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18/05/2022 | FRANCE | N°19LY03100

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 18 mai 2022, 19LY03100


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SAS Oakley Holding a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2008.

Par un jugement n° 1702876 du 14 juin 2019, le tribunal administratif de Grenoble, auquel la demande a été transmise, l'a rejetée.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 août 2019 et le 20 février 2020, la SAS Luxottica France, ven

ant aux droits de la SAS Oakley Holding, représentée par Me Vergnat, demande à la cour :

1°) d'annul...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SAS Oakley Holding a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2008.

Par un jugement n° 1702876 du 14 juin 2019, le tribunal administratif de Grenoble, auquel la demande a été transmise, l'a rejetée.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 août 2019 et le 20 février 2020, la SAS Luxottica France, venant aux droits de la SAS Oakley Holding, représentée par Me Vergnat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge de cette imposition ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les seuls critères nécessaires à la caractérisation d'un acte anormal de gestion ou d'un transfert indirect de bénéfices sont l'octroi d'un avantage et l'absence de contrepartie ; l'administration ne peut lui opposer, sans s'immiscer dans la gestion de l'entreprise, qu'elle a consenti un avantage sans contrepartie en s'abstenant de refacturer les charges de restructuration au seul motif que la décision de réorganisation avait été prise par le groupe Luxottica et que la poursuite de son activité lui aurait été profitable ;

- l'administration ne peut à la fois considérer que l'avantage a été consenti aux sociétés-sœurs et à la société-mère ;

- les frais de restructuration incombaient juridiquement à la SNC Oakley Europe et n'incombaient ni à la société-mère, ni aux sociétés sœurs ;

- l'absence de refacturation des charges de restructuration ne constitue pas un avantage consenti sans contrepartie dès lors qu'elle a vendu ses fonds de commerce au prix du marché, ce que l'administration fiscale ne conteste pas.

Par un mémoire, enregistré le 24 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 7 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 7 avril 2022 en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lesieux, première conseillère,

- les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique,

- et les observations de Me Desmonts, représentant la SAS Luxottica France ;

Considérant ce qui suit :

1. La SNC Oakley Europe, filiale d'un groupe fiscalement intégré dont la société mère était la SAS Oakley Holding, appartenant au groupe américain Oakley Inc. jusqu'à son rachat en 2007 par le groupe italien Luxottica, exerçait une activité de distribution de vêtements, chaussures, lunettes et accessoires de la marque Oakley sur le territoire européen. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier au 31 décembre 2008 à l'issue de laquelle l'administration fiscale a notamment réintégré dans ses résultats, la somme de 15 544 267 euros correspondant aux frais pris en charge par la SNC Oakley Europe, induits par le transfert de son activité de distribution sur le marché français à la société de droit français, Luxottica France, et de son activité de distribution sur le marché européen aux sociétés de droit irlandais, Luxottica Trading et Finance et Oakley Icon, que l'administration fiscale a qualifié d'avantage consenti sans contrepartie à ses sociétés sœurs, constitutif, d'une part, d'un acte anormal de gestion et d'autre part, d'un transfert indirect de bénéfices au sens de l'article 57 du code général des impôts au motif que ses frais n'avaient pas été refacturés à la société italienne, tête de groupe, à l'initiative de la réorganisation de l'activité de distribution de ses produits sur le marché européen. L'administration fiscale a alors notifié à la SNC Oakley Europe les conséquences de cette rectification qui s'est traduite par la mise en recouvrement d'un complément d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2008 au nom de la SAS Oakley Holding en application de l'article 223 A du code général des impôts. Cette société a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande de décharge de cette imposition supplémentaire. Par un jugement du 14 juin 2019, le tribunal administratif de Grenoble, auquel cette demande a été transmise, l'a rejetée. La SAS Luxottica France, venant aux droits de la SAS Oakley Holding, relève appel de ce jugement.

2. D'une part, aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprise situées hors de France, les bénéfices indirectement transférées à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat, ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (...) ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration fiscale établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article 57 du code général des impôts, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties.

3. D'autre part, en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.

4. Il résulte de l'instruction qu'à la suite du rachat du groupe américain Oakley Inc., la société de droit italien Luxottica Group a décidé de réorganiser l'ensemble de l'activité de distribution des produits de la marque Oakley en Europe. Dans ce contexte, la SNC Oakley Europe, qui exerçait une activité de distribution de vêtements, chaussures, lunettes et accessoires de la marque Oakley sur le territoire européen, a, en vertu de trois actes de cessions de fonds de commerce conclus en 2008, cédé son activité de distribution au sein du réseau " optique " sur le marché européen, à l'exception du marché français, à la société irlandaise Luxottica Trading et Finance Ltd, son activité de distribution au sein du réseau " optique " sur le marché français, à la société française Luxottica France et son activité de distribution au sein du réseau " sport " sur le marché européen, à la société irlandaise Oakley Icon Ltd. A l'issue de ces cessions, la SNC Oakley Europe a conservé une activité résiduelle de promotion de l'activité de distribution dans le réseau des magasins de sports sur le marché français.

5. Les actes de cession, s'ils prévoyaient notamment le transfert du vendeur aux acquéreurs, des contrats conclus avec les détaillants et les distributeurs ainsi que le transfert des agents commerciaux, précisaient qu'en cas d'opposition des uns ou des autres, le vendeur ferait son affaire personnelle de la résiliation de ces contrats. En application de ces stipulations, la SNC Oakley Europe a mis fin au contrat de distribution des produits du groupe la liant à sa société sœur Oakley Italie qui agissait en tant que commissionnaire de la société française pour distribuer sur le territoire italien les produits Oakley. Aux termes de l'accord transactionnel du 28 janvier 2008, la société italienne a perçu de la société française la somme de 1 000 000 d'euros à titre d'indemnité de fin de contrat. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la société française a comptabilisé en charges au titre de l'exercice clos en 2008, la somme de 2 180 023 euros correspondant à des indemnités versées à ses agents commerciaux. Enfin, les actes de cession de fonds de commerce excluaient le transfert aux acquéreurs des contrats de travail des salariés de la SAS Oakley Europe impliquant pour elle, la prise en charge financière des frais liés aux licenciements de la quasi-totalité de ses salariés pour un montant, comptabilisé en 2008, à 12 364 244 euros.

6. Pour estimer que la prise en charge de ces frais, liés à la restructuration du groupe Luxottica, était étrangère à l'intérêt de la SNC Oakley Europe et constituait un avantage indu au bénéfice de ses sociétés sœurs française et irlandaises, constitutif, d'une part, d'un acte anormal de gestion et, d'autre part, d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger, l'administration fiscale a retenu que la décision de réorganiser ses filiales avait été prise par l'actionnaire principal, la société italienne Luxottica Group, et imposée à l'ensemble des sociétés, dans le but de rationaliser les coûts et d'assurer le développement de ses propres filiales alors même que le groupe n'est pas en difficulté et que sa compétitivité n'est pas menacée, que la SNC Oakley Europe n'avait aucun intérêt à céder ses fonds de commerce et que si elle avait comptabilisé leur cession en produits pour un montant de 20 986 006 euros, elle avait été contrainte d'abandonner des activités rentables et de supporter les coûts liés à ces cessions sans réclamer une contrepartie ou un dédommagement de la part de la société-mère à l'initiative de la reprise et de la réorganisation de l'activité. Par de telles considérations, et alors qu'il lui appartient d'apprécier si les opérations en cause correspondent à des actes relevant d'une gestion commerciale normale au regard du seul intérêt propre de l'entreprise, l'administration, qui n'avait pas à se prononcer sur l'opportunité du choix de la SNC Oakley Europe de céder des fonds de commerce pour ne conserver qu'une activité de promotion de l'activité de distribution dans le réseau des magasins de sports sur le marché français, n'établit ni l'existence d'un acte anormal de gestion ni la preuve de l'existence d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article 57 du code général des impôts.

7. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que, par acte du 19 mars 2008, la SNC Oakley Europe a cédé à la société irlandaise Luxottica Trading et Finance Ltd le fonds de commerce lié à son activité de distribution au sein du réseau " optique " sur le marché européen, à l'exception du marché français pour un montant de 17 773 551,29 euros. Par acte du 29 avril 2008, elle a cédé à la société française Luxottica France le fonds de commerce lié à son activité de distribution au sein du réseau " optique " sur le marché français pour un montant de 1 222 525,59 euros. Enfin, par acte du 30 juin 2008, elle a cédé à la société irlandaise Oakley Icon Ltd le fonds de commerce lié à son activité de distribution au sein du réseau " sport " sur le marché européen pour un montant de 5 857 175,13 euros. L'administration fiscale ne conteste pas que ces prix de cession étaient conformes au prix du marché. Or, la cession des fonds de commerce liés aux activités dont la SNC Oakley Europe s'est départie a nécessairement eu pour contrepartie, ainsi qu'il en résulte des contrats de cession, la prise en charge par cette société des frais liés au refus des détaillants, distributeurs et agents commerciaux de transférer leur contrat aux sociétés cessionnaires ainsi que les frais liés à la rupture des contrats des salariés, ce en application des dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail, reprises à compter du 1er mai 2008 à l'article L. 1224-1 de ce code qui n'imposent le transfert des contrats de travail en cours qu'en cas de transfert par un employeur à un autre employeur d'une entité économique autonome, conservant son identité, et dont l'activité est poursuivie et reprise par le nouvel employeur. Ainsi, l'administration ne peut être regardée, par les considérations relatées au point 6 ci-dessus sur l'opportunité de la restructuration, comme démontrant que les charges en litige n'auraient pas dû être supportées par la SNC Oakley Europe. En justifiant le rehaussement par la circonstance que cette dernière n'a réclamé ni contrepartie, ni dédommagement " de la part de la partie à l'initiative de la reprise et de la réorganisation de l'activité ", soit la société italienne Luxottica Group, elle ne démontre pas non plus qu'un quelconque avantage aurait été consenti aux sociétés-sœurs, cessionnaires des fonds de commerce.

8. Il résulte de ce qui précède que la SAS Luxottica France, venant aux droits de la SAS Oakley Holding, est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés qui lui a été assignée au titre de l'exercice clos en 2008 à raison de la remise en cause de la prise en charge, par la SNC Oakley Europe, des frais liés à la cession de ses fonds de commerce pour un montant de 15 544 267 euros.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la SAS Luxottica France au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1702876 du tribunal administratif de Grenoble du 14 juin 2019 est annulé.

Article 2 : La SAS Luxottica France, venant aux droits de la SAS Oakley Holding, est déchargée de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés qui lui a été assignée au titre de l'exercice clos en 2008 à raison de la remise en cause de la prise en charge, par la SNC Oakley Europe, des frais liés à la cession de ses fonds de commerce pour un montant de 15 544 267 euros ainsi que des intérêts de retard.

Article 3 : L'Etat versera à la SAS Luxottica France la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Luxottica France et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 14 avril 2022 à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président,

Mme Evrard, présidente-assesseure,

Mme Lesieux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mai 2022.

La rapporteure,

S. Lesieux Le président,

D. Pruvost

La greffière,

M.-Th. Pillet

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 19LY03100


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