LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 mars 2022
Rejet
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 169 F-B
Pourvoi n° F 20-16.277
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 MARS 2022
M. [U] [Y], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 20-16.277 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2020 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant à la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Paris et d'Ile-de-France, société coopérative à capital variable, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Guerlot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [Y], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Paris et d'Ile-de-France, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Guerlot, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 janvier 2020), par un acte du 2 juillet 2015, la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Paris et d'Ile-de-France (la banque) a consenti un prêt à la société ANL motos. M. [Y], président et associé majoritaire de la société ANL motos, s'est rendu caution du remboursement de ce prêt. La société ANL motos ayant été mise en liquidation judiciaire le 15 mai 2016, avec une date de cessation des paiements fixée au 29 février 2016, la banque a assigné en paiement M. [Y] qui lui a opposé d'avoir manqué à son devoir de mise en garde à son égard.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. M. [Y] fait grief à l'arrêt de le déclarer mal fondé en ses demandes, de l'en débouter et, en conséquence, de le condamner en qualité de caution solidaire de la société ANL motos à payer à la banque la somme de 76 783,20 euros, majorée des intérêts de droit au taux contractuel de 6,59 % à compter du 23 avril 2016, alors :
« 1°/ que commet une faute à l'égard de la caution non avertie, le banquier dispensateur de crédit qui ne se met pas en mesure d'apprécier l'adéquation du crédit aux capacités financières de la société débitrice ; que commet donc une faute la banque qui consent un prêt pour permettre le démarrage d'une société sans que lui fussent présentés des éléments comptables prévisionnels ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que "le prêt dont a bénéficié la société cautionnée par M. [Y] lui a été accordé au début de son activité puisque l'objet du financement était le 'lancement' du fonds de commerce exploité par la société ANL motos et il n'est pas indiqué par le Crédit agricole qu'il lui aurait été remis des éléments comptables sur l'activité prévisionnelle de la société, la banque ne versant aux débats que le projet présentant la structure sans éléments comptables précis" ; qu'en retenant pourtant que la banque n'aurait pas commis de faute lors de l'octroi du crédit, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
2°/ que commet une faute à l'égard de la caution non avertie, le banquier dispensateur de crédit qui consent à la société débitrice principale un prêt quand l'opération était vouée à l'échec dès son lancement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le prêt a été consenti à la société ANL motos le 2 juillet 2015 et que celle-ci a fait l'objet d'une procédure collective ouverte par jugement du 15 mars 2016, la date de cessation des paiements étant fixée au 29 février 2016 ; qu'il en résulte que la société ANL motos était en état de cessation de paiement moins de huit mois après qu'un prêt lui a été consenti pour financer son lancement ; qu'en retenant que la banque n'avait pas commis de faute sans rechercher s'il n'en résultait pas que, dès l'origine, l'opération était vouée à l'échec, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
3°/ que la qualité de caution avertie ne saurait résulter de la seule qualité de dirigeant de la société cautionnée, ni, a fortiori, de la qualité d'associé de ladite société ; que le tribunal a pourtant déduit le caractère prétendument averti de M. [Y] de ce qu'il était président de la société ANL motos et associé majoritaire de ladite société ; qu'en statuant ainsi, à supposer ce motif adopté, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
4°/ que le tribunal a affirmé que "dans les pièces produites à la cause, M. [Y] est présenté comme ayant une expérience dans la gestion et le management" ; qu'en statuant ainsi, à supposer ce motif adopté, sans aucunement indiquer sur quelle pièce elle se fondait pour justifier cette affirmation, vivement contestée par M. [Y], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
3. Pour établir que le banquier dispensateur de crédit était tenu, à son égard, d'un devoir de mise en garde, la caution non avertie doit établir qu'à la date à laquelle son engagement a été souscrit, celui-ci n'était pas adapté à ses capacités financières ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel résultait de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur. La circonstance que la banque a octroyé le prêt sans disposer d'éléments comptables sur l'activité prévisionnelle de l'emprunteur ne dispense pas la caution d'établir l'inadaptation de ce prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
4. L'arrêt relève que M. [Y], président de la société ANL motos, ne produit aucun document comptable relatif à cette société lors du démarrage de son activité et que, selon la déclaration de créance du 30 mars 2016, les échéances du prêt cautionné avaient été payées jusqu'à la date de l'ouverture de la procédure collective.
5. L'arrêt retient encore que le patrimoine déclaré par M. [Y] à la banque à la date du cautionnement s'évalue, après déduction des emprunts encore en cours, à la somme totale de 301 243,93 euros et que, sans même tenir compte de ses revenus déclarés, il ne peut davantage être considéré que son engagement n'était pas adapté à ses capacités financières.
6. En l'état de ces énonciations et constatations souveraines, desquelles il résulte que M. [Y] n'apportait pas la preuve lui incombant que le prêt litigieux était inadapté aux capacités financières de la société ALN motos ou à ses propres capacités financières, la cour d'appel, qui n'a pas adopté les motifs du jugement critiqués par les troisième et quatrième branches, rendus surabondants, a pu retenir qu'il ne pouvait être reproché à la banque d'avoir manqué à son devoir de mise en garde.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [Y] et le condamne à payer à la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Paris et d'Ile-de-France la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. [Y].
Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir déclaré M. [U] [Y] mal fondé en ses demandes, de l'en avoir débouté et, en conséquence, d'avoir condamné M. [U] [Y] en qualité de caution solidaire de la société ANL Motos à payer la somme de 76 783,20 euros majorée des intérêts de droit au taux contractuel de 6,59 % à compter du 23 avril 2016 ;
aux motifs propres que « sur le devoir de mise en garde : que M. [Y], après avoir rappelé l'obligation de mise en garde du banquier à l'égard de la caution non avertie, fait valoir qu'il n'était titulaire d'aucun diplôme en gestion ou en finance, que la gestion et le management des entreprises lui étaient totalement étrangers et que par conséquent il était non averti de la situation financière de la société cautionnée et de ses perspectives de développement en dépit de sa fonction de président de sorte que la banque était tenue d'un devoir de mise en garde à son égard ; qu'au moment où il a consenti le cautionnement en cause, la société avait à peine deux mois d'existence et que le jugement de liquidation a été prononcé moins d'un an après la création de la société, ce qui confirme qu'il n'avait pas, au moment de son engagement, apprécié les risques pris et sur lesquels la banque, en sa qualité de professionnel, aurait dû attirer son attention. Il soutient que c'est donc à tort que le tribunal a rejeté ses demandes à ce titre et que son préjudice consiste en la perte de chance de ne pas contracter le cautionnement dont le paiement lui est désormais réclamé par la banque ; que le Crédit agricole rappelle également les conditions dans lesquelles est apprécié le devoir de mise en garde du banquier et soutient qu'en l'espèce il n'était tenu à l'égard de M. [Y] d'aucune obligation à ce titre dès lors qu'il n'existe ni risque d'endettement du débiteur cautionné, le financement accordé à la société étant parfaitement adapté dans la mesure où il n'y avait pas de remboursement impayé lors de l'ouverture de la procédure collective, ni risque d'endettement personnel de M. [Y] et que ce dernier apparaît comme une caution avertie au regard non seulement de sa qualité de dirigeant de la société débitrice mais aussi de son expérience et des services dont il a bénéficié, celui-ci disposant incontestablement des compétences pour apprécier les risques du financement garanti. Le Crédit agricole ajoute enfin qu'à supposer établie une violation du devoir de mise en garde, l'appelant n'établit pas son préjudice, la perte de chance de ne pas contracter ne pouvant être équipollente au montant de la créance de la banque ; que le banquier dispensateur de crédit est tenu d'un devoir de mise en garde à l'égard de la caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou lorsqu'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l'emprunteur, étant rappelé que la charge de la preuve de ces éléments appartient à la caution ; que s'il est exact que le prêt dont a bénéficié la société cautionnée par M. [Y] lui a été accordé au début de son activité puisque l'objet du financement était le 'lancement' du fonds de commerce exploité par la société ANL motos et qu'il n'est pas indiqué par le Crédit agricole qu'il lui aurait été remis des éléments comptables sur l'activité prévisionnelle de la société, la banque ne versant aux débats que le projet présentant la structure sans éléments comptables précis, il n'est cependant pas démontré par M. [Y] qui ne produit de son côté aucun document comptable de la société dont il était le président, qu'il existait un risque d'endettement de la société, né de l'octroi de ce prêt et résultant de son inadaptation aux capacités financières de cette dernière. Les mensualités de ce prêt remboursable à compter du mois d'août 2015, d'un montant de 1033,07 euros, ne sont d'ailleurs restées impayées que postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, ainsi que le précise la mise en demeure adressée à M. [Y] à compter du premier incident de paiement du 8 avril 2016, la déclaration de créance du 30 mars 2016 ne faisant état que du capital restant dû au 15 mars 2016, sans échéance antérieurement impayée ; qu'au regard du patrimoine dont disposait M. [Y], tel que précédemment décrit et déclaré au Crédit agricole, il ne peut davantage être considéré que son cautionnement n'était pas adapté à ses capacités financières ; que dans ces conditions, il ne peut être reproché au Crédit agricole d'avoir manqué à son devoir de mise en garde ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté l'appelant de toute demande à ce titre » ;
et aux motifs éventuellement adoptés que « sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts : que M. [U] [Y] demande à ce que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France soit condamnée à lui verser la somme de 80 764,97 euros à titre de dommages et intérêts au motif qu'elle aurait manqué à son obligation de mise en garde d'une caution non avertie ; mais que Monsieur [U] [Y] était Président de la société ANL Motos, bénéficiaire du prêt cautionné ; qu'il est également actionnaire majoritaire de ladite société et par conséquence en retirait un intérêt patrimonial ; que dans les pièces produits à la cause Monsieur [U] [Y] est présenté comme ayant une expérience dans la gestion et le management qu'en conséquence, il conviendra de déclarer M. [U] [Y] mal fondé en sa demande de dommages et intérêts et l'en débouter » ;
alors 1°/ que commet une faute à l'égard de la caution non avertie, le banquier dispensateur de crédit qui ne se met pas en mesure d'apprécier l'adéquation du crédit aux capacités financières de la société débitrice ; que commet donc une faute la banque qui consent un prêt pour permettre le démarrage d'une société sans que lui fussent présentés des éléments comptables prévisionnels ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que « le prêt dont a bénéficié la société cautionnée par M. [Y] lui a été accordé au début de son activité puisque l'objet du financement était le « lancement » du fonds de commerce exploité par la société ANL Motos et il n'est pas indiqué par le Crédit Agricole qu'il lui aurait été remis des éléments comptables sur l'activité prévisionnelle de la société, la banque ne versant aux débats que le projet présentant la structure sans éléments comptables précis » (arrêt, p. 7, antépénultième alinéa) ; qu'en retenant pourtant que la banque n'aurait pas commis de faute lors de l'octroi du crédit, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
alors 2°/ que commet une faute à l'égard de la caution non avertie, le banquier dispensateur de crédit qui consent à la société débitrice principale un prêt quand l'opération était vouée à l'échec dès son lancement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le prêt a été consenti à la société ANL Motos le 2 juillet 2015, et que celle-ci a fait l'objet d'une procédure collective ouverte par jugement du 15 mars 2016, la date de cessation des paiements étant fixée au 29 février 2016 ; qu'il en résulte que la société ANL Motos était en état de cessation de paiement moins de 8 mois après qu'un prêt lui a été consenti pour financer son lancement ; qu'en retenant que la banque n'avait pas commis de faute sans rechercher s'il n'en résultait pas que, dès l'origine, l'opération était vouée à l'échec, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
alors et en tout état de cause 3°/ que la qualité de caution avertie ne saurait résulter de la seule qualité de dirigeant de la société cautionnée, ni, a fortiori, de la qualité d'associé de ladite société ; que le tribunal a pourtant déduit le caractère prétendument averti de M. [Y] de ce qu'il était président de la société ANL Motos et associé majoritaire de ladite société ; qu'en statuant ainsi, à supposer ce motif adopté, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
alors et en tout état de cause 4°/ que le tribunal a affirmé que « dans les pièces produites à la cause, M. [U] [Y] est présenté comme ayant une expérience dans la gestion et le management » ; qu'en statuant ainsi, à supposer ce motif adopté, sans aucunement indiquer sur quelle pièce elle se fondait pour justifier cette affirmation, vivement contestée par l'exposant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.