Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F...E...A...C...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision verbale en date du 7 août 2015 par laquelle le consulat général de France à New York a refusé de lui délivrer une carte nationale d'identité et un passeport biométrique, ensemble la décision du 19 juillet 2016 par laquelle le ministre des affaires étrangères et du développement international a confirmé ce refus.
Par un jugement n° 1614882 du 10 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 14 mars 2018, Mme D... C..., représentée par Me Sarraj, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1614882 du 10 novembre 2017 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler :
a) la décision de refus de délivrance d'une carte nationale d'identité prise le 7 août 2015 par le consul général de France à New York ;
b) la décision de refus de délivrance d'un passeport prise le 7 août 2015 par le consul général de France à New York ;
c) la décision de refus de délivrance d'une carte nationale d'identité prise le
19 juillet 2016, sur recours hiérarchique, par le ministre des affaires étrangères et du développement international ;
d) la décision de refus de délivrance d'un passeport prise le 19 juillet 2016, sur recours hiérarchique, par le ministre des affaires étrangères et du développement international ;
3°) d'enjoindre au consul général de France à New York de lui délivrer une carte nationale d'identité et un passeport sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal administratif a insuffisamment motivé sa décision d'écarter l'instruction ministérielle conjointe n° 1OCK1002582C du 1er mars 2010 relative à la simplification de la délivrance des cartes nationales d'identité et des passeports ;
- conformément aux dispositions de l'article 4 du décret du 22 octobre 1955 et de l'article 5 du 30 décembre 2005, elle avait suffisamment justifié, par la production de son acte de naissance, sa nationalité française ; cet acte détenu par le service central d'état civil du ministère des affaires étrangères créé par décret du 1er juin 1965 suffit à prouver sa nationalité française, comme le rappelle la circulaire du 1er mars 2010 ;
- elle est française depuis sa naissance le 3 mars 1942 au Maroc et ses parents, dont son père engagé dans l'armée française, n'avaient pas d'autre nationalité que la nationalité française à lui transmettre.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 mai 2018, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité conclu entre la France et le Maroc pour l'organisation du protectorat français dans l'Empire chérifien, signé à Fès le 30 mars 1912 ;
- le code civil ;
- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité ;
- le décret n° 65-422 du 1er juin 1965 portant création d'un service central d'état civil au ministère des affaires étrangères ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française ;
- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Diémert,
- les conclusions de Mme Nguyên-Duy, rapporteur public,
- les observations de Me Sarraj, avocat de Mme E...A...C....
1. Considérant que Mme F...E...A...C..., née le 3 mars 1942 au Maroc, ayant pris rendez-vous le 7 août 2015 auprès des services consulat général de France à
New-York aux fins d'obtenir la première délivrance d'une carte nationalité d'identité et d'un passeport français, a vu sa demande rejetée le jour même par une décision verbale qu'elle a contesté, le 30 juin 2016, dans le cadre d'un recours gracieux formé devant le ministre des ministre des affaires étrangères et du développement international ; que par une décision du 19 juillet 2016, le ministre a confirmé la décision contestée au motif que l'intéressée n'apportait pas la preuve de sa nationalité française ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que les premiers juges, en considérant que le ministre des affaires étrangères et européennes et le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ne détenaient aucune compétence pour édicter, dans l'instruction ministérielle conjointe n° 1OCK1002582C du 1er mars 2010 relative à la simplification de la délivrance des cartes nationales d'identité et des passeports, la règle selon laquelle les services instruisant une demande de carte nationale d'identité ou de passeport n'ont pas à vérifier plus avant la nationalité française d'un demandeur qui produit un acte d'état civil établi par le service central d'état civil du ministère des affaires étrangères, ont suffisamment motivé, dans les points 5 et 6 du jugement attaqué, leur décision de regarder ces dispositions comme illégalement édictées et ainsi insusceptibles d'être utilement invoquées par Mme E...A... C... ; qu'il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisante motivation dudit jugement doit être écarté ;
Sur la légalité des décisions litigieuses :
3. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'aux termes du I de l'article 4 du décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité, dans sa rédaction alors applicable : " I.- En cas de première demande, la carte nationale d'identité est délivrée sur production par le demandeur : / a) De son passeport, de son passeport de service ou de son passeport de mission délivrés en application des articles 4 à 17 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 modifié (...). La production de l'un de ces passeports dispense le demandeur d'avoir à justifier de son état civil et de sa nationalité française ; / b) Ou de son passeport délivré en application des dispositions antérieures au décret du 30 décembre 2005 susmentionné, valide ou périmé depuis moins de deux ans à la date de la demande (...) / c) Ou, à défaut de produire l'un des passeports mentionnés aux deux alinéas précédents, de son extrait d'acte de naissance de moins de trois mois, comportant l'indication de sa filiation ou, lorsque cet extrait ne peut pas être produit, de la copie intégrale de son acte de mariage. / Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux deux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II " ; qu'aux termes du II du même article : " II. - La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au c du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. / Lorsque l'extrait d'acte de naissance mentionné à l'alinéa précédent ne suffit pas à établir la nationalité française du demandeur, la carte nationale d'identité est délivrée sur production de l'une des pièces justificatives mentionnées aux articles 34 ou 52 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 modifié relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française. / Lorsque les documents mentionnés aux alinéas précédents ne suffisent pas à établir sa nationalité française, le demandeur peut justifier d'une possession d'état de Français de plus de dix ans. / Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française " ;
4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du I de l'article 5 du décret du
30 décembre 2005 relatif aux passeports, dans sa rédaction applicable au litige : " I. -En cas de première demande, le passeport est délivré sur production par le demandeur : / 1° De sa carte nationale d'identité sécurisée (...), valide ou périmée depuis moins de cinq ans à la date de la demande ; en pareil cas, sans préjudice, le cas échéant, de la vérification des informations produites à l'appui de la demande de cet ancien titre, le demandeur est dispensé d'avoir à justifier de son état civil et de sa nationalité française ; / 2° Ou de sa carte nationale d'identité ne répondant pas aux caractéristiques de l'article 6 du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 (...) ; / 3° Ou d'un passeport d'un autre type délivré en application des articles 4 à 17 du présent décret, valide ou périmé depuis moins de cinq ans à la date de la demande du renouvellement (...) ; / 4° Ou à défaut de produire l'un des titres mentionnés aux alinéas précédents, de son extrait d'acte de naissance de moins de trois mois, comportant l'indication de sa filiation ou, lorsque cet extrait ne peut pas être produit, de la copie intégrale de son acte de mariage. / Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II " qu'aux termes du II du même article :
" II. - La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au 4° du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. / Lorsque l'extrait d'acte de naissance mentionné au précédent alinéa ne suffit pas à établir la nationalité française du demandeur, le passeport est délivré sur production de l'une des pièces justificatives mentionnées aux articles 34 ou 52 du décret
n° 93-1362 du 30 décembre 1993 (...) / Lorsque les documents mentionnés aux alinéas précédents ne suffisent pas à établir sa nationalité française, le demandeur peut justifier d'une possession d'état de Français de plus de dix ans. / Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française " ;
5. Considérant que pour l'application de l'ensemble de ces dispositions, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité et de passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur ; que seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement de la carte nationale d'identité et du passeport ;
6. Considérant, en second lieu, qu'aucune stipulation du traité conclu entre la France et le Maroc pour l'organisation du protectorat français dans l'Empire chérifien, signé à Fès le 30 mars 1912, n'a conféré aux sujets marocains, jusqu'au rétablissement de la souveraineté du Maroc le 2 mars 1956, ni la qualité de Français, ni un quelconque droit d'accès particulier à la nationalité française dans des conditions dérogatoires aux règles de droit commun alors applicables en la matière ; qu'aucune disposition législative n'a davantage prévu que les personnes nées au Maroc, pendant la durée du protectorat français, de parents ne disposant pas de la nationalité marocaine acquerraient de ce fait la nationalité française à leur naissance ; qu'ainsi, sont seules applicables, en l'espèce, les dispositions de l'article 30 du code civil, aux termes duquel : " La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause./ Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française (...) ", celles de l'article 30-1 du même code, aux termes duquel : " Lorsque la nationalité française est attribuée ou acquise autrement que par déclaration, décret d'acquisition ou de naturalisation, réintégration ou annexion de territoires, la preuve ne peut être faite qu'en établissant l'existence de toutes les conditions requises par la loi ", celles de l'article 30-2 dudit code, aux termes duquel : " Néanmoins, lorsque la nationalité française ne peut avoir sa source que dans la filiation, elle est tenue pour établie, sauf la preuve contraire si l'intéressé et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre ont joui d'une façon constante de la possession d'état de Français ", et enfin celles de l'article 30-3 de ce code, aux termes duquel : " Lorsqu'un individu réside ou a résidé habituellement à l'étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n'ont pas eu la possession d'état de Français. " ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, pour refuser la délivrance des titres sollicités, le ministre des affaires étrangères et du développement international s'est fondé sur les circonstances que l'acte de naissance produit par la requérante ne suffit pas à établir sa nationalité et que Mme E...A...C..., qui invoque une nationalité française par filiation, n'a pas produit d'autres preuves de sa nationalité, ni de certificat de nationalité française ;
8. Considérant que si l'acte de naissance de Mme E...A...C...a été établi le 18 mars 1942 par les autorités françaises au Maroc durant le protectorat de la République française, il ne comporte aucune mention relative à la nationalité française de l'intéressée ou de l'un de ses parents ; que la circonstance qu'il soit détenu par le service central d'état civil du ministère français des affaires étrangères, en application des dispositions de l'article 2 du décret du 1er juin 1965 portant création d'un service central au ministère des affaires étrangères, ne suffit pas à établir, par elle-même, et en l'absence de toute disposition législative le prévoyant, que l'intéressée ou l'un de ses parents sont de nationalité française ou qu'elle a, de ce seul fait, la possession d'état de Français, alors même qu'il est constant que certains actes d'état civil des sujets marocains qui ne détenaient pas la nationalité française ont pu être reçus par les autorités françaises de l'époque ; que Mme D... C...n'a produit aucun autre élément, hormis un document relatif à la pension de retraite perçue par son père en qualité d'ancien soldat de l'armée française, pour établir la nationalité française de son père ; qu'elle n'est pas non plus détentrice d'un certificat de nationalité française ; qu'elle ne justifie pas davantage que ses parents n'auraient pas possédé la nationalité marocaine, alors même et en tout état de cause que cette seule circonstance n'aurait pas été de nature, comme il a été dit au point 6, à lui conférer la nationalité française d'origine ; qu'enfin, les ministres chargés des affaires étrangères et de l'intérieur n'ont pu légalement, par l'instruction ministérielle conjointe n° IOCK1002582C du 1er mars 2010 relative à la simplification de la délivrance des cartes nationales d'identité et des passeports, modifier les règles résultant des décrets cités aux points 3 et 4 du présent arrêt en prescrivant aux services instruisant une demande de carte nationale d'identité ou de passeport de ne pas vérifier plus avant la nationalité française d'un demandeur qui produit un acte d'état civil établi par le service central d'état civil du ministère des affaires étrangères, dès lors que, comme dit ci-dessus, la circonstance qu'un acte de naissance soit détenu par ce service ne saurait suffire à établir la nationalité française de l'intéressé ; qu'ainsi, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le ministre des affaires étrangères du développement international a pu légalement estimer qu'un doute suffisant sur la nationalité de Mme A...C...faisait obstacle à la délivrance des titres sollicités et l'inviter à solliciter un certificat de nationalité française ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme E...A...C...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions lui refusant la première délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport français ; que les conclusions de sa requête d'appel doivent donc être rejetées, en ce comprises celles à fins d'injonction et celles fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dès lors que l'État n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme F...E...A...C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F...E...A...C...et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Legeai, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 29 novembre 2018.
Le rapporteur,
S. DIÉMERTLa présidente,
S. PELLISSIER Le greffier,
M. B...La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00877