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19/06/2025 | FRANCE | N°23LY02610

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 4ème chambre, 19 juin 2025, 23LY02610


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



La commune de Bézouotte a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, la société Atelier Archipat, la société Ducherpozat, la société Hory Marçais et la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne à lui verser la somme de 260 629,98 euros TTC, en réparation des désordres affectant l'église Saint-Martin et la somme de 3 876,64 euros au titre des frais d'huissier et d'expertise a

miable, outre intérêts de droit, de condamner solidairement la société Atelier Archipat et la so...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Bézouotte a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, la société Atelier Archipat, la société Ducherpozat, la société Hory Marçais et la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne à lui verser la somme de 260 629,98 euros TTC, en réparation des désordres affectant l'église Saint-Martin et la somme de 3 876,64 euros au titre des frais d'huissier et d'expertise amiable, outre intérêts de droit, de condamner solidairement la société Atelier Archipat et la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne à lui verser une somme de 11 091,39 euros TTC en réparation des désordres affectant l'installation du chauffage de l'église et de mettre solidairement à la charge de la société Atelier Archipat, de la société Ducherpozat, de la société Hory Marçais et de la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne les frais d'expertise à hauteur de 16 427,52 euros.

Par jugement n° 2001551 du 8 juin 2023, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 août 2023 et le 3 novembre 2024, la commune de Bézouotte, représentée par Me Barberousse, demande à la cour, le cas échéant, après une nouvelle expertise :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, la société Atelier Archipat, la société Ducherpozat, la société Hory Marçais et la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne, ou, sur le fondement de la seule responsabilité contractuelle, la société Atelier Archipat, à lui verser une somme de 260 629,98 euros TTC, outre intérêts de droit à compter du 1er juillet 2020, capitalisés ;

3°) de condamner solidairement la société Atelier Archipat et la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne à lui verser une somme de 11 091,39 euros TTC en réparation des désordres affectant l'installation du chauffage ;

4°) de mettre solidairement à la charge de la société Atelier Archipat, de la société Ducherpozat, de la société Hory Marçais et de la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne les frais d'expertise à hauteur de 16 427,52 euros ;

5°) de mettre à la charge de la société Atelier Archipat, de la société Ducherpozat, de la société Hory Marçais et de la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité décennale des constructeurs est engagée à raison du désordre affectant le drainage des eaux pluviales ;

- ce désordre présente un caractère décennal dès lors qu'il affecte la solidité de l'ouvrage, dont la dégradation se trouve accélérée, et le rend impropre à sa destination dès lors que la chute d'enduits muraux induit un risque pour la sécurité du public et que l'humidité de l'air le rend insalubre ;

- le désordre a pour origine un défaut de conception imputable à la société Atelier Archipat et à la société Hory Marçais qui, en tant que professionnelles, ne pouvaient ignorer que le système de drainage était mal positionné ;

- la responsabilité décennale des constructeurs est engagée à raison du désordre affectant les enduits intérieurs ;

- ce désordre présente un caractère décennal dès lors qu'il rend l'ouvrage impropre à sa destination, la chute d'enduits muraux présentant un risque pour la sécurité du public et privant l'édifice de son caractère remarquable ;

- il a pour origine un défaut de conception imputable à la société Atelier Archipat et à la société Ducherpozat qui n'a pas testé le support et n'a pas informé le maître de l'ouvrage des problèmes d'adhérence rencontrés ;

- la responsabilité décennale des constructeurs est engagée à raison du dysfonctionnement du système de chauffage ;

- ce désordre présente un caractère décennal dès lors que l'insuffisance du chauffage ne permet pas de contribuer à la déshumidification de l'édifice et qu'il occasionne un risque d'incendie ;

- la société Atelier Archipat engage sa responsabilité contractuelle pour défaut de conseil lors des opérations de réception ;

- les travaux de reprise de l'édifice s'élèvent à 260 329,98 euros TTC selon les devis communiqués par les entreprises et l'installation d'un système de chauffage à 11 091,39 euros TTC ;

- compte tenu des insuffisances de l'expertise, qui n'a pas répondu aux demandes formulées, il y a lieu de prescrire une nouvelle expertise judiciaire.

Par mémoires enregistrés le 24 novembre 2023, le 9 janvier 2024 et le 3 décembre 2024 (ce dernier non communiqué), la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne, représentée par Me Guigue, conclut au rejet de la requête, et demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel provoqué, de condamner solidairement la société Atelier Archipat, la société Hory Marçais et la société Ducherpozat à la garantir de toute condamnation mise à sa charge ;

2°) de mettre à la charge de la société Atelier Archipat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la commune de Bézouotte aux dépens.

Elle soutient que :

- le rapport d'expertise amiable n'a pas été établi de façon contradictoire et ne peut ainsi fonder à lui seul une condamnation ;

- les désordres affectant les parois, apparus en cours des travaux et présentant ainsi un caractère apparent à la date de la réception, ne peuvent donner lieu à la mise en œuvre de la garantie décennale ;

- aucune impropriété à destination ni atteinte à la solidité de l'ouvrage n'est démontrée ;

- la société Atelier Archipat, en sa qualité de concepteur de l'installation de chauffage, doit répondre de son sous-dimensionnement ;

- elle-même n'a commis aucune faute dès lors qu'elle s'est conformée au CCTP et que l'installation de chauffage n'avait pas pour objet de chauffer l'ensemble du bâtiment mais uniquement une zone de la nef ;

- elle est fondée à solliciter la garantie de la société Atelier Archipat dès lors que les désordres résultent d'un défaut de conception, l'architecte ayant omis un drainage périphérique ;

- elle est également fondée à solliciter la garantie de la société Hory Marçais et de la société Ducherpozat ;

- l'appel en garantie formé à son encontre la société Ducherpozat doit être rejeté dès lors que ses propres prestations sont sans rapport avec l'origine des désordres.

Par mémoire enregistré le 5 décembre 2023, la société Ducherpozat, représentée par Me Charlemagne, conclut au rejet de la requête, et demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel provoqué, de condamner solidairement la société Atelier Archipat, la société Hory Marçais et la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne à la garantir de toute condamnation mise à sa charge ;

2°) de mettre à la charge de la société Atelier Archipat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le rapport d'expertise amiable n'a pas été établi de façon contradictoire et ne peut ainsi fonder à lui seul une condamnation ;

- aucune impropriété à destination ni atteinte à la solidité de l'ouvrage n'est démontrée ; en particulier, il n'existe aucun risque pour la sécurité des personnes ;

- les désordres ne sont pas imputables à ses interventions ;

- ils résultent d'un défaut de conception imputables au maître d'œuvre, qui n'a pas prévu de drainage périphérique ni traité les défauts de ventilation ;

- le montant des réparations n'a pas été établi par l'expert qui n'a pas répondu sur ce point ;

- elle est fondée à solliciter la garantie de la société Atelier Archipat, qui n'a pas installé de drainage périphérique et qui a prévu une dalle qui a enfermé l'humidité, ainsi que de la société Hory Marçais et de la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne.

Par mémoires enregistrés le 16 janvier 2024 et le 13 décembre 2024 (ce dernier non communiqué), la société Hory Marçais, représentée par Me Geslain, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel provoqué, de condamner solidairement la société Atelier Archipat à la garantir de toute condamnation mise à sa charge ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Bézouotte la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le rapport d'expertise judiciaire, qui ne répond pas aux demandes qui étaient faites à l'expert, ne peut permettre à la commune de solliciter une condamnation ;

- le rapport d'expertise amiable n'a pas été établi de façon contradictoire et ne peut ainsi fonder à lui seul une condamnation ;

- aucune impropriété à destination ni atteinte à la solidité de l'ouvrage n'est démontrée, les désordres étant de nature esthétique ;

- il n'y a pas de lien de causalité entre la mise à nu des pierres de façade et les désordres observés à l'intérieur de l'édifice apparus après un délai de six ans ;

- aucune faute ne lui est reprochée par la commune ;

- l'absence de cunette inférieure résulte d'un vice de conception, imputable au seul maître d'œuvre ;

- la société Atelier Archipat ne démontre pas que, comme elle le soutient, le système de drainage n'a pas été réalisé conformément à ses prescriptions ;

- le lien de causalité entre le défaut du système de drainage et les désordres au sein de l'édifice n'est pas établi ;

- elle est fondée à solliciter la garantie de la société Atelier Archipat, qui a prévu la mise à nu de la façade.

Par mémoire enregistré le 1er novembre 2024, la société Atelier Archipat, représentée par Me Langlois, conclut au rejet de la requête ou à la réduction du montant des prétentions de l'appelante, et demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel provoqué, de condamner solidairement la société Ducherpozat, la société Hory Marçais et la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne à la garantir de toute condamnation mise à sa charge ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Bézouotte la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le rapport d'expertise amiable n'a pas été établi de façon contradictoire et ne peut ainsi fonder à lui seul une condamnation ;

- aucune impropriété à destination ni atteinte à la solidité de l'ouvrage n'est démontrée ; en particulier, il n'existe aucun risque pour la sécurité des personnes ;

- les défauts dans le choix et la pose du système de drainage sont imputables à la société Hory Marçais ;

- elle était dans l'impossibilité matérielle de déceler ces malfaçons au stade la réception ;

- aucun élément technique ne permet de relier de manière incontestable la formation de thaumasite avec l'application des enduits ;

- la société Ducherprozat aurait dû, dans le cadre de sa mission d'exécution, s'assurer auprès de son fournisseur de la compatibilité du badigeon avec le support ;

- elle n'a commis aucune faute dans la conduite de sa mission, que ce soit au stade de la conception ou à celui de l'exécution des travaux ;

- le matériel posé par la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne n'était pas conforme au CCTP s'agissant de l'objectif de température ;

- elle est fondée à demander la garantie de la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne ;

- la solution technique envisagée pour remédier aux désordres ne saurait être mise en œuvre.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur l'irrecevabilité, comme nouvelles en appel, des conclusions de la commune de Bézouotte tendant à l'engagement de la responsabilité de la société Atelier Archipat au titre de son obligation de conseil du maître d'ouvrage à l'occasion de la réception des travaux, fondées sur une cause juridique différente de celle de la garantie décennale, seule invoquée en première instance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evrard,

- les conclusions de Mme A...,

- et les observations de Me Caille pour la commune de Bézouotte, celles de Me Da Rocha pour la société Hory Marçais et celles de Me Duquennoy pour la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Bézouotte a entrepris en 2001 la rénovation de l'église Saint-Martin, dont les travaux ont été répartis en quatre tranches successives, comprenant pour la tranche n° 1 la restauration des structures de la nef et des bas-côtés, pour la tranche n° 2 les travaux complémentaires incluant les enduits de façades extérieures et la création d'un dispositif de drainage périphérique, pour la tranche n° 3 les travaux dans le transept, le chœur et la sacristie et pour la tranche n° 4 la restauration des intérieurs de l'édifice. La commune a confié la maîtrise d'œuvre à la société Atelier Archipat, pour la tranche n° 4, par acte d'engagement du 30 décembre 2007, les travaux du lot n° 1 " Maçonneries Pierres de taille " de la tranche n° 2 à la société Hory Marçais par acte d'engagement du 14 décembre 2004, les travaux du lot n° 1 " Maçonneries Pierres de taille " de la tranche n° 4 à la société Ducherpozat par acte d'engagement du 10 mai 2010 et les travaux du lot n° 5 " Electricité Chauffage " de la tranche n°4 à la société Forclum Sud Bourgogne par acte d'engagement du 12 mai 2010. Les travaux de maçonnerie de la tranche n° 2 ont été réceptionnés le 21 décembre 2005, les mêmes travaux de la tranche n° 4 le 16 mai 2012 et les travaux d'électricité-chauffage de la tranche n° 4 le 19 avril 2012. La commune de Bézouotte a constaté dès l'hiver 2012 un phénomène de desquamation et de chute des enduits intérieurs, lié à une forte humidité des murs, et a relevé un fonctionnement insatisfaisant du système de chauffage. A la demande de la commune, un expert judiciaire a été désigné par le président du tribunal administratif de Dijon aux fins de déterminer la cause de ces désordres et de proposer les travaux en vue d'y remédier. L'expert judiciaire a remis son rapport le 16 juillet 2018.

2. La commune de Bézouotte a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, la société Atelier Archipat, la société Ducherpozat, la société Hory Marçais et la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne, venant aux droits de la société Forclum Sud Bourgogne, à lui verser une somme de 260 629,98 euros TTC, en réparation des désordres affectant l'église Saint-Martin et la somme de 3 876,64 euros au titre des frais d'huissier et d'expertise amiable, sommes assorties des intérêts de droit, de condamner solidairement la société Atelier Archipat et la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne à lui verser une somme de 11 091,39 euros TTC en réparation des désordres affectant l'installation de chauffage de l'église et de mettre solidairement à la charge de la société Atelier Archipat, de la société Ducherpozat, de la société Hory Marçais et de la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne les frais d'expertise à hauteur de 16 427,52 euros.

3. Par jugement du 8 juin 2023, le tribunal a rejeté sa demande. La commune de Bézouotte relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions d'appel principal :

En ce qui concerne la responsabilité décennale :

4. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

S'agissant du désordre afférent aux travaux du lot n° 5 " Electricité Chauffage " de la tranche n° 4 :

5. L'article 05.05.01 - Chauffage au sol du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) des travaux du lot n° 5 " Electricité Chauffage " de la tranche n° 4 prescrivait l'" installation d'un chauffage au sol entre la chape ciment et le parquet flottant de type " Thermalu parquet " ou équivalent (...) ".

6. Il résulte de l'instruction, et, notamment, du rapport de l'expert judiciaire, que le chauffage, composé d'un plancher chauffant électrique basse tension disposé entre la chape de ciment et le parquet flottant dans une partie de la nef, est conçu pour permettre, après trois heures de fonctionnement, d'atteindre une température de 10 degrés à 50 cm du sol. Si elle est insuffisante pour augmenter la température à l'intérieur de l'édifice, cette installation est conforme à la commande, laquelle portait uniquement sur un système permettant de procurer une sensation de confort minimum aux personnes assises dans la nef. Enfin, l'alimentation électrique d'un chauffage n'étant pas conçue pour fonctionner dans un milieu humide, le risque de court-circuit et d'incendie dont fait état la commune, à supposer qu'il existe, ne peut être imputé au système de chauffage lui-même mais à l'hygrométrie anormale de l'ouvrage, laquelle résulte de causes étrangères à l'intervention des locateurs du lot n° 5. Dans ces conditions, à défaut de désordre touchant l'installation de chauffage, la commune de Bézouotte n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à la condamnation des constructeurs à l'indemniser sur le fondement de la garantie décennale.

S'agissant du désordre afférent aux travaux du lot n° 1 " Maçonneries Pierres de taille " de la tranche n° 2 :

Quant au principe de la responsabilité :

7. Il résulte de l'instruction, et, notamment, du rapport de l'expertise judiciaire, qu'une humidité importante, de même que des efflorescences ainsi que des traces et tâches d'humidité ont été constatées dans l'édifice et plus particulièrement à l'intérieur des murs et piliers, et que cette humidité résulte de remontées d'eau depuis le sol. Alors que l'édifice a vocation à accueillir le public, même de façon temporaire, ce niveau important d'humidité dans l'air et la présence d'eau dans les murs et piliers, qui démontrent un défaut d'étanchéité de l'immeuble, portent atteinte à la salubrité de l'ouvrage et sont ainsi de nature à le rendre impropre à sa destination. Par suite, la commune de Bézouotte est fondée à soutenir que les désordres en cause sont de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

8. D'une part, selon l'acte d'engagement du 30 décembre 2007, la société Atelier Archipat était, notamment, chargée des missions d'avant-projet définitif, de projet, de visa et de direction de l'exécution des contrats de travaux. Aux termes du II de l'article 4 du décret du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé, alors applicable : " Les études d'avant-projet définitif ont pour objet : (...) c) De définir les principes constructifs, les matériaux et les installations techniques ". Aux termes de l'article 5 de ce décret : " Les études de projet ont pour objet : (...) c) De préciser les tracés des alimentations et évacuations de tous les fluides ". Aux termes du II de l'article 8 de ce décret : " Lorsque les études d'exécution sont, partiellement ou intégralement, réalisées par les entreprises, le maître d'œuvre s'assure que les documents qu'elles ont établis respectent les dispositions du projet et, dans ce cas, leur délivre son visa. " Aux termes de l'article 9 de ce décret : " La direction de l'exécution du ou des contrats de travaux a pour objet : a) s'assurer que les documents d'exécution ainsi que les ouvrages en cours de réalisation respectent les dispositions des études effectuées ; b) De s'assurer que les documents qui doivent être produits par l'entrepreneur, en application du contrat de travaux ainsi que l'exécution des travaux sont conformes audit contrat (...) ".

9. D'autre part, selon les articles 01.03.03 à 01.03.05 du CCTP des travaux du lot n° 1 " Maçonneries Pierres de taille " de la tranche n° 2, la société Hory Marçais, titulaire de ce lot, avait pour mission de réaliser un système de drainage en vue d'assurer l'évacuation des eaux pluviales des façades.

10. Il résulte de l'instruction, et, notamment, du rapport de l'expert judiciaire, que l'inefficacité du système de drainage est à l'origine d'une stagnation d'eau laquelle remonte ensuite par les murs et les piliers. Les désordres en cause ont ainsi pour origine principale la conception et la réalisation du système de drainage de l'édifice. La conception et le suivi du drainage relevaient des missions, rappelées au point 8, de la société Atelier Archipat. Par ailleurs, la pose du système de drainage relevait de la société Hory Marçais, titulaire des travaux du lot n° 1 " Maçonneries Pierres de taille " de la tranche n° 2. Dans ces conditions, la commune de Bézouotte est fondée à soutenir que les désordres liés à l'excès d'humidité de l'édifice sont imputables à la société Atelier Archipat et à la société Hory Marçais, et qu'ils engagent leur responsabilité solidaire.

Quant aux préjudices :

11. Il résulte de l'instruction, et, notamment, du rapport de l'expertise judiciaire, que la reprise des désordres liés à l'hygrométrie anormale du bâtiment implique d'assainir et d'assécher les murs en les protégeant des eaux extérieures et des infiltrations superficielles dans le terrain, ce qui inclut, notamment, la réfection intégrale du drain défectueux. A défaut de communication d'un devis chiffrant le montant de ces travaux, l'expert judiciaire n'a proposé aucun chiffrage du montant des travaux correspondant. Toutefois, la commune fait état de deux devis, établis respectivement par la société Hory Marçais pour un montant de 18 740 euros HT, s'agissant de la seule reprise du drain sur la façade Nord de l'édifice, et par la société Murprotec pour un montant de 46 097 euros HT s'agissant de l'assainissement du bâtiment. Si les sociétés Atelier Archipat et Hory Marçais font valoir que ces devis ont été joints à un rapport relatif aux désordres en cause, commandé par la commune, lequel ne présente pas un caractère contradictoire, ce rapport est sans utilité pour définir la nature des travaux à réaliser et leur chiffrage, lequel résulte uniquement des devis, établis par des entreprises de travaux, qui y sont annexés. Les sociétés Atelier Archipat et Hory Marçais ne fournissent elles-mêmes, alors que ces devis leur ont été communiqués, aucun élément de nature à estimer que les travaux prévus dans ces devis ne seraient pas nécessaires à la reprise des désordres ou que leur montant serait surestimé. Ne suffit pas à apporter une telle preuve, à défaut de toute critique des montants eux-mêmes, la circonstance que le devis établi par la société Hory Marçais a été partiellement rédigé de façon manuscrite. Enfin, à supposer que, comme la société Atelier Archipat l'allègue, la solution réparatoire envisagée dans le devis de la société Murprotec ne puisse recevoir l'agrément de la DRAC, la société ne soutient pas que les travaux susceptibles de recevoir un tel agrément seraient moins onéreux que ceux envisagés dans ce devis. Dans ces conditions, la commune de Bézouotte est fondée à demander la condamnation solidaire des sociétés Atelier Archipat et Hory Marçais à lui verser la somme de 64 837 euros HT, soit 77 804,40 euros TTC.

S'agissant du désordre afférent aux travaux du lot n° 1 " Maçonneries Pierres de taille " de la tranche n° 4 :

12. La commune de Bézouotte fait valoir que les remontées d'humidité dans les murs et les piliers de l'édifice, jointes à la pose d'un enduit inapproprié, ont été à l'origine de la formation de thaumasite et de gypse, entraînant la dégradation puis la chute des enduits de l'intérieur de l'église. Toutefois, il résulte de l'instruction, et, notamment, d'un échange de courriers entre la commune et le maître d'œuvre des 4 et 7 février 2012, que, ainsi que la commune le reconnaît elle-même, les défauts affectant les enduits étaient visibles à la date de la réception de l'ouvrage, prononcée, après la levée des réserves, le 31 mai 2012. Dans ces conditions, dès lors que ces désordres étaient apparents à la date de réception de l'ouvrage, ainsi que le soutient la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne, la commune de Bézouotte n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a écarté la responsabilité décennale des constructeurs qu'elle a mis en cause.

13. Il résulte de ce qui précède que la commune de Bézouotte est fondée à demander la condamnation solidaire de la société Atelier Archipat et de la société Hory Marçais à lui verser la somme de 77 804,40 euros TTC sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs.

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre :

14. Le présent arrêt ne faisant pas intégralement droit aux conclusions d'appel principales de la commune de Bézouotte, il y a lieu d'examiner ses conclusions, présentées à titre subsidiaire, tendant à l'engagement de la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre pour défaut de conseil au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception. Toutefois, il résulte du dossier de première instance que, devant le tribunal administratif, la commune de Bézouotte s'était uniquement prévalue de la responsabilité décennale des constructeurs. Si elle recherche désormais la responsabilité contractuelle de la société Atelier Archipat, ces conclusions, qui procèdent d'une cause juridique distincte et ne sont pas d'ordre public, sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.

Sur les appels provoqués présentés dans le cadre du désordre afférent aux travaux du lot n° 1 " Maçonneries Pierres de taille " de la tranche n° 2 :

15. Alors que la société Atelier Archipat était chargée de concevoir les installations techniques, afin, notamment, de s'assurer de l'évacuation des fluides, elle a conçu le système de drainage périphérique de l'édifice par pose d'un drain et d'un tuyau sous une couche de galets, sans prévoir la réalisation d'une cunette afin d'assurer une évacuation efficace des eaux de pluie, ni de revêtement d'étanchéité au droit du mur. En outre, alors qu'elle devait s'assurer que les ouvrages en cours de réalisation respectaient les dispositions des études effectuées, et, notamment, des plans qu'elle avait réalisés, la société Atelier Archipat n'a pas vérifié que l'entreprise en charge des travaux avait implanté le drain à une profondeur suffisante pour éviter que l'eau ne s'écoule en direction de l'intérieur de l'édifice, dont le sol se situe un mètre en dessous du niveau du sol extérieur, ni que le mur était pourvu d'un dispositif le protégeant de l'eau non évacuée. Dans ces conditions, la société Hory Marçais est fondée à soutenir que la société Atelier Archipat a commis une faute, tant dans la réalisation de sa mission de conception que dans le suivi des travaux.

16. La société Hory Marçais, qui n'a pas respecté les plans du maître d'œuvre et a réalisé un dispositif de drainage de l'édifice sans s'assurer qu'il était implanté au-dessous du niveau du sol de ce dernier, afin de permettre l'évacuation des eaux, n'a pas respecté les règles de son art. Dans ces conditions, la société Atelier Archipat est fondée à soutenir que la société Hory Marçais a commis une faute dans la réalisation de ses missions contractuelles.

17. Il résulte de l'instruction que les désordres affectant l'étanchéité de l'immeuble ont pour origine l'inefficacité du système de drainage périphérique de l'église, lequel résulte, à part égale, d'un défaut de conception de l'ouvrage et de surveillance du chantier de la société Atelier Archipart et d'un défaut d'exécution de la société Hory Marçais.

18. Dans ces conditions, la société Atelier Archipat et la société Hory Marçais sont fondées à solliciter leur garantie mutuelle et doivent être condamnées à supporter, chacune, la moitié de la condamnation prononcée au point 13.

Sur les dépens :

19. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...) Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ".

20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais et honoraires de l'expertise, liquidés à la somme de 16 427,52 euros TTC, à la charge définitive et à parts égales, de la société Atelier Archipat et de la société Hory Marçais, parties perdantes.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Bézouotte, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la société Atelier Archipat et la société Hory Marçais. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Atelier Archipat et de la société Hory Marçais, ensemble, le versement d'une somme de 1 500 euros à la commune de Bézouotte, en application de ces mêmes dispositions. Les conclusions de la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne et de la société Ducherpozat tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Atelier Archipat sur ce fondement doivent, dans les circonstances de l'espèce, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La société Atelier Archipat et la société Hory Marçais sont condamnées solidairement à verser à la commune de Bézouotte la somme de 77 804,40 euros TTC.

Article 2 : La société Atelier Archipat et la société Hory Marçais sont condamnées à se garantir mutuellement de la condamnation prononcée à l'article 1er du présent arrêt, à hauteur de 50 % chacune.

Article 3 : Les frais et honoraires de l'expertise judiciaire, taxés et liquidés pour un montant de 16 427,52 euros TTC, sont mis à la charge définitive de la société Atelier Archipat et de la société Hory Marçais, à parts égales.

Article 4 : Le jugement n° 2001551 du tribunal administratif de Dijon du 8 juin 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1 à 3 du présent arrêt.

Article 5 : La société Atelier Archipat et la société Hory Marçais verseront, ensemble, à la commune de Bézouotte la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bézouotte, à la société Atelier Archipat, à la société Ducherpozat, à la société Hory Marçais et à la société Eiffage Energie Bourgogne-Champagne.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2025 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre,

Mme Evrard, présidente-assesseure,

M. Savouré, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2025.

La rapporteure,

A. Evrard

Le président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. Faure

La République mande et ordonne au préfet de la Côte-d'Or, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23LY02610


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02610
Date de la décision : 19/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02 Marchés et contrats administratifs. - Formation des contrats et marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: Mme PSILAKIS
Avocat(s) : SCP BEZIZ-CLEON & CHARLEMAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-19;23ly02610 ?
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