Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SCI du 10 passage Lisa, Mme E... B... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à leur verser une indemnité de 115 118,50 euros en réparation du préjudice qu'elles estiment avoir subi en raison des désordres affectant leur cabinet médical situé au 8 bis passage Lisa à Paris 11ème arrondissement.
Par jugement n°s 1711208/5-1 et 1902597/5-1 du 11 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 avril et 16 novembre 2022, la SCI du 10 passage Lisa, Mme E... B... et Mme C... D..., représentées par Me de Boisboissel, demandent à la cour dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement n°s 1711208/5-1 et 1902597/5-1 du 11 mars 2022 du tribunal administratif de Paris en tant que leur demande a été rejetée ;
2°) de condamner, après avoir fixé à 70 % la quote-part de la responsabilité lui incombant, la ville de Paris à verser à la SCI du 10 passage Lisa la somme de 113 100,47 euros en réparation des préjudices subis en raison des désordres affectant le cabinet médical ;
3°) de condamner la ville de Paris à verser à Mmes D... et B... la somme de 10 920 euros en réparation du préjudice subi en raison de ces désordres ;
4°) de mettre à la charge de la ville de Paris à verser à la SCI du 10 passage Lisa la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 5 729,85 euros au titre des frais d'expertise et 70 % de la facture qui sera émise par le médiateur à verser à la SCI du 10 passage Lisa.
Elles soutiennent que :
- la responsabilité à hauteur de 70 % de la ville de Paris est engagée sans faute pour les désordres causés au cabinet médical en raison d'un dysfonctionnement de canalisations publiques ;
- le lien de causalité direct et certain entre les défaillances des canalisations publiques et la survenance des désordres et de leur aggravation est établi ;
- la SCI du 10 passage Lisa est fondée à solliciter la réparation intégrale des préjudices subis au titre des coûts induits par les travaux conservatoires et de remise en état ainsi que les pertes de loyers et les troubles subis ;
- Mmes D... et B... sont fondées à solliciter une indemnisation intégrale des préjudices qu'elles ont subis au titre des troubles dans leurs conditions d'existence.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 octobre 2022, la ville de Paris, représentée par son maire, représenté par Me Phelip, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à un partage de responsabilité, et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge solidaire de la SCI du 10 passage Lisa, de Mme B... et de Mme D... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Elle soutient que les moyens soulevés par la SCI du 10 passage Lisa, Mme B... et Mme D... ne sont pas fondés et que les constatations de l'expert sont contredites par ses propres constatations, ou procèdent d'erreurs factuelles manifestes, alors que le regard incriminé n'est pas situé sur le domaine public mais dans la cour de la SCI, et que les dommages en cause trouvent leur origine dans les défectuosités de réseaux privatifs, aggravées par l'absence de fondations de l'immeuble et que les prétentions des requérantes sont excessives.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- les observations de Me de Boisboissel, avocat de la SCI du 10 passage Lisa, de Mme B... et de Mme D... ;
- et les observations de Me Phelip, avocat de la ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., d'une part, et la société civile immobilière (SCI) du 10 passage Lisa et Mmes D... et B..., d'autre part, sont respectivement propriétaires d'une maison d'habitation et d'un cabinet médical situés au 8 bis et 10 passage Lisa à Paris 11ème arrondissement. Ils ont constaté la présence de plusieurs fissures dans leur propriété mitoyenne et, estimant que ces désordres trouvaient leur origine dans l'écoulement d'eaux pluviales hors des réseaux publics d'évacuation des eaux, ils ont sollicité du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris la désignation d'un expert, lequel a rendu son rapport le 10 octobre 2014. Ce dernier a considéré que l'obstruction d'une canalisation et la non étanchéité d'un regard situés tous deux sous la voie publique avaient provoqué des refoulements d'eau importants sur le terrain de la maison de M. A... et du cabinet médical, à l'origine du basculement de l'angle de la maison de M. A... et de l'apparition de nombreuses fissures sur les murs intérieurs et les façades des deux propriétés, et a imputé les dommages en résultant à hauteur de 70 % à la ville de Paris, 25 % à la SCI du 10 passage Lisa et 5 % à M. A.... Par courrier du 4 octobre 2018 reçu le 8 octobre suivant, et qui est demeuré sans réponse, la SCI du 10 passage Lisa et Mmes D... et B... ont demandé à la ville de Paris le versement d'une indemnité en réparation des désordres causés à leur immeuble. Par jugement n°s 1711208 et 1902597 du 11 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande d'indemnisation. La SCI du 10 passage Lisa et Mmes D... et B... doivent être regardées comme relevant appel de ce jugement en tant que leur demande enregistrée sous le n°1902597 a été rejetée et elles sollicitent notamment la condamnation de la ville de Paris à leur verser une indemnité de 113 100,47 euros pour la SCI du 10 passage Lisa et de 10 920 euros pour Mmes D... et B... en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis en raison des désordres affectant leur cabinet médical situé au 10 passage Lisa.
Sur l'action en réparation :
2. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.
3. Il résulte de l'instruction que des fissures et un basculement de pignon ont été constatés sur les parties mitoyennes de la maison de M. A... et du cabinet médical de la SCI du 10 passage Lisa. L'expert désigné par le tribunal de grande instance de Paris a conclu dans son rapport rendu le 10 octobre 2014 que les désordres survenus dans les deux immeubles ont pour origine, d'une part, un défaut de fonctionnement de la canalisation publique située entre les deux regards qu'il a dénommés " R et R1 ", situés sous la voie publique, canalisation obstruée par une canette de boisson et par de la terre et, d'autre part, un mauvais état des canalisations privatives des propriétés de la SCI du 10 passage Lisa et de M. A.... Il a considéré que le défaut de fonctionnement de la canalisation publique a obligé les eaux pluviales arrivant au regard public R, dont une paroi était cassée, à trouver un autre chemin en étant refoulées dans le terrain sous la cuisine de M. A... jusqu'au cabinet médical. Ce cheminement des eaux pluviales a ainsi, selon lui, créé une cavité très importante entre les deux immeubles dont une partie des murs de refend se sont trouvés sur un vide auquel se sont ajoutées les arrivées d'eau provenant des canalisations privatives de la SCI du 10 passage Lisa et, dans une moindre mesure, de la canalisation privative de M. A.... Il a imputé les dommages en résultant à hauteur de 70 % à la ville de Paris, 25 % à la SCI du 10 passage Lisa et 5 % à M. A.... .
4. Selon le rapport d'expertise précité, le mauvais état de l'ensemble des canalisations enterrées de la SCI du 10 passage Lisa a contribué à la création de l'affouillement sous la maison de M. A... et d'une fissure circulaire constatée sur la canalisation enterrée sous la cuisine de M. A.... Ainsi, la note de l'expert du 19 juillet 2011 a relevé que dans la propriété de la SCI du 10 passage Lisa, deux canalisations en grès qui conduisent les eaux de la propriété vers le regard R1 sont raccordées sans aucun joint sur les éléments en PVC de ce regard et que le dernier tronçon de la canalisation en grès des eaux usées ne pénètre pas dans l'élément PVC de sorte que ces eaux usées se sont accumulées en partie dans le terrain juste devant le regard R1 ce qui explique l'affaissement de terrain sous les pavés derrière la grille. L'expert a également constaté la présence de deux cassures sur la dernière partie de cette canalisation des eaux usées posée directement sur la terre. Par ailleurs, s'agissant de la canalisation des eaux pluviales, il a relevé l'absence de joint au niveau de la jonction des deux éléments de fonte au niveau du sol, de sorte que les eaux pluviales pouvaient ressortir à cet endroit, et la présence, juste derrière la descente de cette canalisation, d'un fontis important semblant s'étendre sous les deux maisons sur une longueur de 1,60 mètre avec une hauteur du vide mesurée à l'entrée du fontis de 70 centimètres. Les photographies prises par le cabinet Érard en juillet 2011 montrent la présence d'un affouillement d'environ 50 centimètres de hauteur et d'environ 80 centimètres de profondeur sous la descente de la canalisation d'évacuation des eaux pluviales de la SCI du 10 passage Lisa ainsi que la présence de cassures ou de déboîtement total au milieu de la cour s'agissant des autres canalisations du cabinet médical qui fuient car elles sont devenues poreuses et qu'elles sont sectionnées. Ce cabinet a également constaté que la partie devant aller sous la grille et se connecter au réseau public avait disparu et que le siphon de sol ainsi que la canalisation privative étaient totalement obstrués. Ces éléments sont confirmés par le rapport technique du 26 mai 2011 et la note aux parties du 29 septembre 2011 adressée par l'expert, desquels il ressort que les canalisations situées sur les parties privatives n'étaient pas étanches et que ce défaut a conduit à un affouillement très important du terrain à l'origine des désordres constatés sur l'immeuble de M. A.... Il résulte, par ailleurs, s'agissant de la maison de M. A..., du rapport établi le 5 octobre 2011 par la société Lavillaugouet que lorsque la canalisation principale a été mise au jour, même si elle était en bon état, une fissure radiale a été localisée en aval de la culotte de raccordement des différentes vidanges de la cuisine. Les tests d'étanchéité réalisés n'ont montré aucune fuite sur la partie située dans la tranchée mais seulement des ruissellements au niveau des évacuations du WC et du lavabo, le caractère fuyard des canalisations apparentes en charge et la présence d'un suintement au droit du lavabo. Ces éléments permettent d'établir que la partie privative des canalisations de la propriété de la SCI du 10 passage Lisa et celles de M. A... était affectée de défectuosités qui pouvaient être à l'origine des fuites ayant entrainé les désordres litigieux.
5. S'agissant de la zone du regard R, se trouvant à proximité de la maison de M. A..., et du regard R1 situé dans la ruelle, ouvrages publics destinés à l'évacuation des eaux pluviales, l'expert a aussi constaté que la canalisation de départ de ces eaux pluviales du regard R en fonte était obstruée par de la terre et que son raccordement sur la canalisation PVC qui aboutit au regard R1 n'était pas conforme aux règles de l'art de sorte que ces regards et cette canalisation enterrée n'étaient, selon lui, pas étanches. L'expert affirme dans son rapport que les deux parois du regard R situées du côté des deux propriétés étaient soit cassées soit affaissées, constat présent aussi dans le rapport du 26 mai 2011 de la société Lavillaugouet indiquant qu'à l'ouverture du regard de visite, la maçonnerie est affaissée, de l'eau stagne au fond et le départ est vraisemblablement écrasé. Toutefois, dans son rapport du 7 avril 2014 faisant suite à la note de synthèse du 28 janvier 2014, le cabinet Érard, mandaté par la ville de Paris, indique qu'aucune cassure n'a été détectée sur les regards R et R1 en produisant plusieurs photographies prises en juillet 2011 venant étayer ses affirmations. Par ailleurs, l'expert a également relevé dans son rapport l'absence d'affaissement de terrain à l'aplomb du regard des eaux pluviales R alors même que la canalisation en fonte chargée d'évacuer ces eaux était complètement bouchée par de la terre et qu'à son extrémité, elle était obstruée par la présence d'une canette qui était enrobée de terre au niveau du raccordement sans joint avec la canalisation PVC qui rejoint le regard R1. Il en a déduit que les eaux pluviales du regard R ne pouvaient pas poursuivre leur chemin dans les égouts publics par cette canalisation bouchée et qu'elles ont ainsi cherché un autre chemin dans le terrain pour se répandre entre les propriétés du 8 bis et du 10 passage Lisa en passant sous la cuisine de M. A... et en créant un affouillement très important. Cette affirmation est toutefois contredite par le cabinet Érard qui a relevé l'absence de tout désordre de sol autour du regard R, l'absence d'affaissement et e cavité et la présence d'un sol sec, ce qui démontre selon ce rapport le caractère non fuyard de ce regard. Il a noté, par ailleurs, que les eaux de ruissellement et d'écoulement provenant des canalisations du cabinet médical se sont chargées en terre provenant de la SCI du 10 passage Lisa et les ont obstruées sans toutefois empêcher le passage des eaux pluviales du regard R vers le regard R1. Si l'expert indique que l'absence d'eau sous le regard R s'explique par l'existence d'un vide permettant à l'eau " d'aboutir directement au fontis et de poursuivre son chemin au-delà du fontis ", cette affirmation ne permet pas d'expliquer comment, dans ces conditions, le défaut d'étanchéité qu'il impute au regard R peut être à l'origine des affouillements en cause. Le rapport du cabinet Erard relève, par ailleurs, les nombreuses défectuosités des canalisations situées sur le réseau privatif du cabinet médical. Il souligne également la proximité immédiate entre les affouillements et les désordres provoqués par les fuites des réseaux privatifs, et souligne que les regards incriminés sont situés " largement en aval " du lieu des affouillements. Ces objections ne sont pas combattues de façon satisfaisante par le rapport d'expertise auquel se réfèrent les requérantes, lequel indique tout à la fois que les désordres trouvent leur origine dans le refoulement, rendu possible par des ouvertures sur les parois du regard R, des eaux pluviales arrivant au regard R et qui se seraient donc répandues entre les deux propriétés du 8 bis et du 10 passage Lisa, et que la création d'un vide permettant à l'eau d'emprunter un chemin plus direct explique simultanément l'absence d'eau sous le regard R. Au vu de ces éléments, une partie importante des conclusions du rapport de l'expert judiciaire désigné par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris se trouve contredite par les pièces produites par la ville de Paris. Eu égard à ces contradictions, à l'absence d'explication satisfaisante tenant au mécanisme par lequel l'obstruction du réseau d'évacuation d'eau pluviales, située à distance des habitations, a pu être à l'origine des désordres incriminés, aux incertitudes affectant l'existence et l'étendue des défectuosités affectant le regard R et aux défectuosités avérées des canalisations et de la descente d'eaux pluviales de la SCI du 10 passage Lisa et des canalisations privatives de M. A..., la ville de Paris est fondée à soutenir que l'existence d'un lien de causalité direct entre les désordres survenus dans la propriété de la SCI du 10 passage Lisa et l'existence ou le fonctionnement des ouvrages publics dont elle a la garde n'est pas établie.
6. Il s'ensuit que la SCI du 10 passage Lisa, Mme B... et Mme D... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes. Leurs conclusions indemnitaires ainsi que, par voie de conséquence, celles tendant à ce que les frais de médiateur soient mis à la charge de la ville de Paris ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la ville de Paris, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser à la SCI du 10 passage Lisa la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas non plus lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la SCI du 10 passage Lisa par application des mêmes dispositions à verser à la ville de Paris la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Sur les dépens :
8. Aucun dépens n'ayant été exposé au cours de l'instance d'appel, les conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCI du 10 passage Lisa, de Mme B... et de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la ville de Paris, présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI du 10 passage Lisa, à Mme E... B..., à Mme C... D... et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente,
- Mme Jayer, première conseillère,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 novembre 2023.
La rapporteure,
A. COLLET La présidente,
A. MENASSEYRE
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au préfet de Paris, préfet de la région d'Ile-de-France en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA01904