser la somme de 180 000 euros en réparation des préjudices subis par lui, assortie des intérêts de retard et de leur capitalisation ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier René Dubos la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de révocation du 26 novembre 2014 prise à son encontre est entachée d'illégalité dès lors qu'elle viole le principe du contradictoire, qu'elle est entachée d'erreur d'appréciation, qu'elle est disproportionnée et qu'elle est entachée de détournement de pouvoir et de procédure ; cette décision de révocation constitue, du fait de son illégalité, une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier René Dubos ;
- le centre hospitalier René Dubos a également commis une faute en lui faisant subir un harcèlement moral ;
- il subit un préjudice matériel qui doit être évalué à 120 000 euros ;
- il subit un préjudice moral qui doit être évalué à 60 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2022, le centre hospitalier René Dubos, représenté par Me Meance Langlet, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande indemnitaire de M. C... est prescrite ;
- M. C... ne saurait, dans le cadre de la présente procédure, solliciter que soient de nouveau évoquées des demandes qu'il a d'ores et déjà présentées dans le cadre de la procédure ayant abouti aux jugements du 8 février 2010 et du 14 novembre 2017 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
- le centre hospitalier René Dubos n'a commis aucune faute en révoquant M. C... et n'a pas commis de harcèlement moral à son encontre ;
- à supposer même qu'une faute relative à l'absence d'information de M. C... de son droit à avoir communication de son entier dossier avant la tenue du conseil de discipline puisse être relevée, une telle faute est sans lien avec les préjudices invoqués.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Philippot, pour M. C..., en présence de ce dernier.
Une note en délibéré présentée pour M. C... a été enregistrée le 12 septembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C... a été recruté le 16 décembre 1996 par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise en qualité d'agent contractuel. Il a été titularisé le 1er janvier 1999 dans le corps des agents d'entretien avant d'être nommé le 1er novembre 2001 dans le corps des ouvriers professionnels puis, par décision du 7 novembre 2007, porté au grade d'ouvrier professionnel qualifié. Par décision du 5 novembre 2009, le centre hospitalier René Dubos a pris à son encontre une décision de révocation. Celle-ci a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 8 février 2010 en raison du caractère disproportionné de cette sanction. M. C... a été réintégré dans un service de blanchisserie, puis dans un service d'archives, avant d'être affecté aux cuisines de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) en 2012. Par une décision du 26 novembre 2014, prise à la suite de l'avis favorable du conseil de discipline réuni le 17 novembre 2014, le directeur du centre hospitalier René Dubos de Pontoise a prononcé à son encontre une décision de révocation et de radiation des cadres à compter du 28 novembre 2014. M. C... a formé un recours tendant à l'annulation de cette décision, qui a été rejeté par jugement du 14 novembre 2017 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dont il n'a pas relevé appel. Par courrier du 27 décembre 2018, M. C... a présenté une demande indemnitaire au centre hospitalier René Dubos tendant à l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité dont serait entachée la décision du 26 novembre 2014 et du harcèlement moral dont il aurait été victime. Cette réclamation a été implicitement rejetée. M. C... relève appel du jugement n° 1905480 du 25 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier René Dubos à lui verser la somme de 180 000 euros en réparation des préjudices résultant de sa révocation illégale et du harcèlement moral dont il a été victime.
Sur les conclusions de M. C... tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa réclamation indemnitaire :
2. La décision par laquelle le centre hospitalier René Dubos a implicitement rejeté la demande préalable du requérant a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de ce dernier, qui tend à la condamnation de cet établissement à réparer le préjudice qu'il estime avoir subi du fait de ses agissements fautifs. M. C... a ainsi donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours indemnitaire de plein contentieux. Au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressé à percevoir la somme qu'il réclame, l'illégalité dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux est sans incidence sur la solution du litige. Par suite, les conclusions à fin d'annulation de cette décision sont irrecevables.
Sur la responsabilité du centre hospitalier René Dubos :
En ce qui concerne l'existence d'une illégalité fautive :
3. M. C... soutient que le centre hospitalier René Dubos a commis une faute en édictant, le 26 novembre 2014, une décision de révocation illégale à plusieurs titres.
4. En premier lieu, M. C... soutient que le courrier du 21 octobre 2014 portant convocation devant le conseil de discipline ne précisait pas les faits qui lui étaient reprochés.
5. Toutefois, ce courrier comportait en annexe le rapport introductif au conseil de discipline, ce qui a permis au requérant de connaître la nature des griefs qui lui étaient reprochés et de préparer en conséquence utilement sa défense.
6. M. C... soutient, en deuxième lieu, que le même courrier du 21 octobre 2014 ne l'a pas informé de son droit à obtenir la communication de son dossier individuel.
7. Il résulte de l'instruction qu'effectivement cette information n'a pas été délivrée à l'intéressé qui est, par suite, fondé à soutenir que la décision de révocation est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière.
8. M. C... soutient, en troisième lieu, que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis ou qu'ils ne sont pas fautifs ou qu'ils ne lui sont pas imputables et que, par conséquent, la décision de sanction est entachée d'erreur d'appréciation et d'erreur de droit.
9. Cependant, la décision de révocation du 26 novembre 2014 est justifiée par la persistance du comportement conflictuel et inadapté de M. C..., ainsi que par les manquements graves qu'il a commis, notamment au regard des normes de sécurité. Sur ce point, les pièces jointes au rapport introductif au conseil de discipline comportent de nombreux témoignages de collègues du requérant, attestant de son comportement agressif et de la remise en cause des instructions de sa hiérarchie. Plusieurs agents ont ainsi demandé à changer de service pour ne plus travailler avec lui et un agent a porté plainte à son encontre. Plusieurs agents de services hospitaliers ont également témoigné d'une attitude méprisante de l'intéressé à leur égard, les renvoyant au fait qu'ils n'étaient qu'agent de services hospitaliers et qu'il était leur supérieur hiérarchique. Il est également établi que le requérant a ri aux éclats quand Mme B..., cadre hôtelier, l'a interrogé sur le dysfonctionnement de la chambre froide, puis lui a tenu des propos menaçants en se tenant à 30 centimètres de son visage. Concernant les manquements au regard des normes de sécurité, il résulte de l'instruction que M. C... a signalé avec trois jours de retard des températures trop élevées au niveau de la chambre froide en juillet 2013, ce qui a mis en danger les pensionnaires de l'EHPAD et a entraîné la destruction de près de 450 produits. Enfin, il est établi que le requérant a laissé à l'air libre des steaks hachés pendant deux heures après cuisson, a mis des croûtons et des noix en décoration sur des assiettes de régime mixé, ce qui entraîne un risque de fausse route pour les résidents, qu'il a refusé de distribuer des bouteilles d'eau dans les étages ainsi que les goûters hyperprotéinés prévus. Ces comportements ont fait l'objet de plusieurs rapports circonstanciés joints au rapport introductif au conseil de discipline. Si M. C... se justifie en soutenant qu'il était surchargé de travail par ses collègues, il n'établit pas la réalité de cette allégation. De tels manquements de la part d'un cuisinier professionnel, qui portent gravement atteinte à la santé des résidents de l'EHPAD et au bon fonctionnement du service, sont de nature à justifier la décision de révocation prise à l'encontre du requérant alors même que les manquements aux règles de sécurité alimentaire commis n'auraient, comme le requérant le relève, pas été in fine à l'origine de problèmes de santé pour les résidents de l'EHPAD. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision de révocation est entachée d'une erreur de fait, d'une erreur de droit, d'une erreur d'appréciation ou qu'elle serait disproportionnée.
10. En quatrième et dernier lieu, M. C... affirme que la décision de révocation du 26 novembre 2014 serait entachée de détournement de pouvoir et de procédure en ce qu'elle a pour seul objet de contourner l'annulation de la précédente décision de révocation prise à son encontre le 5 novembre 2009.
11. Toutefois, d'une part, la sanction litigieuse intervenue en 2014 est fondée sur des faits postérieurs à la décision de 2008 comme au jugement portant annulation de cette décision. D'autre part, comme indiqué précédemment, les faits reprochés à M. C... sont matériellement établis, étaient fautifs et justifiaient le prononcé d'une révocation. Les moyens ainsi soulevés doivent être dès lors écartés.
En ce qui concerne l'existence d'un harcèlement moral :
12. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
13. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
14. M. C... soutient qu'il fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de son employeur depuis plusieurs années et demande réparation à ce titre. Il soutient que ce harcèlement moral se serait traduit, d'abord, par le fait que, suite à l'annulation de la décision de révocation du 5 novembre 2009, il n'aurait pas été réintégré sur un poste de cuisine, mais en blanchisserie et au service des archives, sur des postes inadaptés à ses capacités physiques. Toutefois, M. C..., qui était ouvrier spécialisé qualifié, ne démontre pas que les emplois qui lui étaient assignés ne correspondaient pas à son grade. Il ne peut reprocher au centre hospitalier René Dubos de ne pas l'avoir réintégré dans son ancien service alors qu'il a été jusqu'à se battre sur son lieu de travail avec un collègue, que plusieurs de ses collègues ont manifesté leur volonté de ne plus travailler avec lui et que le jugement du 8 février 2010 a retenu qu'il faisait preuve d'un comportement agressif et inadapté. Il n'établit pas non plus, en produisant un certificat médical indiquant qu'il souffre d'une lombalgie, être l'objet de restrictions médicales que son employeur aurait refusé de prendre en compte.
15. Le requérant se plaint par ailleurs de se voir attribuer un planning surchargé, beaucoup plus lourd que celui de ses collègues, et d'être victime d'humiliations et d'insultes répétées. Toutefois, il n'établit pas la réalité de ces allégations en produisant des plannings, dont il ne ressort pas que son emploi du temps serait surchargé par rapport à ceux de ses collègues, un certificat médical mentionnant un syndrome anxio-dépressif réactionnel à des difficultés professionnelles, et les nombreuses mains courantes et plaintes qu'il a déposées au commissariat, dans lesquelles il évoque le harcèlement dont il est victime. Il s'ensuit que le harcèlement moral allégué n'est pas démontré.
En ce qui concerne le droit à réparation de M. C... :
16. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. C... est seulement fondé à se prévaloir de l'illégalité fautive affectant la décision de révocation du 26 novembre 2014. Or, si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de la personne publique, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une décision entachée d'un vice de forme ou de procédure, la même décision aurait pu légalement être prise ou si l'illégalité externe sanctionnée ne présente pas un lien direct de causalité avec l'un au moins des préjudices allégués. Comme indiqué aux points 3 à 11, la décision de révocation litigieuse n'est affectée que d'une irrégularité procédurale. Il résulte de l'instruction que le centre hospitalier René Dubos aurait pris la même décision s'il avait informé l'intéressé dans son courrier de convocation qu'il pouvait solliciter la communication de son dossier individuel. Dans ces conditions, la faute commise par cet établissement ne saurait donner lieu à réparation.
17. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les exceptions soulevées, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier René Dubos, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. C... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de M. C... une somme de 1 000 euros à verser à l'hôpital Nord Ouest Val d'Oise (NOVO), nouvelle dénomination du centre hospitalier René Dubos de Pontoise, sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : M. C... versera à l'hôpital Nord Ouest Val d'Oise (NOVO) une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à l'hôpital Nord Ouest Val d'Oise (NOVO).
Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024.
La rapporteure,
C. PHAM Le président,
F. ETIENVRELa greffière,
S. DIABOUGA
La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 22VE00705