Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 7 février 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2301098 du 5 juillet 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 octobre 2023 et un mémoire enregistré le 25 mars 2024, complété d'une pièce le 5 avril 2024, M. B..., représenté en dernier lieu par Me Bruneau, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 juillet 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 7 février 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Guyane de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou subsidiairement de réexaminer sans situation dans ce même délai, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il n'est pas justifié de la compétence de l'auteur de l'acte ;
- il réside en France depuis plus de dix ans et par conséquent la commission du titre de séjour devait être consultée en application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision litigieuse du 7 février 2023 est intervenue en violation de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le refus de délivrance de son titre de séjour est intervenu en violation de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire français est dépourvu de fondement légal compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne des droits de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est dépourvue de fondement légal compte tenu de l'illégalité de la mesure d'éloignement.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 mars 2024, le préfet de la Gironde se réfère à ses écritures de première instance.
Par une décision du 3 octobre 2023 M. B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité algérienne, est entré en France en dernier lieu en mai 2018, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier. Le 29 août 2018, à la suite d'une interpellation par les services de police, le préfet de la Gironde a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans délai assortie d'une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans. M. B... n'a pas exécuté cette mesure s'est vu délivrer le 5 janvier 2021 un titre de séjour au titre de sa prise en charge médicale, dont il obtenu le renouvellement jusqu'au 9 février 2023. Il a sollicité le renouvellement de ce titre le 17 octobre 2022 mais, par un arrêté du 7 février 2023, le préfet de la Gironde a refusé ce renouvellement et a obligé l'intéressé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination. M. B... relève appel du jugement du 5 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 7 février 2023.
2. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui a levé le secret médical, souffre de schizophrénie paranoïde, diagnostiquée en avril 2020 lors d'une hospitalisation faisant suite à une tentative de suicide. Le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a estimé par un avis du 16 janvier 2023 que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais que, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Le requérant produit toutefois des certificats médicaux rédigés par différents psychiatres, les 14, 15, 17 et 20 février 2023 qui, s'ils ne se prononcent pas sur la disponibilité en Algérie du traitement délivré à l'intéressé, relèvent néanmoins que le soutien de psychothérapie institutionnelle apportée en France par l'intégration en ateliers thérapeutiques de groupe en hôpital de jour, auquel M. B... adhère pleinement, a permis de stabiliser les symptômes et de mettre fin à une situation d'errance pathologique. Ces médecins soulignement unanimement qu'un retour dans le pays d'origine, qui ne peut proposer un dispositif de soins équivalent, " compromettrait gravement un équilibre difficilement obtenu (...) avec un risque de décompensation aigue " et " ferait courir un risque majeur de rechute, qui pourrait passer par une réactivation de la symptomatique psychotique (...) portant le risque non négligeable d'un passage à l'acte suicidaire ". Il ressort également des pièces du dossier que par un jugement du 30 mai 2022, qui indique que l'état de santé de M. B... " ne lui permet pas de prendre seul, de manière éclairée, toutes les décisions personnelles ", celui-ci est placé sous curatelle renforcée jusqu'au 30 mai 2027. En outre, le requérant soutient sans être contredit qu'il ne dispose pas de famille proche en Algérie et y serait en situation d'isolement dès lors que sa mère de nationalité française vit à Agen, que son père réside régulièrement en Espagne et son frère unique en France. Ce dernier et son épouse attestent de leurs liens de proximité avec le requérant, qu'ils ont hébergé pendant plusieurs années avant qu'il soit accueilli dans un appartement associatif dans le cadre de son parcours de soins. Enfin, les témoignages produits font état de l'implication de l'intéressé dans ce parcours ainsi que dans un projet d'insertion professionnelle. Aussi, dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu de considérer que l'arrêté par lequel le préfet de la Gironde a refusé à M. B... la délivrance d'un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français en fixant le pays de renvoi est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de l'intéressé.
3. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... a fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 7 février 2023.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
4. Eu égard au motif d'annulation retenu ci-dessus, le présent arrêt implique que le préfet de la Gironde délivre à M. B..., dans un délai de deux mois à compter de sa notification, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Bruneau, avocat de M. B..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de la Gironde du 7 février 2024 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Bruneau une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Me Bruneau, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 14 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juin 2024.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président-rapporteur,
Laurent A... La greffière,
Chirine Michallet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°23BX02674 2