Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
La SCI La Viennoiserie a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les titres exécutoires émis à son encontre les 6 septembre 2019 et 23 octobre 2020 par le maire de la commune de Saint-Etienne-de-Tinée pour le recouvrement de la somme totale de 149 400,04 euros.
Par un jugement n° 1906076, 2005363 du 25 avril 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Procédure devant la cour :
I°) Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 juin 2023 et 21 janvier 2024, sous le n° 23MA01580, la SCI La Viennoiserie, représentée Me Lentilhac, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 avril 2023 ;
2°) d'annuler le titre exécutoire du 6 septembre 2019 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Étienne-de-Tinée une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le contrat qui la lie à la commune est un bail emphytéotique administratif au regard des dispositions de l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales ; la construction et l'exploitation d'une centrale hydroélectrique constituent une opération d'intérêt général ; la commune est à l'initiative du projet qui entre dans ses compétences ; elle lui a imposé une obligation de construction selon les plans qu'elle avait fait établir et en gardant un pouvoir de contrôle sur sa bonne réalisation, renvoyant au président du tribunal administratif le cas échéant pour la désignation d'un tiers afin de constater l'achèvement ; une obligation d'entretien de l'ouvrage lui est également imposée, avec contrôle de la commune, à qui les biens reviennent sans indemnité en fin de bail ; son droit réel ne peut être cédé sans l'agrément préalable de la collectivité ; le litige relève donc de la compétence des juridictions administratives et le jugement est irrégulier ;
- le titre litigieux méconnait l'article R. 2125-13 du code général de la propriété des personnes publiques applicable quand bien même le contrat a été conclu antérieurement à son entrée en vigueur ; la redevance recouvrée est largement supérieure à 3 % du chiffre d'affaires annuel généré par l'exploitation de l'ouvrage ;
- en tout état de cause l'économie générale du contrat a été bouleversée notamment par la baisse du prix de l'électricité, rendant son application insoutenable ; la théorie de l'imprévision doit trouver à s'appliquer.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 juillet et 28 août 2023, la commune de Saint-Étienne-de-Tinée, représentée par Me Rometti, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SCI La Viennoiserie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève et qu'elle se heurte à l'autorité de chose jugée d'un arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
II°) Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 juin 2023 et 21 janvier 2024, sous le n° 23MA01582, la SCI La Viennoiserie, représentée Me Lentilhac, demande à la cour d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement du 25 avril 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation du titre exécutoire du 6 septembre 2019.
Elle soutient qu'elle n'a pas la capacité financière de régler les sommes en litige et que leur recouvrement doit être suspendu, le titre exécutoire étant illégal pour les motifs exposés dans l'instance n° 23MA01580.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2023, la commune de Saint-Étienne-de-Tinée, représentée par Me Rometti, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la SCI La Viennoiserie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.
III°) Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 juin 2023 et 21 janvier 2024, sous le n° 23MA01583, la SCI La Viennoiserie, représentée Me Lentilhac, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 avril 2023 ;
2°) d'annuler le titre exécutoire du 23 octobre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Étienne-de-Tinée une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle présente les mêmes moyens que ceux exposés dans l'instance n° 23MA01580.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2023, la commune de Saint-Étienne-de-Tinée, représentée par Me Rometti, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SCI La Viennoiserie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle présente les mêmes moyens que ceux exposés dans l'instance n° 23MA01580.
IV°) Par une requête enregistrée le 25 juin 2023, régularisée le 3 juillet suivant, et un mémoire, enregistré le 21 janvier 2024, sous le n° 23MA01584, la SCI La Viennoiserie, représentée Me Lentilhac, demande à la cour d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement du 25 avril 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation du titre exécutoire du 23 octobre 2020.
Elle présente les mêmes moyens que ceux exposés dans l'instance n° 23MA01582.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2023, la commune de Saint-Étienne-de-Tinée, représentée par Me Rometti, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la SCI La Viennoiserie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle présente les mêmes moyens que ceux exposés dans l'instance n° 23MA01582.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Lentilhac, représentant la SCI La Viennoiserie.
Considérant ce qui suit :
1. Par contrat du 24 juin 1996, modifié par avenant du 18 juin 1997, la commune de Saint-Etienne de Tinée a donné à " bail de longue durée ", pour une période de 99 ans à compter du 29 juillet 1991, à la société Hydro Saint-Etienne de Tinée, une parcelle de terre nue en bordure du torrent " Roya " à l'effet que celle-ci y construise puis y exploite une micro-centrale hydro-électrique, ce contrat étant indissociable de la qualité de permissionnaire de l'autorisation d'exploiter l'énergie du torrent, obtenue par la commune et transférée au preneur. Avec l'agrément du bailleur, la société établissements Gheerbrant, ayant repris les droits de la société Hydro Saint-Etienne de Tinée par transmission universelle de patrimoine, a cédé ce droit au bail à la SCI La Viennoiserie par acte du 23 octobre 2009. Par deux titres exécutoires des 6 septembre 2019 et 23 octobre 2020, le maire de la commune de Saint-Etienne de Tinée a mis à la charge de la SCI La Viennoiserie, pour chacun des exercices 2019 et 2020, la redevance prévue contractuellement pour le droit d'exploitation et la prise à bail, correspondant, eu égard au chiffre d'affaires généré par l'activité, au montant plancher minimum de 490 000 francs (74 700 euros) par an.
2. Par ses requêtes, enregistrées au greffe de la cour sous les n° 23MA01580 et 23MA01583, la SCI La Viennoiserie relève appel du jugement du tribunal administratif de Nice du 25 avril 2023 ayant rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de ces titres exécutoires comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. Par ses requêtes, enregistrées sous les n° 23MA01582 et 23MA01584, elle demande à la cour d'ordonner le sursis à l'exécution de ce jugement. Ces requêtes concernent un même jugement, présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
3. En premier lieu, l'ouvrage construit ne relève pas, eu égard à sa puissance, du régime de la concession en application des dispositions des articles 1er et 2 de la loi du 16 octobre 1919, en vigueur à la date de la signature du contrat.
4. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 1713 du code civil : " On peut louer toutes sortes de biens meubles ou immeubles ".
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime : " Le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d'hypothèque ; ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière. / Ce bail doit être consenti pour plus de dix-huit années et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans ; il ne peut se prolonger par tacite reconduction ".
6. Enfin, aux termes du 1er alinéa de l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable à la date de signature du contrat : " - Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet, en faveur d'une personne privée, d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural, en vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une mission de service public ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence ". En application du 1° de l'article L. 1311-3 du même code les droits résultant d'un tel bail ne peuvent être cédés qu'avec l'agrément de la collectivité territoriale et, en application du 4° du même article : " Les litiges relatifs à ces baux sont de la compétence des tribunaux administratifs ".
7. En l'espèce, le contrat litigieux n'est pas cessible librement et impose au preneur de construire une micro-centrale hydro-électrique sur la parcelle louée, de sorte qu'il ne peut s'agir d'un bail emphytéotique tel que prévu à l'article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime. Néanmoins, en ce qu'il se borne à prévoir la construction de l'ouvrage en vue de son exploitation par le preneur, laquelle ne fait l'objet d'aucun encadrement, sans apporter de précision quant à l'objectif poursuivi par la commune de Saint-Etienne de Tinée, ce contrat ne peut être regardé comme visant à la réalisation d'une opération d'intérêt général au sens des dispositions de l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales, quand bien même la collectivité serait à l'initiative du projet. Il ne constitue dès lors pas davantage un bail emphytéotique administratif. Contrairement à ce que soutient la requérante, le contrat litigieux ne comporte par ailleurs aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, s'agissant de l'agrément de l'éventuel cessionnaire, du contrôle de la bonne réalisation ou du bon entretien de l'ouvrage, lequel revient dans le patrimoine communal au terme du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs et non de celui fixé par les dispositions des articles 1713 et suivants du code civil auxquelles il renvoie. Ainsi, et alors même qu'il y est mentionné la saisine du président du tribunal administratif en cas de contestation de l'achèvement de l'ouvrage, le contrat du 24 juin 1996 revêt le caractère d'un contrat de droit privé de sorte que la contestation soulevée par la SCI La Viennoiserie relève de la compétence de la juridiction judiciaire.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI La Viennoiserie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation des titres exécutoires des 6 septembre 2019 et 23 octobre 2020 comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Ses conclusions tendant à l'annulation dudit jugement comme, par voie de conséquence, à ce qu'il soit sursis à son exécution, doivent dès lors être rejetées.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Saint-Etienne de Tinée qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI La Viennoiserie une somme globale de 3 000 euros à verser à la commune de Saint-Etienne de Tinée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Les requêtes de la SCI La Viennoiserie sont rejetées.
Article 2 : La SCI La Viennoiserie versera une somme globale de 3 000 euros à la commune de Saint-Étienne-de-Tinée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI La Viennoiserie et à la commune de Saint-Étienne-de-Tinée.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2024.
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N° 23MA01580, 23MA01582, 23MA01583, 23MA01584
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