Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 24 mai 2023 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi pour son éloignement.
Par un jugement n° 2314903/2-3 du 24 octobre 2023, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 novembre 2023 et 25 janvier 2024, Mme A..., représentée par Me Machta, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2314903/2-3 du Tribunal administratif de Paris du 24 octobre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 24 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en application des dispositions de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) à défaut, d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de refus de titre de séjour n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un vice et d'un détournement de procédure dès lors que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est incomplet ;
- elle méconnaît son droit d'être entendue et d'accéder à son dossier, garanti par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle est entachée d'une erreur de droit ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est, par voie d'exception, illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination est, par voie d'exception, illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par un courrier enregistré le 9 janvier 2024, Mme A... a, en application des principes dégagés par la décision du Conseil d'État du 28 juillet 2022 n° 441481, donné son accord à la levée du secret médical.
Le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a présenté des observations, enregistrées le 9 février 2024.
Par une ordonnance du 16 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 février 2024 à 12 heures.
Un mémoire, présenté pour Mme A..., a été enregistré le 21 mars 2024, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Desvigne-Repusseau a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante libanaise née en 1987, qui est arrivée en France en dernier lieu le 16 janvier 2022, a sollicité le 31 janvier 2023 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 24 mai 2023, le préfet de police a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée. Mme A... fait appel du jugement du 24 octobre 2023 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, Mme A... ne fait valoir aucun élément de fait ou de droit nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation des premiers juges sur le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de la décision attaquée. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union / 2. Ce droit comporte notamment : / a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre / b) le droit d'accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires / (...) ".
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée a été prise en réponse à une demande, formée par Mme A..., d'admission au séjour en qualité d'étranger malade. La requérante a donc été mise à même de faire valoir, avant l'intervention de l'arrêté qui lui a refusé l'admission au séjour et l'a également obligée à quitter le territoire français, tous éléments d'information ou arguments de nature à influer sur le contenu de ces mesures. Par suite, la garantie consistant dans le droit à être entendu préalablement à la mesure de refus de séjour, telle qu'elle est notamment protégée par le droit de l'Union, en particulier par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, n'a pas été méconnue.
5. D'autre part, si l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne garantit à toute personne le droit d'accéder à son dossier, Mme A... ne peut toutefois pas utilement soutenir que le préfet de police aurait refusé, malgré de multiples sollicitations au demeurant non établies, de lui communiquer le rapport médical établi par le médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) dans le cadre de la procédure d'instruction de sa demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade, dès lors qu'en tout état de cause, ce rapport figure dans son dossier médical qui est détenu par l'OFII, et non par le préfet de police. Du reste, ce rapport médical a été communiqué à la requérante par le directeur général de l'OFII dans le cadre de la présente instance, après que l'intéressée a donné son accord à la levée du secret médical.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an (...) / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat / (...) ". Aux termes de l'article R. 425-11 de ce code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé / (...) ". Aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Au vu du rapport médical (...), un collège de médecins désigné pour chaque dossier (...) émet un avis (...) précisant : / a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale / b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé / c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié / d) la durée prévisible du traitement / Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays / Cet avis mentionne les éléments de procédure / (...) ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conséquences d'une exceptionnelle gravité résultant d'un défaut de prise en charge médicale (...) sont appréciées sur la base des trois critères suivants : degré de gravité (mise en cause du pronostic vital de l'intéressé ou détérioration d'une de ses fonctions importantes), probabilité et délai présumé de survenance de ces conséquences / Cette condition des conséquences d'une exceptionnelle gravité résultant d'un défaut de prise en charge doit être regardée comme remplie chaque fois que l'état de santé de l'étranger concerné présente, en l'absence de la prise en charge médicale que son état de santé requiert, une probabilité élevée à un horizon temporel qui ne saurait être trop éloigné de mise en jeu du pronostic vital, d'une atteinte à son intégrité physique ou d'une altération significative d'une fonction importante / Lorsque les conséquences d'une exceptionnelle gravité ne sont susceptibles de ne survenir qu'à moyen terme avec une probabilité élevée (pathologies chroniques évolutives), l'exceptionnelle gravité est appréciée en examinant les conséquences sur l'état de santé de l'intéressé de l'interruption du traitement dont il bénéficie actuellement en France (rupture de la continuité des soins). Cette appréciation est effectuée en tenant compte des soins dont la personne peut bénéficier dans son pays d'origine ".
7. Tout d'abord, il ressort des pièces du dossier que pour refuser la délivrance du titre de séjour sollicité par Mme A... en qualité d'étranger malade, le préfet de police s'est fondé notamment sur l'avis du 9 mai 2023 par lequel le collège de médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que son état de santé peut lui permettre de voyager sans risque vers son pays d'origine. Dans ces conditions, le collège de médecins de l'OFII n'était pas tenu de se prononcer sur les caractéristiques du système de santé au Liban ni sur la possibilité pour la requérante d'y bénéficier d'un accès effectif à un traitement approprié, alors même que le rapport médical établi le 13 avril 2023 par un médecin de l'OFII indique qu' " [aucun] traitement [n'est] disponible actuellement au Liban ". Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée a été prise au vu d'un avis incomplet.
8. Ensuite, si Mme A... soutient que le préfet de police ne s'est pas prononcé, dans l'arrêté attaqué, sur les caractéristiques du système de santé au Liban ni sur l'offre de soins dans ce pays, d'une part, en application des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 425-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est rendu destinataire que de l'avis du collège de médecins de l'OFII, cet avis ne pouvant pas indiquer la pathologie de la requérante en raison du secret médical, et, d'autre part, le préfet de police pouvait, comme en l'espèce, s'approprier les termes de cet avis sans s'estimer en situation de compétence liée. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'une erreur de droit, ni d'un détournement de procédure.
9. Enfin, il ressort des pièces du dossier que Mme A... est suivie en France pour un trouble affectif bipolaire et que des antidépresseurs lui sont prescrits. Si la requérante se prévaut, en appel comme en première instance, d'un certificat du 13 juin 2023 par lequel son psychiatre indique qu'elle " présente des idéations suicidaires fréquentes ", que " ces pensées représentent un danger sérieux pour sa sécurité et sa vie " et que " ses symptômes sont [considérés] comme sévères ", il ressort toutefois des différents éléments médicaux produits en appel par le directeur général de l'OFII que, d'une part, les deux tentatives de suicide de Mme A..., en 2019 et 2022, n'ont pas conduit à son hospitalisation en milieu psychiatrique, même sans son consentement, ce qui indique que son état de santé mentale ne présente pas un risque engageant son pronostic vital ou à tout le moins l'intégrité physique de sa personne, et que, d'autre part, l'intéressée est atteinte d'un trouble bipolaire de type 2 qui se caractérise par des épisodes de dépression alternant avec des épisodes hypomaniaques atténués et qui, à la différence des personnes atteintes d'un trouble bipolaire de type 1, ne déclenche pas de décompensation grave mettant sa vie en péril. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que le défaut de prise en charge médicale de Mme A... devrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., qui est présente en France depuis seulement un an et quatre mois à la date de l'arrêté attaqué, est célibataire et sans charge de famille et qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident ses parents et où elle a vécu jusqu'à l'âge de 34 ans. Enfin, la circonstance, à la supposer établie, que le frère de Mme A... résiderait sur le territoire français n'est pas suffisante pour lui conférer un droit au séjour en France. Dans ces conditions, le moyen tiré d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision attaquée sur la situation personnelle de Mme A... doit être écarté.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. Les moyens soulevés par Mme A... à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français attaquée doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 2 à 9 du présent arrêt.
Sur la décision fixant le pays de destination :
11. Il résulte de ce qui est jugé au point 10 que Mme A... n'est pas fondée à exciper, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
D E C I D E:
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de police et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 23 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Hamon, présidente,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.
Le rapporteur,
M. DESVIGNE-REPUSSEAULa présidente,
P. HAMON
La greffière,
L. CHANA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA04870