Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 13 juin 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom.
Par un jugement n° 1917444/4-2 du 5 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 28 décembre 2020 et le 2 avril 2021, Mme C... A..., représentée par Me Illouz, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1917444/4-2 du 5 novembre 2020 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 13 juin 2019 ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder au changement de nom sollicité ou à défaut de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros pour la procédure de première instance et la somme de 3 000 euros pour la procédure d'appel, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement n'est pas suffisamment motivé ;
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- elle ne supporte plus de porter le nom de son père, qui l'a abandonnée matériellement et affectivement alors qu'elle était âgée de 9 mois, et qui, bien qu'informé de son existence des années plus tard, n'a jamais cherché à reprendre contact avec elle ;
- elle souhaite porter le nom de sa mère qui l'a élevée seule ;
- elle utilise le nom " B... " de façon constante et continue dans le cadre de son activité professionnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gobeill,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique,
- et les observations de Me Illouz, avocat de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A..., née le 1er septembre 1973 a sollicité auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, le changement de son nom en " B... ". Par une décision du
13 juin 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Par un jugement n° 1917444/4-2 du 5 novembre 2020 dont elle relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
2. Pour rejeter la demande de Mme A..., le garde de sceaux, ministre de la justice, a relevé qu'elle ne produisait pas d'éléments probants permettant d'établir un manquement grave, volontaire et durable de son père à ses devoirs parentaux à son égard.
3. Mme A... est née le 1er septembre 1973 de la relation de Mme B... et M. A..., de nationalité argentine, qui l'a alors reconnue en mentionnant que Mme B... était son épouse. La requérante soutient qu'après le départ de la famille en Argentine, son père les a abandonnées et que sa mère, du fait de sa situation d'épouse d'un ressortissant argentin, disposait à l'endroit de sa fille de moins de droits que n'en disposait le père. Elle a alors entrepris des démarches auprès des juridictions argentines qui lui ont permis d'obtenir la fixation chez elle de la résidence habituelle de sa fille, la condamnation de son père à lui verser une pension alimentaire dont il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'elle aurait été versée en dépit des démarches d'exécution alors effectuées par son avocat, l'autorisation d'effectuer les démarches nécessaires pour voyager à l'étranger avec sa fille et établir des documents d'identité pour elle. La requérante, dont le procureur de la République de Paris a, le 18 octobre 1979, décidé de rectifier l'acte de naissance en supprimant la mention " son épouse " relative à sa mère, a obtenu la nationalité française. Il n'est par ailleurs pas contesté que sa mère a bénéficié, lorsqu'elle était allocataire de recherche au Centre national de la recherche scientifique, d'une aide au motif qu'elle élevait seule sa fille. Il ressort par ailleurs des attestations nombreuses et concordantes des proches de Mme A... et de sa mère, établies en Argentine, que son père, resté en Argentine et décédé depuis, ne souhaitait pas entendre parler de sa fille. De telles circonstances doivent être regardées comme exceptionnelles et caractérisent un intérêt légitime au sens de l'article 61 du code civil justifiant le changement du nom sollicité par Mme A....
4. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Le jugement du 5 novembre 2020 et la décision du 13 juin 2019 doivent donc être annulés.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
6. L'annulation des décisions en litige pour le motif retenu au point 3 implique nécessairement que le garde des sceaux, ministre de la justice, présente au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant
Mme A... à changer son patronyme en " B... ".
Sur les frais liés à l'instance :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1917444/4-2 du tribunal administratif de Paris du 5 novembre 2020 est annulé.
Article 2 : La décision du 13 juin 2019 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande de changement de nom de Mme C... A... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant Mme A... à changer son patronyme en " B... ".
Article 4 : L'État versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 9 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Gobeill, premier conseiller,
- M. Doré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2021.
Le rapporteur,
J.-F. GOBEILL
Le président,
J. LAPOUZADELa greffière,
C. POVSELa République mande et ordonne au ministre de la justice, garde des sceaux, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA04234