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17/01/2024 | FRANCE | N°C2400039

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 janvier 2024, C2400039


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° N 22-86.326 F-B


N° 00039




ODVS
17 JANVIER 2024




CASSATION PARTIELLE
IRRECEVABILITE


M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 JANVIER 2024


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M. [J] [D], Mme [R] [N], et Mme [H] [K], MM. [S] [K], [P] [K], [C] [K], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 5 octobre 2022, qui, po...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° N 22-86.326 F-B

N° 00039

ODVS
17 JANVIER 2024

CASSATION PARTIELLE
IRRECEVABILITE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 JANVIER 2024

M. [J] [D], Mme [R] [N], et Mme [H] [K], MM. [S] [K], [P] [K], [C] [K], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 5 octobre 2022, qui, pour abus de faiblesse, a condamné, le premier à huit mois d'emprisonnement avec sursis et une confiscation, la seconde, à huit mois d'emprisonnement avec sursis, deux ans d'interdiction professionnelle et une confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Diop-Simon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [J] [D], de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de Mme [R] [N], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocats de Mme [H] [K], MM. [S] [K], [P] [K] et [C] [K], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Diop-Simon, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Une enquête a été ouverte, après la découverte de ventes de produits d'épargne et d'un nombre anormalement élevé de retraits en numéraire, en 2017, des comptes d'[B] [F], alors âgée de quatre-vingt-douze ans. Celle-ci, en 2018, a modifié ses dispositions testamentaires pour réduire à la moitié la part, dans sa succession, de son neveu, M. [P] [K], jusqu'alors seul légataire, et en léguer l'autre moitié à son assistante de vie, Mme [R] [N], et à un ancien collègue, M. [J] [D]. L'enquête a montré que tous deux ont bénéficié d'importantes sommes d'argent venant d'[B] [F], de son vivant. Celle-ci est décédée, le [Date décès 1] 2019.

3. M. [D] et Mme [N] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel, pour abus de faiblesse au préjudice d'[B] [F]. Le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie de sommes d'argent figurant sur les comptes des prévenus. M. [P] [K], ainsi que son épouse et leurs deux fils se sont constitués partie civile.

4. Par jugement du 10 décembre 2020, Mme [N] a été relaxée et M. [D] a été reconnu coupable et condamné, sur l'action publique. Sur l'action civile, le tribunal a déclaré recevable la constitution de partie civile de M. [P] [K], uniquement sur le préjudice moral, déclaré M. [D] responsable de ce préjudice, renvoyé l'affaire pour que son montant soit fixé, et débouté l'épouse et les enfants de M. [P] [K] de leurs demandes, faute, pour ceux-ci, de justifier d'un préjudice.

5. M. [D], les parties civiles et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé pour Mme [N] le 11 octobre 2022

6. Mme [N] ayant épuisé son droit de se pourvoir en cassation contre l'arrêt attaqué par la déclaration, faite par son avocat, le 7 octobre 2022, la déclaration de pourvoi, formée en son nom, par le même avocat, le 11 octobre 2022, n'est pas recevable.

7. Seul est recevable le pourvoi formé le 7 octobre 2022.

Examen des moyens

Sur le moyen proposé pour Mme [N], les premier, deuxième et troisième moyens proposés pour M. [D], et le premier moyen proposé pour les consorts [K]

8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur les deuxième et troisième moyens proposés pour les consorts [K]

Enoncé des moyens

9. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a limité la recevabilité de la constitution de partie civile de M. [K] au préjudice moral, alors :

« 1°/ qu'il suffit, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable, que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ; qu'en limitant la recevabilité de la constitution de partie civile de [P] [K] à son préjudice moral, après avoir pourtant constaté, au vu de l'enquête, que sous l'emprise des prévenus, Mme [F] avait été contrainte de décaisser l'argent placé sur un contrat d'assurance retraite dont [P] [K] était désigné bénéficiaire, d'où résultait pour lui un préjudice patrimonial personnel découlant directement des faits, objet de la poursuite, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1240 du code civil, 223-15-2 du code pénal, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que dans ses conclusions d'appel, [P] [K], initialement légataire universel de la totalité de la succession de Mme [F], rappelait que sous la contrainte des prévenus, celle-ci avait modifié ses dispositions testamentaires le 24 août 2018, soit environ six mois avant son décès, pour instituer, à son détriment, les coprévenus légataires pour moitié à parts égales de la moitié de la succession de Mme [F], M. [K] ne conservant que l'autre moitié (conclusions d'appel de la partie civile, p. 9) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire des conclusions de M. [K], de nature à caractériser l'existence d'un dommage matériel et financier – et non seulement moral – dont il a personnellement souffert et qui découle directement des faits, objet de la poursuite, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1240 du code civil, 223-15-2 du code pénal, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

10. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement qui a déclaré M. [D] responsable du préjudice moral subi par M. [K] et, statuant à nouveau, a réservé l'examen de cette question dans le cadre de l'instance d'intérêts civils pendante devant la juridiction de premier degré, alors :

« 1°/ que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour la victime ; qu'il ressort des pièces de la procédure et des propres constatations de l'arrêt que [P] [K], parent le plus proche de la victime avec laquelle il entretenait des relations régulières, avait vu sa confiance trahie par le prévenu, [J] [D], ami de longue date, d'où résultait nécessairement un préjudice moral découlant directement des faits, objet de la poursuite du chef d'abus frauduleux de l'état de faiblesse à l'égard de Mme [F] ; qu'en infirmant néanmoins le jugement en ce qu'il a déclaré [J] [D] responsable du préjudice moral subi par [P] [K] et renvoyer l'examen de cette question à l'audience d'intérêts civils pendante devant la juridiction du premier degré « au regard du peu d'éléments versés aux débats et de la nécessité de pouvoir statuer sur la question de la responsabilité en prenant en compte l'ensemble des préjudices subis » (arrêt, p. 16, § 8), la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif impropre à écarter la responsabilité du prévenu au titre du préjudice moral subi par [P] [K], n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe susvisé, des articles 1240 du code civil, 223-15-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que dans ses conclusions d'appel, M. [P] [K] justifiait de l'existence de son préjudice moral en expliquant qu'en véhiculant à Mme [F] des propos dénigrants à son égard, M. [D] avait inscrit la victime dans un processus d'isolement à l'égard de sa famille, et que par ailleurs, tous les souvenirs de famille personnels avaient totalement disparu sous l'emprise du prévenu (conclusions de partie civile, p. 8 et 9) ; qu'en infirmant néanmoins le jugement en ce qu'il a déclaré M. [J] [D] responsable du préjudice moral subi par M. [P] [K] sans répondre à ses conclusions de nature à caractériser un tel préjudice, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe de réparation intégrale du préjudice, des articles 223-15-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que dans ses conclusions d'appel, [P] [K] invoquait l'existence d'un « préjudice par ricochet au titre des douleurs morales de sa tante isolée et abusée en sa fin de vie » (conclusions d'appel, p. 9, § 6) ; qu'en infirmant le jugement en ce qu'il a déclaré [J] [D] responsable du préjudice moral subi par [P] [K] sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions de la partie civile, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe de réparation intégrale du préjudice, des articles 1240 du code civil, 223-15-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

11. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 509, 520 et 593 du code de procédure pénale :

12. Il résulte des deux premiers textes que la cour d'appel est tenue d'évoquer les points du litige relatifs à l'action civile qui n'ont pas été tranchés par les premiers juges lorsque le renvoi devant ces derniers les exposerait à se contredire sur ce qu'ils avaient décidé.

13. Selon le troisième, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

14. Après avoir prononcé sur l'action publique et, par infirmation du jugement, déclaré les deux prévenus coupables, la cour d'appel a renvoyé l'affaire devant le tribunal correctionnel, afin qu'il statue sur les demandes présentées par M. [P] [K], partie civile.

15. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

16. En effet, d'une part, elle n'a pas répondu aux conclusions déposées par M. [P] [K] qui réclamait, par infirmation du jugement, la réparation du préjudice causé par l'infraction à la victime, de son vivant, l'indemnisation du préjudice porté à la succession de celle-ci par les agissements des prévenus, et la réparation du préjudice résultant de la réduction de ses droits dans la succession.

17. D'autre part, elle a exposé la juridiction du premier degré à contredire ses propres décisions, le tribunal ayant écarté l'existence d'un préjudice matériel, ainsi que la responsabilité de Mme [N], relaxée en première instance et condamnée en appel.

18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

19. Elle portera sur les seules dispositions civiles de l'arrêt concernant les demandes de M. [P] [K], partie civile. Les dispositions pénales et les autres dispositions civiles seront maintenues.

Examen des demandes fondées sur l'article 618-1 du code de procédure pénale

20. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. Les déclarations de culpabilité de M. [D] et Mme [N] étant devenues définitives par suite de la non-admission de leurs pourvois, il y a lieu de faire partiellement droit aux demandes de M. [P] [K].

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé pour Mme [N] le 11 octobre 2022 :

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

Sur les autres pourvois :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 5 octobre 2022, mais en ses seules dispositions civiles concernant les demandes de M. [P] [K], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [N] devra payer à M. [P] [K] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [D] devra payer à M. [P] [K] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400039
Date de la décision : 17/01/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

APPEL CORRECTIONNEL OU DE POLICE - Infirmation - Effets - Action civile - Risque d'exposer les premiers juges à se contredire en cas de renvoi devant eux - Evocation - Obligation

La cour d'appel est tenue d'évoquer les points du litige relatifs à l'action civile qui n'ont pas été tranchés par les premiers juges lorsque le renvoi devant ces derniers les exposerait à se contredire sur ce qu'ils avaient décidé. Encourt la cassation l'arrêt qui, après avoir prononcé sur l'action publique et, par infirmation du jugement, déclaré les deux prévenus coupables, renvoie l'affaire devant le tribunal correctionnel afin qu'il statue sur les demandes présentées par la partie civile alors que celui-ci avait écarté l'existence d'un préjudice matériel ainsi que la responsabilité de l'un des prévenus relaxé en première instance


Références :

Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 05 octobre 2022

Sur le fait que la cour d'appel ne peut évoquer les points du litige relatif à l'action civile, qui n'ont pas été tranchés par les premiers juges, que lorsque le renvoi devant ces derniers les exposerait à se contredire sur ce qu'ils avaient décidé :Crim., 15 juin 2011, pourvoi n° 10-87312, Bull. crim. 2011, n° 126 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 17 jan. 2024, pourvoi n°C2400039


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal
Avocat(s) : SCP Spinosi, SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400039
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