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28/06/2024 | FRANCE | N°24PA00589

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 28 juin 2024, 24PA00589


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 mai 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire associé, membre de la société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) " Lacourte et Associés ", ensemble la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique dirigé contre cette décision, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de le nommer

en qualité de notaire associé, au sein de la SELAS " Lacourte et Associés " et de conda...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 mai 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire associé, membre de la société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) " Lacourte et Associés ", ensemble la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique dirigé contre cette décision, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de le nommer en qualité de notaire associé, au sein de la SELAS " Lacourte et Associés " et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2121324 du 12 décembre 2023, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé les décisions attaquées et d'autre part enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à la nomination de M. B... en qualité de notaire associé de la SELAS " Lacourte et Associés ", sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, et il a mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par un recours enregistré le 7 février 2024, le garde des Sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 2121324 du tribunal administratif de Paris du 12 décembre 2023 ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'article 2 de ce jugement ;

3°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- le tribunal a à tort jugé que les faits commis par M. B... ne justifiaient pas un refus des nominations sur le fondement du 2° de l'article 3 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 modifié relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire alors notamment que le procureur général dans son avis du 21 janvier 2021 s'est déclaré défavorable à la nomination sollicitée ;

- le tribunal lui a à tort enjoint de procéder à la nomination sollicitée par M. B... dès lors que l'annulation du refus de nomination devait conduire à procéder à un nouvel examen de cette demande de nomination.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2024, M. A... B..., représenté par Me Abinader, demande à la Cour :

1°) de rejeter le recours du garde des sceaux, ministre de la justice ;

2°) de confirmer le jugement attaqué ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de le nommer en qualité de notaire associé, au sein de la SELAS " Lacourte et Associés " à la résidence de Paris dans un délai d'un mois à compter de l'intervention du présent arrêt ;

4) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que

- les moyens soulevés par le garde des sceaux, ministre de la justice ne sont pas fondés ;

- la décision du 3 mai 2021 est entachée d'insuffisance de motivation ;

- elle est entaché de contradiction puisque retient à la fois qu'il a fait l'objet d'un rappel à la loi, ce qui n'est pas une condamnation, et qu'il a été poursuivi ;

- la décision implicite de rejet du 29 août 2021 est, elle aussi, insuffisamment motivée ;

- la décision du 3 mai 2021 a été rendue au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'elle a été rendue au visa de l'avis du procureur général prés la cour d'appel qui n'a plus à être consulté sous l'empire des dispositions applicables ;

- cette décision est entachée de détournement de pouvoir dès lors que constitue une sanction déguisée ;

- cette décision est entachée d'illégalité dès lors que le refus de nomination ne peut intervenir qu'en cas de faits contraires à la fois à l'honneur et à la probité ; or le geste violent qui lui est reproché n'est en tout état de cause pas contraire à la probité ; il s'agit de plus d'un fait isolé, ancien, sans antécédent, et qui n'a pas donné lieu à poursuite pénale ;

- cette décision a un impact sur le développement de l'ensemble de l'étude notariale et pénalise ses salariés et ses associés et a ainsi des conséquences disproportionnées au regard des faits en cause.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire,

- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Degardin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Abinader, représentant M. A... B....

Considérant ce qui suit :

1. Le 10 mars 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, a été saisi d'une demande tendant à la nomination comme notaires associés de la SELAS " Lacoutre et Associés ", titulaire d'un office notarial à Paris, de trois notaires salariés de cette étude, parmi lesquels M. A... B..., qui y exerçait en qualité de salarié depuis le 19 mai 2017. Après que le procureur général près la Cour d'appel de Paris, dans son avis du 21 janvier 2021, s'est déclaré défavorable à la nomination de celui-ci, le ministre de la justice a, par une décision du 3 mai 2021, rejeté la demande de nomination de M. B... en raison de faits commis par l'intéressé qu'il a estimés contraires à l'honneur et à la probité. M. B... a dès lors formé le 29 juin 2021 un recours hiérarchique qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Il a saisi le tribunal administratif de Paris de deux demandes tendant pour l'une à la suspension et pour l'autre à l'annulation de la décision du

3 mai 2021 refusant sa nomination en qualité de notaire associé, ensemble la décision de rejet de son recours hiérarchique formé contre cette décision. Dans l'instance en référé le juge désigné par le tribunal administratif a rejeté la demande de suspension par une ordonnance n° 2121323 du

20 octobre 2021 qui a fait l'objet d'un pourvoi rejeté par le Conseil d'Etat par un arrêt n° 458168 du 29 juillet 2022. En revanche dans l'instance au fond le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions attaquées et enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de procéder à la nomination de M. B... en qualité de notaire associé de la SELAS " Lacourte et Associés ", sous réserve d'un changement de circonstance de droit ou de fait, dans un délai de trois mois. Par le présent recours le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions principales du garde des sceaux, ministre de la justice :

2. Aux termes de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire : " Nul ne peut être nommé notaire s'il ne remplit les conditions suivantes : (...) / 2° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité ; (...) ".

3. Aux termes de l'article 46 du même décret : " La demande de nomination est présentée au garde des sceaux, ministre de la justice, par téléprocédure sur le site internet du ministère de la justice. /Elle est accompagnée de toutes pièces justificatives et notamment des conventions intervenues entre le titulaire de l'office ou ses ayants droit et le candidat. /Lorsque ce dernier doit contracter un emprunt, elle est en outre accompagnée des éléments permettant d'apprécier ses possibilités financières au regard des engagements contractés ". Enfin l'article 47 dudit décret dispose que " Le garde des sceaux, ministre de la justice, peut solliciter du bureau du Conseil supérieur du notariat toute information dont il dispose permettant d'apprécier les capacités professionnelles et l'honorabilité de l'intéressé. Le bureau fournit ces informations dans un délai de vingt jours suivant réception de la demande ".

4. Il résulte des dispositions précitées de l'article 3 de ce décret que nul ne peut être notaire s'il ne remplit pas, notamment, la condition de n'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité. Lorsqu'il vérifie le respect de cette condition, il appartient au ministre de la justice d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'intéressé a commis des faits contraires à l'honneur et à la probité qui sont, compte tenu notamment de leur nature, de leur gravité, de leur ancienneté ainsi que du comportement postérieur de l'intéressé, susceptibles de justifier légalement un refus de nomination.

5. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier du procès-verbal de synthèse de l'enquête préliminaire que, le 30 juin 2017, dans un contexte de séparation conflictuelle, M. B... a assené une gifle à son ancienne épouse, la faisant chuter et lui occasionnant deux jours d'incapacité totale de travail, et a pour ce motif fait l'objet d'un rappel à la loi. Si l'absence de poursuites pénales ne s'oppose pas à ce que les faits en cause soient regardés comme contraires à l'honneur et à la probité au sens des dispositions précitées de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973, il ressort des pièces du dossier que ce fait a eu lieu près de quatre ans avant l'intervention de la décision attaquée et présente un caractère isolé, n'ayant été ni précédé ni suivi d'aucun autre agissement de nature à constituer une infraction pénale ou à être regardé comme contraire au comportement attendu d'un notaire. Par ailleurs, si le ministre fait valoir que la nomination d'un notaire ayant commis des faits de violence conjugale porterait atteinte à l'image du notariat, il n'apparait pas, alors que M. B... exerce déjà cette profession en tant que salarié, que sa nomination en tant que notaire associé plutôt que son maintien dans sa situation actuelle de salarié aurait une incidence sur l'image de cette profession. Ainsi, dans les circonstances très particulières de l'espèce, pour inacceptable que soit le fait reproché à M. B..., cet agissement, qui ne présente par ailleurs aucun lien avec sa vie professionnelle, ne peut, eu égard notamment à son caractère isolé, être considéré comme un fait contraire à l'honneur et à la probité au sens de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire et n'est pas, dès lors, en l'absence de tout autre élément, de nature à s'opposer à sa nomination comme notaire associé. Par suite c'est à juste titre que le tribunal a annulé les décisions en litige.

Sur les conclusions subsidiaires du garde des sceaux, ministre de la justice :

6. Le garde des sceaux, ministre de la justice fait valoir que l'annulation des décisions en litige ne pouvait, en tout état de cause, conduire les premiers juges à lui enjoindre de nommer de

M. B... comme notaire associé mais seulement de réexaminer cette demande de nomination, afin notamment de le mettre à même de consulter de nouveau le procureur général près la Cour d'appel avant de prendre une nouvelle décision. Toutefois il résulte des dispositions précitées du décret du 5 juillet 1973 modifié et notamment de ses articles 46 et 47 que l'instruction d'une demande de nomination comme notaire n'inclut plus la consultation du procureur général. Par ailleurs l'annulation prononcée, eu égard aux motifs sur lesquels elle se fonde, impliquait bien que le ministre prononce la nomination sollicitée. Enfin il ressort du jugement attaqué que l'injonction prononcée l'a été " sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait ", permettant ainsi au ministre de prendre en compte, le cas échéant, tous faits nouveaux qui seraient survenus entretemps et seraient de nature à faire obstacle à la nomination de M. B....

7. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 3 mai 2021 portant refus de nomination de M. B... comme notaire associé, ainsi que la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé à l'encontre de cette décision, et lui a enjoint de prononcer la nomination sollicitée. Par voie de conséquence, son recours ne peut qu'être rejeté.

Sur les conclusions à fins d'injonction présentées par M. B... :

8. M. B... demande à la Cour d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de le nommer en qualité de notaire associé, au sein de la SELAS " Lacourte et Associés " à la résidence de Paris dans un délai d'un mois à compter de l'intervention du présent arrêt. Toutefois il résulte de ce qui précède que les conclusions du ministre dirigées contre l'injonction prononcée par les premiers juges sont rejetées.0. Par suite, cette injonction de nommer M. B... en qualité de notaire associé dans l'office souhaité demeure en vigueur et il n'y a pas lieu, par conséquent, de prononcer une nouvelle injonction.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande M. B... au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins d'injonction présentées par

M. B....

Article 3 : Les conclusions présentées par M. B..., tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2024

La rapporteure,

M-I. C...Le président,

I. LUBENLa greffière,

N. DAHMANILa République mande et ordonne au Garde des Sceaux, ministre de la Justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA00589


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00589
Date de la décision : 28/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : FAITH AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-28;24pa00589 ?
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