LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 juin 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 548 F-B
Pourvoi n° Y 22-10.321
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUIN 2024
La société Willis Towers Watson NSA, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Gras Savoye NSA, a formé le pourvoi n° 22-10.321 contre l'arrêt rendu le 6 octobre 2021 par la cour d'appel de Lyon (8e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [T] [D], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société Label garantie, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Willis Towers Watson NSA, anciennement dénommée société Gras Savoye NSA, de la SCP Le Griel, avocat de M. [D] et de la société Label garantie, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 mai 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Lyon, 6 octobre 2021), la société Gras Savoye NSA, devenue la société Willis Towers Watson NSA, spécialisée dans la garantie des pannes de véhicules automobiles, a racheté les parts détenues par la société Finari, dont le dirigeant, M. [D], était par ailleurs salarié de la société Gras Savoye NSA, le protocole de cession étant assorti d'une clause de non-concurrence, de non-débauchage et de confidentialité.
2. Le 27 février 2020, la société RAS, dont M. [D] était l'associé unique, a créé la société Label garantie, courtier spécialisé dans l'assurance des pannes véhicules automobiles, M. [D] en étant le président.
3. Se plaignant d'actes de concurrence déloyale et d'une violation de la clause contractuelle par la société Label garantie et M. [D], la société Gras Savoye NSA les a assignés devant le juge des référés d'un tribunal de commerce à fin de faire cesser les actes de concurrence déloyale, puis, en cours de procédure, a demandé la désignation d'un huissier de justice pour effectuer diverses mesures sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. Il a été fait droit à sa demande par ordonnance du 16 décembre 2020.
4. La société Label garantie et M. [D] ont fait appel de cette ordonnance.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. La société Willis Towers Watson NSA, anciennement dénommée Gras Savoye NSA fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance de référé du 16 décembre 2020 en ce qu'elle a ordonné une mesure d'instruction imposant à M. [T] [D] et à la société Label garantie la communication de divers documents, alors « que le juge ne peut pas refuser d'ordonner une mesure d'instruction, en reprochant au demandeur de ne pas rapporter la preuve de faits que la mesure demandée avait précisément pour objet de rapporter ; qu'en déboutant la société Gras Savoye NSA de sa demande de mesure d'instruction, motifs pris qu'elle ne « justifie aucunement de l'outil qu'elle utilise, et par là même que celui utilisé par la société Label garantie est similaire au sien », cependant que la société Gras Savoye NSA sollicitait précisément la communication d'informations aux fins d'établir si la similarité présumée du calculateur tarifaire traduisait une captation de ses données et codes sources ou si, au contraire, la société Label garantie pouvait justifier d'un logiciel doté de spécificités propres et de la propriété des codes sources de ce logiciel, la cour d'appel a fait peser sur la société Gras Savoye NSA la charge de la preuve d'un fait que la mesure d'instruction demandée avait précisément pour objet d'établir et a violé l'article 145 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 145 du code de procédure civile :
7. Il résulte de ce texte que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. Il ne peut refuser d'ordonner une mesure d'instruction au motif que le demandeur ne rapporte pas la preuve de faits que cette mesure a pour objet d'établir.
8. Pour infirmer l'ordonnance de référé du 16 décembre 2020 s'agissant de la production de documents relatifs au site internet de la société Label garantie et au logiciel calculateur de prime qui s'y trouve, l'arrêt retient que si les constats d'huissier établissent que la société Label garantie utilise un outil de tarification, force est de constater que la société Gras Savoye NSA ne justifie aucunement de l'outil qu'elle utilise, et par la même que celui utilisé par la société Label garantie est similaire au sien, ce que contestent formellement M. [D] et la société Label garantie.
9. Il ajoute que la mesure sollicitée, particulièrement intrusive, ne pouvait être ordonnée sur le fondement de ces seules allégations, au seul motif que l'obligation de non-concurrence avait été enfreinte, de sorte que la mesure demandée n'est pas légalement admissible au sens de l'article 145 du code de procédure civile.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a fait peser sur la requérante la charge de la preuve d'un fait que la mesure demandée avait précisément pour objet de rapporter et violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la société Gras Savoye NSA en son appel incident et recevable à solliciter une mesure d'instruction à l'encontre de la société Label garantie, l'arrêt rendu le 6 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.
Condamne la société Label garantie et M. [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Label garantie et M. [D] et les condamne à payer à la société Willis Towers Watson NSA, anciennement dénommée Gras Savoye NSA, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juin deux mille vingt-quatre.