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06/05/2025 | FRANCE | N°23BX02291

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 06 mai 2025, 23BX02291


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 25 mars 2021 par laquelle le président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a prononcé à son encontre une exclusion temporaire de fonctions de 24 mois dont 12 mois avec sursis.



Par un jugement n° 2100689 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Limoges a annulé cette décision.



Procédure de

vant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 août et 21 novembre 2023, ainsi qu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 25 mars 2021 par laquelle le président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a prononcé à son encontre une exclusion temporaire de fonctions de 24 mois dont 12 mois avec sursis.

Par un jugement n° 2100689 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Limoges a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 août et 21 novembre 2023, ainsi que le 5 janvier 2024, l'INSERM, représenté par la SCP Waquet-Farge-Hazan, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 20 juin 2023 du tribunal administratif de Limoges ;

2°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est attaqué est insuffisamment motivé ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit, dès lors que le moyen tiré du vice de procédure était inopérant ;

- la décision du 25 mars 2021 n'a pas été prise à l'issue d'une procédure irrégulière ;

- les autres moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 octobre et 13 décembre 2023, M. C..., représenté par Me Chainay, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'INSERM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués dans la requête sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l'exercice 1905 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vincent Bureau,

- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,

- et les observations de Me Chainay, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., directeur de recherche de 2ème classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) en poste sur le site de Rennes au sein de l'unité 1242 a fait l'objet, après avoir été suspendu temporairement de ses fonctions, d'une révocation par une décision du 4 juin 2019 du président-directeur général de cet établissement. A la suite de l'annulation de cette décision par le tribunal administratif de Rennes par un jugement n°s 1903706,1903332 du 14 janvier 2021, cette même autorité a prononcé par une décision du 25 mars 2021 l'exclusion temporaire de fonctions de l'intéressé pour une durée de 24 mois dont 12 mois avec sursis. L'INSERM relève appel du jugement du 20 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Limoges a annulé cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 : " Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardé dans leur avancement à l'ancienneté ". Aux termes de l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes ".

3. Dans le cas où, pour prendre une sanction à l'encontre d'un agent public, l'autorité disciplinaire se fonde sur le rapport établi à la suite d'une enquête administrative, elle doit mettre cet agent à même de prendre connaissance de celui-ci ou des parties de celui-ci relatives aux faits qui lui sont reprochés, ainsi que des témoignages recueillis par les enquêteurs dont elle dispose, notamment ceux au regard desquels elle se détermine. Toutefois, lorsque résulterait de la communication d'un témoignage un risque avéré de préjudice pour son auteur, l'autorité disciplinaire communique ce témoignage à l'intéressé, s'il en forme la demande, selon des modalités préservant l'anonymat du témoin. Elle apprécie ce risque au regard de la situation particulière du témoin vis-à-vis de l'agent public mis en cause, sans préjudice de la protection accordée à certaines catégories de témoins par la loi.

4. Dans le cas où l'agent public se plaint de ne pas avoir été mis à même de demander communication ou de ne pas avoir obtenu communication d'une pièce ou d'un témoignage utile à sa défense, il appartient au juge d'apprécier, au vu de l'ensemble des éléments qui ont été communiqués à l'agent, si celui-ci a été privé de la garantie d'assurer utilement sa défense.

5. Il ressort des pièces du dossier que la décision d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de M. C..., qui a conduit au prononcé de la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de 24 mois assortie d'un sursis de 12 mois, a été prise au vu d'un rapport remis en avril 2019 à l'issue d'une enquête administrative. Il ressort également des pièces du dossier que 33 personnes ont été entendues lors de cette enquête administrative et que ces entretiens ont donné lieu à des comptes-rendus. Or, M. C... se plaint de ce que seuls 25 de ces comptes-rendus d'entretiens lui ont été communiqués. Toutefois, il est constant que les 8 comptes-rendus manquants n'ont pas été davantage transmis au conseil de discipline et que la sanction d'exclusion temporaire de fonctions n'a pas été prise sur leur fondement. Il ressort également des pièces du dossier que six de ces comptes-rendus d'entretien n'ont pas été exploités à la suite de l'enquête administrative en raison du refus des témoins de les signer, ce qui était en tout état de cause de nature à leur ôter toute valeur probante, et les deux derniers en raison d'un véto de l'employeur de ces témoins. En outre, M. C... avait connaissance de l'existence de ces comptes-rendus d'entretien, dont la mention figurait dans le rapport d'avril 2019 qui lui avait été communiqué et qui était au dossier consulté, et n'a pas pour autant demandé la communication de ces pièces. Dans ces conditions, l'INSERM est fondé à soutenir que la décision litigieuse n'a pas été prise à l'issue d'une procédure irrégulière.

6. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges s'est fondé sur une irrégularité de procédure tenant à la non communication de l'intégralité des témoignages recueillis pour annuler la décision du 25 mars 2021 du président-directeur général de l'INSERM.

7. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Limoges et devant la cour.

8. En premier lieu, aux termes de l'article 41 du décret du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires : " Les commissions administratives ne délibèrent valablement qu'à la condition d'observer les règles de constitution et de fonctionnement édictées par la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat et par le présent décret, ainsi que par le règlement intérieur (...) ". Aux termes de l'article 31 du même décret : " (...) Le président de la commission peut convoquer des experts à la demande de l'administration ou à la demande des représentants du personnel afin qu'ils soient entendus sur un point inscrit à l'ordre du jour. / Les experts ne peuvent assister qu'à la partie des débats, à l'exclusion du vote, relative aux questions pour lesquelles leur présence a été demandée ".

9. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., délégué régional Grand-Ouest de l'INSERM, qui a procédé à l'enquête administrative sur les agissements reprochés à M. C..., a assisté au conseil de discipline en qualité d'expert. Toutefois, alors qu'il ressort du procès-verbal du conseil de discipline qu'il n'a participé ni au délibéré ni au vote du conseil et qu'il n'a fait preuve d'aucune partialité en défaveur de M. C..., sa présence n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, entaché d'irrégularité l'avis rendu par le conseil de discipline.

10. En deuxième lieu, la circonstance que M. A... ait demandé à rencontrer M. C... le 6 mars 2019 pour recueillir des éléments de fond sur la procédure, sans l'assistance d'un conseil et sans formalisation de cet échange, est sans incidence sur le caractère contradictoire de la procédure disciplinaire et les droits de la défense, contrairement à ce que soutient l'intéressé, dès lors que cette rencontre a eu lieu en amont du déclenchement de cette procédure. Il n'est en outre nullement établi par M. C... que M. A... aurait agi à cette occasion de manière déloyale.

11. En troisième lieu, M. C... soutient que la règle " non bis in idem " a été méconnue dès lors que, par une décision du 13 novembre 2019, il a fait l'objet, pour les mêmes faits que ceux fondant la sanction litigieuse, d'un déplacement d'office à l'unité mixte de recherche 1262 à Limoges. Il ressort des pièces du dossier que cette décision du 13 novembre 2019 a été prise par l'INSERM à la suite de la suspension, par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes du 22 juillet 2019, de la décision du 4 juin 2019 par laquelle le président-directeur-général avait prononcé la sanction de révocation à l'encontre de M. C..., et de la suspension également, par une ordonnance du même juge du 11 octobre 2019, de la décision du 26 juillet 2019 par laquelle le président-directeur-général a refusé de le réintégrer dans ses fonctions. Il ressort également des pièces du dossier que l'intéressé a expressément donné son accord, dans ce contexte, pour être affecté de manière temporaire au sein de l'unité de Limoges le temps que la procédure juridictionnelle aboutisse. Dans ces conditions, alors que cette décision d'affectation temporaire, qui n'a pas été contestée par M. C..., a été prise dans l'intention de préserver à la fois l'intérêt du service mais également celui de l'agent et non pour sanctionner ce dernier, il n'est pas fondé à soutenir que la règle " non bis in idem " a été méconnue.

12. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que la sanction litigieuse est fondée sur le comportement déplacé de M. C... envers quatre doctorantes et post-doctorantes qui travaillaient sous sa direction au sein de l'unité 1242. Il lui est reproché d'avoir tenu à leur égard, de manière répétée, des propos vexatoires et humiliants, recueillis lors de l'enquête administrative et dont le contenu a été produit dans le cadre de la procédure disciplinaire. Si le grief repose essentiellement sur les témoignages directs des intéressées, M. C... ne peut toutefois être regardé comme remettant utilement en cause la réalité et l'exactitude des propos et comportement dénoncés par les témoignages recueillis, dont la teneur est suffisamment circonstanciée et qui dénoncent de manière concordante son comportement inapproprié à l'égard de certains membres du personnel. En outre, le médecin de prévention a reçu les quatre doctorantes concernées en entretien et a retenu, pour trois d'entre elles, l'expression d'un retentissement de leurs relations individuelles de travail avec M. C... sur leur santé physique et morale et, pour la quatrième, une atteinte à sa santé morale due à un comportement à connotation sexiste et des violence verbales de la part de ce même supérieur. Dans ces conditions, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la matérialité des faits qui lui sont reprochés est insuffisamment établie.

13. En cinquième lieu, compte tenu des fonctions de l'intéressé et des responsabilités qui s'attachent à l'exercice de celles-ci, en particulier de son positionnement hiérarchique à l'égard des doctorantes concernées, de la gravité des agissements reprochés, constitutifs de fautes, ainsi que de leur récurrence, M. C..., qui ne peut utilement se prévaloir de l'ambiance à tendance " grivoise " dans le service et de la circonstance qu'un autre directeur de recherche de l'INSERM n'a été sanctionné que d'un blâme pour des faits selon lui similaires, n'est pas fondé à soutenir que le président-directeur-général de l'INSERM a prononcé à son encontre une sanction disproportionnée en l'excluant de ses fonctions pour une durée de 24 mois, dont 12 mois avec sursis.

14. En sixième et dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué par M. C... n'est pas établi, aucune pièce du dossier n'accréditant, notamment, l'allégation de l'intéressé selon laquelle il aurait été poursuivi disciplinairement afin de l'écarter de l'unité de Rennes avant qu'il en prenne la direction.

15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens relatifs à la régularité du jugement, que l'INSERM est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision du 25 mars 2021 de son président-directeur général.

Sur les frais liés au litige :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... la somme de 1 500 euros à verser à l'INSERM au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'INSERM, qui n'est pas la partie perdante.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2100689 du 20 juin 2023 du tribunal administratif de Limoges est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Limoges et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.

Article 3 : M. C... versera à l'INSERM la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Institut national de santé et de recherche médicale et à M. B... C....

Délibéré après l'audience du 15 avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Valérie Réaut, première conseillère,

M. Vincent Bureau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.

Le rapporteur,

Vincent Bureau

Le président,

Laurent Pouget

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX02291


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02291
Date de la décision : 06/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Vincent BUREAU
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : CABINET AVOCATS EFFICIA

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-06;23bx02291 ?
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