Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Punch Powerglide Strasbourg a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 31 juillet 2020 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle n° 4 de l'unité départementale du Bas-Rhin a refusé de lui accorder l'autorisation de licencier M. A... pour motif économique, ainsi que la décision du 18 janvier 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement no 2101570 du 28 février 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 21 avril 2021 et 12 juillet 2022, la société Punch Powerglide Strasbourg, devenue Dumarey Powerglide Strasbourg, représentée par Me Chanal de la SCP Aguera avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ces décisions du 31 juillet 2020 et du 18 janvier 2021 ;
3°) d'enjoindre à l'inspection du travail de prendre une nouvelle décision, subsidiairement de réexaminer sa demande, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de la régularité du jugement attaqué :
- le jugement n'est pas signé, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
S'agissant de la recevabilité des interventions devant les premiers juges :
- les interventions de l'Union départementale CGT du Bas-Rhin et de l'Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie CGT du Bas-Rhin ne sont pas recevables ;
S'agissant de la légalité de la décision en litige :
- la réalité du motif économique du licenciement sera confirmée ;
- la décision en litige est entachée d'erreur de droit, l'employeur n'ayant pas, pour le reclassement d'un travailleur handicapé dans le cadre d'un licenciement collectif pour motif économique, à respecter les dispositions de l'article L. 1226-2 du code du travail qui ne s'appliquent qu'aux reclassement des salariés dont l'inaptitude est consécutive à une maladie ou à un accident non professionnel ;
- l'inspectrice du travail et la ministre ont entaché leurs décisions d'erreur de droit en lui reprochant de ne pas avoir sollicité l'avis du médecin du travail, ni d'avoir recherché les possibilités d'aménagement de postes permettant de proposer au salarié des offres d'emploi compatibles avec son handicap ;
- les postes sur lesquels le salarié avait candidaté présentaient des caractéristiques incompatibles avec les restrictions d'aptitude dont il fait l'objet, n'étaient pas aménageables et rendaient impossible son reclassement ;
- l'absence de lien avec le mandat sera confirmé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2022, M. B... A..., l'Union départementale CGT du Bas-Rhin et l'Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie CGT du Bas-Rhin concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Dumarey Powerglide Strasbourg, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés par M. A....
Ils soutiennent que :
- les interventions devant les premiers juges étaient recevables ;
- les autres moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail et de l'emploi, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brodier,
- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique,
- les observations de Me Chanal, avocate de la société Dumarey Powerglide Strasbourg.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été engagé le 1er octobre 1991 en qualité d'agent de fabrication par une société à laquelle a succédé la société Punch Powerglide Strasbourg, qui a repris son contrat de travail en janvier 2013, et au sein de laquelle il exerçait en dernier lieu les fonctions de technicien atelier auditeur. Il avait par ailleurs la qualité de salarié protégé au titre de son élection comme membre titulaire du comité social et économique. Le projet de suppression de cinquante postes de travail, initié par la société Punch Powerglide Strasbourg en 2019, a donné lieu à une décision de la directrice régionale de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand Est du 18 décembre 2019 portant validation de l'accord collectif majoritaire relatif au projet de licenciement collectif pour motif économique. Après avoir écarté les candidatures de M. A... aux postes de reclassement qui lui avaient été proposés, la société Punch Powerglide a sollicité, le 19 février 2020, l'autorisation de le licencier pour motif économique. Par une décision du 31 juillet 2020, l'inspectrice du travail de la section 6 de l'unité de contrôle n° 4 de l'unité départementale du Bas-Rhin a refusé de lui accorder cette autorisation. La société a formé un recours hiérarchique devant la ministre du travail et de l'emploi qui l'a rejeté par une décision du 18 janvier 2021. La société Punch Powerglide Strasbourg, à laquelle a succédé la société Dumarey Powerglide Strasbourg, relève appel du jugement du 28 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
Sur la recevabilité des interventions de l'Union départementale des syndicats CGT du Bas-Rhin et de l'Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie CGT du Bas-Rhin devant le tribunal administratif de Strasbourg :
2. Est recevable à former une intervention devant le juge toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.
3. Il ne ressort pas de l'objet statutaire des deux unions syndicales ayant présenté des mémoires en intervention au soutien des conclusions en défense du salarié qu'elles justifieraient d'un intérêt suffisant au maintien de ces décisions, compte tenu des motifs retenus par l'autorité administrative et contestés par l'employeur. Par ailleurs, il n'est pas contesté que les décisions administratives dont la société Punch Powerglide demandait l'annulation devant les premiers juges sont favorables au salarié. Ainsi, l'intervention des deux unions syndicales n'était pas recevable. Eu égard à la portée de leur argumentation, cette erreur du tribunal a été sans incidence sur l'issue du litige et n'est, par suite, de nature à entraîner l'annulation que de l'article 1er du jugement attaqué, par lequel le tribunal administratif a admis leur intervention.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail :
4. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / (...) / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".
5. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à cette obligation, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu comme les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. L'autorité administrative doit tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment de ce que les recherches de reclassement ont débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié.
6. Par ailleurs, lorsque l'employeur a connaissance de ce que le salarié a la qualité de travailleur handicapé, il appartient à l'autorité administrative de vérifier que l'employeur auquel incombe, en application des dispositions de l'article L. 5213-6 du code du travail, qui garantissent le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, de prendre toutes les mesures appropriées pour permettre à un travailleur handicapé de conserver un emploi correspondant à sa qualification, a, le cas échéant à la lumière des préconisations du médecin du travail, procédé à une recherche sérieuse de postes de reclassement appropriés à la situation du salarié, au besoin par la mise en œuvre de mesures d'adaptation.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui s'est vu proposer les postes disponibles dans l'entreprise sous forme de listes de postes conformément à l'article D. 1233-2-1 du code du travail, a présenté sa candidature à neuf de ces postes. Toutes ses candidatures ont été rejetées par son employeur, six au motif que son profil était trop éloigné des exigences du poste concerné ou parce qu'un autre candidat avait été préféré, les trois autres au motif que les restrictions à son aptitude physique n'étaient pas compatibles avec l'exercice des fonctions envisagées de " contrôleur appareillage ", de " technicien d'atelier métrologie " et de " métrologue ". Ces trois refus lui ont été notifiés par des courriers des 17 décembre 2019, 19 décembre 2019 et 24 janvier 2020. Pour refuser d'accorder à la société Punch Powerglide Strasbourg l'autorisation de licencier M. A... au motif que l'employeur ne pouvait être regardé comme ayant satisfait à son obligation de recherche de reclassement, l'inspectrice du travail a retenu non seulement que l'employeur n'avait pas sollicité l'avis du médecin du travail sur l'aptitude du salarié à occuper les postes auxquels il avait postulé mais également qu'il n'avait pas recherché les possibilités d'aménagements de ces postes.
8. Toutefois, en premier lieu, il est constant que M. A... était, sur la période au cours de laquelle s'étend l'obligation de recherche de reclassement, apte à occuper son emploi, supprimé, de " technicien atelier auditeur ". Dans ces conditions, la société Punch Powerglide n'était pas tenue de solliciter l'avis du médecin du travail sur l'aptitude du salarié à occuper les postes de reclassement auxquels il avait candidaté, ni d'envisager la mise en œuvre de mesures d'aménagements de postes existants en vue de permettre son reclassement. Ainsi, en considérant que l'employeur ne pouvait pas refuser les candidatures du salarié aux postes de " contrôleur appareillage ", de " technicien d'atelier métrologie " et de " métrologue ", sans solliciter l'avis du médecin du travail sur son aptitude à les occuper et sans rechercher les possibilités d'aménagements desdits postes, l'autorité administrative lui a opposé les conditions des articles L. 1226-2 ou L. 1226-10 du code du travail applicables au reclassement des salariés déclarés inaptes par le médecin du travail. Par suite, la société Dumarey Powerglide Strasbourg est fondée à soutenir que les deux motifs de la décision en litige sont entachés d'erreur de droit.
9. En second lieu, en admettant que l'inspectrice du travail ait entendu refuser l'autorisation de licencier M. A... au motif que son employeur n'avait pas recherché les possibilités d'adaptation des postes disponibles afin de lui proposer des offres d'emploi compatibles avec son handicap, il ressort de ce qui a été dit au point 6 ci-dessus, que la société Punch Powerglide, qui avait été informée le 7 janvier 2020 de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé de son salarié, était tenue de procéder à une recherche sérieuse de postes de reclassement appropriés à la situation du salarié, et de tenir compte, pour ce faire, des préconisations du médecin du travail. Il ressort des pièces du dossier que, de manière constante depuis le 23 janvier 2018, et réitérée le 3 février 2020, la médecin du travail a préconisé des adaptations du poste de M. A... dans le sens suivant : " poste autonome et aménagé ergonomiquement, mise à disposition d'aides à la manutention pour les charges supérieures à 5 kilos, alterner les tâches toutes les 2 heures, si possible intercaler des tâches administratives, dans le respect des zones de confort articulaire ". Il ressort également des pièces du dossier que l'étude des postes " contrôleur appareillage " et " métrologue ", réalisée par la médecin du travail le 29 janvier 2020, établit l'existence et la réalité des manutentions journalières de pièces qu'ils requièrent ainsi que les risques associés quant aux gestes et postures qu'ils comportent. La fiche d'étude " métrologue " fait à cet égard état de caractéristiques et de contraintes qui sont applicables également aux " techniciens d'atelier métrologie ". La société Punch Powerglide soutient que les caractéristiques de ces postes, telles qu'analysées par la médecin du travail, ne permettent pas de procéder aux adaptations requises par l'aptitude de M. A... sans conduire à une modification de la substance même de ces emplois. Elle se fonde sur l'avis émis par la médecin du travail dans un courrier du 14 septembre 2020, qui, après nouvelle étude de ces postes, confirme qu'il n'est pas possible de les adapter à l'état de santé de ce salarié. Contrairement à ce que le défendeur soutient, bien que cet avis soit postérieur à la décision de l'inspectrice du travail du 31 juillet 2020 en litige, il se borne à conforter des faits déjà constatés en janvier 2020 et qui prévalent, en l'absence d'évolution de sa situation, au cours de la période de recherche de reclassement par l'employeur. Dans ces conditions, l'employeur, qui a fait état des contraintes physiques précises inhérentes aux trois postes en litige dans ses réponses aux candidatures de M. A..., doit être regardé comme ayant établi que ces postes n'étaient pas appropriés à la situation du salarié. Par suite, la société Dumarey Powerglide Strasbourg est également fondée à soutenir que le motif tiré de l'absence de mise en œuvre de mesures d'adaptation est, en admettant que l'inspectrice du travail ait entendu le retenir, entaché d'erreur d'appréciation.
10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête et la régularité du jugement attaqué, la société Dumarey Powerglide Strasbourg est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 31 juillet 2020 et de la décision de la ministre en charge du travail du 18 janvier 2021.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. L'exécution du présent arrêt implique seulement que l'inspecteur du travail procède à un nouvel examen de la demande d'autorisation de licenciement de M. A... présentée par la société Dumarey Powerglide Strasbourg. Il y a lieu de lui impartir un délai de deux mois pour ce faire.
Sur les frais liés au litige :
12. D'une part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Dumarey Powerglide Strasbourg et non compris dans les dépens.
13. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Dumarey Powerglide Strasbourg, qui n'est pas la partie perdante, au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2101570 du tribunal administratif de Strasbourg du 28 février 2022 est annulé.
Article 2 : La décision de l'inspectrice du travail du 31 juillet 2020 et la décision de la ministre en charge du travail du 18 janvier 2021 sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint à l'inspecteur du travail de procéder au réexamen de la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Dumarey Powerglide Strasbourg, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la société Dumarey Powerglide Strasbourg en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Dumarey Powerglide Strasbourg est rejeté.
Article 6 : Les conclusions présentées par M. A... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Dumarey Powerglide Strasbourg, à M. B... A..., à l'Union départementale CGT du Bas-Rhin, à l'Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie CGT du Bas-Rhin et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Rousselle, présidente,
Mme Stenger, première conseillère,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier La présidente,
Signé : P. Rousselle
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
2
No 22NC00977