LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 juillet 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 439 FS-B
Pourvoi n° N 22-22.156
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024
La société Famille Delbos, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 22-22.156 contre l'arrêt rendu le 27 septembre 2022 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [S] [D],
2°/ à Mme [W] [Z], épouse [D],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société civile immobilière Famille Delbos, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme [D], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Grandjean, conseiller faisant fonction de doyen, Mme Grall, M. Bosse-Platière, Mme Pic, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 27 septembre 2022), par acte du 24 décembre 1959, [X] [D], aux droits duquel sont venus M. et Mme [D] (les preneurs), a pris à bail à ferme un domaine agricole, devenu la propriété de la société civile immobilière Famille Delbos (la bailleresse).
2. Le 19 septembre 2011, la bailleresse, invoquant divers manquements des preneurs, leur a délivré un congé à effet au 25 mars 2013.
3. Les preneurs ont saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé. Ils ont demandé, à titre additionnel, l'autorisation d'associer leur fils, M. [R] [D], au bail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa première branche et en ses deuxième et troisième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de refuser de prononcer la résiliation du bail
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche en ce qu'il fait grief à l'arrêt d'autoriser l'association au bail
Enoncé du moyen
5. La bailleresse fait grief à l'arrêt d'autoriser les preneurs à associer leur fils au bail, alors « que l'association au bail d'un descendant, qui aboutit à pérenniser le bail, est une faveur réservée au preneur qui n'a commis aucun agissement susceptible d'entraîner la résiliation du bail ; que la cour d'appel a constaté que M. [S] [D] avait effectivement quitté l'exploitation pour prendre sa retraite le 1er juillet 2019 et que le bailleur n'avait jamais été informé officiellement de cette situation ; qu'en considérant qu'il ne s'agirait pas d'une faute et en autorisant l'association au bail de [R] [D], la cour d'appel a violé les articles L. 411-31 et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 411-35, alinéa 2, du code rural et de la pêche maritime, le preneur peut avec l'agrément du bailleur ou, à défaut, l'autorisation du tribunal paritaire, associer à son bail en qualité de copreneur son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité participant à l'exploitation ou un descendant ayant atteint l'âge de la majorité.
7. Il résulte de ce texte que la faculté d'associer un membre de sa famille au bail est réservée au preneur de bonne foi, c'est-à-dire à celui qui s'est acquitté de toutes les obligations légales ou conventionnelles résultant de son bail.
8. La condition de bonne foi est appréciée à la date de la demande en justice d'autorisation d'association.
9. Il ressort des constatations de l'arrêt que les preneurs ont demandé l'autorisation d'associer leur fils au bail, au plus tard, à l'audience du 11 octobre 2018 et que M. [D] a quitté l'exploitation pour prendre sa retraite le 1er juillet 2019. Il s'en déduit que la cessation de sa participation à l'exploitation, postérieure à la demande en justice d'autorisation d'association, ne peut y faire obstacle, quand bien même la formalité prévue à l'article L. 411-35, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime n'aurait-elle pas été réalisée.
10. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche en ce qu'il fait grief à l'arrêt d'autoriser l'association au bail
Enoncé du moyen
11. La bailleresse fait le même grief à l'arrêt, alors « que le bénéficiaire de l'association est tenu de respecter les règles du contrôle des structures ; qu'il doit donc selon le cas justifier avoir obtenu une autorisation d'exploiter ou avoir respecté la législation sur les structures agricoles ; qu'en se bornant à affirmer que compte tenu de ses compétences, [R] [D] n'avait pas besoin d'une autorisation administrative d'exploiter, quand le départ d'un des co-preneurs (l'époux [S] [D]), mais aussi l'âge (62 ans) de la co-preneuse restante [W] [D] qui ne pouvait plus être considérée comme un "actif" au sens du schéma directeur régional, et encore le dépassement du seuil de déclenchement de contrôle prévu par l'arrêté préfectoral applicable rendaient l'autorisation d'exploiter obligatoire, la cour d'appel a violé l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 331-2 et L. 411-35, alinéa 2, du code rural et de la pêche maritime :
12. Selon le second de ces textes, le preneur peut avec l'agrément du bailleur ou, à défaut, l'autorisation du tribunal paritaire, associer à son bail en qualité de copreneur son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité participant à l'exploitation ou un descendant ayant atteint l'âge de la majorité.
13. Selon le premier, sont soumises à autorisation préalable les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, à certaines conditions définies par ce texte.
14. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'autorisation par le tribunal de l'association au bail d'un membre de la famille en qualité de copreneur est subordonnée à la conformité de la situation au contrôle des structures.
15. Pour autoriser l'association de M. [R] [D] au bail, l'arrêt retient que la bailleresse n'explique pas en quoi, dans les conditions du présent dossier où l'exploitation est déjà assurée par les parents du nouveau candidat, celui-ci aurait besoin à titre personnel d'une autorisation administrative d'exploiter en application de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, alors que ceci n'est pas une condition posée par l'article L. 411-35 de ce code et surtout qu'il présente par ailleurs toutes les garanties nécessaires quant à ses capacités professionnelles.
16. En statuant ainsi, alors que l'autorisation de l'association au bail est subordonnée à la conformité de la situation au contrôle des structures, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il autorise M. et Mme [D] à associer leur fils au bail en qualité de copreneur et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 27 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;
Condamne M. et Mme [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [D] et les condamne à payer à la société civile immobilière Famille Delbos la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.