LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 octobre 2021
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 1149 FS-B
Pourvoi n° S 19-24.540
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [W].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 19 septembre 2019.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 OCTOBRE 2021
Mme [G] [W], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 19-24.540 contre l'arrêt rendu le 31 mai 2018 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la commune de [Localité 2], représentée par son maire, domicilié en cette qualité [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de Mme [W], de Me Haas, avocat de la commune de [Localité 2], et l'avis de Mme Rémery, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er septembre 2021 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Lecaplain-Morel, conseillers, Mmes Ala, Techer, conseillers référendaires, Mme Rémery, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 31 mai 2018), Mme [W] a été engagée le 2 septembre 2013 par la commune de [Localité 2] suivant un contrat emploi d'avenir d'une durée de trente-six mois, en qualité d'agent technique.
2. Par lettre du 17 juillet 2014, la salariée a été informée que la relation de travail prendrait fin le 31 août 2014.
3. Contestant le bien-fondé de la rupture de son contrat de travail, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de l'employeur à lui verser une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse, alors « que lorsque la rupture anticipée du contrat de travail associé à un emploi d'avenir à durée déterminée intervient à l'initiative de l'employeur en dehors des cas visés par les articles L. 5134-115 et L. 1243-1 du code du travail, le salarié a droit à des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, comme prévu par l'article L. 1243-4 du code du travail ; qu'en l'espèce, en estimant, après avoir jugé que la rupture du contrat de travail de Mme [W] était sans cause réelle et sérieuse, que l'employeur ne s'étant pas placé dans l'un des cas de rupture prévus à l'article L. 1243-1 du code du travail à savoir la faute grave, la force majeure ou l'inaptitude, la sanction prévue par l'article L. 1243-4 de ce code n'avait pas vocation à s'appliquer, que par ailleurs, les articles L. 5234-110 et suivants ne contenaient aucune disposition relative à la sanction encourue en cas de rupture sans cause réelle et sérieuse du contrat emploi d'avenir à date anniversaire, et que dès lors, la salariée ne pouvait prétendre qu'à une indemnisation correspondant au préjudice subi et non aux rémunérations qu'elle aurait perçues jusqu'au terme du contrat, la cour d'appel a violé les articles L. 5134-115, L. 1243-1, dans sa rédaction applicable au litige, et L. 1243-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 5134-115, L. 1243-1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, et L. 1243-4 du code du travail :
6. Selon le premier de ces textes, le contrat de travail associé à un emploi d'avenir peut être à durée indéterminée ou à durée déterminée. Lorsqu'il est à durée déterminée, il est conclu pour une durée de trente-six mois. Sans préjudice des dispositions de l'article L. 1243-1, il peut être rompu à l'expiration de chacune des périodes annuelles de son exécution à l'initiative du salarié, moyennant le respect d'un préavis de deux semaines, ou de l'employeur, s'il justifie d'une cause réelle et sérieuse, moyennant le respect d'un préavis d'un mois et de la procédure prévue à l'article L. 1232-2.
7. Selon le dernier de ces textes, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat.
8. Il en résulte que lorsque la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée associé à un emploi d'avenir intervient à l'initiative de l'employeur en dehors des cas prévus par la loi, le salarié a droit à des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat.
9. Pour limiter la condamnation de l'employeur à verser à la salariée une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que l'employeur ne s'étant pas placé dans l'un des cas de rupture prévus à l'article L. 1243-1 du code du travail à savoir la faute grave, la force majeure ou l'inaptitude, la sanction prévue par l'article L. 1243-4 de ce code n'a pas vocation à s'appliquer. Il constate que les articles L. 5234-110 et suivants ne contiennent aucune disposition relative à la sanction encourue en cas de rupture sans cause réelle et sérieuse du contrat emploi d'avenir à sa date anniversaire. Il en déduit que la salariée, victime d'une rupture prématurée, ne peut prétendre qu'à une indemnisation correspondant au préjudice subi et non aux rémunérations qu'elle aurait perçues jusqu'au terme du contrat.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la condamnation de la commune de [Localité 2] à payer à Mme [W] la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 31 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne la commune de [Localité 2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la commune de [Localité 2] à payer à la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour Mme [W]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité la condamnation de la commune de [Localité 2] à payer à Mme [G] [W] à la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE Sur la rupture du contrat emploi d'avenir : L'emploi d'avenir est un contrat destiné à favoriser l'insertion professionnelle des jeunes sans emploi, régi par les articles L. 5134-110 et suivants et R. 5134-161 et suivants du code du travail. Lorsque l'employeur est une collectivité territoriale, il est conclu sous la forme d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi. En l'espèce, le contrat signé par les parties est un contrat à durée déterminée de trente-six mois. L'article L. 5134-115 du code du travail énumère limitativement les cas de rupture anticipée de l'emploi d'avenir à durée déterminée : outre la faute grave, la force majeure et l'inaptitude physique du salarié prévues par l'article L. 1243-1 auquel il est renvoyé, ce texte prévoit que le contrat de travail "peut être rompu à l'expiration de chacune des périodes annuelles de son exécution, à l'initiative du salarié, moyennant le respect d'un préavis de deux semaines, ou de l'employeur, s'il justifie d'une cause réelle et sérieuse, moyennant le respect d'un préavis d'un mois et de la procédure prévue à l'article L. 1232-2", En l'espèce, l'employeur s'est placé dans le cadre d'une rupture à date anniversaire pour cause réelle et sérieuse. La lettre de rupture qui fixe les limites du litige est ainsi libellée "Suite à nos différends entretiens concernant votre travail, à votre mauvaise foi lorsque nous vous faisons des réflexions sur votre façon de travailler, à notre entretien avec Monsieur [O] de l'association "Réussir en Sambre-Avesnois" qui vous avait demandé de faire des efforts, à vos deux avertissements, rien n'a changé. Lors de votre entretien avec Mme [Z] [E], secrétaire générale, chef du personnel à la salle des fêtes en présence de Mme [R], adjointe, concernant votre absence injustifiée de votre lieu de travail du jeudi 26 juin à qui vous avez dit qu'elle n'avait aucun ordre à vous donner, vos propos lors de cet entretien ont été très virulents. Après toutes ces remarques, une convocation pour un entretien le mercredi 16 juillet à 16 heures en mairie vous a été envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception le 8 juillet 2014. Vous ne vous êtes ni présentée ni excusée. Je vous confirme que votre contrat d'avenir ne sera pas renouvelé et que celui-ci s' arrêtera donc au 31 août 2014. (...)" Le seul fait précis évoqué dans ce courrier est l'attitude de Mme [W] à l'égard de Mme [Z] quand cette dernière lui a reproché une absence du 26 juin 2014. En effet, s'il est mentionné dans le premier paragraphe de la lettre que malgré les entretiens et sanctions déjà infligées "rien n'a changé", il n'est évoqué aucun fait précis. En outre, s'il est mentionné une absence injustifiée du 26 juin, cette absence en elle-même n'est pas reprochée à Mme [W], le grief étant relatif à son comportement avec sa supérieure hiérarchique quand cette dernière a évoqué cette absence. S'agissant de cet unique grief, il est versé aux débats par la Commune - une attestation de Mme [R], adjointe au maire qui déclare que le 27 juin 2014, alors qu'elle était à la salle des fêtes avec Mme [Z], celle-ci a fait remarquer à Mme [W] qu'elle était partie avant l'heure de sa fin de service la veille au soir et précise "cette dernière a admis mais ci répondu aussitôt, a été très virulente et sans respect pour sa supérieure. Mme [Z] lui a demandé de lui parler sur un autre ton, elle a répondu qu'elle s 'en fichait qu'on pouvait lui coller un avertissement, qu'elle avait trouvé un autre travail dans une friterie de [Localité 2]." - une attestation de Mme [Z] qui indique :"je me suis fait insulter devant l'adjointe aux écoles, Mme [R] et une employée Mme [U]. Elle m'a dit que je n'avais rien à lui dire, que je n'étais pas son chef et j'en passe..." Ces deux attestations, à défaut d'être davantage circonstanciées sont insuffisantes à démontrer la très grande virulence des propos de Mme [W] à l' égard de Mme [Z]. Si elles permettent de retenir que Mme [W] ne s'est pas adressé à Mme [Z] sur un ton approprié, ce seul fait n'est pas suffisamment sérieux pour justifier le non renouvellement du contrat emploi d'avenir alors que les avertissements précédemment notifiés n'étaient pas relatifs à des problèmes de comportement de Mme [W] à l'égard de sa hiérarchie mais à des absences injustifiées et à la qualité de son travail, Il convient donc de retenir que la rupture est sans cause réelle et sérieuse. L'employeur ne s'étant pas placé dans l'un des cas de rupture prévus à l'article L. 1243-1 du code du travail à savoir la faute grave, la force majeure ou l'inaptitude, la sanction prévue par l'article L. 1243-4 de ce code n'a pas vocation à s'appliquer. Par ailleurs, les articles L. 5234-110 et suivants ne contiennent aucune disposition relative à la sanction encourue en cas de rupture sans cause réelle et sérieuse du contrat emploi d'avenir à date anniversaire. Dès lors la salariée, victime d'une rupture prématurée, ne peut prétendre qu'à une indemnisation correspondant au préjudice subi et non aux rémunérations qu'elle aurait perçues jusqu'au terme du contrat. Mme [W] âgée de 26 ans lors de la rupture percevait un salaire de 1 445,42 euros par mois et, si elle ne justifie pas pour sa part de l'évolution de sa situation depuis la rupture du contrat, la Commune produit quant à elle une attestation de M. [V] [C], gérant de la Sari Royale Brasserie située à [Localité 1], en date du 2 septembre 2015, qui indique que Mme [W] est salariée dans son établissement depuis septembre 2014. Compte tenu de ces éléments, il convient de condamner la Commune à payer à Mme [W] la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts.
ALORS QUE lorsque la rupture anticipée du contrat de travail associé à un emploi d'avenir à durée déterminée intervient à l'initiative de l'employeur en dehors des cas visés par les articles L. 5134-115 et L. 1243-1 du code du travail, le salarié a droit à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, comme prévu par l'article L. 1243-4 du code du travail ; qu'en l'espèce, en estimant, après avoir jugé que la rupture du contrat de travail de Mme [W] était sans cause réelle et sérieuse, que l'employeur ne s'étant pas placé dans l'un des cas de rupture prévus à l'article L. 1243-1 du code du travail à savoir la faute grave, la force majeure ou l'inaptitude, la sanction prévue par l'article L. 1243-4 de ce code n'avait pas vocation à s'appliquer, que par ailleurs, les articles L. 5234-110 et suivants ne contenaient aucune disposition relative à la sanction encourue en cas de rupture sans cause réelle et sérieuse du contrat emploi d'avenir à date anniversaire, et que dès lors, la salariée ne pouvait prétendre qu'à une indemnisation correspondant au préjudice subi et non aux rémunérations qu'elle aurait perçues jusqu'au terme du contrat, la cour d'appel a violé les articles L. 5134-115, L. 1243-1, dans sa rédaction applicable au litige, et L. 1243-4 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'AVOIR débouté Mme [W] de sa demande indemnitaire pour irrégularité de la procédure de licenciement ;
AUX MOTIFS QUE Sur la demande indemnitaire pour licenciement irrégulier : La Commune démontre avoir adressé une convocation à l'entretien préalable par courrier recommandé avec demande d'avis de réception adressé le 9 juillet 2014, qui lui a été retourné avec la mention "pli avisé et non réclamé". Il en résulte que Mme [W] ne peut faire grief à son employeur de ne pas l'avoir convoquée à un entretien préalable. En outre, l'article L. 5134-115 susvisé ne renvoie qu'aux dispositions de l'article L. 1232-2 du code du travail sur la convocation à un entretien préalable et non à celles de l'article L. 1234-4 sur l'assistance par un conseiller du salarié lors de cet entretien ni à celles de l'article L. 1232-6 du même code sur le délai minimum de deux jours ouvrables qui doit séparer l'entretien préalable de l'expédition de la lettre de licenciement. Ainsi, il en résulte qu'aucune irrégularité n'a été commise de sorte que Mme [W] ne peut réclamer aucune indemnité. Le jugement sera donc réformé de ce chef.
ALORS QUE la rupture anticipée d'un contrat de travail associé à un emploi d'avenir à durée déterminée prononcée pour un motif disciplinaire est soumise aux dispositions des articles L. 1332-1 à L. 1332-3 du code du travail ; qu'en l'espèce, en jugeant qu'aucune irrégularité de procédure n'avait été commise de sorte que Mme [W] ne pouvait réclamer aucune indemnité, tandis que la lettre de convocation à l'entretien préalable (cf. production) ne mentionnait pas la faculté pour le salarié de se faire assister par un conseiller du salarié lors de cet entretien et que la lettre de rupture du contrat de travail, justifiée par un motif disciplinaire, avait été adressée le lendemain de l'entretien préalable (cf. lettre de rupture et preuve de dépôt - productions), la cour d'appel a violé l'article L. 1332-3 du code du travail