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26/09/2024 | FRANCE | N°32400514

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 26 septembre 2024, 32400514


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3


JL






COUR DE CASSATION
______________________






Audience publique du 26 septembre 2024








Cassation




Mme TEILLER, président






Arrêt n° 514 FS-B


Pourvoi n° V 23-12.967












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E




_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇ

AIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 SEPTEMBRE 2024


1°/ M. [R] [D],


2°/ Mme [Z] [S], épouse [D],


tous deux domiciliés [Adresse 2],


3°/ Mme [K] [T], épouse [G],


4°/ M. [Y] [G], ...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 septembre 2024

Cassation

Mme TEILLER, président

Arrêt n° 514 FS-B

Pourvoi n° V 23-12.967

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 SEPTEMBRE 2024

1°/ M. [R] [D],

2°/ Mme [Z] [S], épouse [D],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

3°/ Mme [K] [T], épouse [G],

4°/ M. [Y] [G],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° V 23-12.967 contre l'arrêt rendu le 5 janvier 2023 par la cour d'appel de Rouen (chambre de la proximité), dans le litige les opposant à M. [I] [D], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations et les plaidoiries de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. et Mme [R] [D] et de M. et Mme [G], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [I] [D], et l'avis de Mme Compagnie, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mme Pic, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Compagnie, avocat général, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 5 janvier 2023), par acte du 28 octobre 2010, M. et Mme [I] [D] ont donné à bail à M. et Mme [G] ainsi qu'à M. [R] [D] (les copreneurs) des parcelles agricoles, qu'ils ont mises à la disposition de la société civile d'exploitation agricole du [Adresse 4] (la SCEA), dont les associés étaient, à cette date, M. [R] [D] et la société à responsabilité limitée [G] (la SARL), dont les associés étaient M. et Mme [G].

2. Le 18 décembre 2019, M. et Mme [G] ont informé M. [I] [D] du départ à la retraite de M. [R] [D] et ont demandé la poursuite du bail en leur seul nom. A cette date, les associés de la SCEA sont devenus M. et Mme [G] et la SARL.

3. M. [I] [D] a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en opposition à la poursuite du bail au seul nom de M. et Mme [G] et en résiliation du bail pour cession prohibée, soutenant que les copreneurs n'étaient pas associés de la SCEA.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Les copreneurs font grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail pour cession prohibée, alors « que le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie d'une contravention à l'article L. 411-35 prohibant la cession du bail à un tiers ; que l'existence d'une cession prohibée résulte du fait que le preneur a perdu la maîtrise et la disposition des biens loués et les a abandonnés à un tiers qui les exploite ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté d'une part, que les époux [G], copreneurs, justifiaient par de nombreuses attestations qu'ils exploitaient effectivement les terres prises à bail et mises à disposition de la SCEA Le [Adresse 4] et, d'autre part, qu'ils étaient les deux seuls associés de la SARL [G], associée de la SCEA du [Adresse 4] ; qu'en retenant, pour prononcer la résiliation du bail, qu'il importe peu que les époux [G] justifient exploiter effectivement les terres prises à bail, le seul fait de ne pas être associés directs de la SCEA Le [Adresse 4], bénéficiant de la mise à disposition des terres, constituant une cession prohibée, la cour d'appel, qui n'a pas constaté l'abandon à un tiers de l'exploitation des parcelles et a au contraire relevé que les copreneurs n'avaient jamais cessé de les exploiter, a violé les articles L. 411-31 et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 411-31, II, 1° et 3°, L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime :

5. Selon le deuxième de ces textes, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur.

6. Selon le dernier, le preneur associé d'une société à objet principalement agricole peut mettre à la disposition de celle-ci, pour une durée qui ne peut excéder celle pendant laquelle il reste titulaire du bail, tout ou partie des biens dont il est locataire, sans que cette opération puisse donner lieu à l'attribution de parts. Il doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l'exploitation du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation.

7. Selon le premier, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie soit d'une contravention aux dispositions de l'article L. 411-35, soit, si elle est de nature à porter préjudice au bailleur, d'une contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l'article L. 411-37.

8. Le preneur ou, en cas de cotitularité, l'un ou les copreneurs, qui mettent les biens loués à la disposition d'une société dont ils ne sont pas associés mais qui continuent à se consacrer à l'exploitation de ceux-ci, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, n'abandonnent pas la jouissance du bien loué à cette société et ne procèdent donc pas à une cession prohibée du bail.

9. Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur ne peut solliciter la résiliation du bail que sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 3°, et est donc tenu de démontrer que le manquement est de nature à lui porter préjudice.

10. Pour prononcer la résiliation du bail pour cession prohibée, l'arrêt constate que, durant toute la durée du bail, M. et Mme [G] n'étaient pas associés de la SCEA, société à la disposition de laquelle les biens ont été mis, puisque les associés de la SCEA étaient M. [R] [D] et la SARL. Il retient que cette dernière société a une personnalité juridique distincte de ses associés que sont M. et Mme [G], de sorte que, quand bien même ils étaient associés de cette société, ils n'étaient pas directement associés de la SCEA. Il ajoute qu'il importe peu qu'ils justifient exploiter effectivement les terres prises à bail et mises à la disposition de la SCEA, le seul fait de ne pas être associé de ladite SCEA constitue une cession prohibée et, partant, un manquement justifiant la résiliation du bail, et ce quand bien même désormais mais seulement depuis le 18 décembre 2019, ils sont effectivement devenus associés de la SCEA.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

12. Les copreneurs font grief à l'arrêt de rejeter la demande de poursuite du bail au seul nom de M. et Mme [G] et de faire droit à l'opposition de M. [I] [D], alors « que le bailleur ne peut s'opposer à la poursuite du bail au seul nom du copreneur qui continue à exploiter les terres que s'il démontre que le copreneur restant ne présente pas les garanties voulues pour assurer la bonne exploitation du fonds ; qu'en se bornant à retenir, pour s'opposer à la poursuite du bail en leur seul nom, que le manquement des époux [G], qui, pendant la durée du bail jusqu'au départ à la retraite de M. [R] [D], n'avaient pas été membres de la SCEA du [Adresse 4], à qui les terres ont été mises à disposition, puisque les associés de la SCEA étaient M. [R] [D] et la SARL [G], suffit à justifier leur mauvaise foi, sans caractériser en quoi les époux [G] ne présenteraient pas les garanties voulues pour assurer la bonne exploitation du fonds, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-31 et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 411-35, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 :

13. Selon ce texte, lorsqu'un des copreneurs du bail cesse de participer à l'exploitation du bien loué, le copreneur qui continue à exploiter dispose de trois mois à compter de cette cessation pour demander au bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception que le bail se poursuive à son seul nom. Le propriétaire ne peut s'y opposer qu'en saisissant dans un délai de deux mois le tribunal paritaire, qui statue alors sur la demande.

14. Le juge, saisi sur opposition du bailleur, statue sur la demande de poursuite du bail au seul nom du copreneur restant, en considération des intérêts légitimes du bailleur, lesquels s'apprécient au regard de la capacité de ce copreneur à assurer la bonne exploitation du fonds et le respect de ses obligations légales et contractuelles.

15. Pour rejeter la demande de poursuite du bail au seul nom de M. et Mme [G], l'arrêt retient que le manquement des preneurs, qui n'étaient pas membres de la SCEA au profit de laquelle les terres ont été mises à disposition, constitue un manquement qui caractérise la mauvaise foi des preneurs et justifie l'opposition de M. [I] [D].

16. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants pour caractériser une atteinte aux intérêts légitimes du bailleur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne M. [I] [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [I] [D] et le condamne à payer à M. et Mme [G] et à M. et Mme [R] [D] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé le vingt-six septembre deux mille vingt-quatre, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 32400514
Date de la décision : 26/09/2024
Sens de l'arrêt : Cassation

Analyses

BAIL RURAL - Bail à ferme - Résiliation - Sous-location ou cession illicite - Défaut d'exploitation d'une parcelle par un des copreneurs - Poursuite de l'exploitation par un autre copreneur - Demande d'autorisation de cession - Opposition du bailleur - Saisine du tribunal paritaire des baux ruraux - Eléments d'appréciation pris en considération - Détermination

Selon l'article L. 411-35, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, lorsqu'un des copreneurs du bail cesse de participer à l'exploitation du bien loué, le copreneur qui continue à exploiter dispose de trois mois à compter de cette cessation pour demander au bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception que le bail se poursuive à son seul nom. Le propriétaire ne peut s'y opposer qu'en saisissant dans un délai de deux mois le tribunal paritaire, qui statue alors sur la demande. Le juge, saisi sur opposition du bailleur, statue sur la demande de poursuite du bail au seul nom du copreneur restant, en considération des intérêts légitimes du bailleur, lesquels s'apprécient au regard de la capacité de ce copreneur à assurer la bonne exploitation du fonds et le respect de ses obligations légales et contractuelles


Références :

Sur le numéro 1 : Articles L. 411-31, II, 1° et 3°, L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime


Sur le numéro 2 : article L. 411-35, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014.
Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen, 05 janvier 2023

N1 3e Civ., 26 septembre 2024, pourvoi n° 23-13893, Bull., (rejet), et les arrêts cités ;

3e Civ., 26 septembre 2024, pourvoi n° 23-14685, Bull., (rejet), et les arrêts cités ;

N2 3e Civ., 30 novembre 2023, pourvoi n° 21-22539, Bull., (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 26 sep. 2024, pourvoi n°32400514


Composition du Tribunal
Président : Mme Teiller
Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:32400514
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