Vu l'arrêt du 25 juin 2012 par lequel, la Cour a, sur requête de Mme A... C...épouseB..., tendant, d'une part à l'annulation du jugement n° 0807554 du 16 décembre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande aux fins que soit ordonnée une nouvelle expertise dans le litige qui l'oppose à l'AP-HP afin d'évaluer les préjudices résultant pour elle de la tumorectomie et de la mastectomie droite qu'elle a subies le 13 juillet 2006 au groupe hospitalier La Pitié-Salpétrière, d'autre part, à ce que l'AP-HP soit déclarée responsable des conséquences dommageables de cette intervention et, enfin, à ce qu'une expertise soit ordonnée, sursis à statuer jusqu'à l'issue de la procédure amiable devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'Ile-de-France ; µ
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu l'arrêté du 10 décembre 2013 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 juin 2014 :
- le rapport de M. Marino, président assesseur,
- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public,
- et les observations de Me Jami, avocat de Mme et M. B...et de Me Tondu, avocat de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris ;
1. Considérant que Mme C...épouseB..., née le 15 février 1967, a subi au cours du mois de juin 2006, plusieurs examens échographiques qui ont mis en évidence la présence de deux nodules et de quatre autres lésions dans le sein droit ; que des biopsies ont été pratiquées le 23 juin 2006 ainsi qu'une IRM qui ont confirmé ces six anomalies ainsi que la présence d'un micro-nodule du côté gauche dont l'absence de malignité a finalement été mise en évidence par une échographie mammaire de contrôle du sein gauche ; que Mme B...a subi le
12 juillet 2006 à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, dépendant de AP-HP, une intervention chirurgicale au cours de laquelle ont été réalisés des prélèvements extemporanés des deux nodules aux fins d'analyse ; qu'au vu des résultats transmis en cours d'opération par l'anatomopathologiste, lesquels concluaient à la présence d'un carcinome sur un seul nodule, le chirurgien a procédé à une mastectomie du sein droit de la requérante ; que Mme B...a rejoint son domicile le 19 juillet suivant ; que l'examen histologique du sein droit et des ganglions a finalement montré la présence de nombreux papillomes avec d'importants remaniements au sein d'une masse fibrokystique proliférante sans foyer carcinomateux, les ganglions étant indemnes de métastases ; que, par ordonnance du 14 mai 2007, le président du Tribunal administratif de Paris, saisi par MmeB..., a désigné un expert qui a conclu à l'absence de faute médicale ; que Mme B...relève régulièrement appel du jugement du
16 décembre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'AP-HP à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de cette intervention et, s'appuyant sur les conclusions d'une nouvelle expertise établie le 8 novembre 2011 par un collège d'experts désignés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) d'Ile-de-France dans le cadre d'une procédure d'indemnisation amiable, demande la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme globale de 949 925,46 euros ;
Sur l'intervention de M.B... :
2. Considérant que M. B...demande, pour la première fois en appel, la condamnation de l'AP-HP à lui verser une somme de 19 000 euros en réparation des préjudices moral et sexuel qu'il a subis, consécutivement à la mastectomie fautive dont son épouse a été victime ; que M. B...se prévaut ainsi d'un droit propre distinct de celui de la requérante ; que la décision à rendre sur les conclusions de Mme B...n'étant pas susceptible de préjudicier à ses droits, M. B...n'est, dès lors pas recevable à présenter des conclusions propres par voie d'intervention ;
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique :
" I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. [...] " ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport du collège d'experts désigné par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) d'Ile-de-France rendu postérieurement au jugement attaqué que, nonobstant les résultats de l'examen extemporané des deux nodules, l'intervention aurait dû se limiter à une simple tumorectomie avec tout au plus l'analyse du ganglion sentinelle et non pas un curage axillaire complet ; que la mammectomie était d'autant moins justifiée que les nodosités constatées sur la mammographie du 16 juin 2006 avaient conduit à la réalisation de micro-biopsies, mettant en évidence une maladie bénigne du sein avec des anomalies histologiques, mais qui n'avaient jamais révélé la présence de lésion cancéreuse ; que si l'interprétation des IRM mammaires n'est pas facile et l'était encore moins en 2006, " l'IRM, bien que suspecte devait être considérée avec précaution, cet examen ne pouvant être considéré comme totalement fiable. Par ailleurs, Mme B...présentait, à gauche, les mêmes lésions suspectes en IRM. Elle n'a pas été opérée du sein gauche et aucune trace de cancer n'a été constatée depuis 2006 En conséquence, rien n'autorisait, sur la simple image de l'IRM, et sans indice réel, à pratiquer d'emblée une mastectomie prophylactique chez une femme âgée de 39 ans. " ; que les experts indiquent également que : " Il n'y avait donc aucun argument en faveur de la multi-focalité du cancer dont Mme B...était censée être atteinte./ Dans ces conditions, la pratique d'une mastectomie et d'un curage axillaire n'ont pas été conformes aux règles de l'art et aux données acquises de la science à l'époque des faits ... une simple tumorectomie sans curage axillaire aurait été un traitement suffisant " ; qu'il suit de là que la décision de procéder à une mastectomie constitue une faute médicale de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP qui, au demeurant, ne la conteste pas ; que, par suite, Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
5. Considérant qu'il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B...tant devant elle que devant le Tribunal administratif de Paris ;
Sur l'évaluation des préjudices subis par MmeB... :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
Quant aux préjudices temporaires :
6. Considérant que Mme B...a dû interrompre son activité professionnelle entre le jour de son hospitalisation et le 30 août 2006, date de consolidation de son état de santé ; qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise précité que si elle n'avait subi qu'une tumorectomie, elle aurait été en mesure de reprendre son activité de nourrice agréée quinze jours après l'intervention, soit le 27 juillet 2006 ; qu'elle est ainsi fondée à être indemnisée des pertes de gains qui s'en sont suivies pour la période comprise entre le 27 juillet et le 30 août 2006 ; que si Mme B...fait valoir qu'elle disposait d'un agrément lui permettant d'accueillir deux enfants à son domicile, il ressort des pièces versées qu'elle n'en gardait qu'un seul et qu'elle a perçu, au titre de la période concernée, une somme de 432 euros d'indemnités journalières versée par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris ; qu'il y a lieu, par suite, de lui allouer une somme de 263,40 euros ;
7. Considérant qu'il résulte de l'expertise rendue le 8 novembre 2011 que l'état de santé de Mme B...justifiait, de la date de son retour à son domicile à celle de la consolidation de son état, l'assistance d'une tierce personne à domicile pour les actes de la vie courante à raison de 3 heures par jour ; que la circonstance que cette assistance ait été assurée par des membres de sa famille est sans incidence sur son droit à être indemnisée ; que Mme B...ne démontre cependant pas que son handicap nécessitait une aide plus importante que celle évaluée par les experts ; qu'il sera fait une juste appréciation en lui accordant la somme de 2 000 euros au titre de ce chef de préjudice ;
8. Considérant que si Mme B...soutient qu'elle a dû faire face à des dépenses de santé liées à des séances de kinésithérapie non prises en charge par l'assurance maladie, ainsi qu'à des frais pour se faire assister d'un médecin conseil au cours des opérations d'expertise, elle ne produit aucun justificatif permettant d'établir la réalité des sommes qu'elle réclame ;
Quant aux préjudices patrimoniaux permanents :
S'agissant de la perte de revenu :
9. Considérant que si Mme B...fait valoir qu'elle a dû cesser toute activité professionnelle à compter du mois de juin 2011, elle n'établit pas que cette situation serait en relation directe avec les conséquences de la mastectomie dès lors notamment qu'elle a continué d'exercer sa profession de nourrice agréée pendant les cinq années suivant l'intervention dont s'agit et qu'il résulte de l'instruction et notamment des conclusions des experts, que l'état de santé de la requérante ne faisait pas obstacle à l'exercice d'une activité professionnelle dès lors qu'elle n'imposait pas d'effort du bras et le port de charges ; qu'en outre, Mme B...n'établit ni même n'allègue qu'elle était dans l'incapacité de trouver une activité professionnelle compatible avec son handicap ; que, par suite, elle n'est pas fondée à demander la réparation du préjudice lié à la perte de gains futurs ;
S'agissant de l'incidence professionnelle :
10. Considérant, ainsi qu'il a été dit au point précédent, que les experts ont indiqué que l'état de santé de Mme B...était contre indiqué avec le port de charge ; que, par suite, la requérante est fondée à soutenir que les séquelles consécutives à la mastectomie l'ont empêché de développer son activité professionnelle et de bénéficier d'un agrément pour accueillir un ou deux enfants supplémentaires ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à Mme B...une somme de 10 000 euros ;
S'agissant des dépenses de santé futures :
11. Considérant, à supposer même que le port de soutien-gorge adapté soit une conséquence nécessaire de l'ablation du sein dont elle a été victime, Mme B...ne produit aucun justificatif permettant d'apprécier la réalité des sommes qu'elle réclame au titre de ce chef de préjudice ;
En ce qui concerne les préjudices personnels :
Quant aux préjudices personnels temporaires :
12. Considérant que Mme B...a subi, avant la consolidation de son état de santé, une diminution importante de la mobilité du bras droit directement imputable à la mastectomie dont elle a fait l'objet et des souffrances physiques dont l'intensité a été évaluée par les experts à 3/7 ; que ces préjudices justifient l'allocation de la somme de 4 500 euros ;
Quant aux préjudices personnels permanents :
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
13. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme B...demeure atteinte, depuis la consolidation de son état de santé, acquise alors qu'elle était âgée de 39 ans, d'une incapacité permanente partielle de 15 % du fait de l'ablation du sein droit ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice inhérent au déficit fonctionnel permanent qui résulte de cette ablation en lui allouant à ce titre, la somme de 25 000 euros ;
S'agissant des autres préjudices personnels :
14. Considérant que le préjudice esthétique, évalué à 3,5/7 par les experts et le préjudice sexuel dont Mme B...demande la réparation justifient le versement d'une somme de
10 000 euros ; qu'en revanche, Mme B...n'établit pas qu'elle pratiquait régulièrement la natation ou le yoga avant l'intervention du 12 juillet 2006 ; qu'il n'y a pas lieu, par suite, de lui allouer une somme en réparation d'un préjudice d'agrément ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris :
15. Considérant que la mastectomie dont Mme B...a fait l'objet, a nécessité son hospitalisation du 12 au 19 juillet 2006, puis des soins infirmiers à domicile, des massages et la prescription d'une prothèse mammaire ; qu'elle a également généré des frais pharmaceutiques et médicaux et des frais de transport ambulancier ; qu'enfin, elle a entraîné pour l'intéressée une cessation d'activité du 27 juillet au 30 août 2006 ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'attestation d'imputabilité, suffisamment précise et détaillée, établie par le médecin conseil de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris que cet organisme a exposé des frais pour couvrir ces différentes dépenses d'un montant de 10 670,33 euros ; que la caisse est fondée à demander la condamnation de l'AP-HP à lui rembourser cette somme au titre des débours ainsi exposés ; que cette somme qui est distincte et ne vient pas en déduction des sommes accordées à
MmeB..., portera intérêt au taux légal à compter du 23 avril 2012 ;
Sur les droits de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France :
16. Considérant, ainsi qu'il a été dit au point 9, que la cessation d'activité de
Mme B...n'est pas imputable aux conséquences de la faute commise par le centre hospitalier ; que, par suite, la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France n'est pas fondée à solliciter le remboursement des sommes qu'elle a versées à la requérante au titre de la pension d'invalidité qu'elle lui a accordée à compter du 31 octobre 2011 ;
Sur l'indemnité prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :
17. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Paris est fondée à demander, en application de l'arrêté susvisé du 10 décembre 2013, le versement de la somme de 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; qu'il n'y a pas lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions présentées par la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France sur le fondement des mêmes dispositions ;
Sur les dépens :
18. Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée par le président du Tribunal administratif de Paris, liquidés à la somme de 1 736,33 euros, à la charge de
l'AP-HP ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
19. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme B...et non compris dans les dépens et celle de 1 000 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France sur le fondement des mêmes dispositions ;
D É C I D E :
Article 1er : L'intervention de M. D...B...est rejetée.
Article 2 : Le jugement n° 0807554 du 16 décembre 2010 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : L'Assistance publique-hôpitaux de Paris est condamnée à verser à Mme C...épouse B...une somme de 51 763,40 euros.
Article 4 : L'Assistance publique-hôpitaux de Paris est condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris une somme de 10 670,33 euros au titre des débours exposés. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 23 avril 2012.
Article 5 : L'Assistance publique-hôpitaux de Paris versera à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris une somme de 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Article 6 : L'Assistance publique-hôpitaux de Paris versera à Mme C...épouse B...une somme de 2 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris une somme de
1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Les frais de l'expertise ordonnée par le président du Tribunal administratif de Paris, liquidés à la somme de 1 736,33 euros, sont mis à la charge de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.
Article 8 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C...épouse B...et les conclusions présentées par la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France sont rejetés.
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N° 11PA01012