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19/09/2024 | FRANCE | N°22400789

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 19 septembre 2024, 22400789


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2


LM






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 19 septembre 2024








Rejet




Mme MARTINEL, président






Arrêt n° 789 F-B


Pourvoi n° R 22-19.698














R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024




La société [E] et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 2], représentée par...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 19 septembre 2024

Rejet

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 789 F-B

Pourvoi n° R 22-19.698

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024

La société [E] et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 2], représentée par Mme [T] [I] et M. [O] [E], agissant en qualité de liquidateur de la Société économique bragarde de boucherie et charcuterie,
en remplacement de M. [Z] [J], décédé, a formé le pourvoi n° R 22-19.698 contre l'arrêt rendu le 31 mai 2022 par la cour d'appel de Dijon (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société Chubb European Group, société européenne, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 3], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Isola, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la société [E] et associés, en qualité de liquidateur de la Société économique bragarde de boucherie et charcuterie, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Chubb European Group, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 juin 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Isola, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à la société [E] et associés, prise en la personne de Mme [I] et de M. [E], désignée en qualité de liquidateur judiciaire de la Société économique bragarde de boucherie et charcuterie en remplacement de M. [J], qui est décédé, de sa reprise d'instance.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 31 mai 2022), le 21 juin 2011, les autorités sanitaires ont enjoint à la Société économique bragarde de boucherie et charcuterie (la société SEB), qui procédait, notamment, à la fabrication de steaks hachés ensuite commercialisés par les magasins de l'enseigne Lidl, de retirer de la vente des produits en raison d'une alerte sanitaire.

3. La société SEB était assurée au titre de plusieurs garanties par la société Chubb European Group SE (l'assureur).

4. Son gérant a été condamné par une juridiction pénale pour blessures involontaires, tromperie, détention de denrées corrompues ou toxiques et mise sur le marché de produits d'origine animale dangereux. Il a été déclaré responsable des préjudices des parties civiles.

5. Le 27 juin 2011, la société SEB a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, qui a été convertie en liquidation judiciaire le 3 novembre 2011, M. [J] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

6. Le 31 octobre 2011, la société SEB, agissant par les organes de la procédure collective, a assigné la société Lidl devant un tribunal de commerce en indemnisation du préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales.

7. Le 20 juin 2014, la société AIG, assureur de la société Lidl, a assigné l'assureur devant un tribunal de commerce en remboursement des sommes qu'elle avait versées aux victimes.

8. Le 23 janvier 2018, M. [J], ès qualités, a assigné l'assureur devant un tribunal de commerce en exécution du contrat d'assurance au titre des garanties responsabilité civile, « frais de retrait » et « défense pénale et recours ».

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. La société [E], ès qualités, fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable le liquidateur judiciaire en ses demandes formées sur le fondement de la garantie « responsabilité civile produits livrés » du contrat d'assurance à l'encontre de l'assureur et tendant à ce qu'il soit jugé que cette garantie est acquise et à la condamnation de l'assureur à garantir la société SEB de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées contre elle au titre des conséquences de la crise sanitaire du mois de juin 2011, comprenant notamment toutes les réclamations des victimes [directes] ou indirectes, conformément à la garantie « responsabilité civile produits livrés », alors : « que lorsqu'à la suite de la survenance d'un fait dommageable ayant causé des préjudices avérés, l'assureur de responsabilité dénie sa garantie auprès de son assuré, en lui opposant une faute intentionnelle ou dolosive, ce dernier a intérêt à un intérêt légitime né et actuel, à demander au juge que cette garantie est acquise ; que l'arrêt retient qu'il résulte des articles L. 124-1 et L. 124-3 du code des assurances que la garantie de l'assureur ne peut être recherchée que si une réclamation a été formée par la victime à l'encontre de l'assuré ayant engagé sa responsabilité et que, sauf à avoir préalablement désintéressé lui-même le tiers lésé, l'assuré ne pouvait obtenir de l'assureur le règlement de l'indemnité ; qu'il en déduit que, la société SEB n'ayant ni indemnisé une victime, ni fait l'objet, de la part d'une victime, d'une demande d'indemnisation, elle ne peut agir pour obtenir une condamnation de principe de l'assureur à le garantir de préjudices qui sont en l'état simplement éventuels, donc futurs et incertains ; qu'en statuant après avoir constaté que le dirigeant de la société SEB avait été définitivement déclaré coupable des chefs de blessures involontaires, mise sur le marché de produits d'origine animale, ou de denrées en contenant, préjudiciables à la santé et responsable du préjudice subi par les seize parties civiles, de sorte que la responsabilité de la société SEB était susceptible d'être recherchée au titre du sinistre garanti par la police, la cour d'appel a violé les articles 30 et 31 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. L'arrêt rappelle que l'article L. 124-1 du code des assurances dispose que, dans les assurances de responsabilité, l'assureur n'est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l'assuré par le tiers lésé et que l'article L. 124-3, alinéa 2, du même code énonce que l'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré.

12. Il relève que la société SEB n'allègue pas et, a fortiori, ne démontre pas, avoir indemnisé une victime, ni même avoir fait l'objet, de la part d'une victime, d'une quelconque demande d'indemnisation en lien avec la crise sanitaire de juin 2011, de sorte que les préjudices sont, en l'état, simplement éventuels, donc futurs et incertains.

13. La cour d'appel en a souverainement déduit que le liquidateur judiciaire ne justifiait pas d'un intérêt né et actuel pour obtenir la garantie de l'assureur.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

15. La société [E] fait grief à l'arrêt de débouter le liquidateur judiciaire de ses demandes tendant à la condamnation de l'assureur à lui verser les sommes de 491 895,86 euros au titre de la garantie « frais de retrait » et de 15 545 euros au titre de la garantie « défense pénale et recours », alors :

« 1°/ que la faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables ; qu'après avoir énoncé que la faute dolosive s'entend d'un manquement délibéré de l'assuré à ses obligations, qui retire au contrat son caractère aléatoire, même si l'assuré n'a pas recherché les conséquences dommageables qui en sont résultées, l'arrêt retient, que, dans son arrêt du 26 février 2019, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Douai a jugé que le gérant de la société SEB savait que les contrôles bactériologiques avaient été allégés, et savait également que le 11 mai 2011 une mêlée potentiellement contaminée avait été libérée", qu'en conséquence, "en mettant sciemment sur le marché un produit alimentaire potentiellement dangereux et sans faire réaliser les analyses qui s'imposaient, [D] [U] a bien violé de façon manifestement délibérée les obligations de prudence et de sécurité prévues par le règlement CE n° 178/2002", et encore que "[D] [U] a sciemment trompé la société Lidl et les consommateurs sur les risques inhérents à l'utilisation de la viande vendue, et sur les contrôles effectués", que le fait pour M. [U], en sa qualité de gérant, d'avoir ainsi sciemment violé les obligations de prudence et de sécurité s'imposant à la société qu'il dirigeait caractérise la faute dolosive au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, peu important qu'il n'ait pas recherché les dommages qui en ont découlé pour les consommateurs et que tant l'opération de retrait dont la prise en charge des frais est sollicitée que l'action judiciaire engagée contre la société Lidl pour rupture brutale des relations commerciales trouvant leur origine dans une intoxication alimentaire résultant de la faute dolosive de M. [U], représentant légal de l'assurée, l'exclusion légale et conventionnelle trouve donc à s'appliquer, et interdit en conséquence à M. [J], ès qualités, d'obtenir la mobilisation des garanties frais de retrait et défense pénale recours ; qu'en statuant ainsi sans caractériser ni le caractère inéluctable du dommage ni la conscience que la société aurait eu de ce caractère inéluctable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances ;

2°/ que la faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables ; qu'après avoir énoncé que la faute dolosive s'entend d'un manquement délibéré de l'assuré à ses obligations, qui retire au contrat son caractère aléatoire, même si l'assuré n'a pas recherché les conséquences dommageables qui en sont résultées, l'arrêt retient, que, dans son arrêt du 26 février 2019, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Douai a jugé que le gérant de la société SEB savait que les contrôles bactériologiques avaient été allégés, et savait également que le 11 mai 2011 une mêlée potentiellement contaminée avait été libérée", qu'en conséquence, "en mettant sciemment sur le marché un produit alimentaire potentiellement dangereux et sans faire réaliser les analyses qui s'imposaient, [D] [U] a bien violé de façon manifestement délibérée les obligations de prudence et de sécurité prévues par le règlement CE n° 178/2002", et encore que "[D] [U] a sciemment trompé la société Lidl et les consommateurs sur les risques inhérents à l'utilisation de la viande vendue, et sur les contrôles effectués", que le fait pour M. [U], en sa qualité de gérant, d'avoir ainsi sciemment violé les obligations de prudence et de sécurité s'imposant à la société qu'il dirigeait caractérise la faute dolosive au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, peu important qu'il n'ait pas recherché les dommages qui en ont découlé pour les consommateurs et que tant l'opération de retrait dont la prise en charge des frais est sollicitée que l'action judiciaire engagée contre la société Lidl pour rupture brutale des relations commerciales trouvant leur origine dans une intoxication alimentaire résultant de la faute dolosive de M. [U], représentant légal de l'assurée, l'exclusion légale et conventionnelle trouve donc à s'appliquer, et interdit en conséquence à M. [J], ès qualités, d'obtenir la mobilisation des garanties frais de retrait et défense pénale recours ; qu'en statuant ainsi sans caractériser ni le caractère inéluctable du dommage ni la conscience que la société aurait eu de ce caractère inéluctable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

16. Selon l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.

17. Au sens de ce texte, la faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables.

18. L'arrêt relève que, dans son arrêt du 26 février 2019, désormais définitif, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Douai a rappelé que le gérant de la société SEB, en sa qualité de professionnel de la filière bovine, ne pouvait ignorer que le plan de maîtrise sanitaire était un élément essentiel d'une entreprise alimentaire, en particulier de fabrication de viande hachée surgelée où les risques de contamination étaient majeurs, et qu'il pouvait d'autant moins l'ignorer qu'une précédente crise sanitaire avait affecté ce secteur en 2005, et que les services de l'État avaient rappelé à sa société leur vigilance particulière à ce sujet, notamment dans une lettre du 15 juillet 2010 sollicitant la mise en place d'un protocole complet de la gestion du risque relatif à la bactérie E.Coli 0157H7.

19. Il relève encore que, dans cet arrêt, le juge pénal avait considéré que le gérant savait, d'une part, que les contrôles bactériologiques avaient été allégés, d'autre part, que le 11 mai 2011 une mêlée potentiellement contaminée avait été libérée, et, qu'en conséquence, en mettant sciemment sur le marché un produit alimentaire potentiellement dangereux et sans faire réaliser les analyses qui s'imposaient, le gérant avait violé de façon manifestement délibérée les obligations de prudence et de sécurité prévues par le règlement CE n° 178/2002, et sciemment trompé la société Lidl et les consommateurs sur les risques inhérents à l'utilisation de la viande vendue, ainsi que sur les contrôles effectués.

20. Il retient que le fait pour le gérant d'avoir ainsi sciemment violé les obligations de prudence et de sécurité s'imposant à la société qu'il dirigeait caractérise la faute dolosive au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, peu important qu'il n'ait pas recherché les dommages qui en ont découlé pour les consommateurs.

21. L'arrêt en déduit que tant l'opération de retrait dont la prise en charge des frais est sollicitée que l'action judiciaire engagée contre la société Lidl pour rupture brutale des relations commerciales trouvant leur origine dans une intoxication alimentaire résultant de la faute dolosive du gérant, représentant légal de l'assurée, l'exclusion légale et conventionnelle trouve à s'appliquer et interdit, en conséquence, au liquidateur judiciaire d'obtenir la mobilisation des garanties « frais de retrait » et « défense pénale et recours ».

22. Ayant, par ces motifs, fait ressortir que le gérant de la société SEB avait sciemment mis sur le marché de la viande hachée sur laquelle il avait délibérément allégé les contrôles sanitaires et, ainsi, mis en évidence la conscience qu'il avait du caractère inéluctable du dommage qui s'ensuivrait, constitué par le retrait de ce produit, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société [E] et associés, en qualité de liquidateur de la Société économique bragarde de boucherie et charcuterie, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 22400789
Date de la décision : 19/09/2024
Sens de l'arrêt : Rejet

Analyses

ASSURANCE (règles générales)


Références :

Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Dijon, 31 mai 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 19 sep. 2024, pourvoi n°22400789


Composition du Tribunal
Président : Mme Martinel
Avocat(s) : SARL Cabinet Pinet, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:22400789
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