Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... E... a d'abord demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision par laquelle le préfet du Morbihan a implicitement rejeté sa demande de titre de séjour, puis l'arrêté du 26 juin 2024 du préfet du Morbihan portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination et interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Par un jugement n° 2402250-2500239 du 25 avril 2025, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet du Morbihan de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée le 6 mai 2025 sous le n° 25NT01251, le préfet du Morbihan demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 avril 2025 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Rennes.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'un défaut d'examen, d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit ; il appartenait au tribunal de ne pas prendre en compte, pour le calcul de la durée de résidence en France de M. E..., de la période de présence postérieure à l'édiction de l'arrêté du 11 octobre 2021 par lequel le préfet de l'Essonne l'a obligé à quitter le territoire français et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision portant refus de titre de séjour méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; en s'abstenant d'exécuter la mesure d'éloignement édictée à son encontre et en étant connu pour diverses infractions ayant entraîné ses interpellations et signalements, M. E... ne manifeste pas de volonté de respecter les principes et valeurs de la République et de se conformer aux exigences légales d'insertion dans la société française.
Par un mémoire enregistré le 13 juin 2025, M. E..., représenté par Me Breton, conclut :
- au rejet de la requête du préfet du Morbihan,
- à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'admettre au séjour à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
- à ce que soit mise à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juin 2025.
II- Par une requête, enregistrée le 6 mai 2025 sous le n° 25NT01252, le préfet du Morbihan demande à la cour de prononcer le sursis à l'exécution du jugement
nos 2402250, 2500239 du 25 avril 2025 du tribunal administratif de Rennes, dans l'attente que la cour se prononce sur le fond de l'affaire.
Il soutient que ses moyens d'appel sont sérieux et de nature à entraîner l'annulation du jugement attaqué.
La requête a été communiquée à M. E... qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Brisson a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant tunisien né le 12 juillet 1998 à Kibili (Tunisie), déclare être arrivé sur le territoire français le 15 août 2015 muni d'un visa de court séjour. L'intéressé a sollicité le 20 juin 2023 la délivrance d'un titre de séjour, à titre principal, sur le fondement des stipulations l'article 3 de l'accord franco-tunisien, et à titre subsidiaire, sur le fondement des dispositions articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Du silence gardé sur cette demande pendant quatre mois est née une décision implicite de rejet. Par un arrêté du 26 juin 2024, le préfet du Morbihan a refusé de délivrer à
M. E... un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an. Le préfet du Morbihan relève appel du jugement du 25 avril 2025 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à M. E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
En ce qui concerne la requête n° 25NT01251 :
2. Eu égard à l'office du juge d'appel, qui est appelé à statuer, d'une part, sur la régularité de la décision des premiers juges et, d'autre part, sur le litige qui a été porté devant eux, les moyens tirés de ce que le tribunal administratif aurait insuffisamment examiné la situation de M. E... et aurait commis une erreur de droit ainsi qu'une erreur manifeste d'appréciation sont inopérants.
Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :
3. Il ressort des pièces du dossier que M. E... est entré en 2015, à l'âge de dix-sept ans, sur le territoire français muni d'un visa court séjour de type C valable du 11 août au 11 octobre 2015. Les différents documents qu'il a produit à l'appui de sa demande de titre de séjour font état d'une présence continue sur le territoire français depuis l'année 2015. Si M. E... se prévaut ainsi d'une durée de présence en France de près de neuf ans à la date de la décision contestée, celle-ci résulte exclusivement de son maintien en situation irrégulière à compter de sa majorité en 2016, en dépit d'une décision l'obligeant à quitter le territoire français prise à son encontre par le préfet de l'Essonne le 11 octobre 2021 qu'il ne justifie pas avoir exécutée. Par ailleurs, l'intéressé ne fournit aucune explication sur les raisons pour lesquelles il n'a cherché à régulariser sa situation que très tardivement en présentant une première demande de titre de séjour le 20 juin 2023. La réalité du concubinage allégué de l'intéressé avec une ressortissante française ne saurait être établie par les seules attestations dont se prévaut M. E.... Il ne fait état d'aucun membre de sa famille présent en France, à l'exception d'un oncle maternel à Corbeil-Essonnes (Essonne) qui l'a hébergé pendant quelques années après son arrivée en Franc et avec lequel il ne justifie pas entretenir des liens particulièrement forts, l'intéressé ayant d'ailleurs quitté la région parisienne pour s'installer à Vannes (Morbihan). Le requérant n'établit pas qu'il serait dépourvu d'attaches familiales en Tunisie où il a vécu toute son enfance et une grande partie de son adolescence. Il ressort des pièces du dossier que M. E... a occupé un premier emploi à Corbeil-Essonnes en tant que pâtissier pour la société Le fournil de Corbeil, ses bulletins de paie attestant qu'il a travaillé pour cette société du 1er janvier 2016 au 31 juillet 2019. Il a, ensuite, été recruté le 19 septembre 2022, en contrat à durée indéterminée, par la SARL La table de Jeanne, qui exerce son activité de restauration à Vannes, en qualité de cuisinier. Cependant, aussi louables que soient les efforts d'insertion professionnelle déployés par M. E..., ce dernier ne peut être regardé, au regard de ces seuls éléments, comme justifiant d'une insertion socio-professionnelle particulièrement significative ou remarquable. Il s'ensuit que M. E..., en dépit des quelques relations amicales qu'il a nouées en France, ne justifie pas y avoir tissé des liens particulièrement intenses et stables. Dans ces conditions, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet du Morbihan n'a pas porté au droit de M. E... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Par suite, il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Ainsi, le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 26 juin 2024 portant refus de titre de séjour pour ce motif. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E....
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. E... :
S'agissant de l'étendue du litige :
5. Si le silence gardé par l'administration sur une demande d'un administré fait naître une décision implicite de rejet qui peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à la première décision. Il en résulte que des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde. L'arrêté attaqué portant refus de séjour de M. E... s'étant substitué à la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur la demande de délivrance d'un titre de séjour de l'intéressé, les conclusions à fin d'annulation présentées par M. E... doivent être regardées comme dirigées uniquement contre cet arrêté.
S'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :
6. Le préfet du Morbihan a donné délégation, selon arrêté du 29 mai 2024 dûment publié au recueil des actes administratifs de la préfecture n° 56-2024-041 du même jour, à Mme B... A..., adjointe au chef du bureau des étrangers et de la nationalité et signataire des arrêtés attaqués, aux fins de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de M. D..., directeur de la citoyenneté et de la légalité, et de Mme C..., cheffe du bureau des étrangers et de la nationalité, notamment le refus de délivrance d'un titre de séjour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.
7. Pour les mêmes motifs qu'exposés au point 2, doit être écarté le moyen tiré de ce que le préfet du Morbihan a méconnu les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Si M. E... soutient que la décision contestée portant refus de titre de séjour est fondée sur des faits matériellement inexacts, dans la mesure où le préfet du Morbihan a opposé à tort son entrée irrégulière le 1er janvier 2019, alors qu'il justifie être entré sous couvert d'un visa court séjour en 2015, il ne ressort pas des pièces du dossier, au regard de ce qui a été dit précédemment, que le préfet aurait pris une décision différente s'il avait considéré que son entrée, en 2015, était régulière. La seconde erreur de fait alléguée, tirée de ce que l'arrêté mentionne à tort que M. E... a souscrit un bail locatif avec la société SCAM, alors qu'il s'agit de la société Agora, est sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du refus de titre de séjour. Lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement et des mesures accessoires à celle-ci. À l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. E... aurait demandé un entretien avec les services préfectoraux ni qu'il aurait été empêché de s'exprimer avant que ne soit pris l'arrêté contesté. L'intéressé n'allègue pas qu'il aurait tenté en vain de porter à la connaissance de l'administration des éléments pertinents relatifs à sa situation, antérieurement à la mesure d'éloignement. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que M. E... a été privé du droit d'être entendu, résultant du principe général du droit de l'Union européenne tel qu'il est notamment exprimé au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.
10. La décision portant refus de titre de séjour n'étant pas annulée par le présent arrêt, doit être écarté le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de cette décision.
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
11. La décision portant refus de titre de séjour n'étant pas annulé par le présent arrêt, doit être écarté le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de cette décision.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 26 juin 2024 par lequel il a refusé de délivrer un titre de séjour à M. E..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an.
13. Il s'ensuit que les conclusions de l'intimé à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
En ce qui concerne la requête n° 25NT01252 :
14. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 25 avril 2025. Par suite, les conclusions de la requête du préfet du Morbihan enregistrée sous le n° 25NT01252 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y pas lieu de statuer sur la requête n° 25NT01252 du préfet du Morbihan tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2402250, 500239 du 25 avril 2025 du tribunal administratif de Rennes.
Article 2 : Le jugement n° 2402250,2500239 du 25 avril 2025 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Morbihan.
Délibéré après l'audience du 7 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- Mme Marion, première conseillère.
- Mme Gélard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2025.
La présidente-rapporteure,
C. BRISSON
L'assesseure la plus ancienne,
I. MARION
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Nos 25NT01251, 25NT012522