LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 23-85.009 FS-B
N° 01323
ODVS
19 NOVEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 NOVEMBRE 2024
Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, en date du 23 juin 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [Z] [X] des chefs de blessures involontaires, conduite sans permis et contravention au code de la route, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. [H] [J], les observations de la SCP Duhamel, avocat de la société [1], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, MM. Sottet, Samuel, Mme Goanvic, M. Coirre, Mme Hairon, M. Busché, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Rouvière, conseillers référendaires, M. Aubert, avocat général référendaire, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [Z] [X], qui circulait sans permis de conduire et sous l'influence de l'alcool et des stupéfiants, a perdu le contrôle du véhicule automobile qu'il conduisait, appartenant à M. [H] [J] et assuré auprès de la société [1].
3. M. [J], alors passager du véhicule, a été blessé lors de cet accident.
4. Par jugement devenu définitif, le tribunal correctionnel a déclaré M. [X] coupable des chefs de blessures involontaires aggravées, conduite sans permis et défaut de maîtrise, et l'a dit entièrement responsable du préjudice subi par M. [J].
5. Par jugement ultérieur sur les intérêts civils, le tribunal a, notamment, déclaré recevable l'intervention volontaire du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO), accueilli l'exception d'exclusion de garantie opposée par la société [1], condamné M. [X] à payer diverses sommes à la caisse primaire d'assurance maladie et renvoyé l'affaire à une audience ultérieure.
6. M. [J] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable l'exclusion de garantie de la société [1], de lui avoir déclaré sa décision opposable et de l'avoir débouté de sa demande de mise hors de cause, alors « qu'en application de l'article 385-1 du code de procédure pénale, l'exception de non assurance invoquée par l'assureur n'est recevable que si elle est de nature à l'exonérer totalement de son obligation de garantie à l'égard des tiers ; qu'il résulte, à cet égard, de l'article R. 211-13 du code des assurances, appliqué à la lumière de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972 et de l'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil du 30 décembre 1983 et des articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103 du Conseil du 16 septembre 2009, tels qu'interprétés par la Cour de justice dans son arrêt Fidelidade du 20 juillet 2017 (affaire C-287-16), que sauf l'hypothèse visée par l'article 13 de la directive 2009/103 et dans laquelle la victime a pris place, de son plein gré, dans un véhicule qu'elle savait volé, sont inopposables à la victime d'un accident de la circulation les exclusions de garantie prévues aux articles R. 211-10 et R. 211-11 du code des assurances, visant notamment l'hypothèse où le véhicule était conduit par une personne qui n'était pas titulaire du permis de conduire ; qu'est ainsi inopposable au souscripteur victime l'exception de non-assurance tirée de ce qu'il aurait pris place volontairement dans le véhicule assuré en sachant que celui-ci était conduit par une personne qui n'était pas titulaire du permis de conduire, de sorte que cette exception n'est pas de nature à exonérer totalement l'assureur de son obligation à l'égard de la victime et qu'elle est, en conséquence, irrecevable ; qu'en considérant néanmoins qu'en sachant que le conducteur n'était pas titulaire du permis de conduire, la victime « s'est mise elle-même dans la situation exclusive de garantie », pour lui déclarer opposable une telle exception et, partant, juger celle-ci recevable, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés. »
Réponse de la Cour
Vu les articles R. 211-10, 1°, R. 211-13, 4°, du code des assurances et 385-1 du code de procédure pénale :
8. Il résulte des deux premiers de ces textes que les clauses du contrat d'assurance automobile prévoyant une exclusion de garantie lorsque, au moment du sinistre, le conducteur n'a pas l'âge requis ou ne possède pas les certificats, en état de validité, exigés par la réglementation en vigueur pour la conduite du véhicule, ne sont pas opposables aux victimes ou à leurs ayants droit.
9. Selon le troisième, dont les dispositions sont d'ordre public, l'exception fondée sur une cause de nullité ou sur une clause du contrat d'assurance et tendant à mettre l'assureur hors de cause n'est recevable que si elle est de nature à exonérer totalement celui-ci de son obligation de garantie à l'égard des tiers.
10. La Cour de cassation a jugé que les clauses d'exclusion de garantie sus-mentionnées sont, par exception, opposables à la victime qui, souscriptrice du contrat d'assurance, a laissé conduire son véhicule par une personne qu'elle savait ne pas être titulaire du permis de conduire et s'est dès lors elle-même placée, en connaissance de cause, dans une situation exclusive de la garantie (Crim., 8 novembre 1990, pourvoi n° 88-86.418, Bull. crim. 1990, n° 373 ; 2e Civ., 20 novembre 1996, pourvoi n° 94-20.884, Bull. 1996, II, n° 258 ; 1re Civ., 6 juin 2001, pourvoi n° 98-19.023, Bull. 2001, I, n° 159).
11. Cette solution n'apparaît cependant pas conforme aux articles 3, § 1, et 13, § 1 et 2, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité, modifiée par la directive (UE) 2021/2118 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2021.
12. En premier lieu, selon l'article 13 précité, doit être réputée sans effet, en ce qui concerne le recours des tiers lésés à la suite d'un accident, notamment, toute disposition légale ou clause contractuelle contenue dans une police d'assurance qui exclut de sa garantie l'utilisation ou la conduite de véhicules par des personnes non titulaires d'un permis les y autorisant.
13. En second lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 30 juin 2005, Katja Candolin et a. c/ Vahinkovakuutusosakeyhtiö, C-537/03 ; CJUE, arrêt du 1er décembre 2011, Churchill Insurance Company Limited c/ Benjamin Wilkinson, C-442/10 rendus sur le fondement de dispositions de directives antérieures reprises dans la directive précitée) que le fait qu'une personne était assurée pour conduire le véhicule ayant causé l'accident ne permet pas de la priver de la qualité de tiers lésé au sens de l'article 13 précité, dès lors qu'elle était passagère, et non conductrice, de ce véhicule.
14. En conséquence, les dispositions ci-dessus visées du code des assurances doivent être interprétées en ce sens qu'elles rendent inopposables à l'assuré victime qui n'était pas conducteur du véhicule assuré les clauses prévoyant une exclusion de garantie lorsque, au moment du sinistre, le conducteur n'a pas l'âge requis ou ne possède pas les certificats, en état de validité, exigés par la réglementation en vigueur pour la conduite du véhicule.
15. En l'espèce, pour déclarer recevable l'exception d'exclusion de garantie présentée par la société [1] et dire la décision opposable au FGAO, l'arrêt attaqué énonce que le contrat d'assurance souscrit par M. [J] pour le véhicule accidenté exclut toute garantie des dommages survenus lorsque, au moment du sinistre, le conducteur du véhicule n'a pas l'âge requis ou ne possède pas de permis de conduire valide.
16. Le juge constate que l'accident est survenu alors que M. [J] était passager de son véhicule, dont il avait en connaissance de cause laissé le volant à M. [X] alors que ce dernier n'était pas titulaire du permis de conduire.
17. Il souligne que si les exclusions de garantie prévues aux articles R. 211-10 et R. 211-11 du code des assurances ne sont pas en principe opposables aux victimes, elles le deviennent lorsque la victime s'est elle-même mise dans la situation exclusive de garantie.
18. Il retient que le droit européen n'est pas méconnu dès lors que l'indemnisation du passager propriétaire du véhicule n'est pas exclue de manière systématique, mais en raison de la circonstance particulière tenant à ce que l'intéressé a confié en connaissance de cause le volant à une personne dépourvue du permis de conduire.
19. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.
20. En effet, le fait pour l'assuré d'avoir laissé en connaissance de cause conduire son véhicule par une personne non titulaire du permis de conduire ne peut le priver de la qualité de tiers lésé au sens de la directive précitée, les clauses d'exclusion de garantie du contrat d'assurance lui étant dès lors inopposables.
21. En conséquence, le juge a statué sur le mérite d'une exception qui n'était pas de nature à exonérer l'assureur de son obligation de garantie à l'égard des tiers et qui devait dès lors être déclarée irrecevable.
22. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
23. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions ayant déclaré recevable l'exception d'exclusion de garantie présentée par la société [1] et débouté le FGAO de sa demande de mise hors de cause. Les autres dispositions seront donc maintenues.
24. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 23 juin 2023, mais en ses seules dispositions ayant déclaré recevable l'exception d'exclusion de garantie présentée par la société [1] et débouté le FGAO de sa demande de mise hors de cause, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉCLARE irrecevable l'exception d'exclusion de garantie présentée par la société [1] ;
DÉCLARE hors de cause le FGAO ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille vingt-quatre.