Vu la procédure suivante :
I. Par une requête, des pièces et un mémoire, enregistrés le 1er septembre 2022 et le 26 octobre 2022 sous le n° 22BX02375, les SAS Arbela et Les Platanes, représentées par Me Robert-Védie, demandent à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 8 mars 2022 par lequel le maire de la commune de Rochefort a délivré à la SARL CGDèv un permis de construire modificatif en vue de créer, en remplacement d'un ensemble commercial de 917 m2 de surface de vente comportant deux cellules de secteur 2 non alimentaire, un unique magasin de secteur 1 alimentaire d'une surface de plancher de 1 320 m2 au sein de l'ensemble commercial des Quatr'Anes à Rochefort ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Charente-Maritime a refusé de mettre en œuvre la procédure de déféré préfectoral prévue par l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales à l'encontre de cette autorisation ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Rochefort et de la SARL CGDèv une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- elles justifient d'un intérêt pour agir à l'encontre du permis de construire modificatif en leur double qualité de concurrente et de propriétaires voisines du projet ; le permis de construire modificatif d'un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale tenant lieu de l'autorisation d'exploitation commerciale, elles ont intérêt à le contester en application de l'article L 600-1-4 du code de l'urbanisme ; au regard des modifications apportées au projet initial elles justifient d'un intérêt à agir alors même qu'elles n'ont pas contesté les autorisations initiales ;
- le permis de construire modificatif délivré par le maire de Rochefort constitue un nouveau permis de construire dès lors que les modifications apportées au projet sont telles qu'elles en changent la nature même ; l'autorisation d'exploitation commerciale initialement obtenue le 3 février 2015 était nécessairement caduque en application de l'article R. 752-20 du code du commerce faute d'ouverture au public du commerce dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le permis de construire est devenu définitif ; un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ne peut être modifié en simple permis de construire ;
- le projet nécessitant un nouveau permis de construire, l'arrêté du 8 mars 2022 a été édicté au terme d'une procédure irrégulière faute de consultation préalable des commissions départementales d'accessibilité et de sécurité en application de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation, du service régional d'archéologie préventive en application de l'article R. 425-31 du code de l'urbanisme et de la commission départementale d'aménagement commercial ;
- le permis délivré méconnaît les articles L. 425-4 du code de l'urbanisme et L. 752-1 du code de commerce dès lors que les commerces de cette zone appartenant à un même ensemble commercial, une autorisation d'exploitation commerciale devait être jointe au dossier et la commission départementale d'aménagement commercial devait se prononcer sur sa conformité au regard des critères et objectifs fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce ;
- le permis délivré méconnaît l'article 4 du chapitre 2 du règlement de la zone 1 AUsc du plan local d'urbanisme de la commune de Rochefort dès lors que le projet est implanté à plus de six mètres de la voie Villeneuve-Montigny ; à supposer que le permis délivré soit regardé comme modificatif du permis initial, les travaux en cause n'ont pas pour effet de rendre la construction plus conforme aux dispositions méconnues ;
- ces mêmes dispositions sont également méconnues en ce que la construction est implantée sur la limite séparative ; à supposer que le permis délivré soit regardé comme modificatif du permis initial, les travaux en cause n'ont pas pour effet de rendre la construction plus conforme aux dispositions méconnues ;
- le permis méconnaît l'article 5 du plan local d'urbanisme dès lors qu'aucune plantation de haie vive n'est prévue ;
- il méconnaît également l'article 6 de ce même document ainsi que le document graphique des orientations d'aménagement et de programmation qui prévoit des linéaires de plantations à protéger et créer, et aggrave à cet égard la méconnaissance résultant du permis initial ;
- ces mêmes dispositions sont également méconnues en ce que le projet, qui accroit substantiellement le nombre de places de stationnement, ne prévoit aucun traitement paysager qualitatif et qu'il prévoit une aire de stockage des déchets en recul de plusieurs mètres de la voie publique, non intégré dans paysage et non dissimulé par de la végétation.
Par des mémoires en défense enregistrés le 16 septembre 2022, le 24 novembre 2022 et le 8 décembre 2022, la SARL CGDèv, représentée par Me Bolleau, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge des sociétés requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les sociétés requérantes ne disposent d'aucun intérêt pour agir en qualité de concurrentes dès lors que le permis de construire modificatif litigieux ne porte que sur les droits à construire et pas sur l'autorisation d'exploitation commerciale ; elles n'ont en outre aucun intérêt pour agir au regard des seules modifications apportées par le projet par la décision litigieuse ;
- subsidiairement, les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 29 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 20 décembre 2022 à 12h00.
Un mémoire présenté pour les SAS Arbela et Les Platanes a été enregistré le 19 juin 2023.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office, tirés de ce que :
- le permis de construire modificatif litigieux ne peut être regardé comme tenant lieu de l'autorisation d'exploitation commerciale prévue par l'article L. 752-1 du code de commerce,
- les conclusions dirigées contre le refus du préfet de la Charente-Maritime de déférer l'arrêté du 8 mars 2022 du maire de Rochefort sont irrecevables, une telle décision n'étant pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
II. Par une ordonnance du 15 juin 2023, le président du tribunal administratif de Poitiers a transmis à la cour, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, la demande enregistrée au greffe de ce tribunal le 16 septembre 2022 par laquelle le préfet de la Charente-Maritime, sur le fondement de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, demande l'annulation de l'arrêté du 8 mars 2022 par lequel le maire de Rochefort a délivré à la SARL CGDèv un permis de construire modificatif.
Le préfet soutient que :
- un permis de construire modificatif ne pouvait être légalement délivré par le maire de Rochefort alors que le permis de construire initial était périmé en application des dispositions de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme et que les modifications projetées remettent en cause l'économie générale du projet autorisé par le permis initial s'agissant en particulier du secteur d'activité, de l'implantation du bâtiment, de son volume et de sa hauteur ;
- à la date de l'arrêté litigieux, l'autorisation d'exploitation commerciale accordée pour le permis de construire initiale était périmée en application des dispositions de l'article R. 752-20 du code de commerce.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 21 octobre 2022 et le 30 août 2023, la SARL CGDèv, représentée par Me Bolleau, conclut au rejet du déféré formé par le préfet de la Charente-Maritime et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Charente-Maritime ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Kolia Gallier Kerjean,
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,
- et les observations de Maître Espeisse représentant la SAS Arbela et la SAS Les platanes, les observations de Maître Brugière représentant la commune de Rochefort et les observations de Maître Bolleau représentant la SARL CGDèv.
Une note en délibéré, présentée par la SAS Arbela et la SAS Les Platanes, a été enregistrée le 10 octobre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 3 février 2015, la commission départementale d'aménagement commercial de la Charente-Maritime a délivré à la SCI Austral et à la SARL Odyssée, en leur qualité respective de promoteur et de futur propriétaire des constructions, l'autorisation de créer un " ensemble commercial " composé de deux cellules spécialisées dans l'équipement de la personne et/ou de la maison, rue Villeneuve de Montigny à Rochefort. Pour la réalisation de ce projet, la SCI Austral s'est vu délivrer, par le maire de Rochefort, un permis de construire le 28 mai 2015. Ce permis a été transféré par un arrêté du maire de Rochefort du 30 octobre 2019 à la SARL CGDèv qui a déposé, le 19 juillet 2021, une demande de permis de construire modificatif. Estimant que la modification du projet nécessitait la délivrance d'une nouvelle autorisation d'exploitation commerciale, le service instructeur de la demande de permis a invité la SARL CGDèv à compléter son dossier. La SARL CGDèv a formé un recours gracieux contre cette demande de pièces complémentaires qui a été implicitement rejeté par la commune, de même consécutivement que la demande de permis de construire modificatif. La SARL CGDèv a demandé au tribunal administratif de Poitiers l'annulation de cette décision et, par un arrêté du 13 janvier 2022, le maire de la commune a procédé à son retrait au motif que la demande de pièces manquantes avait été signée par une personne ne bénéficiant d'aucune délégation. Cet arrêté constate, en outre, que le délai d'instruction de trois mois étant échu, le pétitionnaire dispose d'un permis de construire tacite. Par un courrier du 24 janvier 2022, la SARL CGDèv a sollicité du maire de la commune de Rochefort qu'il lui délivre un certificat de permis tacite en application des dispositions de l'article R. 424-13 du code de l'urbanisme ou le permis de construire modificatif initialement demandé. Le maire de Rochefort a délivré ce permis par un arrêté du 8 mars 2022. Les SAS Arbela et Les Platanes, locataires et respectivement exploitantes d'un magasin Netto et d'un magasin Intermarché dans la zone commerciale des Quatr'Anes, ont demandé par un courrier du 4 mai 2022 au préfet de la Charente-Maritime de déférer cet arrêté au tribunal administratif en application de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales. Le silence gardé par le préfet sur cette demande a fait naitre une décision implicite de rejet. D'une part, Les SAS Arbela et Les Platanes demandent à la cour, par la requête n° 22BX02375, d'annuler l'arrêté du maire de Rochefort du 8 mars 2022 ainsi que la décision implicite de rejet de la demande de déféré qu'elles ont adressée au préfet de la Charente-Maritime. D'autre part, le préfet de la Charente-Maritime a postérieurement procédé au déféré demandé, qui a été transmis à la cour par ordonnance du président du tribunal administratif de Poitiers, et enregistré sous le n° 23BX01648. Ces deux affaires présentant des questions communes à juger, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur la requête présentée par les SAS Arbela et les Platanes :
En ce qui concerne le permis délivré par le maire de Rochefort le 8 mars 2022 :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de commerce, dans sa version applicable à la date de l'autorisation de construire initiale : " Sont soumis à une autorisation d'exploitation commerciale les projets ayant pour objet : / 1° La création d'un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés, résultant soit d'une construction nouvelle, soit de la transformation d'un immeuble existant ; / 2° L'extension de la surface de vente d'un magasin de commerce de détail ayant déjà atteint le seuil des 1 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet. Est considérée comme une extension l'utilisation supplémentaire de tout espace couvert ou non, fixe ou mobile, et qui n'entrerait pas dans le cadre de l'article L. 310-2 ; / 3° Tout changement de secteur d'activité d'un commerce d'une surface de vente supérieure à 2 000 mètres carrés. Ce seuil est ramené à 1 000 mètres carrés lorsque l'activité nouvelle du magasin est à prédominance alimentaire ; / 4° La création d'un ensemble commercial tel que défini à l'article L. 752-3 et dont la surface de vente totale est supérieure à 1 000 mètres carrés ; / 5° L'extension de la surface de vente d'un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 1 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet ; / 6° La réouverture au public, sur le même emplacement, d'un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés dont les locaux ont cessé d'être exploités pendant trois ans, ce délai ne courant, en cas de procédure de redressement judiciaire de l'exploitant, que du jour où le propriétaire a recouvré la pleine et entière disposition des locaux ; / Pour les pépiniéristes et horticulteurs, la surface de vente mentionnée au 1° est celle qu'ils consacrent à la vente au détail de produits ne provenant pas de leur exploitation, dans des conditions fixées par décret. (...) ". L'article L. 752-3 du code de commerce précise : " I. - Sont regardés comme faisant partie d'un même ensemble commercial, qu'ils soient ou non situés dans des bâtiments distincts et qu'une même personne en soit ou non le propriétaire ou l'exploitant, les magasins qui sont réunis sur un même site et qui : / 1° Soit ont été conçus dans le cadre d'une même opération d'aménagement foncier, que celle-ci soit réalisée en une ou en plusieurs tranches ; / 2° Soit bénéficient d'aménagements conçus pour permettre à une même clientèle l'accès des divers établissements ; / 3° Soit font l'objet d'une gestion commune de certains éléments de leur exploitation, notamment par la création de services collectifs ou l'utilisation habituelle de pratiques et de publicités commerciales communes ; /4° Soit sont réunis par une structure juridique commune, contrôlée directement ou indirectement par au moins un associé, exerçant sur elle une influence au sens de l'article L. 233-16 ou ayant un dirigeant de droit ou de fait commun. (...) ". L'article L. 425-4 du code de l'urbanisme dispose : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 600-10 du même code : " Les cours administratives d'appel sont compétentes pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs au permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale prévu à l'article L. 425-4 ". Les cours administratives d'appel ne sont, par suite, et par exception, compétentes pour statuer en premier et dernier ressort sur un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire, aussi bien en tant qu'il vaut autorisation de construire qu'en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale, que si ce permis tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale.
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la commission départementale d'aménagement commercial de Charente-Maritime a donné, le 3 février 2015, à la SCI Austral et à la SARL Odyssée, l'autorisation de créer un " ensemble commercial " d'une surface de vente totale de 917 m2, composé de deux cellules de 464 m2 et 453 m2 spécialisées dans l'équipement de la personne et/ou de la maison rue Villeneuve de Montigny à Rochefort. Si l'arrêté du 30 octobre 2019 par lequel le maire de la commune de Rochefort a transféré le permis de construire délivré le 28 mai 2015 à la SARL CGDèv, de même que le permis de construire modificatif litigieux, font mention d'une surface de plancher initiale du projet de 1320 m2, une telle mention relative à la seule surface de plancher du bâtiment ne saurait permettre de regarder le projet initial comme relatif à une surface de vente supérieure à 1 000 m2, au sens des dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de commerce. Par ailleurs, si le projet s'insère au sein d'une zone commerciale, il est doté d'un parking autonome, ne dispose d'aucune voie interne commune avec d'autres enseignes et il ne ressort des pièces du dossier l'existence d'aucun aménagement conçu pour permettre à une même clientèle d'accéder à plusieurs établissements. Enfin, aucun élément au dossier ne permet non plus de retenir que le projet et d'autres magasins situés à proximité auraient été conçus dans le cadre d'une même opération d'aménagement foncier. Par suite, au regard des critères fixés par l'article L. 752-3 du code de commerce, le projet initial ne peut être regardé comme entrainant l'extension de la surface de vente d'un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 1 000 m2 ou devant le dépasser par la réalisation du projet au sens des dispositions du 5° de l'article L. 752-1 du code de commerce. Dans ces conditions, le permis de construire délivré par le maire de Rochefort le 28 mai 2015 ne peut être regardé comme tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale.
4. D'autre part, il ressort du permis de construire modificatif litigieux et de la notice jointe au dossier de demande que le projet de la SARL CGDèv consiste désormais en la réalisation d'une unique cellule commerciale pour la création d'un magasin alimentaire d'une surface de vente réduite à 535 m2. Cette autorisation de construire, qui ne modifie pas un précédent permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, étant relative à un projet commercial d'une surface de vente inférieure à 1 000 m2 et ne correspondant à aucun des cas prévus à l'article L. 752-1 du code de commerce dans lesquels une autorisation d'exploitation commerciale est requise, elle ne peut, davantage, être regardée comme tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Par suite, la cour n'est pas compétente pour statuer en premier et dernier ressort sur la demande d'annulation du permis de construire modificatif délivré par le maire de Rochefort le 8 mars 2022.
5. Toutefois, aux termes de l'article R. 351-4 du code de justice administrative : " Lorsque tout ou partie des conclusions dont est saisi un tribunal administratif, une cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat relève de la compétence d'une de ces juridictions administratives, le tribunal administratif, la cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat, selon le cas, est compétent, nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives, pour rejeter les conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance, pour constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur tout ou partie des conclusions ou pour rejeter la requête en se fondant sur l'irrecevabilité manifeste de la demande de première instance. "
6. L'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme dispose que : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. (...) " Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Lorsque le requérant, sans avoir contesté le permis initial ou après avoir épuisé les voies de recours contre le permis initial, ainsi devenu définitif, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé.
7. Il ressort des pièces du dossier que la société CGDèv, qui souhaite toujours procéder à la construction d'un bâtiment destiné à accueillir une activité commerciale, a sollicité auprès du maire de Rochefort la délivrance d'un permis de construire modificatif pour modifier la configuration du bâtiment, qui sera désormais sur un seul niveau et d'un seul tenant, ses façades ainsi que le parking destiné au stationnement des clients du commerce. Il ressort du dossier de la demande que les modifications envisagées n'apportent pas au projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même, de sorte que le permis de construire délivré par le maire de Rochefort le 8 mars 2022 présente bien le caractère d'un permis modificatif.
8. D'une part, ainsi qu'il a été indiqué au point 4 ci-dessus, le permis de construire modificatif litigieux ne tient pas lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Les sociétés requérantes ne peuvent, par suite, utilement se prévaloir de leur qualité de concurrentes pour justifier de leur intérêt à en demander l'annulation. D'autre part, ces sociétés exposent être locataires de magasins situés à proximité du projet desservis par des voies identiques et soutiennent que l'implantation d'un nouveau magasin alimentaire aura pour effet d'augmenter le trafic sur ces voies, déjà congestionnées notamment le samedi en fin de matinée. Elles ajoutent que ce projet entraine d'importantes modifications par rapport au projet initial en termes d'implantation, de qualité urbaine, architecturale ou de paysage. De tels éléments, qui ne sont assortis d'aucune précision ni d'aucun élément susceptible de les étayer, ne sauraient permettre de regarder les sociétés requérantes comme disposant d'un intérêt pour demander l'annulation du permis de construire modificatif au regard de la portée des modifications apportées. Cette irrecevabilité manifeste étant insusceptible d'être couverte en cours d'instance, il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée par la SARL CGDèv et de rejeter les conclusions des sociétés requérantes tendant à l'annulation du permis de construire modificatif délivré par le maire de Rochefort le 8 mars 2022, en application des dispositions précitées de l'article R. 351-4 du code de justice administrative.
En ce qui concerne le refus implicite du préfet de la Charente-Maritime de déférer le permis de construire modificatif du 8 mars 2022 :
9. Aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission (...) ". L'article L. 2131-8 du même code prévoit : " Sans préjudice du recours direct dont elle dispose, si une personne physique ou morale est lésée par un acte mentionné aux articles L. 2131-2 et L. 2131-3, elle peut, dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle l'acte est devenu exécutoire, demander au représentant de l'Etat dans le département de mettre en œuvre la procédure prévue à l'article L. 2131-6 (...) ".
10. Ces dispositions permettent à une personne qui s'estime lésée par un acte d'une autorité communale relevant du contrôle de légalité du représentant de l'Etat dans le département de saisir ce dernier en vue qu'il le défère au tribunal administratif. Cette saisine n'ayant pas pour effet de priver cette personne de la faculté d'exercer un recours direct contre cet acte, le refus du préfet de déférer celui-ci au tribunal administratif ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par les sociétés requérantes tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de la Charente-Maritime a refusé de déférer le permis de construire modificatif délivré le 8 mars 2022 par le maire de Rochefort, décision qui a au demeurant été implicitement mais nécessairement rapportée par le déféré formé par le préfet devant le tribunal administratif de Poitiers le 16 septembre 2022, doivent être rejetées comme irrecevables.
Sur le déféré préfectoral :
12. Aux termes de l'article R. 351-9 du code de justice administrative : " Lorsqu'une juridiction à laquelle une affaire a été transmise en application du premier alinéa de l'article R. 351-3 n'a pas eu recours aux dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 351-6 ou lorsqu'elle a été déclarée compétente par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, sa compétence ne peut plus être remise en cause ni par elle-même, ni par les parties, ni d'office par le juge d'appel ou de cassation, sauf à soulever l'incompétence de la juridiction administrative. "
13. Le déféré formé par le préfet de la Charente-Maritime à l'encontre du permis de construire modificatif délivré par le maire de Rochefort le 8 mars 2022 a été transmis à la cour par une ordonnance du président du tribunal administratif de Poitiers du 15 mars 2023. La cour n'ayant pas, dans le délai de trois mois prévu par les dispositions précitées, eu recours aux dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 351-6 du code de justice administrative, sa compétence ne peut plus être remise en cause et il y a lieu de statuer sur la demande du préfet de la Charente-Maritime.
14. Aux termes de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme : " Le permis de construire, d'aménager ou de démolir est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de trois ans à compter de la notification mentionnée à l'article R. 424-10 ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue. / Il en est de même si, passé ce délai, les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année. (...) ". L'article R. 424-19 du même code dispose : " En cas de recours devant la juridiction administrative contre le permis ou contre la décision de non-opposition à la déclaration préalable ou de recours devant la juridiction civile en application de l'article L. 480-13, le délai de validité prévu à l'article R. 424-17 est suspendu jusqu'au prononcé d'une décision juridictionnelle irrévocable. / Il en va de même, en cas de recours contre une décision prévue par une législation connexe donnant lieu à une réalisation différée des travaux dans l'attente de son obtention. "
15. Il ressort des pièces du dossier que le recours formé par un voisin du projet contre le permis de construire initialement délivré à la société Austral le 28 mai 2015 a été rejeté par le tribunal administratif de Poitiers par un jugement du 7 juin 2017. Par une ordonnance du 24 août 2018, notifiée aux parties le même jour, la présidente de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a donné acte à ce demandeur de son désistement de l'appel formé contre ce jugement. Cette décision est devenue irrévocable à l'expiration du délai de pourvoi en cassation de deux mois, soit le 24 octobre 2018. Par ailleurs, la SARL CGDèv justifie, par la production de la déclaration d'ouverture de chantier qu'elle a adressée à la commune de Rochefort le 24 septembre 2020 et qui n'est pas contestée par le préfet de la Charente-Maritime, avoir débuté les travaux autorisés par le permis de construire initial le 10 juillet 2020. Le début de ces travaux avant l'expiration du délai de trois ans ayant commencé à courir le 24 octobre 2018 est corroboré par les données publiques de référence produites par l'Institut géographique national et librement accessibles au public sur le site internet geoportail.gouv.fr desquelles il ressort que le gros œuvre du bâtiment principal était achevé au mois de juillet 2021. Dans ces conditions, le préfet de la Charente-Maritime n'est pas fondé à soutenir que le permis de construire initial aurait été périmé à la date de délivrance du permis de construire modificatif le 8 mars 2022.
16. L'autorité compétente, saisie d'une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d'un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise n'est pas achevée, dès lors que les modifications envisagées n'apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.
17. Ainsi qu'il a été exposé au point 7 ci-dessus, les modifications du permis initial sollicitées par la société CGDèv n'apportent pas au projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même, de sorte que le moyen soulevé par le préfet tiré de ce qu'elles ne pouvaient être autorisées par un permis de construire modificatif doit être écarté.
18. Ainsi qu'il a été indiqué aux points 3 et 4 ci-dessus, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet initial ou le projet faisant l'objet du permis de construire modificatif litigieux serait soumis à une autorisation d'exploitation commerciale en application des dispositions de l'article L. 752-1 du code de commerce. Par suite, le préfet de la Charente-Maritime ne peut utilement soutenir, au soutien de ses conclusions à fin d'annulation du permis de construire modificatif délivré le 8 mars 2022, qu'à la date de sa délivrance le permis de construire initial était périmé en tant qu'il valait autorisation d'exploitation commerciale.
19. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Charente-Maritime n'est pas fondé à demander l'annulation du permis de construire modificatif délivré par le maire de Rochefort à la SARL CGDèv le 8 mars 2022. Son déféré doit, par suite, être rejeté.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que demandent les sociétés Arbela et Les Platanes soit mise à la charge de la SARL CGdèv, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge des SAS Arbela et Les Platanes, d'une part, et à la charge de l'Etat, d'autre part, une somme de 1 500 euros chacun à verser à la SARL CGDèv au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés pour les besoins du litige.
DECIDE :
Article 1er : La requête des SAS Arbela et Les Platanes est rejetée.
Article 2 : Le déféré du préfet de la Charente-Maritime tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 mars 2022 par lequel le maire de Rochefort a délivré à la SARL CGDèv un permis de construire modificatif est rejeté.
Article 3 : Les SAS Arbela et Les Platantes, d'une part, et l'Etat, d'autre part, verseront chacun à la SARL CGDèv la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Arbela, à la SAS Les Platanes, à la SARL CGDèv, à la commune de Rochefort et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime et à la commission nationale d'aménagement commercial de Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la cour,
Mme Evelyne Balzamo, présidente de la 1ère chambre,
Mme Kolia Gallier Kerjean, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2024.
La rapporteure,
Kolia Gallier KerjeanLe président,
Luc Derepas
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Nos 22BX02375, 23BX01648 2