LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 avril 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 339 FS-B
Pourvoi n° T 20-22.866
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
Le crédit Immobilier de France développement, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 20-22.866 contre l'arrêt rendu le 1er octobre 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société CNP caution, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à M. [Y] [L],
3°/ à Mme [K] [T], épouse [L],
domiciliés tous deux[Adresse 1] (Royaume Uni)
défendeurs à la cassation.
La société SNP caution a formé un pourvoi provoqué éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur, au pourvoi principal, invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt
La demanderesse, au pourvoi incident éventuel, invoque, à l'appui de son pourvoi le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vitse, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat du crédit Immobilier de France développement, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société CNP caution, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [L], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Vitse, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel et Bruyére, Mme Guihal, conseillers, M. Vitse, Mmes Kloda, Champ et Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 1er octobre 2020), par acte sous seing privé du 22 novembre 2007, la société Crédit immobilier de France Centre Ouest, aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (la banque), a consenti à M. et Mme [L] (les emprunteurs) un prêt immobilier garanti par le cautionnement de la société CNP caution (la caution).
2. La banque a assigné les emprunteurs et la caution en paiement des sommes restant dues au titre du prêt.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi principal
Enoncé du moyen
3. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement formée contre la caution et d'ordonner à ses frais la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, alors « qu'en ce qu'elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur, la prescription biennale prévue à l'article L. 218-2 du code de la consommation ne peut être opposée au créancier par la caution ; que la prescription libératoire extinctive à l'égard du débiteur n'éteint pas le droit du créancier, mais lui interdit seulement d'exercer son action contre le débiteur ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande de la banque à l'encontre de la caution, que les emprunteurs s'étant prévalus de la prescription biennale, la dette était éteinte et que cette extinction profitait à la caution, la cour d'appel a violé l'article L. 218-2 du code de la consommation, ensemble l'article 2313 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. L'article L. 218-2 du code de la consommation dispose que l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.
5. Selon l'article 2253 du code civil, les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer ou l'invoquer lors même que le débiteur y renonce.
6. Il résulte de l'article 2313 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, que la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette, mais ne peut lui opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur.
7. Il a été jugé qu'en ce qu'elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue par l'article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution (1re Civ. 11 décembre 2019, pourvoi n° 18-16.147, publié).
8. Une telle solution exposait le débiteur principal au recours personnel de la caution, le privant ainsi du bénéfice de la prescription biennale attachée à sa qualité de consommateur contractant avec un professionnel fournisseur de biens ou de services, outre qu'elle conduirait à traiter plus sévèrement les cautions ayant souscrit leur engagement avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée, laquelle permet en principe à la caution d'opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur.
9. Il y a donc lieu de modifier la jurisprudence et de décider désormais que, si la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu'il s'agit d'une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir, conformément aux dispositions précitées du code civil.
10. La cour d'appel, qui a constaté l'acquisition du délai biennal de prescription de l'action en paiement formée par la banque contre les emprunteurs, a relevé que la caution s'en prévalait pour s'opposer à la demande en paiement formée contre elle.
11. Il en résulte que la demande en paiement formée par la banque contre la caution ne pouvait qu'être rejetée.
12. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
Condamne la société Crédit immobilier de France développement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour le crédit Immobilier de France développement
Le Crédit immobilier de France développement fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté sa demande de paiement à l'encontre de la société CNP caution, et d'AVOIR ordonné à ses frais la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire autorisée par ordonnance du 24 août 2015 ;
ALORS QU'en ce qu'elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur, la prescription biennale prévue à l'article L. 218-2 du code de la consommation ne peut être opposée au créancier par la caution ; que la prescription libératoire extinctive à l'égard du débiteur n'éteint pas le droit du créancier, mais lui interdit seulement d'exercer son action contre le débiteur ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande du CIFD à l'encontre de la CNP Caution, que M. et Mme [L] s'étant prévalus de la prescription biennale, la dette était éteinte et que cette extinction profitait à la caution, la cour d'appel a violé l'article L. 218-2 du code de la consommation, ensemble l'article 2313 du code civil. Moyen produit, au pourvoi incident éventuel, par la SARL Matuchansky, poupot et Valdeliévre, avocat au conseiil, pour la société CNP Caution
La société CNP Caution fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que ses demandes à l'encontre de M. et Mme [L] étaient sans objet ;
Alors que la caution qui a payé a son recours contre le débiteur principal ; que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'une éventuelle cassation sur le pourvoi principal de la banque, en ce que l'arrêt attaqué a rejeté sa demande en paiement dirigée contre la caution, s'étendrait, par voie de dépendance nécessaire, au chef par lequel la cour d'appel a inféré du rejet de cette demande présentée par la banque que le recours de la caution contre les emprunteurs était sans objet.