Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 4 décembre 2023 ainsi que les 8 janvier et 29 avril 2024, ce dernier non communiqué, la société Boralex Cézens, représentée par Me Guiheux, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 6 octobre 2023 par lequel le préfet du Cantal a rejeté sa demande d'autorisation environnementale pour l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de Cézens ;
2°) d'enjoindre au préfet de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation environnementale dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé en méconnaissance des articles L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et R. 181-34 du code de l'environnement ;
- les inventaires avifaunistiques ont permis de déterminer un enjeu modéré pour le Milan Royal et un enjeu faible pour la Pie Grièche grise ; l'étude d'impact était suffisante, de sorte que le préfet ne pouvait refuser d'accorder l'autorisation sollicitée au motif que le dossier était incomplet ; contrairement à ce qu'a estimé le préfet, les mesures d'évitement et de réduction pour diminuer l'atteinte à la biodiversité étaient suffisantes, notamment le choix des variantes et l'installation d'un système automatique anticollisions sans effarouchement, complété par la présence d'ornithologues sentinelles, ainsi que les mesures de réduction prévues lors de la phase chantier, la limitation de l'attractivité du parc éolien pour la faune, l'arrêt ciblé des éoliennes lors d'opérations agricoles provoquant l'attroupement de Milans, couplées à des mesures de suivi et d'accompagnement ; l'impact résiduel pour les espèces protégées est non-significatif ;
- aucune dérogation sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement pour la destruction d'espèces protégées n'est nécessaire ;
- le préfet a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 181-3 du code de l'environnement en estimant que le projet porte atteinte aux paysages, en particulier au site classé du massif cantalien, et en estimant qu'en conséquence il porte atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 de ce code ; le projet ne porte aucune atteinte significative aux caractéristiques paysagères du massif cantalien ni de la planèze de Cézens ; l'incidence sur les lieux de vie environnants, soit Cézens et le hameau de la Bessède, est faible, alors en outre que des mesures d'accompagnement sont prévues pour les hameaux situés à moins d'un kilomètre du projet, avec mise en place de plantations.
Par un mémoire en intervention enregistré le 30 avril 2024, non communiqué, la commune de Cézens et l'association de sauvegarde des Monts du Cantal, représentées par Me Oudoul, demandent à la cour de rejeter la requête de la société.
Elles soutiennent que :
- elles ont intérêt à intervenir ;
- l'étude écologique présentée par le pétitionnaire était insuffisante ;
- le projet porte atteinte au site.
Par un mémoire enregistré le 14 février 2024, le préfet du Cantal conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable ;
- aucun moyen de la requête n'est fondé ;
- seize espèces de chiroptères sont présentes sur le site ; les mesures d'évitement et de réduction sont insuffisantes ; le dossier ne permet pas d'estimer le niveau d'impact résiduel pour ces espèces ;
- le projet ne respecte pas plusieurs prescriptions du document d'orientation et d'objectifs du schéma de cohérences territoriale Est-Cantal relatives à la promotion et à la préservation du patrimoine local et des paysages, notamment les prescriptions n° 56 à 59 et la prescription n° 27 ;
- le territoire de la commune de Cézens est intégralement situé en zone de montagne au sens des articles L. 122-1 et suivants du code de l'urbanisme ; le projet n'est pas compatible avec la préservation du patrimoine naturel et culturel montagnard, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-9 du code de l'urbanisme.
Par une ordonnance du 15 avril 2024, l'instruction a été close au 30 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- l'arrêté du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées ;
- l'arrêté du 29 octobre 2009 modifié fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boffy, première conseillère ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Boenec, pour la société Boralex Cézens ainsi que celles de M. A..., pour le préfet du Cantal et de Me Oudoul pour la commune de Cézens et pour l'association de sauvegarde des Monts du Cantal ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 novembre 2024, présentée pour la commune de Cézens et pour l'association de sauvegarde des Monts du Cantal ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Boralex Cézens a déposé le 10 mars 2020 auprès du préfet du Cantal une demande d'autorisation environnementale de construction et d'exploitation d'un parc éolien composé de six aérogénérateurs d'une hauteur de 150 mètres en bout de pale et de deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Cézens. Par un arrêté du 6 octobre 2023 pris sur le fondement des articles L. 181-9 et R. 181-34 du code de l'environnement, le préfet du Cantal a décidé de rejeter cette demande à l'issue de la phase d'examen. La société Boralex Cézens en sollicite l'annulation.
Sur l'intervention en défense :
2. Est recevable à former une intervention toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige et qui n'a pas qualité de partie à l'instance. Par ailleurs, dès lors qu'au moins l'un des intervenants est recevable, une intervention collective est recevable.
3. L'association de sauvegarde des Monts du Cantal a pour objet, selon l'article 2 de ses statuts, " de préserver et protéger les espaces naturels et les paysages des Monts du Cantal (situés dans la région naturelle des Monts du Cantal), de sensibiliser l'opinion publique aux problèmes d'environnement des Monts du Cantal, de promouvoir et développer le territoire, de défendre l'identité culturelle des paysages ainsi que leurs intérêts économiques et sociaux, de lutter contre les atteintes qui pourraient être portées à cet environnement et notamment chaque fois qu'elles toucheront aux espaces naturels et aux paysages, aux équilibres biologiques auxquels participent les espèces naturelles et végétales et par conséquence à la santé et à la qualité de vie des habitants, de prémunir la dégradation des ressources naturelles ". Le territoire de la commune de Cézens est affecté par le projet de parc éolien en litige, prévu au sein de la région naturelle des Monts du Cantal, sur le site de la planèze de Cézens. Eu égard à son objet, cette association justifie d'un intérêt de nature à la rendre recevable à intervenir dans la présente instance. Par suite, l'intervention collective présentée par l'association de sauvegarde des Monts du Cantal et de la commune de Cézens doit être admise.
Sur la légalité de l'arrêté :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...) soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 181-9, alors en vigueur, du code de l'environnement : " L'instruction de la demande d'autorisation environnementale se déroule en trois phases : 1° Une phase d'examen ; 2° Une phase de consultation du public ; 3° Une phase de décision. Toutefois, l'autorité administrative compétente peut rejeter la demande au cours de la phase d'examen lorsque celle-ci fait apparaître que l'autorisation ne peut être accordée en l'état du dossier ou du projet. (...) ". Aux termes de l'article R. 181-34 du même code, également dans sa version alors applicable : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : (...) 3° Lorsqu'il s'avère que l'autorisation ne peut être accordée dans le respect des dispositions de l'article L. 181-3 ou sans méconnaître les règles, mentionnées à l'article L. 181-4, qui lui sont applicables. (...) La décision de rejet est motivée. ".
6. En premier lieu, l'arrêté contesté vise notamment les différents avis de l'inspection des sites classés, de l'autorité environnementale, et de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), cite les inventaires naturalistes, la proximité de nids de Pie Grièche grise et de Milan Royal à moins de 500 mètres des aérogénérateurs, évoque le risque de collisions, relève les insuffisances des mesures d'évitement et de réduction des impacts, indique que l'étude d'impact n'écarte pas tout doute raisonnable quant à l'absence d'effets préjudiciables du projet à l'environnement du site, et que le niveau d'impact résiduel pour le Milan Royal et la Pie Grièche grise " ne peut être qualifié, avec un niveau de confiance suffisant, de non significatif ". Il rappelle aussi, spécialement, que le projet se situe dans le périmètre du parc naturel régional des Volcans d'Auvergne, que la distance entre le projet et la planèze de Cézens et le Plomb du Cantal est de 12 kilomètres, que la verticalité des aérogénérateurs, de 150 mètres de hauteur, vient rompre l'harmonie du paysage horizontal, avec un impact important depuis certains sommets, le Plomb du Cantal et le col de Renel. Et il souligne l'impact sur le cadre de vie des habitants de Cézens, et plus particulièrement du hameau de la Bessède. Cet arrêté qui, entre autres, renvoie par ailleurs aux articles L. 181-9 et R. 181-34 du code de l'environnement, n'apparaît ainsi pas, contrairement à ce que soutient la société requérante, insuffisamment motivé.
7. En second lieu, pour refuser l'autorisation sollicitée, le préfet a notamment retenu que le parc éolien projeté portait atteinte aux paysages du massif du Cantal et de la Planèze de Cézens. Il résulte de l'instruction que ce projet, qui se trouve à environ 12 kilomètres au sud-est du Plomb du Cantal, point culminant du massif du Cantal, en limite intérieure du parc régional des Volcans d'Auvergne, sur le plateau de Haute Planèze, se caractérise par l'introduction, dans un environnement vierge de toute artificialisation, assez dépouillé, sur des plateaux d'altitude découverts et aux abords de sites protégés, en particulier ceux du massif cantalien et du Plomb du Cantal, de six éléments verticaux de 150 mètres, rompant l'horizontalité de ce vaste paysage. Ces éléments sont visibles ou co-visibles depuis plusieurs points d'observation, et en particulier depuis le Plomb du Cantal, avec un effet d'hétérogénéité induit par deux lignes d'éoliennes, depuis des sentiers de découverte, depuis le col du Renel, avec une altération des vues sur le Plomb du Cantal par effet d'écrasement, depuis de nombreuses crêtes du massif et depuis divers points du parc naturel régional de l'Aubrac, situé à 8,5 kilomètres. Si, compte tenu de la taille limitée des machines en comparaison avec les vastes étendues dans lesquelles elles s'inscrivent et des distances variables les séparant des sites évoqués ci-dessus, leur visibilité dans le paysage éloigné n'apparaît pas prépondérante, ces constructions, vu leurs caractéristiques, n'entraînent pas moins une rupture dans les perspectives qu'offrent ces paysages naturels d'exception, encore préservés, et dans l'unité comme l'homogénéité de ces panoramas, dont la réalité et l'appréciation ne sauraient être rendues dépendantes des conditions météorologiques. A cet égard, la présence du parc éolien gênerait la perception dans toute son ampleur de l'ancien cratère du volcan du Cantal, large de plus de 40 kilomètres. Le projet affecte également des paysages plus proches, étant visible depuis l'ensemble de la Planèze, et plus particulièrement depuis plusieurs routes, intersections ou cols, dont celui du Puy de Renel ou le croisement des routes départementales 57 et 65. Dans son avis défavorable du 12 juillet 2022, la MRAE a ainsi estimé que " l'impact du projet sur le paysage peut être qualifié de modéré à fort selon les lieux ". Dans ces circonstances, et en l'absence de mesures d'évitement ou de réduction particulières dont la mise en œuvre aurait permis de limiter notablement et durablement les impacts du projet sur le paysage, l'appréciation à laquelle s'est livré le préfet pour opposer le refus d'autorisation contesté n'apparaît pas ici erronée.
8. Ainsi, et en admettant même que le projet ne porterait pas atteinte au cadre de vie des habitants de Cézens et notamment du hameau de la Bessède, et qu'il permettrait de limiter les risques pour des " espèces protégées " au point de rendre inutile une dérogation en application de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, le motif relevé précédemment, relatif à l'atteinte au paysage, justifiait à lui seul le refus d'autorisation contesté sur le fondement de l'article R. 181-34 du code de l'environnement.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense par le préfet du Cantal ni même les nouveaux motifs de refus que ce dernier a invoqués en cours d'instance, que la société Boralex Cézens n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 6 octobre 2023. Sa requête doit donc, en toutes ses conclusions, être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de l'association de sauvegarde des Monts du Cantal et de la commune de Cézens est admise.
Article 2 : La requête de la société Boralex Cézens est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Boralex Cézens et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Copie en sera adressée au préfet du Cantal, à la commune de Cézens et à l'association de sauvegarde des Monts du Cantal
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.
La rapporteure,
I. BoffyLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23LY03702
ar