LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 novembre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 630 FS-B
Pourvoi n° B 23-18.746
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 NOVEMBRE 2024
Mme [G] [E], veuve [J], domiciliée [Adresse 3] (Belgique), a formé le pourvoi n° B 23-18.746 contre l'arrêt rendu le 9 mai 2023 par la cour d'appel d'Angers (chambre A civile), dans le litige l'opposant à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Pays de la Loire, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [E], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la SAFER Pays de la Loire, et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mme Schmitt, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 9 mai 2023), après avoir reçu notification, le 27 août 2010, d'un projet de vente par [B] [J] et son épouse, Mme [E], de biens agricoles au prix de 490 000 euros, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Maine Océan, aux droits de laquelle est venue la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Pays de la Loire (la SAFER), a adressé, le 22 octobre 2010, au notaire chargé d'instrumenter sa décision de préemption assortie d'une offre d'achat au prix de 307 000 euros.
2. Le 20 avril 2011, [B] [J] et Mme [E] ont assigné la SAFER en annulation de la décision de préemption et, à titre subsidiaire, en révision judiciaire du prix offert par cette dernière.
3. [B] [J] est décédé le [Date décès 1] 2012.
4. Par ordonnance du 21 mars 2016, devenue irrévocable, le juge de la mise en état a constaté le désistement d'instance de Mme [E].
5. Le 21 septembre 2016, la SAFER a assigné Mme [E] en constatation de la perfection de la vente à son profit aux prix et conditions de sa décision de préemption.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Mme [E] fait grief à l'arrêt de constater la vente parfaite au profit de la SAFER au prix de 307 000 euros et de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :
« 1°/ que le vendeur qui reçoit de la SAFER, informée par le notaire de son intention d'aliéner, une offre d'achat à un prix inférieur à celui notifié, et qui, en désaccord avec cette offre, saisit dans les six mois le tribunal compétent d'une demande de révision judiciaire du prix proposé, peut ensuite, à tout moment au cours de la procédure, retirer le bien de la vente sans être tenu d'attendre la fixation du prix par le juge pour renoncer à l'opération ; qu'en jugeant, pour constater la vente parfaite, que dès lors que la SAFER avait préempté de manière régulière, Mme [J], venderesse, ne pouvait renoncer à son projet de vente qu'après fixation judiciaire du prix et qu'il lui appartenait en conséquence de poursuivre la procédure en fixation judiciaire du prix de vente qu'elle avait initiée afin de pouvoir contester par la suite le prix proposé par la SAFER, quand Mme [J], ayant manifesté son refus de l'offre de la SAFER par la saisine du tribunal en révision judiciaire du prix, pouvait retirer son bien de la vente à tout moment au cours de la procédure, sans avoir à en attendre l'issue, la cour d'appel a violé l'article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 412-7 du même code et 1583 du code civil ;
2°/ que le vendeur d'un bien soumis au droit de préemption de la SAFER qui, en désaccord avec l'offre que cette dernière a adressée au notaire instrumentaire, saisit dans les six mois le tribunal compétent d'une demande de révision judiciaire du prix, peut ensuite, à tout moment au cours de la procédure, retirer le bien de la vente ; que cette renonciation intervenant au cours de la procédure judiciaire opposant le vendeur à la SAFER peut l'être sous forme d'un acte de procédure, sans avoir à être porté à la connaissance de la SAFER par l'intermédiaire du notaire chargé d'instrumenter ; qu'en jugeant que le retrait de la vente du bien préempté n'avait pas été réalisé par Mme [J] dans les formes prescrites puisqu'il n'avait pas été porté à la connaissance de la SAFER par l'intermédiaire du notaire chargé d'instrumenter conformément à l'article R. 143-12 alinéa 4 du code rural et de la pêche maritime, la cour d'appel a violé ce texte et l'article L. 143-10 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, et l'article R. 143-12 du même code, dans sa version issue du décret n° 92-1290 du 11 décembre 1992 :
7. Selon le premier de ces textes, lorsque la société d'aménagement foncier et d'établissement rural déclare vouloir faire usage de son droit de préemption et qu'elle estime que le prix et les conditions d'aliénation sont exagérés, notamment en fonction des prix pratiqués dans la région pour des immeubles de même ordre, elle adresse au notaire du vendeur, après accord des commissaires du Gouvernement, une offre d'achat établie à ses propres conditions. Si le vendeur n'accepte pas l'offre de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, il peut soit retirer le bien de la vente, soit demander la révision du prix proposé par la société d'aménagement foncier et d'établissement rural au tribunal compétent de l'ordre judiciaire qui se prononce dans les conditions prescrites par l'article L. 412-7. Si, dans un délai de six mois à compter de la notification de cette offre, le vendeur n'a ni fait savoir qu'il l'acceptait, ni retiré le bien de la vente, ni saisi le tribunal, il est réputé avoir accepté l'offre de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural qui acquiert le bien au prix qu'elle avait proposé. Lorsque le tribunal, saisi par le vendeur, a fixé le prix, l'une ou l'autre des parties a la faculté de renoncer à l'opération.
8. Selon le second de ces textes, lorsqu'en application de l'article L. 143-10, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural estime que le prix et les conditions de l'aliénation sont exagérés, elle adresse au notaire chargé d'instrumenter, selon la procédure prévue au premier alinéa de l'article R. 143-6, sa décision de préemption assortie de l'offre d'achat établie à ses propres conditions. L'offre ferme d'achat de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural doit être parvenue au notaire dans un délai de deux mois à compter de la date de réception par la société de la notification prévue à l'article R. 143-4 ou, le cas échéant, de la notification adressée dans les délais prévus au 2° de l'article R. 143-7. Si le vendeur accepte l'offre d'achat ou retire le bien de la vente, sa décision doit être portée à la connaissance de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, par le notaire chargé d'instrumenter. Le délai de six mois à l'expiration duquel le vendeur, en cas de silence de sa part, est réputé avoir accepté l'offre d'achat de la société à ses propres conditions court du jour de la réception par le notaire de la notification prévue au premier alinéa de ce texte. La décision de retrait doit être parvenue à la société avant l'expiration de ce délai. S'il décide de demander la révision du prix et des conditions proposées par la société, le vendeur assigne celle-ci devant le tribunal de grande instance, qui se prononce dans les conditions prescrites à l'article L. 412-7. Dans le délai d'un mois à compter du jour où le jugement est devenu définitif, la décision de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural doit être parvenue au notaire chargé d'instrumenter. La décision du vendeur est notifiée par le notaire à la société et doit lui être parvenue dans le délai de trois ans à compter du même jour. Le silence de l'une ou de l'autre des parties pendant le délai dont elles disposent respectivement vaut renonciation, selon le cas, à l'acquisition ou à la vente aux prix et conditions fixés par le tribunal.
9. Lorsque le vendeur a saisi le tribunal en révision judiciaire du prix dans le délai de six mois prévu par ces textes, il peut, à tout moment de la procédure, même avant la décision fixant la valeur vénale des biens, retirer ceux-ci de la vente, sans être tenu, pour en informer la SAFER, de recourir au notaire chargé d'instrumenter.
10. Pour constater la perfection de la vente au profit de la SAFER, l'arrêt constate, d'abord, qu'aux termes de ses conclusions de désistement d'instance du 22 mai 2015, Mme [E] a indiqué qu'elle entendait finalement retirer le bien de la vente, que la procédure n'avait plus lieu d'être dans ces conditions et qu'elle se désistait, dès lors, de l'intégralité de la procédure pendante devant le tribunal.
11. Il relève, ensuite, que la procédure en fixation judiciaire du prix n'a pas abouti, Mme [E] s'étant désistée de sa demande et ayant ainsi renoncé à l'option initialement choisie, en application de l'article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime, et que, si la venderesse pouvait renoncer à son projet de vente après la fixation judiciaire du prix et, partant, sans considération du délai de six mois, le retrait de la vente du bien préempté, tel qu'envisagé à l'alinéa 2 du texte précité, devait, quant à lui, intervenir dans le délai de six mois et selon les modalités prescrites aux dispositions susvisées.
12. Il retient, enfin, que le retrait de la vente du bien préempté n'a pas été réalisé dans les formes et délai prescrits puisqu'il n'a pas été porté à la connaissance de la SAFER par l'intermédiaire du notaire chargé d'instrumenter et que la venderesse n'était plus autorisée à exercer une quelconque option passée la date du 25 avril 2011.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'action formée par la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Pays de la Loire tendant à constater, à son bénéfice, le caractère parfait de la vente, l'arrêt rendu le 9 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Pays de la Loire aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Pays de la Loire et la condamne à payer à Mme [E] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille vingt-quatre.