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28/06/2024 | FRANCE | N°23NT01598

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 28 juin 2024, 23NT01598


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société MS Amlin Insurance a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la société Areas Dommages à lui verser la somme de 1 364 127,60 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation.



Par un jugement n° 2000838 du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la société MS Amlin Insurance.



Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregistr

és les 1er juin, 22 août et 5 décembre 2023 et

5 janvier 2024, la société MS Amlin Insurance, représentée par Me Sobol, dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société MS Amlin Insurance a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la société Areas Dommages à lui verser la somme de 1 364 127,60 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 2000838 du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la société MS Amlin Insurance.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 1er juin, 22 août et 5 décembre 2023 et

5 janvier 2024, la société MS Amlin Insurance, représentée par Me Sobol, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 28 avril 2023 du tribunal administratif de Caen;

2°) de condamner la société Areas Dommages à lui verser une somme de 207 210,98 euros assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation à compter du 24 avril 2020 ;

3°) de mettre à la charge de la société Areas Dommages une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande devant le tribunal administratif était recevable ;

- en application de l'article L. 121-4 du code des assurances, la société Areas Dommages est obligée de contribuer à la dette à hauteur de la somme de 207 210,98 euros, correspondant à la moitié du solde de l'indemnité versée pour les dommages au bâtiment, avec intérêts au taux légal à compter de la requête ;

- le juge administratif n'est pas tenu par la jurisprudence de la cour de cassation considérant que l'article L. 121-4 du code des assurances ne s'applique que si un même souscripteur a souscrit auprès de plusieurs assureurs des contrats d'assurance ;

- l'unicité des souscripteurs est contra legem ;

- l'équité fait obstacle à l'unicité des souscripteurs ; si un assuré réclame l'exécution simultanée des deux garanties souscrites à son profit, il y aura alors un risque d'enrichissement injustifié, en violation du principe indemnitaire ; en situation de cumul, les deux assureurs ont encaissé des primes pour le même risque, il est donc légitime qu'ils participent tous deux au règlement de l'indemnité, sans que cette charge ne pèse sur un seul, au bon vouloir de l'assuré ;

- il y a identité des risques couverts avec la société Areas Dommages ;

- la recherche d'une qualification d'assurance de responsabilité est vaine, puisque d'une part la société Blanchet est contractuellement son assurée et, d'autre part, ni la société MS Amlin Insurance ni la ville d'Avranches n'ont exercé un recours contre la société Blanchet ;

- la responsabilité de la société Blanchet dans la survenance du sinistre n'est pas démontrée et a même été écartée par le juge judiciaire ;

- la commune a fait application de l'assurance pour compte et n'a à aucun instant mobilisé la garantie sur le fondement d'une responsabilité de la société Blanchet ;

- les experts des deux compagnies ont procédé à la détermination de leurs parts respectives ;

- la demande de garantie formée par la société Areas Dommages est irrecevable comme nouvelle en appel et prescrite au regard des dispositions de l'article 2224 du code civil.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 novembre 2023 et 3 janvier 2024, la société Areas Dommages, représentée par Me Phelip, conclut au rejet de la requête de la société MS Amlin Insurance et à ce que la cour mette à la charge de celle-ci une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société MS Amlin Insurance, qui a obtenu judiciairement le remboursement de la somme dont elle demande le paiement de la moitié n'a plus intérêt pour agir ;

- la demande de la société MS Amlin Insurance devant le tribunal administratif était irrecevable par application de l'article L. 114-1 du code des assurances ;

- l'article L. 121-4 du code des assurances ne s'applique pas au cumul d'assurances, qui suppose une identité de risques et de souscripteur ;

- la société Blanchet est présumée responsable de l'incendie ; la preuve contraire n'est pas apportée ; au contraire, un de ses dirigeants a autorisé les enfants à l'origine de l'incendie à pénétrer sur les lieux ; elle a commis une faute au sens de l'article 1240 du code civil ; en sa qualité de locataire des lieux, elle est responsable, sur le fondement de l'article 1733 du code civil, des dommages causés par l'incendie au bâtiment ;

- la société MS Amlin Insurance couvrait la société Blanchet au titre de sa responsabilité civile et doit en tout état de cause, garantir sa responsabilité, en application de l'article 1240 du code civil ;

- la société MS Amlin Insurance ne justifie pas du montant de la créance alléguée ;

- sa demande de garantie, présentée dans le délai de cinq ans de l'article 2224 du code civil à compter de requête enregistrée le 24 avril 2020 devant le tribunal administratif n'est pas prescrite.

Par un courrier du 29 février 2024, les parties ont été informées en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que le tribunal administratif de Caen a retenu à tort sa compétence pour un litige qui ne concerne pas l'exécution d'un contrat administratif.

Par un mémoire, enregistré le 29 février 2024, la société MS Amlin Insurance soutient que le juge administratif était compétent pour statuer sur le litige dès lors que le contrat conclu entre la société Areas Dommages et la commune d'Avranches est un contrat administratif.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Me Sobol, pour la société MS Amlin Insurance et de Me Chauvière subsituant Me Phelip, pour la société Areas Dommages.

Considérant ce qui suit :

1. La société MS Amlin Insurance est l'assureur de la société Blanchet, locataire par crédit-bail d'un local de stockage, propriété de la commune d'Avranches. Ce local a été entièrement détruit à la suite d'un incendie volontaire, le 20 août 2013. En qualité d'assureur dommages de ce bâtiment, dans le cadre de la police souscrite par la société Blanchet, la société MS Amlin Insurance a indemnisé la commune d'Avranches de son préjudice à hauteur de 2 728 255,20 euros. Elle a ensuite saisi le tribunal administratif de Caen afin que celui-ci condamne la société Areas Dommages, assureur dommages-ouvrage pour la commune d'Avranches du même bâtiment, à lui verser la moitié de la somme qu'elle a versée, soit un montant de 1 364 127,60 euros. Elle fait appel du jugement du 28 avril 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande, en réduisant toutefois ses prétentions, dans le dernier état de ses écritures, à la somme de 207 210,98 euros, compte tenu du remboursement d'une partie des sommes qu'elle a versées à la commune d'Avranches par l'assureur des parents des enfants à l'origine du sinistre du 20 août 2013.

2. Si la société Areas Dommages objecte que la société MS Amlin Insurance n'aurait plus d'intérêt pour agir du fait qu'elle a obtenu, postérieurement à la date d'enregistrement de sa requête, le remboursement de la somme dont elle demande le paiement de la moitié, elle ne conteste pas précisément les éléments apportés au dossier par cette dernière qui démontrent qu'une partie des sommes qu'elle a versées ne lui a pas été remboursée par l'assureur des parents des enfants à l'origine du sinistre du 20 août 2013, ce qui a justifié l'actualisation de sa demande. Par suite, il y a toujours lieu de se prononcer sur le litige.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. S'il est constant que le contrat d'assurance conclu entre la commune d'Avranches et la société Areas Dommages est un contrat administratif, sa seule existence ne suffit pas à justifier la compétence du juge administratif pour régler le litige entre la société MS Amlin Insurance et la société Areas Dommages. En effet, ce litige ne concerne pas l'exécution de ce contrat administratif. Il ne porte notamment pas sur une action de la personne publique contre son assureur, ni sur une action directe des victimes d'un dommage ou de leur assureur subrogé dans leurs droits contre l'assureur de la personne publique responsable du sinistre. Ce litige, qui oppose deux assureurs, personnes morales de droit privé, sur la question de savoir si et dans quelles conditions ils doivent répartir entre eux l'indemnité mentionnée ci-dessus en application des dispositions de l'article L. 121-4 du code des assurances régissant le cumul d'assurances, et qui ne concerne pas l'exécution du contrat administratif souscrit par la commune d'Avranches avec son assureur, est un litige qui relève de la compétence du juge judiciaire.

4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont retenu la compétence de la juridiction administrative pour statuer sur la demande de la société MS Amlin Insurance. Le jugement du tribunal administratif de Caen du 28 avril 2023 doit, pour ce motif, être annulé comme irrégulier.

5. Par suite, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société MS Amlin Insurance devant le tribunal administratif de Caen. Pour les motifs mentionnés au point 3, cette demande doit être rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Sur les frais liés au litige :

6. Les conclusions présentées par la société MS Amlin Insurance au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées dès lors qu'elle a la qualité de partie perdante.

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société MS Amlin Insurance une somme de 2 000 euros, à verser à la société Areas Dommages, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 28 avril 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société MS Amlin Insurance devant le tribunal administratif de Caen est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : La société MS Amlin Insurance versera à la société Areas Dommages la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société MS Amlin Insurance et à la société Areas Dommages.

Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2024.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01598


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01598
Date de la décision : 28/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

ASSURANCE ET PRÉVOYANCE - CONTRATS D'ASSURANCE - LITIGE RELATIF À L'APPLICATION DU RÉGIME DE CUMUL D'ASSURANCES PRÉVU PAR L'ARTICLE L - 121-4 DU CODE DES ASSURANCES ENTRE L'ASSUREUR DU LOCATAIRE D'UN IMMEUBLE COMMUNAL ET L'ASSUREUR DE LA COMMUNE À LA SUITE D'UN SINISTRE.

12-02 L'assureur d'une société locataire d'un immeuble, propriété de la commune d'Avranches, détruit par un incendie, a demandé le remboursement de la moitié de l'indemnité, qu'il a versée à cette commune en raison du sinistre, à l'assureur de celle-ci pour le même bien, sur le fondement des dispositions de l'article L. 121-4 du code des assurances. ...Ce litige, qui oppose deux assureurs, personnes morales de droit privé, sur la question de savoir si et dans quelles conditions ils doivent répartir entre eux l'indemnité en cause en application des dispositions de l'article L. 121-4 du code des assurances régissant le cumul d'assurances, et qui ne concerne pas l'exécution du contrat administratif souscrit par la commune d'Avranches avec son assureur, est un litige qui relève de la compétence du juge judiciaire.

COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR UN CRITÈRE JURISPRUDENTIEL - CONTRATS - LITIGE RELATIF À L'APPLICATION DU RÉGIME DE CUMUL D'ASSURANCES PRÉVU PAR L'ARTICLE L - 121-4 DU CODE DES ASSURANCES ENTRE L'ASSUREUR DU LOCATAIRE D'UN IMMEUBLE COMMUNAL ET L'ASSUREUR DE LA COMMUNE À LA SUITE D'UN SINISTRE.

17-03-02-03 L'assureur d'une société locataire d'un immeuble, propriété de la commune d'Avranches, détruit par un incendie, a demandé le remboursement de la moitié de l'indemnité, qu'il a versée à cette commune en raison du sinistre, à l'assureur de celle-ci pour le même bien, sur le fondement des dispositions de l'article L. 121-4 du code des assurances....Ce litige, qui oppose deux assureurs, personnes morales de droit privé, sur la question de savoir si et dans quelles conditions ils doivent répartir entre eux l'indemnité en cause en application des dispositions de l'article L. 121-4 du code des assurances régissant le cumul d'assurances, et qui ne concerne pas l'exécution du contrat administratif souscrit par la commune d'Avranches avec son assureur, est un litige qui relève de la compétence du juge judiciaire.


Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : SAVINIEN

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-28;23nt01598 ?
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