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05/12/2019 | FRANCE | N°18LY00515

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 05 décembre 2019, 18LY00515


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 14 décembre 2015 par laquelle le ministre du travail, retirant la décision implicite de l'inspectrice du travail rejetant la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Frank et Pignard ainsi que la décision implicite rejetant le recours hiérarchique, a autorisé son licenciement.

Par jugement n° 1600847 du 11 décembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du minist

re du travail du 14 décembre 2015.

Procédure devant la cour

Par une requête enreg...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 14 décembre 2015 par laquelle le ministre du travail, retirant la décision implicite de l'inspectrice du travail rejetant la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Frank et Pignard ainsi que la décision implicite rejetant le recours hiérarchique, a autorisé son licenciement.

Par jugement n° 1600847 du 11 décembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du ministre du travail du 14 décembre 2015.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 8 février 2018 et des mémoires enregistrés les 26 juillet et 27 septembre 2018, la société Frank et Pignard, représentée par Me C..., avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 11 décembre 2017 ;

2°) de rejeter la requête présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble ;

3°) de mettre à la charge de M. A... le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il y a toujours lieu de statuer sur sa requête ;

- le ministre a été en mesure de prendre en compte l'ensemble des mandats détenus par M. A... ; qu'en toute hypothèse le nouveau mandat détenu par M. A... était sans incidence sur la décision du ministre du travail ;

- la circonstance que la décision du ministre du travail ne mentionne pas tous les mandats détenus est inopérante ;

- le jugement du tribunal administratif n'a pas pris en compte les circonstances très particulières du cas d'espèce ;

- le ministre du travail a manifestement été en mesure de prendre connaissance du mandat de membre du CHST détenu par M. A... à compter du 10 novembre 2015 et une nouvelle consultation du comité d'entreprise n'était pas nécessaire ; seul M. A... était en mesure d'informer le ministre de son nouveau mandat dans le cadre de la procédure préalable à l'annulation de la décision implicite de rejet du recours gracieux présenté par son employeur contre la décision implicite de rejet d'autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail ;

- à titre subsidiaire, le nouveau mandat obtenu par M. A... en qualité de représentant du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est sans incidence sur la décision du ministre ;

- les faits commis sont établis et suffisamment graves pour autoriser la rupture du contrat de travail.

Par des mémoires en défense enregistrés les 26 juin 2018 et 14 mai 2019, M. B... A..., représenté par Me Daves-Bornoz, avocat, conclut au rejet de la requête d'appel de la société Frank et Pignard et à ce qu'il soit mis à la charge de cette dernière le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision du ministre du travail du 14 décembre 2015 ne précise pas qu'il était titulaire d'un mandat d'élu titulaire au comité d'entreprise et omet de préciser qu'il était secrétaire adjoint de cette instance ;

- il était membre titulaire du comité de groupe Maike Automotive et non représentant syndical auprès de cette instance ;

- la détention du mandat d'élu du CHSCT du premier collège n'a pas été prise en considération par la décision attaquée ni même au cours de la mesure d'enquête qui l'a précédée ;

- le comité d'entreprise aurait de nouveau dû être saisi ;

- le ministre du travail n'a pu avoir connaissance du mandat acquis le 10 novembre 2015 postérieurement à l'enquête réalisée et au rapport établi par le ministère du travail ;

- il appartenait à l'employeur d'informer le ministre quant à l'existence d'un nouveau mandat ;

- l'autorisation de licenciement est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et la matérialité des faits reprochés n'est pas établie.

Par un mémoire enregistré le 24 août 2018, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'il n'y a plus lieu de statuer sur ce litige dès lors que suite à la décision du tribunal administratif de Grenoble, il s'est prononcé à nouveau en autorisant le licenciement du salarié, décision qui a été entièrement exécutée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Frank et Pignard, qui exerce l'activité de fabricant de pièces automobiles, a déposé le 30 avril 2015 une demande d'autorisation de licenciement pour faute de M. A..., agent de fabrication et salarié protégé. Compte tenu du rejet implicite de sa demande par l'inspection du travail, elle a présenté un recours hiérarchique le 15 juillet 2015, lequel a également été implicitement rejeté. Toutefois, par décision du 14 décembre 2015, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique, a annulé la décision implicite de l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement de M. A.... La société Frank et Pignard relève appel du jugement du 11 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du ministre du travail du 14 décembre 2015.

Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée par le ministre du travail :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Cette autorisation est requise si le salarié bénéficie de la protection attachée à son mandat à la date de l'envoi par l'employeur de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement.

3. L'autorisation de licencier un salarié protégé revêt, vis-à-vis de l'employeur a le caractère d'une décision créatrice de droits. Ainsi, le litige par lequel l'employeur demande à la cour l'annulation du jugement du tribunal administratif annulant une telle décision pour excès de pouvoir ne saurait être privé d'objet en raison de ce qu'ultérieurement, le ministre aurait délivré une nouvelle autorisation de licenciement, lequel aurait été mis en oeuvre. Un tel litige n'est en effet susceptible de perdre son objet que si, en cours d'instance, l'autorisation initiale a été rétroactivement retirée par l'autorité compétente et que ce retrait a acquis un caractère définitif. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer opposée par le ministre du travail et tirée de ce que, suite à l'annulation de sa décision du 14 décembre 2015 par le tribunal administratif de Grenoble, le ministre s'est prononcé de nouveau en autorisant le licenciement de M. A... par une décision du 21 juin 2018, qui a été entièrement exécutée, ne peut qu'être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Lorsque le licenciement d'un salarié investi de fonctions représentatives est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec l'exercice normal de ces fonctions ou avec l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence.

5. Par ailleurs, pour opérer les contrôles auxquels elle est tenue de procéder lorsqu'elle statue sur une demande d'autorisation de licenciement, l'autorité administrative doit prendre en compte l'ensemble des mandats détenus par le salarié. Si les dispositions du code du travail ne sauraient permettre à une protection acquise postérieurement à la date de l'envoi par l'employeur de la convocation à l'entretien préalable au licenciement de produire des effets sur la procédure de licenciement engagée par cet envoi, l'autorité administrative doit toutefois avoir connaissance de l'ensemble des mandats détenus à la date de sa décision, y compris ceux obtenus le cas échéant postérieurement à cette convocation, afin d'être mise à même d'exercer son pouvoir d'appréciation de l'opportunité du licenciement au regard de motifs d'intérêt général.

6. Enfin, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre compétent doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision.

7. Il ressort des pièces du dossier que lors de sa demande d'autorisation de licencier M. A..., la société Frank et Pignard a précisé, dans son courrier du 30 avril 2015 adressé à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE) et dans son recours hiérarchique du 15 juillet 2015 dirigé contre le refus implicite de l'inspecteur du travail, que ce salarié était représentant titulaire au comité d'entreprise et secrétaire adjoint, ainsi que membre au comité de groupe Maike Automotive. Toutefois, alors même que M. A... n'a été élu membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) que le 10 novembre 2015, postérieurement à la contre-enquête diligentée par le ministre du travail le 6 septembre précédent, aucune pièce du dossier ne permet d'établir que le ministre du travail a été mis à même de prendre connaissance de ce dernier mandat, effectif lors de l'examen du recours hiérarchique de la société Frank et Pignard et qui a été implicitement rejeté au 18 novembre 2015. Par suite, et alors qu'il appartenait au seul employeur d'informer le ministre du travail de l'ensemble des mandats détenus au sein de l'entreprise par le salarié protégé dont l'autorisation de licenciement avait été sollicitée, afin que l'autorité administrative soit mise à même d'apprécier si des motifs d'intérêt général rendaient inopportun le licenciement du salarié compte tenu de l'ensemble de ses mandats, la société Frank et Pignard n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du ministre du travail du 14 décembre 2015 autorisant le licenciement de M. A....

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, la somme demandée par la société Frank et Pignard au titre des frais qu'elle a exposés. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A... sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Frank et Pignard est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Frank et Pignard, à M. B... A... et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Burnichon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 5 décembre 2019.

Le rapporteur,

C. BurnichonLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

S. Bertrand

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 18LY00515


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY00515
Date de la décision : 05/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique. Obligation de reclassement.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Claire BURNICHON
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : DELMOTTE CLAUSSE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-12-05;18ly00515 ?
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