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08/07/2025 | FRANCE | N°22VE00835

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 4ème chambre, 08 juillet 2025, 22VE00835


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société en nom collectif Klécar France (société Klécar) a demandé au tribunal administratif d'Orléans, par trois requêtes distinctes :

- d'annuler la délibération du conseil municipal de la commune de Chartres du 23 mai 2019 approuvant la modification du dossier de création de la ZAC Plateau Nord-Est et excluant le centre commercial de la Madeleine du périmètre de la ZAC ;

- de condamner solidairement la commune de Chartres et la SPL Chartre

s Aménagement à l'indemniser du manque à gagner causé par l'illégalité de la décision de préemption ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif Klécar France (société Klécar) a demandé au tribunal administratif d'Orléans, par trois requêtes distinctes :

- d'annuler la délibération du conseil municipal de la commune de Chartres du 23 mai 2019 approuvant la modification du dossier de création de la ZAC Plateau Nord-Est et excluant le centre commercial de la Madeleine du périmètre de la ZAC ;

- de condamner solidairement la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement à l'indemniser du manque à gagner causé par l'illégalité de la décision de préemption n° 14/84 en date du 4 mars 2014 ;

- de condamner l'État à l'indemniser de son préjudice du fait de l'inconstitutionnalité et de l'inconventionnalité de l'article L. 213-4 du code de l'urbanisme et de l'avis fautif donné par le service France Domaine sur la valeur des biens préemptés.

Par trois jugements nos 1902684, 1901513, 1901978 du 7 décembre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par un arrêt nos 22VE00765, 22VE00835, 22VE00836 du 31 janvier 2024, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement n° 1902684 du 7 décembre 2021 du tribunal administratif d'Orléans ainsi que la délibération du conseil municipal de Chartres du 23 mai 2019 approuvant la modification du dossier de création de la ZAC Plateau Nord Est, a mis à la charge de la commune de Chartres le versement à la société Klécar de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en remboursement des frais exposés par cette société dans le cadre de la requête n° 22VE00765, a rejeté les conclusions de la commune de Chartres présentées sur le fondement de ces mêmes dispositions dans le cadre de cette même requête, a sursis à statuer sur les requêtes nos 22VE00835 et 22VE00836 de la société Klécar jusqu'à la décision du juge de l'expropriation sur le droit de délaissement et a réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par cet arrêt.

Par deux décisions nos 492028 du 25 juillet 2024 et 493068 du 13 décembre 2024, le Conseil d'Etat n'a pas admis les pourvois des parties dirigés à l'encontre de cet arrêt.

I- Par une requête et des mémoires, enregistrés, sous le n° 22VE00835, respectivement le 4 avril 2022, les 4 mai, 9 juin, 15 septembre, 16 octobre, 17 novembre, 6 décembre et 17 décembre 2023, 8 janvier 2024, 17 février, 7 mars, 25 avril, 22 mai, 30 mai, 19 juin et 20 juin 2025, la société Klécar, représentée par Me Rosenfeld, demande à la cour, dans le dernier état de ses conclusions :

1°) de condamner in solidum la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement à lui verser la somme de 4 232 185 euros en indemnisation du préjudice découlant de la décision de préemption illégale, ainsi que la somme de 10 000 000 d'euros compensant la perte de chance de voir la valeur des lots se maintenir en raison de l'incertitude urbanistique et commerciale créée par ces deux personnes morales ;

2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 4 232 185 euros à titre de dommages-intérêts ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Chartres et de la SPL Chartres Aménagement la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- le jugement attaqué ne répond pas aux moyens tirés du détournement de pouvoir, de l'absence de projet et de l'absence d'opération d'aménagement ;

- le jugement attaqué ne répond pas à la demande de réparation en nature ;

- la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement ont commis une faute dès lors que la décision de préemption était illégale et entachée de détournement de pouvoir ;

- la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement ont manqué à leur obligation de prudence en engageant la procédure de préemption ;

- le comportement de la commune de Chartres et de la SPL Chartres Aménagement a de facto rendu l'immeuble invendable ;

- la responsabilité de ces personnes peut également être engagée au titre de la responsabilité sans faute dès lors que la société a subi un préjudice grave et spécial, excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter des vendeurs de terrains situés en zone urbaine ;

- l'un des préjudices qu'elle subit est égal à la différence entre le prix de vente de 26 920 116 euros convenu avec la société Covicar 23 et la valeur vénale de l'immeuble évaluée au 31 décembre 2024 à 18 873 679 euros ;

- l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 31 janvier 2024 de la cour administrative d'appel de Versailles interdit de remettre en cause le principe de la responsabilité de la commune de Chartres, de la SPL Chartres Aménagement et de l'État.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 septembre et 16 novembre 2023, 27 février et 18 mai 2025, la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement, représentées par Me Barata, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Klécar la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la requête d'appel est tardive ;

- la requête est irrecevable dès lors que la société s'est désistée de son recours en excès de pouvoir contre la décision de préemption ;

- l'arrêt du 31 janvier 2024 de la cour administrative d'appel de Versailles ne s'étant pas prononcé sur la responsabilité de la commune de Chartres et de la SPL Chartres Aménagement dans son dispositif, la société Klécar ne peut se prévaloir d'aucune autorité de chose jugée ;

- la société Klécar a commis des fautes de nature à exonérer la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement de leur responsabilité en masquant la réalité de son droit de propriété et en exerçant à tort son droit de délaissement ;

- les moyens soulevés par la société Klécar ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2025, la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche conclut au rejet la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.

II- Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 22VE00836, les 4 avril 2022, 9 juin, 16 octobre et 16 novembre 2023, 8 janvier 2024, 17 février, 7 mars, 25 avril, 22 mai, 30 mai, 19 juin et 20 juin 2025, la société Klécar, représentée par Me Rosenfeld, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner in solidum la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement à lui verser la somme de 4 232 185 euros en indemnisation du préjudice découlant de la décision de préemption illégale, ainsi que la somme de 10 000 000 d'euros compensant la perte de chance de voir la valeur des lots se maintenir en raison de l'incertitude urbanistique et commerciale créée par ces deux personnes morales ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 232 185 euros à titre de dommages-intérêts ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Chartres et de la SPL Chartres Aménagement la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

Elle soutient que :

- la responsabilité pour faute de l'État est engagée en raison de l'inconstitutionnalité des articles L. 213-4 et L. 213-7 du code de l'urbanisme, faisant l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité distincte ;

- la responsabilité pour faute de l'État est engagée en raison de l'inconventionnalité des articles L. 213-4 et L. 213-7 du code de l'urbanisme au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la responsabilité pour faute de l'État est encore engagée en raison de l'avis de France Domaine dont l'évaluation du bien objet de la décision de préemption est grossièrement erronée ;

- l'un des préjudices qu'elle subit est égal à la différence entre le prix de vente de 26 920 116 euros convenu avec la société Covicar 23 et la valeur vénale de l'immeuble évaluée au 31 décembre 2024 à 18 873 679 euros ;

- l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 31 janvier 2024 de la cour administrative d'appel de Versailles interdit de remettre en cause le principe de la responsabilité de la commune de Chartres, de la SPL Chartres Aménagement et de l'État.

Par un mémoire distinct, enregistré le 9 juin 2023, la société Klécar a demandé à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à la condamnation de l'État, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 213-4 et L. 213-7 du code de l'urbanisme.

Par une ordonnance n° 22VE00836 du 26 juillet 2023, le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Versailles a refusé de transmettre au Conseil d'État cette question prioritaire de constitutionnalité.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 octobre 2023 et les 29 janvier, 24 février et 4 juin 2025, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés les 27 février et 18 mai 2025, la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement, représentées par Me Barata, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Klécar la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- l'arrêt du 31 janvier 2024 de la cour administrative d'appel de Versailles ne s'étant pas prononcé sur la responsabilité de la commune de Chartres et de la SPL Chartres Aménagement dans son dispositif, la société Klécar ne peut se prévaloir d'aucune autorité de chose jugée ;

- la société Klécar a commis des fautes de nature à exonérer la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement de leur responsabilité en masquant la réalité de son droit de propriété et en exerçant à tort son droit de délaissement ;

- les moyens soulevés par la société Klécar ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pham,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- les observations de Me Rosenfeld pour la société Klécar et celles de Me Barata pour la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement.

Considérant ce qui suit :

1. La société Klécar France SNC (société Klécar) est propriétaire depuis 2001 de vingt locaux commerciaux situés dans le centre commercial de la Madeleine à Chartres où se situe également un hypermarché appartenant à la société Carrefour. Le 24 janvier 2014, la société Klécar a conclu une promesse de vente de ces vingt locaux avec la société Covicar 23, devenue Carmila, pour un montant de 26 920 116 euros droits inclus, sous la condition suspensive de la purge du droit de préemption urbain. Cette vente s'inscrivait dans une cession plus globale par la société anonyme Klépierre, actionnaire majoritaire de la société Klécar, de 127 galeries commerciales situées en France, en Italie et en Espagne à la société foncière Covicar 23, elle-même contrôlée notamment par la société Carrefour. Le 26 mars 2014, au vu de la déclaration d'intention d'aliéner, la société publique locale (SPL) Chartres Aménagement a exercé, sur délégation spéciale du maire de la commune de Chartres, le droit de préemption urbain, au prix suggéré par l'avis de France Domaine de 5 382 000 euros. Cette décision de préemption était motivée par la réalisation de l'opération d'aménagement du " Plateau Nord-Est " dont le périmètre, incluant le centre commercial de la Madeleine, avait été défini par délibération du conseil municipal de Chartres du 28 janvier 2010 et devait correspondre au périmètre de la zone d'aménagement concerté du " Plateau Nord-Est " (ZAC du PNE) créée quelques mois plus tard par délibération du 20 juin 2014, prévoyant notamment le transfert du centre commercial de la Madeleine, jugé vieillissant, au nord de l'avenue Jean Mermoz où était envisagée la création d'un nouveau complexe commercial dont la réalisation avait été confiée à la société Altarea, ainsi que le remplacement du centre de la Madeleine par des logements.

2. Compte tenu du refus de la société Klécar France de conclure la vente au prix proposé par l'administration, inférieur de 80 % au prix convenu avec la société Covicar 23, la SPL Chartres Aménagement a saisi le juge de l'expropriation le 10 juin 2014 aux fins de fixer le prix du bien. Avant que l'expert désigné par le juge judiciaire ne rende toutefois ses conclusions, la SPL Chartres Aménagement a notifié à la société Klécar le 8 février 2016 sa renonciation à la préemption. Le 24 juillet 2017, la société Klécar a alors invité la commune de Chartres à acquérir ses biens en usant de son droit de délaissement, ainsi que le permettent les articles L. 311-2 et L. 230-1 du code de l'urbanisme pour les terrains situés dans une ZAC. En l'absence d'accord amiable intervenu dans le délai d'un an, la société Klécar a saisi le juge de l'expropriation le 6 août 2018 afin qu'il prononce le transfert de propriété et fixe le prix de vente. En parallèle, la commune de Chartres a décidé, par délibération du 31 mai 2018, de lancer une procédure de modification du périmètre de la ZAC pour en exclure le centre commercial de la Madeleine, modification entérinée par une délibération du 23 mai 2019. La société Klécar a alors demandé au juge de l'expropriation de surseoir à statuer dans l'attente du jugement définitif rendu par la juridiction administrative sur la légalité de cette dernière délibération.

3. La société Klécar a sollicité devant le tribunal administratif d'Orléans, par la requête n° 1902684, l'annulation de la délibération du 23 mai 2019 excluant le centre commercial du périmètre de la ZAC du PNE et, d'autre part, par les requêtes n° 1901513 et 1901978, la condamnation de la commune de Chartres, de la SPL Chartes Aménagement et de l'État à l'indemniser à raison des fautes commises par eux. Par des jugements du 7 décembre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ces demandes.

4. Par un arrêt nos 22VE00765, 22VE00835, 22VE00836 du 31 janvier 2024, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement n° 1902684 du 7 décembre 2021 du tribunal administratif d'Orléans ainsi que la délibération du conseil municipal de Chartres du 23 mai 2019 approuvant la modification du dossier de création de la ZAC Plateau Nord Est, sursis à statuer sur les requêtes nos 22VE00835 et 22VE00836 de la société Klécar jusqu'à la décision du juge de l'expropriation sur le droit de délaissement de cette société et réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par cet arrêt. Par deux décisions nos 492028 du 25 juillet 2024 et 493068 du 13 décembre 2024, le Conseil d'Etat n'a pas admis les pourvois en cassation de la commune de Chartres, de la SPL Chartres Aménagement et de la société Klécar dirigés à l'encontre de cet arrêt.

5. Saisie d'une demande d'avis dans le cadre de la procédure du droit de délaissement concernant la société Klécar, la Cour de cassation a rendu, le 20 mars 2025, un avis indiquant que le droit de délaissement prévu à l'article L. 311-2 du code de l'urbanisme ne s'applique pas à une partie d'un bien organisé en volumes, ce qui est le cas des biens litigieux. Par suite, la société Klécar s'est désistée de cette instance. Elle sollicite de la cour de céans la condamnation de la commune de Chartres et de la SPL Chartres Aménagement, d'une part, et de l'État, d'autre part, à l'indemniser des fautes commises par eux.

Sur l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt nos 22VE00765, 22VE00835, 22VE00836 du 31 janvier 2024 de la cour administrative d'appel de Versailles :

6. D'une part, l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation reconnue antérieurement en justice. Constitue un événement postérieur modifiant la situation antérieurement reconnue en justice la décision du juge pénal, qu'elle prononce la condamnation ou la relaxe du mis en cause.

7. D'autre part, l'autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. La même autorité ne saurait, en revanche, s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité.

8. Par arrêt du 19 mars 2025, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la chambre d'instruction de la cour d'appel de Versailles du 14 juin 2024 décidant de la mise en examen, d'une part, de M. B... du chef d'abus d'autorité pour avoir, en sa qualité de maire de la commune de Chartres, pris des mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi dans l'opération de préemption du centre commercial " Carrefour La Madeleine " et, d'autre part, de M. A... pour complicité de ces faits en qualité de directeur général des services à la mairie de Chartres. Si cet arrêt de la Cour de cassation n'a pas retenu le chef de commission de l'infraction d'abus d'autorité, il ne s'est pour autant pas prononcé sur la légalité de la décision de préemption. Par suite, il ne modifie pas la situation reconnue par l'arrêt nos 22VE00765, 22VE00835, 22VE00836 du 31 janvier 2024 de la cour administrative d'appel de Versailles, ni ne remet en cause l'autorité de chose jugée qui lui est attachée.

9. Par ce dernier arrêt, la cour administrative d'appel de Versailles a sursis à statuer sur les requêtes nos 22VE00835 et 22VE00836 de la société Klécar jusqu'à la décision du juge de l'expropriation sur le droit de délaissement. Les motifs constitués par les points 15 à 30, 36, 38 et 39 de cet arrêt, qui écartent la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête d'appel, écartent les moyens tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, reconnaissent la responsabilité pour faute de la commune de Chartres et de la SPL Chartres Aménagement, d'une part, et de l'État en raison de la faute commise par les services de France Domaine dans l'estimation des biens, d'autre part, et constatent la réalité d'un préjudice subi par la société Klécar, constituent le soutien nécessaire du dispositif de cet arrêt et sont donc revêtus de l'autorité de chose jugée.

Sur les fautes commises :

10. En premier lieu, il résulte des motifs de l'arrêt du 31 janvier 2024 précités, qui sont revêtus de l'autorité de la chose jugée, que la société Klécar est fondée à engager la responsabilité solidaire de la commune de Chartres et de la SPL Chartres Aménagement en raison de l'illégalité de la décision de préemption du 26 mars 2014 ainsi que celle de l'État en raison de la faute commise par les services de France Domaine dans l'estimation des biens.

11. Les motifs de cet arrêt écartant les moyens de la société requérante tendant à démontrer d'autres fautes commises par la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement, d'une part, et par l'État, d'autre part, notamment du fait de l'inconstitutionnalité et de l'inconventionnalité des articles L. 213-4 et L. 213-7 du code de l'urbanisme, ne sont pas quant à eux revêtus de l'autorité de chose jugée. Toutefois, dès lors que la société Klécar n'a pas développé, dans ses mémoires produits postérieurement à cet arrêt, d'arguments de nature à remettre en cause l'appréciation portée dans l'arrêt du 31 janvier 2024, il y a lieu d'écarter de nouveau ces moyens par adoption des mêmes motifs.

12. En second lieu, la société Klécar sollicite que lui soit allouée la somme de 10 000 000 d'euros compensant la perte de chance de voir la valeur des lots se maintenir en raison de l'incertitude urbanistique et commerciale créée par la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement. Toutefois, elle n'établit pas que ce préjudice résulterait d'une faute distincte de celle constituée par la décision de préemption illégale. A supposer même que cela soit le cas, la faute alléguée constituerait en tout état de cause un fait générateur distinct qui ne serait pas invocable dans la présente instance. Par ailleurs, il n'est pas établi non plus que le préjudice dont la société requérante demande l'indemnisation, qu'elle ne détaille pas, serait différent de celui constitué par l'éventuelle perte de valeur vénale de l'immeuble et l'impossibilité de disposer immédiatement du prix de la vente, dont elle sollicite déjà la réparation du fait de l'illégalité de la décision de préemption. Elle ne démontre pas enfin que ce préjudice présenterait un caractère anormal et spécial. Par suite, ses conclusions tendant à l'attribution de cette somme de 10 000 000 d'euros doivent être rejetées.

Sur le partage de responsabilité :

13. La commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement soutiennent que la société Klécar aurait commis des fautes de nature à les exonérer de leur responsabilité.

14. En premier lieu, si la société requérante avait indiqué dans sa déclaration d'intention d'aliéner que les biens litigieux constituaient un " bâti sur terrain propre " et non un " bâti sur terrain d'autrui ", la rubrique C " Désignation du bien " de ce même document indiquait une " vente en lot de volumes " et le document constituant l'annexe 1 mentionnait le droit de superficie que détenait la société Klécar sur les locaux commerciaux à vendre. Ainsi, malgré l'erreur commise, et quand bien même l'acte de vente n'aurait pas été reproduit dans son intégralité, la commune de Chartres était en mesure de connaître la nature des biens à vendre. De surcroît, l'erreur commise par la société Klécar n'a pas contribué directement à la survenue du préjudice allégué. Il en résulte que la société Klécar ne peut être considérée, du seul fait de cette erreur, comme ayant commis une faute de nature à exonérer les parties défenderesses de leur responsabilité.

15. En deuxième lieu, en se bornant à affirmer que la procédure de préemption avait été abandonnée depuis 2016 et que la société Klécar pouvait, à compter de cette date, vendre son bien librement, la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement n'ont pas démontré que celle-ci aurait commis un détournement de droit en exerçant son droit de délaissement le 24 juillet 2017.

16. En troisième et dernier lieu, si la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement invoquent également des fautes qu'aurait commises la société Klécar en s'opposant au développement du PNE, de telles circonstances, à supposer qu'elles soient établies, ne sont pas, en tout état de cause, de nature à exonérer la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement de leur responsabilité.

17. Il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi que la société Klécar aurait commis des fautes de nature à exonérer la commune de Chartres et la SPL Chartres Aménagement de leur responsabilité. Par suite, et eu égard à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt nos 22VE00765, 22VE00835, 22VE00836 du 31 janvier 2024 de la cour administrative d'appel de Versailles, l'État, d'une part, et la SPL Chartes Aménagement et la commune de Chartres, d'autre part, doivent être regardés comme responsables à hauteur de 50 % chacun du préjudice subi par la société Klécar.

Sur les préjudices indemnisables :

18. A l'issue d'une procédure de préemption qui n'a pas abouti, le propriétaire du bien en cause peut, si la décision de préemption est entachée d'illégalité, obtenir réparation du préjudice que lui a causé de façon directe et certaine cette illégalité. Lorsque le propriétaire a cédé le bien après renonciation de la collectivité, son préjudice résulte en premier lieu, dès lors que les termes de la promesse de vente initiale faisaient apparaître que la réalisation de cette vente était probable, de la différence entre le prix figurant dans cet acte et la valeur vénale du bien à la date de la décision de renonciation. Le propriétaire subit un autre préjudice qui résulte, lorsque la vente initiale était suffisamment probable, de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de disposer du prix figurant dans la promesse de vente entre la date de cession prévue par cet acte et la date de vente effective, dès lors que cette dernière a eu lieu dans un délai raisonnable après la renonciation de la collectivité. En revanche, lorsque la vente n'a pas eu lieu dans un tel délai, quelles qu'en soient les raisons, le terme à prendre en compte pour l'évaluation de ce second préjudice doit être fixé à la date de la décision de renonciation.

19. La société Klécar soutient que son préjudice est constitué par la différence entre le prix inscrit dans l'acte de cession, de 26 920 116 euros et le prix actuel des biens litigieux, qui ne serait plus que de 18 873 679 euros. Toutefois, l'estimation de la valeur vénale des locaux au 31 décembre 2024 produite par la société Klécar ne peut être prise en compte, dès lors qu'elle est produite dans une version rédigée en langue anglaise et établie de manière non contradictoire. Par ailleurs, les biens litigieux, constitués par une partie d'un bien organisé en volumes, n'entrant pas dans le champ d'application de la procédure de droit de délaissement, leur prix n'a pu être fixé au terme de cette procédure. Il y a donc lieu de désigner un expert afin de déterminer si la société Klécar a été privée de la possibilité de vendre son bien au prix auquel elle l'aurait vendu à la société Covicar 23.

20. Les sociétés Klécar et Covicar 23 n'ayant pas de liens capitalistiques, et les actifs litigieux ayant fait l'objet d'une estimation propre annexée à l'acte de vente, il y a lieu de retenir la somme de 26 920 116 euros, droits inclus, inscrite dans cet acte. En revanche, il y a lieu d'en déduire les droits d'enregistrement, dont le montant n'est pas précisé et qu'il faudra demander à l'expert de calculer. Il y a lieu également de demander à l'expert de calculer la valeur des biens litigieux sur la période courant entre le 8 février 2016, date de renonciation à la préemption, et la date de remise du rapport d'expertise.

21. Il y a donc lieu, avant de statuer sur les requêtes de la société Klécar, d'ordonner une expertise. L'expert aura pour mission de :

- déterminer le montant des droits d'enregistrement afférents à la valeur de 26 920 116 euros inscrite dans la promesse synallagmatique de vente ;

- déterminer la valeur vénale des biens litigieux sur l'ensemble de la période courant entre le 8 février 2016, date de renonciation à la préemption, et la date de remise du rapport d'expertise ;

- déterminer le montant des bénéfices afférents à la location de ces locaux commerciaux qui ont été perçus entre janvier 2014 et le 8 février 2016 ;

- déterminer le montant des bénéfices afférents à la location de ces locaux commerciaux qui ont été perçus entre le 8 février 2016 et la date à laquelle les biens litigieux ont acquis leur valeur la plus haute.

D É C I D E :

Article 1er : Il sera, avant dire droit, procédé à une expertise avec mission pour l'expert de :

- déterminer le montant des droits d'enregistrement afférents à la valeur de 26 920 116 euros inscrite dans la promesse synallagmatique de vente ;

- déterminer la valeur vénale des biens litigieux sur l'ensemble de la période courant entre le 8 février 2016, date de renonciation à la préemption, et la date de remise du rapport d'expertise ;

- déterminer le montant des bénéfices afférents à la location de ces locaux commerciaux qui ont été perçus entre janvier 2014 et le 8 février 2016 ;

- déterminer le montant des bénéfices afférents à la location de ces locaux commerciaux qui ont été perçus entre le 8 février 2016 et la date à laquelle les biens litigieux ont acquis leur valeur la plus haute.

Article 2 : L'expert sera désigné par la présidente de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la cour dans sa décision le désignant.

Article 3 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 4 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Klécar France SNC, à la commune de Chartres, à la société publique locale (SPL) Chartres Aménagement et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2025, à laquelle siégeaient :

M. Etienvre, président de chambre,

M. Pilven, président-assesseur,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juillet 2025.

La rapporteure,

C. Pham

Le président,

F. Etienvre

La greffière,

S. Diabouga

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Nos 22VE00835, 22VE00836


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