Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 30 septembre 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'a inscrit dans le système d'information Schengen.
Par jugement n° 2108572 du 6 octobre 2021, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 30 septembre 2021, enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer la situation de l'intéressé, et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée sous le n° 21MA04126 le 15 octobre 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 6 octobre 2021 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de rejeter la demande formée par M. E... devant le tribunal administratif de Marseille.
Il soutient que :
- contrairement ce qu'a jugé le tribunal, l'arrêté en litige ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 décembre 2021, M. E..., représenté par Me Bouyadou, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêté à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, et à la mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- l'arrêté en litige méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
II. Par une requête enregistrée sous le n° 21MA04127 le 15 octobre 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône demande à la Cour d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement du 6 octobre 2021 du tribunal administratif de Marseille.
Il soutient que :
- les moyens soulevés dans sa requête au fond sont sérieux.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la Cour a décidé, par décision du 24 août 2021, de désigner M. Portail, président assesseur, pour statuer dans les conditions prévues à l'article R. 222-1 du code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D... ;
- et les observations de Me Bouyadou, représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 21MA0214126 et n° 21MA04127 présentées par le préfet des Bouches-du-Rhône sont relatives à un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. Par arrêté du 30 septembre 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône a fait obligation à M. E..., ressortissant égyptien, de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'a inscrit dans le système d'information Schengen. Par jugement n° 2108572 du 6 octobre 2021, dont le préfet des Bouches-du-Rhône relève appel, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 30 septembre 2021.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. E... a épousé à Marseille le 12 août 2017 Mme A... B..., ressortissante française. Les intéressés ont souscrit en commun un contrat de location et un contrat d'assurance habitation en avril 2017 pour un appartement situé 29 boulevard Alphonse Allais à Marseille. Ils ont également conclu ensemble le 31 août 2021 un contrat d'habitation pour un logement situé 27 boulevard Claire à Marseille. Ils ont déclaré une adresse commune aux services fiscaux et à la caisse d'allocation familiales qui leur a délivré des prestations notamment en juillet 2021. Le requérant justifie à la date de l'arrêté en litige portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour d'une union et d'une communauté de vie avec une ressortissante française depuis plus de quatre années. Dans les circonstances de l'espèce, M. E... établit voir fixé en France le centre de ses intérêts privés et familiaux. En lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai et en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, le préfet des Bouches-du-Rhône a porté une atteinte disproportionnée au droit de M. E... au respect de sa vie privée et familiale et méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Bouches-du-Rhône n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 30 septembre 2021.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
7. Dès lors qu'elle se prononce sur les conclusions du préfet des Bouches-du-Rhône tendant à l'annulation du jugement contesté, il n'y a pas lieu pour la Cour de statuer sur les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
8. Sur les conclusions incidentes de M. E... aux fins d'injonction de délivrance d'un titre de séjour :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ". Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
10. L'annulation de l'arrêté du 30 septembre 2021 n'implique pas la délivrance d'un titre de séjour portant "vie privée et familiale" au requérant, qui n'a pas demandé ce titre de séjour, mais uniquement que le préfet réexamine sa situation. Les conclusions de M. E... tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un tel titre ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête 21MA04126 du préfet des Bouches-du-Rhône à fin de sursis à l'exécution du jugement du 6 octobre 2021 du tribunal administratif de Marseille.
Article 2 : La requête 21MA04127 du préfet des Bouches-du-Rhône est rejetée.
Article 3 : Les conclusions incidentes de M. E... tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour sont rejetées.
Article 4 : L'Etat versera à M. E... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... E....
Copie pour information en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 3 mai 2022, où siégeaient :
- M. Portail, président par intérim, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Carassic, première conseillère,
- M. Mouret, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mai 2022.
2
N° 21MA04126, 21MA04127