Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'enjoindre à la commune de Boulogne-Billancourt de procéder à son reclassement sur un poste compatible avec son état de santé, de condamner la commune de Boulogne-Billancourt à lui verser une somme de 20 891,88 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, et de mettre à la charge de la commune de Boulogne-Billancourt la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1511019 du 10 juillet 2018, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement le 5 septembre 2018, le 24 octobre 2018, le 7 juin 2019, le 9 juillet 2019, et le 14 novembre 2019, M. A..., représenté par Me Arayo, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de condamner la commune de Boulogne-Billancourt à lui verser une somme de 20 891,88 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'agissements répétés de harcèlement moral et de discriminations ;
3° de mettre à la charge de la commune de Boulogne-Billancourt la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé et ne répond pas à l'ensemble des questions posées par le requérant ;
- les premiers juges ont inexactement apprécié les faits de l'espèce et commis une erreur de droit ;
- il a été victime d'agissements répétés de harcèlement moral de la part de son chef de service ; en outre, il a dû attendre plusieurs années avant d'obtenir de sa hiérarchie une affectation sur un autre poste ; de même, aucune disposition n'a été prise alors qu'il souffrait d'un syndrome anxio-dépressif ;
- il a également subi des discriminations, en raison de son engagement syndical et de sa nationalité, en méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la loi du 27 mai 2008.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénal ;
- le code du travail ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Cabon, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., pour la commune de Boulogne-Billancourt.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 5 septembre 1966, a été recruté en 1987 par la commune de Boulogne-Billancourt en qualité de vacataire. Il a été titularisé à compter du 1er avril 1995 dans le cadre d'emplois des adjoints techniques et a exercé les fonctions de gardien des installations sportives au sein de la direction des sports. Par un courrier du 25 août 2015, M. A... a demandé au maire de la commune de Boulogne-Billancourt la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'agissements répétés de harcèlement moral et de discriminations depuis 2008. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. A... relève appel du jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 10 juillet 2018 en ce qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de la commune de Boulogne-Billancourt à lui verser la somme de 20 891,88 euros en réparation de ses préjudices.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué, en particulier de ses points 4 à 14, que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par l'intéressé, a suffisamment précisé les raisons pour lesquelles il a estimé que les faits allégués par le requérant n'étaient pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ou de discriminations. Par suite, le moyen tiré par le requérant de ce que le jugement entrepris serait irrégulier, faute d'une motivation suffisante et de réponse à l'ensemble des questions posées par le requérant, ne peut qu'être écarté.
3. En second lieu, si M. A... soutient que les premiers juges ont inexactement apprécié les faits de l'espèce et commis une erreur de droit, ces moyens, qui se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal administratif, ne sont pas de nature à entacher ce jugement d'irrégularité.
Au fond :
En ce qui concerne le harcèlement moral :
4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".
5. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
6. En premier lieu, M. A... soutient qu'il a été victime d'agissements répétés de harcèlement moral commis par son chef de service depuis 2008, et reprend en appel les arguments développés en première instance en faisant valoir qu'il a alerté en vain sa hiérarchie par deux courriers des 26 novembre 2008 et 7 décembre 2011, qu'à son retour de congé de longue maladie le 2 mars 2014, il a de nouveau été affecté à des fonctions de gardien des installations sportives mais ne s'est pas vu aussitôt remettre les clés des gymnases concernés, que les deux casiers professionnels mis à sa disposition dans les gymnases " Voisin " et " Biodiversité " ont été forcés, en son absence, le 16 avril 2014 pour le premier, et entre le 20 et le 24 novembre 2014 pour le second, qu'il a fait l'objet de discriminations liées à sa double nationalité, et que son chef de service n'a accepté de l'inscrire à des formations que pendant ses jours de congés. Toutefois, ces allégations, qui ne comportent aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée devant le tribunal, ne sont pas de nature, pour les motifs retenus à juste titre par les premiers juges, à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de l'intéressé.
7. En deuxième lieu, M. A... soutient que la commune de Boulogne-Billancourt n'a jamais mis à sa disposition les moyens nécessaires à l'exercice de son mandat syndical et fait valoir à l'appui de cette allégation que son chef de service lui a refusé la création d'une adresse électronique personnelle réservée à cet exercice. Toutefois, il résulte de l'instruction, et en particulier du courriel adressé par l'intéressé à son chef de service le 2 octobre 2014, que sa demande n'était pas motivée par l'exercice de ses fonctions syndicales mais par des considérations personnelles. En tout état de cause, un tel refus n'est pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
8. En troisième lieu, le requérant soutient qu'il a subi des propos vexatoires et humiliants de la part de son chef de service et produit au soutien de cette allégation cinq attestations établies en 2014 et 2015 par des collègues de la direction des sports. Toutefois, si ceux-ci affirment en effet que M. A... a fait l'objet de brimades et de remontrances répétées, de critiques infondées et de tentatives de déstabilisation, notamment en lien avec l'exercice de ses fonctions syndicales, ces déclarations ne sont pas suffisamment circonstanciées et ne sont pas corroborées par les autres pièces versées au dossier, et en particulier les échanges de courriels entre l'intéressé et son chef de service au cours de l'année 2014. Si sa hiérarchie lui a demandé de justifier sa double nationalité pour lui accorder un congé exceptionnel en 2014 alors qu'une telle demande ne lui avait pas été faite pour des congés antérieurs, cette circonstance n'est pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Enfin, si M. A... a souffert à partir de l'année 2009 d'un syndrome anxio-dépressif qui a été reconnu comme maladie professionnelle par la commune le 4 novembre 2015 et s'il a été victime d'un accident vasculaire cérébral en 2013, il ne résulte pas de l'instruction que la dégradation de son état de santé serait en lien avec des agissements de harcèlement moral qu'il aurait subis.
9. En quatrième lieu, si M. A... a fait part de ses difficultés avec sa hiérarchie dès novembre 2008, il produit lui-même un courrier signé par le maire-adjoint chargé des ressources humaines que ce dernier a demandé au directeur des ressources humaines de le recevoir. Il n'est pas établi que cet entretien n'a pas eu lieu. En tout état de cause, il appartenait à M. A... de solliciter cet entretien en se prévalant de cette réponse. En outre, la circonstance qu'il n'a pas été répondu favorablement aux demandes de changements de postes exprimées par M. A..., en particulier dans ses courriers au maire des 7 décembre 2011 et 17 novembre 2014, ne suffit pas à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Son poste a été aménagé conformément à l'avis du médecin de prévention à partir de mars 2014. A la suite d'un avis d'inaptitude du comité médical du 28 octobre 2014, M. A... a été reclassé dans l'emploi d'agent de navettes entre bibliothèques. Il n'est pas établi que l'intéressé ne pouvait être reclassé dans cet emploi en raison de son état de santé, un autre agent étant chargé de la conduite de la navette, et que la commune de Boulogne-Billancourt aurait manqué à ses obligations en matière de reclassement, les démarches entreprises ayant été interrompues à la suite du placement de l'intéressé en congé maladie à compter du 5 février 2015. Il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté que M. A... a refusé les propositions de reclassements qui lui ont été faites les 13 novembre 2014 et 5 février 2015, ainsi qu'il résulte d'un courrier du maire-adjoint du 21 avril 2016.
10. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction, et des éléments exposés ci-dessus, que la commune de Boulogne-Billancourt aurait méconnu l'article 223-6 du code pénal relatif au délit de non-assistance à personne en danger, l'article 2-1 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale, disposant que " les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ", et l'article L. 4121-1 du code du travail aux termes duquel " l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ".
En ce qui concerne les discriminations :
11. D'une part, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".
12. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. / Toutefois des distinctions peuvent être faites afin de tenir compte d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions. (...) Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il a subi ou refusé de subir des agissements contraires aux principes énoncés au deuxième alinéa du présent article ; 2° Le fait qu'il a formulé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire respecter ces principes ; 3° Ou bien le fait qu'il a témoigné d'agissements contraires à ces principes ou qu'il les a relatés. (...) ". Aux termes de l'article 4 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le fait que la victime ait seulement poursuivi l'objectif de démontrer l'existence d'un agissement ou d'une injonction discriminatoire n'exclut pas, en cas de préjudice causé à cette personne, la responsabilité de la partie défenderesse. (...) ".
13. Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
14. En premier lieu, si M. A... soutient qu'il a été victime de discriminations en raison de sa double nationalité et de ses fonctions syndicales, ce moyen doit être écarté pour les motifs exposés aux points 6 à 10.
15. En second lieu, si M. A... soutient qu'il a été victime d'une discrimination liée à son état de santé, dès lors que l'administration a refusé, en raison même de sa maladie et du handicap en résultant, son inscription au tableau d'avancement au grade d'adjoint technique principal de première classe, il ne l'établit pas par la production d'un formulaire de la direction des ressources humaines relatif à l'avancement de grade, renseigné par sa hiérarchie en décembre 2017, indiquant que " du fait de son absence, [il] ne peut montrer ses capacités à satisfaire au cadre d'emplois sur lequel la promotion est proposée ". De même, si le requérant verse au dossier un courriel du service carrières et paies du 1er avril 2019, indiquant qu'il est promouvable au grade d'adjoint technique principal de première classe, ce document n'est pas davantage de nature à établir la discrimination alléguée, non plus que l'existence d'une sanction déguisée.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Boulogne-Billancourt, qui n'est pas la partie perdante, verse au requérant une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Boulogne-Billancourt au titre de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête présentée par M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Boulogne-Billancourt au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
N° 18VE03159 2