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14/11/2024 | FRANCE | N°32400617

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 14 novembre 2024, 32400617


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3


JL






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 14 novembre 2024








Cassation partielle




Mme TEILLER, président






Arrêt n° 617 FS-B


Pourvoi n° S 23-13.884






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_______________________

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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 NOVEMBRE 2024


La société Witwicki Kuentz, société civile d'exploitation agricole, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° S 23-13.884 contre...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 novembre 2024

Cassation partielle

Mme TEILLER, président

Arrêt n° 617 FS-B

Pourvoi n° S 23-13.884

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 NOVEMBRE 2024

La société Witwicki Kuentz, société civile d'exploitation agricole, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° S 23-13.884 contre l'arrêt rendu le 26 janvier 2023 par la cour d'appel de Colmar (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société [E], exploitation agricole à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Witwicki Kuentz, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société [E], et l'avis de Mme Compagnie, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mme Schmitt, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 26 janvier 2023), se prévalant de baux consentis à son profit les 12 et 21 mars, 7 et 12 avril 2016 sur des parcelles situées sur le territoire de la commune de [Localité 13], cadastrées section [Cadastre 6] n° [Cadastre 8], section [Cadastre 7] n° [Cadastre 2], section [Cadastre 7] n° [Cadastre 3], section [Cadastre 9] n° [Cadastre 11] et section [Cadastre 10] n° [Cadastre 1], la société civile d'exploitation agricole Witwicki Kuentz (la SCEA) a assigné l'exploitation agricole à responsabilité limitée [E] (l'EARL) en expulsion, soutenant que les baux consentis à cette dernière sur ces mêmes parcelles lui étaient inopposables.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La SCEA fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande d'expulsion de l'EARL, alors « que le preneur à bail, qui ne peut jouir du bien loué en raison de son occupation par un tiers, démontre un intérêt légitime à demander l'expulsion de cet occupant ; qu'en jugeant irrecevable la demande d'expulsion de l'EARL [E] formée par la SCEA Witwicki Kuentz au motif que « la SCEA Witwicki Kuentz se prévaut de l'existence d'un contrat de bail rural écrit la liant à plusieurs bailleurs dont découlent un droit de jouissance à son bénéfice ainsi qu'une obligation de délivrance à la charge des bailleurs. Dès lors, seuls ces derniers ont qualité pour demander l'expulsion de l'EARL [E] », la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 31 du code de procédure civile :

3. Aux termes de ce texte, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

4. Pour déclarer irrecevable la demande en expulsion formée par la SCEA, l'arrêt retient que celle-ci se prévaut de l'existence d'un contrat de bail rural écrit la liant à plusieurs bailleurs dont découlent un droit de jouissance à son bénéfice et une obligation de délivrance à la charge des bailleurs, de sorte que seuls ces derniers ont qualité pour demander l'expulsion de l'EARL.

5. En statuant ainsi, alors que la loi ne limite pas le droit d'agir en expulsion à des personnes qualifiées et que l'intérêt à agir de la SCEA n'était pas contesté, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La SCEA fait grief à l'arrêt de dire que l'EARL est occupante de droit des parcelles situées à [Localité 13] et cadastrées section [Cadastre 6] n° [Cadastre 8], section [Cadastre 7] n° [Cadastre 2], section [Cadastre 7] n° [Cadastre 3] et section [Cadastre 9] n° [Cadastre 11], de dire que les baux dont l'EARL bénéficie sur ces parcelles prévalent sur les siens et de lui faire interdiction de venir troubler la jouissance par l'EARL de ces parcelles, alors « que l'acte sous signature privée n'acquiert date certaine à l'égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d'un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique ; qu'en estimant que les baux dont se prévalait l'EARL [E] avaient acquis date certaine au motif qu'elle pouvait elle-même en dater la conclusion avec certitude comme étant antérieurs à ceux dont se prévaut la SCEA Witwicki Kuentz, la cour d'appel a violé l'ancien article 1328 du code civil, devenu l'article 1377 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1328 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

7. Aux termes de ce texte, les actes sous seing privé n'ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d'inventaire.

8. Pour faire prévaloir les baux consentis à l'EARL sur ceux consentis à la SCEA, l'arrêt relève, s'agissant de la parcelle cadastrée section [Cadastre 6] n° [Cadastre 8] dont Mme [G] est propriétaire, que par bulletin de mutation du 4 novembre 2015 destiné à la MSA, lequel a été signé le 8 décembre 2015 par la propriétaire et l'EARL, cette parcelle a fait l'objet d'une mutation au bénéfice de cette dernière, ce qu'a effectivement enregistré la MSA ainsi que cela résulte du relevé d'exploitation qu'elle a établi le 3 février 2016 traduisant une situation cadastrale au 1er janvier 2016, et que le fermage a été régulièrement payé à Mme [G] à terme échu le 15 novembre 2016. Il en déduit qu'un bail verbal liait donc Mme [G] à l'EARL et, ce, à compter du 1er janvier 2016, ce dont la propriétaire a attesté le10 novembre 2016. Il ajoute que, s'il est vrai que l'enregistrement du contrat de bail souscrit au profit de la SCEA constitue une preuve de l'existence et de la conformité du bail à la date de l'enregistrement, lui donne date certaine et le rend opposable aux tiers, il n'en demeure pas moins que l'EARL a été en mesure de démontrer que le bail verbal dont elle bénéficie a été conclu avant le bail écrit dont se prévaut la SCEA.

9. S'agissant de la parcelle cadastrée section [Cadastre 7] n° [Cadastre 2] dont MM. [P] sont propriétaires, l'arrêt constate que l'EARL produit un contrat de bail à ferme signé le 31 octobre 2015 avec une date d'effet au 1er janvier 2016, le relevé parcellaire établi par la MSA déjà cité faisant état de l'exploitation de cette parcelle par l'EARL, de sorte que ce contrat de bail a date certaine et est antérieur à celui dont se prévaut la SCEA.

10. S'agissant des parcelles cadastrées section [Cadastre 7] n° [Cadastre 3] et section [Cadastre 9] n° [Cadastre 12] dont est propriétaire Mme [S], l'arrêt relève que l'EARL produit un bulletin de mutation à destination de la MSA signé le 15 novembre 2015 par Mme [S] et l'EARL pour une mutation au bénéfice de M. [E] et non de l'EARL [E] mais qu'un courrier adressé le 28 novembre 2015 par l'ancien preneur à Mme [S] fait état de l'accord de celle-ci pour un bail au profit de l'EARL, lequel est également justifié par le paiement du fermage à la propriétaire à terme échu au mois de novembre 2016 par l'EARL, et non par M. [E] à titre personnel, le relevé d'exploitation dressé par la MSA déjà cité faisant état de l'exploitation de ces parcelles par l'EARL. Il retient qu'il apparaît ainsi que ledit contrat de bail a date certaine et est antérieur à celui dont se prévaut la SCEA.

11. L'arrêt en déduit que l'EARL justifiant de l'existence de baux à ferme sur les parcelles en cause qui ont été datés avec certitude comme étant antérieurs à ceux dont se prévaut la SCEA, il y a lieu de dire que l'EARL est occupante de droit des parcelles et que les baux dont elle bénéficie prévalent sur ceux de la SCEA.

12. En statuant ainsi, alors qu'un acte ne peut avoir date certaine que si est remplie l'une des trois conditions limitativement énumérées par l'article 1328 du code civil, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables les exceptions de nullité des baux conclus par la société civile d'exploitation agricole Witwicki Kuentz soulevées par l'exploitation agricole à responsabilité limitée [E], la demande de sursis à statuer et la demande de dommages et intérêts formulée par la société civile d'exploitation agricole Witwicki Kuentz, la demande en indemnisation formée par l'exploitation agricole à responsabilité limitée [E] et la demande formée par la société civile d'exploitation agricole Witwicki Kuentz visant à lui réserver les droits de chiffrer son préjudice, l'arrêt rendu le 26 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;

Condamne l'exploitation agricole à responsabilité limitée [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'exploitation agricole à responsabilité limitée [E] et la condamne à payer à la société civile d'exploitation agricole Witwicki Kuentz la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 32400617
Date de la décision : 14/11/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

ACTION EN JUSTICE - Qualité - Personne qualifiée pour élever ou combattre une prétention - Action en expulsion - Recevabilité - Conditions - Détermination - Portée

BAIL (règles générales) - Expulsion - Action en justice - Personnes qualifiées - Limite - Défaut - Portée

La loi ne limitant pas le droit d'agir en expulsion à des personnes qualifiées, l'action en expulsion est ouverte, en application de l'article 31 du code de procédure civile, à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès de cette action


Références :

Article 31 du code de procédure civile.
Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 26 janvier 2023

2e Civ., 22 février 2007, pourvoi n° 06-11838, Bull. 2007, II, n° 47 (cassation partielle).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 14 nov. 2024, pourvoi n°32400617


Composition du Tribunal
Président : Mme Teiller
Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet

Origine de la décision
Date de l'import : 10/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:32400617
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