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05/11/2024 | FRANCE | N°23MA03115

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 05 novembre 2024, 23MA03115


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une requête enregistrée sous le n° 2101409, M. I... N..., Mme H... N..., M. O... N..., Mme C... N..., Mme B... Q..., M. A... Q..., M. O... K..., M. P... D... et M. E... L... ont demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la délibération du 7 octobre 2021 par laquelle le conseil municipal de Lumio a approuvé le plan local d'urbanisme (PLU) de la commune et de mettre à la charge de la commune de Lumio la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code d

e justice administrative.



Par une requête enregistrée sous le n° 2200442...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée sous le n° 2101409, M. I... N..., Mme H... N..., M. O... N..., Mme C... N..., Mme B... Q..., M. A... Q..., M. O... K..., M. P... D... et M. E... L... ont demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la délibération du 7 octobre 2021 par laquelle le conseil municipal de Lumio a approuvé le plan local d'urbanisme (PLU) de la commune et de mettre à la charge de la commune de Lumio la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une requête enregistrée sous le n° 2200442, M. F... G..., M. M... G... et M. J... G... ont demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler cette même délibération, ensemble la décision implicite rejetant leur recours gracieux du 2 décembre 2021 et de mettre à la charge de la commune de Lumio la somme de 3 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°s 2101409, 2101410, 2101447 et 2200442 du 26 octobre 2023,

le tribunal administratif de Bastia a joint ces deux requêtes, a prononcé le non-lieu à statuer sur celle de M. N... et autres et a rejeté celle des consorts G....

Procédures devant la Cour :

I - Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2023, sous le n° 23MA03115, M. N..., M. K..., M. D... et M. L..., représentés par Me Fauglas, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 26 octobre 2023 en tant qu'il a prononcé le non-lieu à statuer sur leur demande ;

2°) d'annuler la délibération du 9 décembre 2021 par laquelle le conseil municipal de la commune de Lumio a approuvé son plan local d'urbanisme ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Lumio la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est entaché d'irrégularité pour avoir omis de statuer sur leurs conclusions, développées en réponse au moyen relevé d'office par le tribunal, dirigées contre la délibération du 9 décembre 2021, pour s'être abstenu de regarder leur demande comme tendant à l'annulation de cette délibération et pour avoir à tort prononcé le non-lieu à statuer sur leurs prétentions dirigées contre celle du 7 octobre 2021, au motif erroné de la communication par la commune de la nouvelle délibération ;

- le rapport de présentation est entaché d'insuffisances au regard des dispositions des articles L. 151-4 et R. 151-2 du code de l'urbanisme, en ce qui concerne la délimitation des zones et l'identification des espaces stratégiques agricoles qui ne reposent sur aucune donnée actualisée, la carte leur ayant servi de fondement étant obsolète ;

- le rapport et les conclusions du commissaire enquêteur ne sont pas suffisamment motivés et personnels, en méconnaissance de l'exigence posée par l'article R. 123-19 du code de l'environnement, notamment en ce qui concerne les observations des intéressés, celles de la commune et les réserves émises par le commissaire ;

- le rangement en zone agricole de leurs parcelles, et en zone " espaces stratégiques agricoles " pour certaines d'entre elles, est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- il en va de même de l'exclusion de leurs parcelles et du secteur de Monte Ortu de la zone à urbaniser.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2024, la commune de Lumio, représentée par Me Muscatelli, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des auteurs la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 16 juillet 2024 la clôture d'instruction a été fixée au 23 août 2024, à 12 heures.

II - Par une requête, enregistrée le 26 décembre 2023 sous le n° 23MA03137, MM. G..., représentés par Me Tasciyan, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°s 2101409, 2101410, 2101447 et 2200442 rendu le

26 octobre 2023 par le tribunal administratif de Bastia ;

2°) d'annuler les délibérations du conseil municipal de Lumio du 7 octobre et du 9 décembre 2021 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Lumio la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier, en premier lieu pour avoir à tort considéré leur demande comme irrecevable, alors que le motif retenu par le tribunal pour le décider impliquait de prononcer le non-lieu à statuer, en deuxième lieu pour avoir tiré des conséquences d'une délibération qui n'a pas été suffisamment publiée et qui n'était pas devenue définitive, et en dernier lieu pour avoir omis de regarder leur demande comme dirigée en réalité contre la délibération du

9 décembre 2021, laquelle n'a retiré que partiellement celle du 7 octobre 2021 ;

- le classement de la parcelle cadastrée section A n° 522, en zone agricole et en espace stratégique agricole, est illégal, dès lors qu'il ne peut correspondre au rangement en zone rouge dans le plan de prévention des risques qui n'est plus justifié, que ce terrain n'a pas les caractéristiques d'un tel espace et qu'il relève d'une zone urbaine au sens de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme ;

- le plan en litige méconnaît les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme en tant qu'il classe en zone urbaine des parcelles situées à l'ouest du village et le secteur de Salduccio, qui ne sont pas en continuité avec un village ou une agglomération.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2024, la commune de Lumio, représentée par Me Muscatelli, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des auteurs la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 15 juillet 2024 la clôture d'instruction a été fixée au 23 août 2024, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Goubet, substituant Me Muscatelli, représentant la commune de Lumio, de Me Tasciyan, représentant MM. G..., et de M. J... G....

Une note en délibéré enregistrée le 17 octobre 2024 a été présentée pour MM. G....

Considérant ce qui suit :

1. Le conseil municipal de la commune de Lumio a prescrit le 28 novembre 2014 l'établissement de son plan local d'urbanisme. Par une première délibération du 7 octobre 2021, le conseil municipal a approuvé le plan local d'urbanisme, mais en raison du refus du préfet de Haute-Corse du 4 novembre 2021 de rendre exécutoire ce document, le conseil municipal, après modifications du projet pour tenir compte des motifs de ce désaccord, a approuvé une nouvelle fois ce plan par une seconde délibération du 9 décembre 2021. Par un jugement du 26 octobre 2023, le tribunal administratif de Bastia a, d'une part, prononcé le non-lieu à statuer sur la demande de M. N... et autres, propriétaires de parcelles situées lieu-dit Monte Ortu, quartier Quarciol, et a, d'autre part, rejeté comme irrecevable la demande de MM. G..., tendant toutes deux à l'annulation de la délibération du 7 octobre 2021. M. N... et autres et

MM. G... relèvent appel de ce jugement par leurs requêtes n°s 23MA03115 et 23MA03137.

2. Ces requêtes sont dirigées contre le même jugement et sont relatives à la même décision administrative. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué en tant qu'il a prononcé un

non-lieu à statuer sur la demande de M. N... et autres et en tant qu'il a rejeté comme irrecevable la demande de MM. G... :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. (...) ". Par dérogation à ces dispositions, l'article L. 153-25 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la délibération en litige, prévoit que, dans les seules communes non couvertes par un schéma de cohérence territoriale, l'acte publié approuvant le plan local d'urbanisme devient en principe exécutoire un mois suivant sa transmission au préfet, mais ne le devient qu'après l'intervention des modifications demandées par le préfet lorsque celui-ci, dans le délai d'un mois ainsi prévu, notifie à la commune les modifications qu'il estime nécessaire d'apporter au plan, dans un certain nombre d'hypothèses.

4. Il ressort des pièces du dossier que, par une première délibération du 7 octobre 2021, le conseil municipal de Lumio a approuvé le plan local d'urbanisme de la commune. Par une seconde délibération du 9 décembre 2021, intervenue à la suite de la notification par le préfet, dans le délai d'un mois suivant la transmission de la première délibération, des modifications qu'il estimait nécessaires, le conseil municipal de la commune a approuvé un plan modifié pour prendre en considération les observations formulées par le préfet.

5. Il résulte des dispositions de l'article L. 153-25 du code de l'urbanisme, citées au

point 3, que la délibération du 9 décembre 2021 approuvant un plan local d'urbanisme modifié à la demande du préfet a eu pour effet de substituer un nouveau plan au plan non exécutoire qui avait été approuvé par la délibération du 7 octobre 2021, ainsi que de rapporter complètement cette délibération. Son intervention, antérieurement à l'enregistrement de la requête de MM. G... tendant à l'annulation de la délibération du 7 octobre 2021, et postérieurement à l'enregistrement de celle de M. N... et autres tendant aux mêmes fins, a par conséquent eu pour effet de rendre sans objet leur demande, alors même que cette nouvelle délibération n'aurait pas été dûment publiée et ne serait pas devenue définitive. En tout état de cause, cette nouvelle délibération, transmise au préfet le 16 décembre 2021, a été, suivant les mentions portées sur cet acte par

le maire, affichée le même jour en mairie, et de surcroît insérée dans deux journaux locaux

le 24 décembre 2021.

6. Il suit de là que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bastia a prononcé le non-lieu à statuer sur les conclusions de M. N... et autres dirigées contre la délibération du 7 octobre 2021 et a déclaré irrecevables celles de MM. G... dirigées contre le même acte.

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué en tant qu'il n'a pas regardé les demandes comme tendant à l'annulation de la délibération du 9 décembre 2021 :

7. Lorsqu'une décision administrative faisant l'objet d'un recours contentieux est retirée en cours d'instance pour être remplacée par une décision ayant la même portée, le recours doit être regardé comme tendant également à l'annulation de la nouvelle décision. Compte tenu du faible nombre et de la nature des modifications apportées par la délibération du 9 décembre 2021 au plan local d'urbanisme pour donner suite au refus du préfet de le rendre exécutoire, la demande de

M. N... et autres devait être regardée par les premiers juges, contrairement à ce qu'affirme la commune de Lumio, comme tendant également à l'annulation de cette nouvelle décision, de même portée que la délibération du 7 octobre 2021.

8. Il n'en va pas de même de la demande de MM. G..., qui d'une part a été présentée le 4 avril 2022, soit à une date où était déjà intervenue la délibération du 9 décembre 2021, laquelle a complètement rapporté la délibération du 7 octobre 2021 et leur a été communiquée par la commune au cours de l'instance engagée contre cette délibération, et qui d'autre part n'a pas été complétée, au cours de cette instance, de conclusions dirigées contre celle du 9 décembre 2021. La circonstance que MM. G... ont formé un recours gracieux contre la délibération du 7 octobre 2021 et que la commune, qui n'y était pas tenue, ne les a pas informés de l'intervention de la nouvelle délibération du 9 décembre 2021, est sans incidence sur l'irrecevabilité de leur demande dirigée contre la première délibération.

9. Il résulte de ce qui précède que si c'est à bon droit que le tribunal ne s'est pas considéré comme saisi par MM. G... de conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 9 décembre 2021, il a entaché son jugement d'une omission à statuer en ne répondant pas aux conclusions de M. N... et autres qui devaient être regardées comme dirigées contre cette même délibération.

10. Par conséquent, si MM. G... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande, ce jugement doit être annulé en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions de M. N... et autres contre la délibération du 9 décembre 2021 et, au cas d'espèce, il y a lieu d'évoquer l'affaire dans cette même mesure et de statuer immédiatement sur les conclusions correspondantes.

Sur la légalité du plan local d'urbanisme approuvé le 9 décembre 2021 :

En ce qui concerne la légalité externe :

11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 151-4 du code de l'urbanisme : " Le rapport de présentation explique les choix retenus pour établir le projet d'aménagement et de développement durables, les orientations d'aménagement et de programmation et le règlement ". L'article R. 151-2 du même code précise que le rapport de présentation comporte les justifications de : " 4° La délimitation des zones prévues par l'article L. 151-9 ; (...)". Ces dispositions imposent aux auteurs du plan local d'urbanisme d'expliquer les motifs des choix retenus, notamment, pour les différents zonages, le cas échéant en comparant ces derniers à la situation qui prévalait sous l'empire du document d'urbanisme antérieur.

12. S'il est constant que, dans sa partie consacrée au choix des différents zonages, dont le zonage agricole, le rapport de présentation ne comporte aucune indication justifiant la délimitation d'espaces stratégiques agricoles tels que définis par le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), de telles informations figurent en revanche dans la partie de ce document consacrée à la justification de la compatibilité du plan local d'urbanisme avec le PADDUC. Le rapport de présentation y précise que sur les 979, 40 hectares de zones A délimités, alors que le PADDUC a fixé un objectif de délimitation de 548 hectares d'espaces stratégiques agricoles sur la commune, celle-ci en a déterminé 732 hectares, suivant une méthodologie explicitées page 153 du rapport, combinant les critères du PADDUC et d'autres, tels que l'exploitation du registre parcellaire graphique et de la carte SODETEG, et le recours aux connaissances des élus locaux et de la chambre d'agriculture. M. N... et autres, qui pour critiquer le contenu du rapport de présentation, ne peuvent utilement contester le bien-fondé et la pertinence de cette méthodologie, ne sont donc pas fondés à prétendre que ce document ne serait pas suffisant au regard des dispositions citées au point 11, seules opposables à cet aspect de cet élément du plan local d'urbanisme, à l'exclusion des dispositions de l'article L. 104-5 du code de l'urbanisme, relatives à l'évaluation environnementale.

13. En deuxième lieu, l'article L. 153-19 du code de l'urbanisme dispose que : " Le projet de plan local d'urbanisme arrêté est soumis à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement par le président de l'établissement public de coopération intercommunale ou le maire. ". Aux termes de l'article R. 123-19 du code de l'environnement : " Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l'enquête et examine les observations recueillies./Le rapport comporte le rappel de l'objet du projet, plan ou programme, la liste de l'ensemble des pièces figurant dans le dossier d'enquête, une synthèse des observations du public, une analyse des propositions produites durant l'enquête et, le cas échéant, les observations du responsable du projet, plan ou programme en réponse aux observations du public./Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête consigne, dans une présentation séparée, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables, favorables sous réserves ou défavorables au projet.". Il résulte de ces dispositions que le commissaire enquêteur doit, d'une part, établir un rapport relatant le déroulement de l'enquête et procéder à un examen des observations recueillies lors de celle-ci, en résumant leur contenu et, d'autre part, indiquer dans un document séparé, ses conclusions motivées et personnelles sur l'opération, en tenant compte de ces observations, mais sans être tenu de répondre à chacune d'elles.

14. Pour émettre le 1er juillet 2021 un avis favorable au projet de plan, assorti des recommandations portant sur la levée de réserves formulées par des personnes publiques associées et le respect des engagements pris par la commune pour répondre aux observations de celles-ci,

le commissaire enquêteur s'est livré à une analyse de la forme et du fond du document qui lui était soumis, en se prononçant sur son respect du principe d'équilibre, en soulignant en des termes suffisamment clairs et précis tout autant ses points forts, dont le projet de création d'une association foncière de propriétaires dans le cadre de la préservation des espaces agricoles, que ses faiblesses dont il préconise la correction. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, le commissaire enquêteur, qui a recensé et analysé l'ensemble des observations dont il a été saisi, dont celles de M. L..., n'était pas tenu de répondre à chacune d'elles, et pouvait, sans irrégularité, faire siennes les réponses données à celles-ci par la commune, reproduites dans le tableau annexé à son rapport. La double circonstance que, pour formuler son avis, le commissaire enquêteur a repris les principaux thèmes du rapport de présentation, et qu'il s'est approprié, en y faisant référence,

59 des 76 réponses données par la commune aux observations du public, n'est pas de nature à entacher son avis d'une insuffisance de motivation ou d'un manquement à son obligation d'impartialité, dès lors qu'il a ainsi exprimé un avis personnel et circonstancié. Il en va de même du fait que l'une des deux recommandations assortissant cet avis renvoie aux réserves de deux personnes publiques associées. Par conséquent, M. N... et autres ne sont pas fondés à soutenir que l'avis du commissaire enquêteur serait irrégulier.

En ce qui concerne la légalité interne de la délibération du 9 décembre 2021 :

S'agissant du classement en zone N des parcelles de M. N... et autres du secteur de Monte Ortu :

15. Aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. ". Le deuxième alinéa de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de cette même loi, ouvre la possibilité, dans les autres secteurs urbanisés qui sont identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme, à seule fin de permettre l'amélioration de l'offre de logement ou d'hébergement et l'implantation de services publics, de densifier l'urbanisation, à l'exclusion de toute extension du périmètre bâti et sous réserve que ce dernier ne soit pas significativement modifié. En revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les espaces d'urbanisation diffuse éloignés de ces agglomérations et villages. Il ressort des dispositions de ce 2ème alinéa de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme que les secteurs déjà urbanisés qu'elles mentionnent se distinguent des espaces d'urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l'urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d'accès aux services publics de distribution d'eau potable, d'électricité, d'assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d'équipements ou de lieux collectifs.

16. Le plan local d'urbanisme en litige identifie quatre secteurs comme déjà urbanisés en application de l'alinéa 2 de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, dont ne fait pas partie le secteur de Monte Ortu, auquel appartiennent les parcelles des requérants, et les range en zone AUD. Ces secteurs se caractérisent, ainsi que le précise le rapport de présentation, par une desserte de tous les réseaux publics, par le caractère groupé de l'urbanisation et par une proximité suffisante avec les deux pôles principaux de la commune que sont Sant'Ambrioggio et le village-Forum-Arnajo-Acciani. Le secteur de Monte Ortu, pour sa part, bien que desservi par la route territoriale, les réseaux d'eau et d'électricité, n'a pas d'accès à l'assainissement collectif, est dépourvu d'équipements ou de lieux collectifs, et ne comporte, sur de vastes parcelles représentant quelque 2 ha, une trentaine d'habitations, dont le lotissement Quarcioli, qui ne correspondent qu'à une urbanisation diffuse. Ainsi, en rangeant ce secteur, non pas en zone AUD, au titre de l'alinéa 2 de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, mais en zone naturelle, secteur Nh habité ou Nc, les auteurs du plan local d'urbanisme de Lumio n'ont pas institué un classement incompatible avec ces dispositions, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 151-2 du code de l'urbanisme définissant la zone naturelle. Pour les mêmes raisons, le rangement en zone N des parcelles des requérants, proches de ce lotissement, qui est conforme à l'objectif du projet d'aménagement et de développement durable de maîtrise de l'urbanisation, n'est pas incompatible avec cette loi ni entaché d'erreur manifeste d'appréciation, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le projet de plan avant enquête publique portait en ce qui les concerne sur un classement en zone AU.

En ce qui concerne le rangement en zone A des parcelles cadastrées B 582 et B 550 à 557 et le rangement en zone ESA des parcelles 554 et 557d :

17. Aux termes de l'article R. 151-22 du code de l'urbanisme : " Les zones agricoles sont dites " zones A ". Peuvent être classés en zone agricole les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles ". L'article R. 151-23 du même code précise : " Peuvent être autorisées, en zone A : / 1°-Les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole ou au stockage et à l'entretien de matériel agricole par les coopératives d'utilisation de matériel agricole agréées au titre de l'article L. 525-1 du code rural et de la pêche maritime ; / 2° Les constructions, installations, extensions ou annexes aux bâtiments d'habitation, changements de destination et aménagements prévus par les articles L. 151-11, L. 151-12 et L. 151-13, dans les conditions fixées par ceux-ci. ". Il résulte de ces dispositions qu'une zone agricole, dite " zone A ", du plan local d'urbanisme a vocation à couvrir, en cohérence avec les orientations générales et les objectifs du projet d'aménagement et de développement durables, un secteur, équipé ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles. Si, pour apprécier la légalité du classement d'une parcelle en zone A, le juge n'a pas à vérifier que la parcelle en cause présente, par elle-même, le caractère d'une terre agricole et peut se fonder sur la vocation du secteur auquel cette parcelle peut être rattachée, en tenant compte du parti urbanistique retenu ainsi que, le cas échéant, de la nature et de l'ampleur des aménagements ou constructions qu'elle supporte, ce classement doit cependant être justifié par la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles de la collectivité concernée, à plus forte raison lorsque les parcelles en cause comportent des habitations voire présentent un caractère urbanisé.

18. D'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment d'une expertise agricole réalisée le 8 février 2018 sur les parcelles B 550 à 557, que si la nature aride du sol, la végétation de maquis, et les anciennes activités militaires, dont il demeure des traces, rendent les lieux sans vocation agricole ou viticole malgré la présence au nord d'étendues viticoles, cette même étude n'exclut pas leur exploitation pour l'élevage d'ovins et de caprins. En outre, ces parcelles, bien que n'appartenant pas elles-mêmes aux espaces proches du rivage, relèvent d'une plus vaste zone agricole AL dont l'institution est justifiée, dans le rapport de présentation, par la sensibilité paysagère du secteur en bordure littorale correspondant aux espaces proches du rivage. Ainsi, un tel rangement de ces parcelles en zone A n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

19. D'autre part, en vertu des orientations réglementaires du livret IV du PADDUC, les espaces stratégiques agricoles sont régis par un principe général d'inconstructibilité qui n'admet que les occupations et utilisations des sols limitativement énumérées, au nombre desquelles ne figurent pas les constructions nouvelles à usage d'habitation et d'activités commerciales et de services, dépourvues de tout lien avec une exploitation agricole. Aux termes de son livre III relatif aux espaces stratégiques agricoles, ceux-ci " sont constitués par les espaces cultivables (moins de 15 % de pente) à potentialité agronomique, incluant les espaces pastoraux présentant les meilleures potentialités, ainsi que par les espaces cultivables et équipés ou en projet d'un équipement structurant d'irrigation... ". Le point I. E.1 du livret IV du PADDUC ajoute que " Les espaces stratégiques ont été identifiés selon les critères alternatifs suivants : Leur caractère cultivable (pente inférieure ou égale à 15 % dans les conditions et pour les catégories d'espaces énoncées au chapitre II.B.2 p.144 du présent livret) et leur potentiel agronomique ; ou leur caractère cultivable (pente inférieure ou égale à 15 % dans les conditions et pour les catégories d'espaces énoncées au chapitre II.B.2 p.144 du présent livret) et leur équipement par les infrastructures d'irrigation ou leur projet d'équipement structurant d'irrigation ".

20. Il ressort des pièces du dossier, et plus spécialement du rapport de présentation du plan en litige, que les espaces stratégiques agricoles, tels que définis par le PADDUC, ont été délimités par les auteurs du plan non seulement en tenant compte des critères retenus par ce document, mais encore en utilisant les éléments d'information détenus par les acteurs de l'agriculture sur le territoire de la commune, dont la chambre d'agriculture. En dénonçant le caractère obsolète de la carte Sodoteg à partir de laquelle le PADDUC a identifié les espaces stratégiques agricoles, alors que ce document n'est pas le seul élément pris en compte par les auteurs du plan pour délimiter ces espaces sur le territoire communal, notamment à l'échelle des parcelles des requérants, et en se prévalant de l'expertise agricole du 8 février 2018, qui ne permet pas d'écarter tout potentiel agricole de ces terrains, dont le caractère cultivé dans le passé n'est pas utilement contesté par les intéressés et dont la pente inférieure à 15 % n'est pas discuté, ceux-ci ne démontrent pas que le rangement en zone ESA de leurs parcelles serait incompatible avec le PADDUC, et entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

21. Il résulte de tout ce qui précède que M. N... et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation de la délibération du 9 décembre 2021 par laquelle le conseil municipal de la commune de Lumio a approuvé son plan local d'urbanisme. Leurs conclusions dirigées contre cette délibération doivent donc être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Lumio, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par M. N... et autres et par MM. G..., et non compris dans les dépens. En revanche, en application de ces mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de M. N... et autres la somme de 2 000 euros et à la charge de

MM. G... la même somme, au bénéfice de la commune de Lumio.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n°s 2101409, 2101410, 2101447 et 2200442 rendu le 26 octobre 2023

par le tribunal administratif de Bastia est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions présentées par M. I... N..., M. O... K..., M. P... D... et

M. E... L... et tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal de Lumio du 9 décembre 2021.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. N..., M. K..., M. D... et M. L..., et tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal de Lumio du 9 décembre 2021, le surplus de leurs conclusions d'appel, et la requête d'appel de MM. G... sont rejetées.

Article 3 : M. N..., M. K..., M. D... et M. L... verseront à la commune de Lumio la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les consorts G... verseront à la commune de Lumio la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... N..., M. O... K...,

M. P... D... et à M. E... L..., à M. F... G..., M. M... G... et

M. J... G..., et à la commune de Lumio.

Copie en sera adressée au préfet de Haute-Corse.

Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.

N°s 23MA03115, 23MA031372


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA03115
Date de la décision : 05/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Urbanisme et aménagement du territoire - Plans d'aménagement et d'urbanisme - Plans d`occupation des sols (POS) et plans locaux d’urbanisme (PLU) - Légalité des plans.

Urbanisme et aménagement du territoire - Règles de procédure contentieuse spéciales - Incidents - Non-lieu.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : FAUGLAS;FAUGLAS;CABINET MUSCATELLI

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-05;23ma03115 ?
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