Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le département du Finistère a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner conjointement et solidairement M. C..., la société Sofresid Engineering, la société Clairalu, la société Bihannic et la société Socotec Construction à lui verser la somme de 554 169,44' euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des désordres affectant les façades et la couverture de l'immeuble abritant le centre départemental d'action sociale de Brest, ainsi que la somme de 24 339,78 euros au titre des frais d'expertise.
Par un jugement n° 2000718 du 6 avril 2023, le tribunal administratif de Rennes a condamné solidairement d'une part, la société Clairalu, la société Sofresid Engineering et
M. C... à verser au département du Finistère la somme de 333 790 euros TTC au titre des désordres affectant les façades des locaux du centre départemental d'action sociale de Brest (article 1er), d'autre part, la société Entreprise Bihannic, la société Sofresid Engineering et
M. C... à verser au département la somme de 220 379 euros TTC au titre des désordres affectant les couvertures desdits locaux (article 2), avec intérêts et capitalisation des intérêts (article 3). Il a également condamné M. C... à garantir la société Clairalu à hauteur de 30 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 1er du jugement et à garantir la société Bihannic à hauteur de 15 % de la condamnation prononcée à l'encontre de celle-ci à l'article 2. Il a condamné la société Bihannic à garantir M. C... à hauteur de 85 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 2, M. C... et la société Clairalu à garantir la société Sofresid Engineering à hauteur respectivement de 30 % et 70 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 1er, sous déduction de la somme de 16 689,52 euros, et M. C... et la société Bihannic à garantir la société Sofresid Engineering à hauteur respectivement de 15 % et 85 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 2, sous déduction de la somme de 16 689,52 euros. Enfin, le tribunal a condamné la société Clairalu, la société Entreprise Bihannic et M. C... aux dépens de l'instance, mis à la charge solidaire de la société Clairalu, la société Entreprise Bihannic, la société Sofresid Engineering et M. C... le versement d'une somme de 2500 euros au département du Finistère au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er juin 2023 et 9 février 2024, la société Sofresid Engineering, représentée par Me Majerholc-Oiknine, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 6 avril 2023 en tant qu'il retient sa responsabilité et la condamne solidairement et de rejeter l'ensemble des demandes formées contre elle par le département du Finistère et les autres parties ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement toutes les parties reconnues responsables des désordres à la garantir intégralement de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elle ;
3°) à titre très subsidiaire, en ce qui concerne les désordres relatifs aux façades, de limiter à 16 689,52 euros TTC le montant total des condamnations susceptibles d'être prononcées contre elle et condamner solidairement toutes les parties reconnues responsables de ces désordres à la garantir intégralement de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elle au-delà de ce montant ;
4°) de mettre à la charge solidaire de toutes les parties perdantes la somme de
10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
sur les désordres relatifs aux couvertures :
- à titre principal, c'est à tort que le tribunal l'a condamnée solidairement avec les autres membres du groupement de maîtrise d'œuvre, dès lors que le marché de maîtrise d'œuvre du
11 mars 2002 stipule expressément l'absence de solidarité entre les membres d'un groupement conjoint, dont seul l'architecte mandataire est solidaire, et que l'acte d'engagement ne lui a confié qu'une mission de bureau d'études techniques " structures " ; la condition selon laquelle, pour caractériser la solidarité entre les intervenants, des fautes formant un tout indivisible et ayant indissociablement concouru à la réalisation de l'entier dommage doivent être caractérisées n'est pas réunie ; elle n'est pas responsable des éventuels manquements commis par les autres membres du groupement de maîtrise d'œuvre, notamment lors de l'exécution des travaux de couvertures ; il existe une incohérence entre les motifs et le dispositif du jugement rendu par les juges du premier degré, qui n'ont pas tiré les conséquences de leurs propres constatations ;
- à titre subsidiaire, c'est à bon droit que le jugement a condamné la société Bihannic et M. C... à la garantir de la condamnation solidaire prononcée au titre des désordres concernant les couvertures ; toutefois, c'est à tort que le tribunal a déduit de cette garantie la somme de 16 689,52 euros " conformément à la demande qu'elle a formulée au titre de son appel en garantie ", alors que cette déduction injustifiée ne correspond nullement aux écritures qu'elle a produites en première instance ; il y a donc lieu de la garantir intégralement des condamnations prononcées solidairement ;
sur les désordres relatifs aux façades :
- à titre principal, c'est à bon droit que le jugement attaqué a retenu que sa responsabilité dans la survenance des désordres des façades n'était pas engagée ; le jugement attaqué devra toutefois être réformé en ce qu'il est malgré tout entré en voie de condamnation solidaire à son égard ; en outre, les demandes de condamnation du département du Finistère à son encontre devront être rejetées ;
- à titre subsidiaire, c'est à bon droit que le jugement attaqué a condamné la société Clairalu et M. C... à la garantir de la condamnation prononcée au titre des désordres des façades ; toutefois, c'est à tort que le tribunal a déduit de cette garantie la somme de
16 689,52 euros " conformément à la demande qu'elle a formulée au titre de son appel en garantie ", alors que cette déduction injustifiée ne correspond nullement aux écritures qu'elle a produites en première instance ; il y a donc lieu de la garantir intégralement des condamnations prononcées solidairement ;
- à titre très subsidiaire, sa responsabilité ne pourra excéder 5 % du montant total des préjudices constatés, conformément au rapport d'expertise, soit la somme maximale de 16 689,52 euros ;
sur les appels en garantie des parties :
- il n'y a pas lieu de faire droit à l'appel en garantie de Clairalu à hauteur de 45 % des condamnations qui pourraient être prononcées à l'encontre de cette dernière, dès lors que l'expert n'a reconnu sa responsabilité qu'à hauteur de 5 % en ce qui concerne les désordres relatifs aux façades ;
- l'appel en garantie de M. C... doit êter rejeté dès lors qu'il était chargé de la mission complète de maîtrise d'œuvre et qu'il était mandataire commun seul solidaire des autres membres du groupement à l'égard du maître d'ouvrage ;
- l'appel en garantie de la société Socotec Construction formé à son encontre doit être rejeté ; l'expert judiciaire a imputé à cette dernière une part de responsabilité de 10 % dans les désordres des façades pour défaut de contrôle préliminaire du projet et absence totale de réserves en phase de réalisation des travaux, alors qu'il n'en a imputé que 5 % à elle.
Par des mémoires, enregistrés les 19 septembre 2023 et 15 janvier 2024, et un mémoire enregistré le 13 février 2024 qui n'a pas été communiqué, le département du Finistère, représenté par Me Collet, conclut :
- au rejet de la requête de la société Sofresid Engineering ;
- au rejet des conclusions d'appel incident de la société Clairalu ;
- et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge solidaire de la société Sofresid Engineering et de la société Clairalu en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la société Sofresid Engineering est solidairement responsable des autres entreprises composant le groupement de maîtrise d'œuvre ; elle a participé à l'ensemble des missions confiés au groupement de maîtrise d'œuvre à l'exception de trois missions ; elle a bien demandé au tribunal de la garantir seulement au-delà de la somme de 16 689,52 € ;
- la responsabilité de la société Clairalu doit être maintenue à hauteur de 70% pour les désordres concernant les façades ; en tout état de cause, si la cour venait à faire droit à la demande de la société Clairalu, elle ne pourrait que maintenir la condamnation solidaire des parties à une somme de 333 790€ TTC ; l'indemnisation due au département ne peut inclure aucun abattement pour vétusté de l'ouvrage et doit intégrer la TVA.
Par des mémoires, enregistrés les 22 décembre 2023 et 9 février 2024, la société Clairalu, représentée par Me Carfantan, conclut :
- au rejet de la requête de la société Sofresid Engineering ;
- à la réformation du jugement attaqué du 6 avril 2023 par la limitation de sa condamnation au titre des désordres affectant les façades à un maximum de 55 %, la condamnation de M. C..., de la société Sofresid Engineering et de la société Socotec Construction à la garantir de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre à hauteur de 45%, la limitation de l'indemnisation due au département du Finistère, qui ne peut intégrer la TVA et doit tenir compte d'un coefficient de vétusté, la limitation du montant des intérêts dus au département à compter de la date du jugement, soit le 6 avril 2023, ainsi que la limitation de sa condamnation au titre des frais d'expertise à hauteur de
8 049,16 euros et au titre des frais non compris dans les dépens à hauteur de 826,75 euros.
Elle soutient que :
- sa quote-part de responsabilité au titre des désordres affectant les façades ne peut excéder 55 %, conformément aux constations de l'expert ; il n'est pas établi que l'expert n'aurait pas suffisamment tenu compte de ses manquements ; aucun élément ne permet de minorer la part de responsabilité du groupement de maitrise d'œuvre, qui doit être de 35 % ;
- la responsabilité de la société Socotec doit être engagée car elle n'a pas suffisamment alerté la maîtrise d'œuvre et les constructeurs sur les manquements affectant les ouvrages en façade alors que cela relevait pleinement de sa mission ;
- dès lors que le groupement est conjoint mais qu'il ne prévoit pas de répartition des tâches entre les entreprises membres, ces dernières sont solidaires ; en conséquence, la société Sofresid Engineering doit être condamnée solidairement avec les autres défendeurs, sans que cette condamnation soit limitée à la somme de 16 689,52 euros ;
- la procédure au fond ayant été introduite plus de 15 ans après la réception des ouvrages, il y a lieu d'appliquer un abattement de vétusté sur le montant des condamnations sollicitées par le département au titre des travaux réparatoires ;
- en application des articles L. 1615-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, le département du Finistère est éligible au fonds de compensation pour la TVA et les travaux réparatoires en litige, qui sont de grosses réparations, peuvent en bénéficier ; ainsi, il n'y a pas lieu d'intégrer la TVA dans l'indemnisation due au département ;
- aucune erreur matérielle n'affecte le jugement attaqué du 6 avril 2023 dès lors que celui-ci précise sans ambiguïté les raisons pour lesquelles la responsabilité solidaire de la société Sofresid Engineering est engagée ;
- sa condamnation au titre des frais d'expertise et des frais non compris dans les dépens doit être limitée et tenir compte de sa quote-part de responsabilité.
Par un mémoire, enregistré le 12 janvier 2024, M. C..., représenté par Me Bouchet-Bossard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Sofresid Engineering en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal a retenu la solidarité entre les membres du groupement au titre de la responsabilité décennale ;
- la société Sofresid Engineering doit conserver une part de responsabilité qui ne saurait être inférieure à 5 % de l'intégralité des désordres.
Par un mémoire, enregistré le 15 janvier 2024, la société Socotec, représentée par
Me Viaud, conclut :
1°) au rejet de la requête de la société Sofresid Engineering ;
2°) par la voie de l'appel incident et de l'appel provoqué, à titre principal, à la réformation de l'article 1er du jugement attaqué en tant qu'il a retenu, aux termes d'une erreur matérielle, la responsabilité de la société Sofresid Engineering en ce qui concerne les désordres relatifs aux façades ; à titre subsidiaire, à la condamnation de M. C..., de la société Sofresid Engineering et de la société Clairalu à la garantir totalement des condamnations qui viendraient à être prononcées à son encontre au titre des désordres d'infiltrations par les façades, et à tout le moins à hauteur de 90 % de ces condamnations, de condamner M. C..., la société Sofresid Engineering, et la société Bihannic à la garantir totalement des condamnations qui viendraient à être prononcées à son encontre au titre des désordres d'infiltrations par les couvertures, et à tout le moins à hauteur de 90 % de ces condamnations ; de condamner les parties à la garantir des sommes qui viendraient à être mises à sa charge au titre des frais irrépétibles et des frais d'expertise judiciaire, et à tout le moins à hauteur de 10 % de ces sommes ;
3°) au rejet de l'appel provoqué de la société Clairalu ;
4°) en tout état de cause, à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Sofresid Engineering en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article 1er du jugement attaqué est affecté d'une erreur matérielle dès lors que le tribunal a condamné la société Sofresid Engineering à indemniser le département en ce qui concerne les désordres relatifs aux façades alors qu'il avait écarté sa responsabilité dans les motifs de son jugement ; une fois que la cour aura rectifié cette erreur, il y aura lieu de juger que la requête de la société Sofresid Engineering n'a plus d'objet sur ce point ; par voir de conséquence, l'appel provoqué de la société Clairalu devient irrecevable, dès lors qu'il soulève un litige distinct ;
- aucune responsabilité ne peut être retenue à son encontre dès lors que les désordres en litige ne sont pas en lien avec les missions qui lui avaient été confiées ; à titre subsidiaire, les autres parties devront la garantir de toute condamnation qui viendrait à être prononcée à son encontre, à tout le moins à hauteur de 90 % de cette condamnation.
Par une ordonnance du 14 février 2024, la clôture d'instruction est intervenue avec effet immédiat en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire présenté par la société Bihannic a été enregistré le 8 avril 2024, postérieurement à la clôture d'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chabernaud,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteur public,
- et les observations de Me Carfantan, représentant la société Clairalu, de Me Kerrien substituant Me Collet, représentant le département du Finistère, de Me Berkane, substituant Me Hallouet, représentant l'entreprise Bihannic, et de Me Parée, substituant Me Viaud, représentant SA Socotec Construction.
Considérant ce qui suit :
1. En 2002, le département du Finistère a décidé d'entreprendre la construction de locaux administratifs destinés au centre d'action sociale de Brest Rive droite. La maîtrise d'œuvre de ce projet a été confiée, par l'intermédiaire de la société d'aménagement du Finistère (SAFI) intervenant pour le compte du maître d'ouvrage, à un groupement d'entreprises, composé notamment de M. C..., en tant qu'architecte et mandataire, de la société Etude et Innovation, en tant qu'économiste de la construction, et de la société Sofresid Ouest, désormais Sofresid Engineering, en tant que bureau d'études techniques. Le contrôle technique de l'opération a été dévolu à la société Socotec France, devenue depuis la société Socotec Construction. Les travaux, divisés en plusieurs lots, ont été attribués notamment à la société Entreprise Bihannic pour le lot n°4 " Couverture bardage zinc " et à la société Clairalu pour le lot n°6 " Menuiseries extérieures ". L'ouvrage, dont la construction a débuté en 2004, a été réceptionné, avec réserves, le
22 novembre 2005, avec effet au 19 septembre 2005. Ces réserves ont été levées par procès-verbal du 14 avril 2006. Des infiltrations, par les façades et la toiture, étant apparues dès la première année d'occupation des locaux, diverses interventions en réparation ont été effectuées, en dépit desquelles les désordres se sont amplifiés. Désigné le 20 mai 2015 par le président du tribunal administratif de Rennes, M. A... a remis un rapport d'expertise le 7 novembre 2019 constatant que les infiltrations tant par la couverture de l'ouvrage que par les façades nuisent à la destination des lieux.
2. Saisi par le département du Finistère, le tribunal administratif de Rennes, par un jugement du 6 avril 2023, a condamné solidairement, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, d'une part, la société Clairalu, la société Sofresid Engineering et M. C... à verser au département du Finistère la somme de 333 790 euros TTC au titre des désordres affectant les façades des locaux du centre départemental d'action sociale de Brest (article 1er), d'autre part, la société Entreprise Bihannic, la société Sofresid Engineering et M. C... à verser au département la somme de 220 379 euros TTC au titre des désordres affectant les couvertures desdits locaux (article 2). Il a également condamné M. C... à garantir la société Clairalu à hauteur de 30 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 1er du jugement et à garantir la société Bihannic à hauteur de 15 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 2. Il a condamné la société Bihannic à garantir M. C... à hauteur de 85 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 2, M. C... et la société Clairalu à garantir la société Sofresid Engineering à hauteur respectivement de 30 % et 70 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 1er, sous déduction de la somme de
16 689,52 euros, et M. C... et la société Bihannic à garantir la société Sofresid Engineering à hauteur respectivement de 15 % et 85 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 2, sous déduction de la somme de 16 689,52 euros. La société Sofresid Engineering fait appel de ce jugement du 6 avril 2023 en tant qu'il retient sa responsabilité et la condamne solidairement. La société Clairalu demande à la cour, pour l'essentiel, de limiter sa condamnation au titre des désordres affectant les façades à un maximum de 55 % et de condamner M. C..., la société Sofresid Engineering et la société Socotec Construction à la garantir de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre à hauteur de 45%.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions principales de la société Sofresid Engineering :
3. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
4. Il résulte de l'instruction que de très nombreuses infiltrations affectent tant les façades que les couvertures des locaux du centre départemental d'action sociale départemental de Brest Rive Droite, l'expert ayant notamment relevé trente-six points de fuite dans les faux-plafonds et vingt-trois points de fuite en périphérie des fenêtres, avec ponctuellement des chutes de plaques de faux-plafond. L'ampleur du sinistre rend ainsi l'ouvrage impropre à sa destination, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par les parties. En conséquence, les désordres en litige sont de nature à engager la responsabilité des participants à l'opération de travaux à l'égard du département du Finistère sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs.
5. Par le jugement attaqué, après avoir condamné solidairement les constructeurs impliqués respectivement au titre des désordres des façades et au titre des désordres affectant les couvertures, le tribunal administratif a retenu, pour la répartition finale de la charge de leur réparation, en ce qui concerne les infiltrations en façades, que ce désordre était imputable à 70 % à la société ClairAlu, attributaire du lot " Menuiseries extérieures ", et à son sous-traitant dont elle doit répondre, la société Métal Alu, pour défaut dans l'exécution des travaux, ainsi qu'à
10 % à M. C... en tant qu'architecte, pour faute de conception et défaut de contrôle des travaux, et à 20 % à la société Etude et Innovation, chargée de la rédaction du cahier des clauses techniques particulières du marché. En ce qui concerne les infiltrations affectant les couvertures de l'ouvrage, le tribunal a jugé que celles-ci sont imputables à 85 % à la société Bihannic, titulaire du lot " Couverture bardage zinc " pour défaut d'exécution mais également à 15 % à
M. C..., pour défaut de contrôle de ces travaux.
6. Si le tribunal n'a pas retenu de manquements imputables à la société Sofresid Engineering dans la répartition de la charge de la réparation des désordres, il l'a toutefois condamnée solidairement à indemniser le département du Finistère des conséquences de ces derniers, ce que cette société conteste devant la cour.
7. Il résulte de l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre du 11 mars 2002 signé, d'une part, par le mandataire du département du Finistère, et, de l'autre, par les quatre entreprises en charge de la maîtrise d'œuvre, que ces dernières sont constituées sous la forme d'un groupement. L'article 2 de cet acte d'engagement qualifie les quatre membres du groupement cocontractant de " cotraitants (...) conjoints " et précise que l'architecte mandataire M. C... est " solidaire de chacun des membres du groupement pour ses obligations contractuelles à l'égard de la maîtrise d'ouvrage ". S'il s'agit ainsi d'un groupement conjoint, il ressort du tableau de répartition des honoraires par éléments de mission et par cotraitant figurant en annexe 1 à l'acte d'engagement que le " BET Structures " Sofresid participait notamment aux éléments de mission " EXE " (études d'exécution) et " DET " (direction de l'exécution des travaux). A défaut de convention de groupement plus précise que ce tableau et à laquelle serait partie le maître d'ouvrage, la requérante ne peut donc pas utilement soutenir qu'elle n'est aucunement intervenue dans les études d'exécution ou dans le contrôle des travaux. Or il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 ci-dessus quant à la nature et l'imputabilité des désordres que ces éléments de mission ne peuvent être regardés comme étrangers aux désordres affectant les façades et les couvertures de l'ouvrage construit. Dans ces conditions, compte tenu de l'obligation de garantie décennale que doivent les constructeurs au maître d'ouvrage du seul fait de leur participation à la réalisation de l'ouvrage affecté de désordres, la société Sofresid Engineering n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu sa responsabilité solidaire à ce titre, alors même qu'il n'a retenu aucun manquement à son encontre, ce jugement ne comportant ainsi aucune contradiction entre ses motifs et son dispositif à cet égard.
En ce qui concerne les conclusions subsidiaires de la société Sofresid Engineering tendant à être intégralement garantie :
8. Au regard de la mise hors de cause de la société Sofresid Engineering dans la survenue des désordres affectant les façades et de la mise en jeu de la responsabilité de M. C... et de la société Clairalu à ce titre, le tribunal administratif a condamné ces derniers à garantir totalement la société Sofresid Engineering de l'indemnisation de 333 790 euros TTC à verser au département du Finistère, sous déduction d'une somme de 16 689,52 euros. Il résulte en effet des écritures produites par la société Sofresid Engineering devant le tribunal administratif que cette dernière a conclu, à titre subsidiaire, à ce que sa responsabilité au titre des désordres affectant les façades de l'immeuble n'excède pas la part de responsabilité fixée par l'expert, soit 5 %, correspondant à ladite somme de 16.689,52 euros TTC. Par ailleurs, elle a demandé à être garantie de toutes les condamnations prononcées à son encontre, mais seulement au-delà de cette somme de 16 689,52 euros. Ainsi, c'est à bon droit que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a fait droit totalement à l'appel en garantie de la société Sofresid Engineering, compte tenu de la part de responsabilité respective des intervenants dans la survenue des désordres relatifs aux façades, sous déduction d'une somme de 16 689,52 euros. Par suite, la société Sofresid Engineering n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué sur ce point. En revanche, c'est à tort que le tribunal administratif a déduit de cette garantie la somme de 16 689,52 euros au titre des désordres relatifs aux toitures de l'ouvrage, dès lors que les conclusions à fin d'appel en garantie présentées par la société Sofresid Engineering ne comportaient pas une telle restriction. Par suite, il y a lieu de réformer le jugement attaqué dans cette mesure.
En ce qui concerne les conclusions d'appel incident et d'appel provoqué de la société Clairalu :
9. En premier lieu, les conclusions de la société Clairalu dirigées, en vue d'obtenir une réduction de l'indemnité mise à sa charge ou une nouvelle répartition de la charge des frais d'expertise et des intérêts moratoires, contre les autres parties que l'appelante principale, et présentées après l'expiration du délai d'appel, ont la nature d'un appel provoqué et ne sont pas recevables dès lors que ce qui est jugé ci-dessus sur la requête de la société Sofresid Engineering n'aggrave pas la situation de la société Clairalu.
10. En second lieu, en se bornant à affirmer que " la société Sofresid était tenue, au moins pour partie, avec Monsieur C..., en tant que membre du groupement de maîtrise d'œuvre, à une obligation de contrôle dans le cadre de sa mission " DET ", de sorte que sa responsabilité est bel et bien engagée ", la société Clairalu n'établit pas que, pour la répartition de la charge résultant de la condamnation solidaire au titre des désordres des façades, la société Sofresid Engineering aurait commis une faute justifiant qu'elle soit condamnée à la garantir de manière à réduire la part de 70 % du coût de réparation de cette catégorie de désordres mise à sa charge en raison des malfaçons dans l'exécution des travaux lui incombant, compte tenu des graves défaillances qui lui sont imputables. Ses conclusions d'appel incident doivent donc être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions de la société Socotec à fin de garantie :
11. Les conclusions de la société Socotec tendant à être garantie sont sans objet dès lors que cette société n'a fait l'objet d'aucune condamnation.
Sur les frais liés au litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chacune des parties la charge des frais exposés à l'occasion de la présente instance d'appel et, ainsi, de rejeter l'ensemble des conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La société Bihannic et M. C... garantiront la société Sofresid Engineering, à hauteur respectivement de 85 % et de 15 %, de la condamnation de 220 379 euros prononcée à son encontre au titre des désordres affectant les couvertures du centre d'action sociale de Brest Rive droite.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 6 avril 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la Société Sofresid Engineering est rejeté.
Article 4 : Les conclusions d'appel incident et provoqué de la société Clairalu et le surplus des conclusions des autres parties sont rejetées.
Article 5 : Les conclusions de l'ensemble des parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à la société Grignou-Stéphan Architectes, à la société Sofresid Engineering, à la société Socotec Construction, à la société Clairalu, à la société Entreprise Bihannic et au département du Finistère.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président-assesseur,
- M. Chabernaud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2024.
Le rapporteur,
B. CHABERNAUDLe président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01597