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20/05/2021 | FRANCE | N°20-13210

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 20 mai 2021, 20-13210


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 20 mai 2021

Annulation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 473 F-P

Pourvoi n° X 20-13.210

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2021

M. [Q] [R], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 20-13.21

0 contre l'ordonnance rendue le 18 décembre 2018 par le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Bastia et l'arrêt rendu le 29 janvier...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 20 mai 2021

Annulation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 473 F-P

Pourvoi n° X 20-13.210

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2021

M. [Q] [R], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 20-13.210 contre l'ordonnance rendue le 18 décembre 2018 par le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Bastia et l'arrêt rendu le 29 janvier 2020 par cette même cour d'appel (chambre civile), dans le litige l'opposant à la société U Muvrone, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lemoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. [R], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société U Muvrone, et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Lemoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon les décisions attaquées (Bastia, 18 décembre 2018 et 29 janvier 2020), M. [R] a relevé appel, le 6 mars 2018, du jugement d'un tribunal de commerce ayant déclaré prescrite son action tendant à la nullité de la cession des parts sociales de la société U Muvrone et déclaré irrecevable sa demande en paiement des dividendes pour défaut de qualité et d'intérêt à agir.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Il résulte des deux premiers de ces textes que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626) pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

5. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que le dispositif des conclusions de M. [R] tend uniquement à dire et juger que l'acte de cession des parts en date du 23 mai 1986 est nul et de nul effet, de constater que la SARL U Muvrone prise en la personne de sa gérante a renoncé à se prévaloir de la prescription, à condamner la SARL U Muvrone à lui payer la somme de 122 783 euros au titre des dividendes qu'il aurait dû percevoir, ainsi qu'à la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, sans préciser, au préalable, qu'il demandait l'infirmation du jugement entrepris.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 6 mars 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver M. [R] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'ordonnance du 18 décembre 2018 ;

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Condamne la société U Muvrone aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour M. [R]

Le premier moyen de cassation fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR rejeté les exceptions d'irrecevabilité de l'appel soulevées par la SARL U Muvrone ;

AUX MOTIFS QUE « l'article 910-4 du code de procédure civile précise qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; que l'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures ;

qu'en l'espèce, si le dispositif des conclusions de M. [R] ne contient pas de demande expresse d'infirmation du jugement, alors que d'autres demandes sont formulées, il appartient à la cour seule de statuer sur les prétentions énoncées au dispositif, et non pas au conseiller de la mise en état ;

qu'en conséquence, la SARL U Muvrone devra être déboutée de ce second moyen d'irrecevabilité de l'appel de M. [R] » (ord p. 3, § 5 à 7) ;

ALORS QUE le conseiller de la mise en état a une compétence exclusive, depuis sa désignation et jusqu'à l'ordonnance de clôture, pour déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel, notamment enjoindre aux avocats de mettre leurs conclusions en conformité avec l'article 954 du code de procédure civile ; qu'en l'espèce, le conseiller de la mise en état, saisi d'une exception d'irrecevabilité, devait statuer et enjoindre à l'appelant de mettre ses conclusions en conformité avec l'article 954 ; qu'en énonçant qu'il appartient à la cour seule de statuer sur les prétentions énoncées au dispositif et non pas au conseiller de la mise en état, ce dernier a entaché son arrêt d'un excès de pouvoirs, en violation des articles 6 de la convention européenne des droits de l'Homme, 913, 914, 954 et 961 du code de procédure civile.

Le second moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable M. [R] en ses demandes ;

AUX MOTIFS QUE « de façon liminaire, il est rappelé que l'ordonnance du 18 décembre 2018 du conseiller de la mise en état, devenue définitive, a rejeté d'une part, l'irrecevabilité de la déclaration d'appel de M. [R] en retenant que, malgré l'omission de la disposition du jugement déclarant prescrite son action, elle faisait partie néanmoins des chefs qui dépendaient de son appel au sens des dispositions de l'article 562 , alinéa 1, du code de procédure civile modifié, et a, d'autre part, rejeté l'autre moyen d'irrecevabilité tiré de ce que le dispositif des conclusions de M. [R] ne contenait pas de demande expresse d'infirmation du jugement, en retenant qu'il appartenait à la cour seule de statuer sur les prétentions énoncées au dispositif, et non pas au conseiller de la mise en état ;

qu'à cet égard, la SARL U Muvrone soutient que faute pour M. [R] de n'avoir pas indiqué dans ses conclusions d'appel qu'il demandait l'infirmation du jugement entrepris, la cour n'est saisie d'aucune prétention au sens l'article 954 du code de procédure civile ;

que selon les dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ;

que les conclusions de M. [R], aux termes du dispositif, tendant uniquement à dire et juger que l'acte de cession des parts en date du 23 mai 1986 est nul et de nul effet, de constater que le SARL U Muvrone prise en la personne de sa gérante a renoncé à se prévaloir de la prescription, à condamner la SARL U Muvrone à lui payer la somme de 122.783 ? au titre des dividendes qu'il aurait dû percevoir, ainsi qu'à la somme de 3000 ? au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

qu'il est exact que M. [R] n'a pas précisé, au préalable, qu'il demandait l'infirmation du jugement entrepris et à défaut de cette mention, il est constant que la demande présentée est irrecevable pour absence de fondement » (arrêt p. 6) ;

1°) Alors que la cassation de l'ordonnance du 18 décembre 2018 sur le premier moyen de cassation entraînera l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt du 29 janvier 2020, qui en est la suite au sens de l'article 625 du code de procédure civile ;

2°) Alors que le conseiller de la mise en état est, lorsqu'il est désigné et jusqu'à son dessaisissement, soit jusqu'à l'ouverture des débats devant la formation collégiale, seul compétent pour prononcer la caducité de l'appel, pour déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel ou pour déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910 du code de procédure civile ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt que la cour d'appel a, par conclusions de la SARL U Muvrone du 2 août 2018, soit à une date antérieure à l'ouverture des débats du 17 octobre 2019, été saisie d'une demande tendant à voir déclarer M. [R] irrecevable en ses demandes, sur le fondement des articles 954, alinéa 3, et 910-4 du code de procédure civile ; qu'en conséquence, en déclarant M. [R] irrecevable en ses demandes, la cour d'appel, qui s'est prononcée sur un incident régulièrement formé par conclusions signifiées dans le cadre de la mise en état, a excédé ses pouvoirs et a ainsi violé l'article 914 du code de procédure civile ;

3°) Alors que l'appelant n'est pas tenu de préciser, dans le dispositif de ses écritures d'appel, qu'il demande l'infirmation du jugement entrepris ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevables les demandes de M. [R], la cour d'appel a retenu qu'il n'avait pas, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, précisé qu'il demandait l'infirmation du jugement, violant ainsi les articles 6 de la convention européenne des droits de l'Homme, 542, 561, 562, 905-2, 908, 910-4 et 954, alinéa 3, du code de procédure civile ;

4°) Alors que, à titre subsidiaire, l'absence de mention, dans le dispositif des conclusions d'appel, de ce que l'appel tend à la réformation du jugement, est un vice de forme qui implique la preuve d'un grief causé pour entraîner la nullité de l'acte ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré M. [R] irrecevable en ses demandes car il n'a pas précisé, dans le dispositif de ses conclusions, qu'il demandait l'infirmation du jugement ; qu'en statuant ainsi, quand cette omission ne constituait qu'une nullité de forme requérant l'existence d'un grief pour la société U Muvrone, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que celle-ci aurait établi l'existence d'un tel grief, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 114 du code de procédure civile, ensemble l'article 910-4 du même code et l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 20-13210
Date de la décision : 20/05/2021
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Civile

Analyses

APPEL CIVIL - Appelant - Conclusions - Dispositif - Appelant n'ayant conclu ni à l'infirmation ni à l'annulation du jugement - Portée

PROCEDURE CIVILE - Conclusions - Conclusions d'appel - Appelant n'ayant conclu ni à l'infirmation ni à l'annulation du jugement - Portée LOIS ET REGLEMENTS - Application dans le temps - Loi de forme ou de procédure - Application immédiate - Domaine d'application - Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 - Interprétation nouvelle par la Cour de cassation - Portée CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6, § 1 - Equité - Procès équitable - Violation - Revirement de jurisprudence - Défaut de prévisibilité

Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull. 2020, (rejet)) pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable au sens de l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En conséquence, encourt l'annulation l'arrêt qui, pour confirmer un jugement, retient que l'appelant n'a pas précisé s'il demandait l'infirmation du jugement entrepris, alors qu'il avait relevé appel avant le 17 septembre 2020, soit à une date où cette règle de procédure n'était pas prévisible pour les parties


Références :

Articles 542 et 954 du code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, 18 décembre 2018

A rapprocher : 2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23626, Bull. 2020, (rejet) ;

2e Civ., 20 mai 2021, pourvoi n° 19-22316, Bull. 2021, (annulation).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 20 mai. 2021, pourvoi n°20-13210, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre
Avocat(s) : SCP Boulloche, SCP Piwnica et Molinié

Origine de la décision
Date de l'import : 16/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:20.13210
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