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28/06/2023 | FRANCE | N°22-85091

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 juin 2023, 22-85091


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° V 22-85.091 FS-B

N° 00754

ECF
28 JUIN 2023

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 JUIN 2023

Mmes [W] [U] et [Y] [L], parties intervenantes, M. [T] [A] et Mme [H] [U] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 12e chambre, e

n date du 1er juillet 2022, qui, dans la procédure suivie contre MM. [K] [A] et [T] [A] des chefs de tentative d'escroqueri...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° V 22-85.091 FS-B

N° 00754

ECF
28 JUIN 2023

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 JUIN 2023

Mmes [W] [U] et [Y] [L], parties intervenantes, M. [T] [A] et Mme [H] [U] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 12e chambre, en date du 1er juillet 2022, qui, dans la procédure suivie contre MM. [K] [A] et [T] [A] des chefs de tentative d'escroquerie et blanchiment aggravé, a ordonné des confiscations.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mmes [W] [U], [Y] [L], [H] [U] et de M. [T] [A], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Chafaï, conseillers référendaires, Mme Viriot-Barrial, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [K] [A], M. [T] [A] et Mme [H] [U], notamment, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel, les deux premiers pour blanchiment aggravé et mise en circulation, détention en vue de la mise en circulation, et transport de monnaie ayant cours légal contrefaisante ou falsifiée, la troisième pour association de malfaiteurs.

3. Par jugement du 18 février 2021, le tribunal a renvoyé Mme [H] [U] des fins de la poursuite, a requalifié les faits de transport, mise en circulation, détention en vue de la mise en circulation de monnaie ayant cours légal en France contrefaisante ou falsifiée, reprochés à M. [T] [A], en tentative d'escroquerie, a déclaré le prévenu coupable de ce délit et de celui de blanchiment aggravé, et l'a condamné à trente-six mois d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis.

4. Le tribunal a par ailleurs requalifié les faits de transport, mise en circulation, détention en vue de la mise en circulation de monnaie ayant cours légal en France contrefaisante ou falsifiée, reprochés à M. [K] [A], en tentative d'escroquerie, et déclaré le prévenu coupable de ce délit et de celui de blanchiment aggravé.

5. En répression des faits commis par M. [K] [A], le tribunal a ordonné la confiscation d'un terrain sur lequel est construit un garage situé [Adresse 2] à [Localité 5] (93), section A n° [Cadastre 1], appartenant en indivision à M. [T] [A] et Mme [Y] [L], et des loyers y afférents.

6. Le tribunal a également ordonné la confiscation d'un véhicule Ford Focus immatriculé [Immatriculation 4] et ses accessoires appartenant à Mme [H] [U], en répression des faits commis par le même prévenu.

7. Enfin, le tribunal a ordonné la confiscation d'un véhicule Mercedes 350 immatriculé [Immatriculation 3] et ses accessoires appartenant à Mme [W] [U], en répression des faits commis par M. [T] [A].

8. M. [T] [A] a interjeté appel de la décision en cantonnant son appel à la confiscation du véhicule Mercedes et de l'immeuble, ainsi que des loyers y afférents.

9. Mme [H] [U] a par ailleurs interjeté appel de la décision en cantonnant son appel à la confiscation du véhicule Ford Focus.

10. Mme [L] est intervenue volontairement pour solliciter la restitution de l'immeuble et des loyers.

11. Mme [W] [U] est par ailleurs intervenue volontairement pour solliciter la restitution du véhicule Mercedes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a été rendu sans que la parole en dernier ait été donnée à la défense de M. [T] [A], prévenu, en violation des articles 460 et 512 du code de procédure pénale et des droits de la défense.

Réponse de la Cour

13. En vertu de l'article 460 du code de procédure pénale, dans le débat pénal devant la chambre des appels correctionnels, le prévenu ou son conseil doivent toujours avoir la parole les derniers.

14. Il ressort des mentions de l'arrêt attaqué que l'avocat de Mme [L], partie intervenante, a eu la parole après l'avocat de M. [T] [A], prévenu.

15. La décision critiquée n'encourt cependant pas la censure.

16. En effet, aucune atteinte n'a été portée aux intérêts de M. [T] [A], dès lors que Mme [L] et ce dernier ont tous deux sollicité la restitution de l'immeuble confisqué en répression des faits commis par M. [K] [A], en invoquant leur qualité commune de tiers indivisaire de celui-ci et en faisant valoir l'un comme l'autre que ce prévenu n'en avait pas la libre disposition, qu'ils étaient de bonne foi et que la confiscation portait une atteinte disproportionnée à leur droit de propriété.

17. Le moyen ne peut dès lors être accueilli.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement en toutes ses dispositions sur les confiscations, et a rejeté l'intervention volontaire de Mme [W] [U] et la requête en intervention volontaire de Mme [L], alors :

« 1°/ qu'hormis le cas où la confiscation, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui dans sa totalité, constitue le produit ou l'objet de l'infraction, le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé, même s'il s'agit d'un tiers aux poursuites, et ne peut ordonner la confiscation d'un bien indivis qu'après s'être assuré, au besoin d'office, de l'atteinte portée au droit de propriété de chacun des indivisaires au regard de la gravité concrète des faits et de leur situation personnelle ; qu'en affirmant que la confiscation de l'immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5] propriété indivise de M. [T] [A] et de Mme [Y] [L], acquis en 2011, avant les faits reprochés au seul M. [K] [A], uniquement concerné par cette peine de confiscation, et des loyers de cet immeuble, est proportionnée à l'égard de M. [T] [A] « parce qu'il a admis avoir rendu service en acquérant ce bien », et à l'égard de Mme [Y] [L] « qui n'a rien dépensé pour ce bien », sans rechercher concrètement au regard tant de la gravité des faits que de la situation personnelle des intéressés, étant précisé que Mme [L] n'a jamais été visée par les poursuites, et indépendamment des modalités d'acquisition du bien et de son financement éventuel, si la mesure ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété des intéressés, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale qu'elle a violés ;

2°/ qu'en toute hypothèse, la mauvaise foi d'une personne qui détient un bien n'est pas présumée et ne peut être établie que s'il est démontré que cette personne a participé sciemment ou a eu connaissance de l'infraction sanctionnée par la confiscation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que M. [T] [A] et Mme [Y] [L] ne peuvent être considérés de bonne foi car ils étaient conscients d'avoir servi de prête-nom, l'immeuble étant géré par M. [K] [A], sans pour autant constater soit qu'ils auraient participé à l'infraction sanctionnée par la confiscation, soit qu'ils en auraient eu nécessairement connaissance, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ;

3°/ que s'agissant de la confiscation du véhicule Mercedes dont la carte grise indique que sa propriétaire est Mme [W] [U], même si son frère, M. [T] [A] l'utilisait et en payait l'assurance et l'entretien, l'arrêt qui indique que Mme [W] [U] « ne démontre pas sa bonne foi », ne sachant pas comment M. [T] [A] avait les moyens de payer ses mensualités et l'entretien du véhicule, a renversé la charge de la preuve de la mauvaise foi de cette personne, qui n'a jamais été poursuivie, et n'a pas davantage établi que Mme [W] [U] connaissait l'activité délictueuse de son frère ou y aurait participé, ni ne justifie du caractère proportionné à son égard de la mesure de confiscation prononcée, méconnaissant le principe de la charge de la preuve et les textes susvisés ;

4°/ que sur la confiscation du véhicule Ford Focus dont la carte grise indique que son propriétaire est Mme [H] [U], l'arrêt affirme que son mari M. [K] [A] en aurait eu la libre disposition, et que Mme [U] n'en serait pas la véritable propriétaire, mais nonobstant les conditions d'acquisition de ce véhicule, qui appartenait officiellement à Mme [U], la cour d'appel n'a pas recherché si celle-ci n'était pas tiers de bonne foi, comme n'ayant pas participé ni n'ayant eu connaissance des activités délictueuses de son mari et n'a pas non plus justifié, à son égard, du caractère proportionné de la confiscation prononcée en violation des textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, en ce qu'il est dirigé à l'encontre de la confiscation de l'immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 5] (93) et des loyers

19. Pour confirmer la confiscation de l'immeuble et des loyers, l'arrêt relève notamment, après avoir énoncé les motifs propres à établir que ceux-ci sont à la libre disposition de M. [K] [A], que M. [T] [A] et Mme [L] ne peuvent être considérés comme étant de bonne foi puisqu'ils étaient bien conscients de servir de prête-nom et que l'immeuble était géré par M. [K] [A] qui leur reversait l'équivalent des mensualités de crédit.

20. Les juges ajoutent que la confiscation est proportionnée à l'égard de M. [T] [A] qui a admis qu'il a rendu service et n'est pas le véritable propriétaire de l'immeuble, de même qu'à l'égard de Mme [L] qui n'a rien dépensé pour ce bien jusqu'à la confiscation, outre le fait que la mesure ne remet pas en cause sa situation financière.

21. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.

22. En effet, d'une part, elle a établi que M. [T] [A] et Mme [L] savaient que M. [K] [A] était le propriétaire économique réel des biens confisqués, de sorte qu'ils n'étaient pas de bonne foi.

23. D'autre part, elle s'est assurée que la confiscation ne portait pas à leur droit de propriété une atteinte disproportionnée en retenant qu'ils n'étaient pas les propriétaires économiques réels des biens confisqués.

Sur le moyen, en ce qu'il est dirigé à l'encontre de la confiscation du véhicule Mercedes 350 immatriculé [Immatriculation 3] et ses accessoires

24. Pour confirmer la confiscation du véhicule, les juges retiennent, après avoir énoncé les motifs propres à établir que celui-ci est à la libre disposition de M. [T] [A], que Mme [W] [U] ne démontre pas sa bonne foi, ne sachant pas comment M. [A] avait les moyens de payer les mensualités et l'entretien du véhicule.

25. Ils ajoutent que la confiscation est proportionnée car Mme [W] [U] n'est pas la véritable propriétaire du véhicule.

26. En prononçant ainsi, par des motifs dont il se déduit que Mme [W] [U] savait qu'elle n'était pas la propriétaire économique réelle du véhicule, en sorte qu'elle n'était pas de bonne foi, la cour d'appel, qui s'est par ailleurs assurée que la confiscation ne portait pas au droit de propriété de l'intéressée une atteinte disproportionnée, en retenant qu'elle n'était pas la propriétaire économique réelle du bien confisqué, a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.

Mais sur le moyen, en ce qu'il est dirigé à l'encontre de la confiscation du véhicule Ford Focus immatriculé [Immatriculation 4] et ses accessoires

Vu l'article 131-21, alinéas 1 et 5, du code pénal :

27. Selon ce texte, la peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement.

28. S'il s'agit d'un crime ou d'un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, lorsque ni le condamné, ni le propriétaire, mis en mesure de s'expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n'ont pu en justifier l'origine.

29. Pour confirmer la confiscation du véhicule, l'arrêt retient que la carte grise indique que son propriétaire est Mme [H] [U] mais qu'il ressort des éléments du dossier qu'il est utilisé par MM. [T] et [K] [A], ce dernier n'ayant pas interjeté appel du jugement ayant déclaré qu'il avait la libre disposition du véhicule.

30. Les juges ajoutent que Mme [H] [U] ne donne aucun renseignement sur le financement du véhicule et son entretien.

31. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, pour établir la mauvaise foi de Mme [H] [U], si cette dernière savait que M. [K] [A] était le propriétaire économique réel du véhicule, a insuffisamment justifié sa décision.

32. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 1er juillet 2022, mais en ses seules dispositions relatives à la confiscation du véhicule Ford Focus immatriculé [Immatriculation 4] et ses accessoires, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 22-85091
Date de la décision : 28/06/2023
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PEINES - Peines complémentaires - Confiscation - Confiscation de biens à la libre disposition du condamné - Atteinte au droit de propriété du tiers propriétaire - Caractère non-disproportionné - Propriétaire économique réel des biens confisqués

Justifie sa décision la cour d'appel qui, pour établir que la confiscation ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété des tiers propriétaires de biens dont elle ordonne la confiscation, retient que ces derniers n'étaient pas les propriétaires économiques réels des biens confisqués


Références :

Sur le numéro 1 : Articles 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

article 131-21 du code pénal

articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale.

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 01 juillet 2022

N1Sur la bonne foi, à rapprocher :Crim., 13 avril 1999, pourvoi n° 97-85443, Bull. crim. 1999, n° 74 (cassation) ;Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-81874, Bull. crim. 2014, n° 12 (rejet).Sur la propriété économique réelle, à rapprocher :Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-86979, Bull. crim. (rejet).N2Sur la proportionnalité de la peine de confiscation :Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-86979, Bull. crim. (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 jui. 2023, pourvoi n°22-85091, Bull. crim.
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:22.85091
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