LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 mai 2021
Annulation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 471 F-P
Pourvoi n° Z 19-22.316
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2021
1°/ M. [S] [I],
2°/ Mme [C] [C], épouse [I],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° Z 19-22.316 contre l'arrêt rendu le 10 juillet 2019 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige les opposant :
1°/ à l'Agent judiciaire de l'Etat - direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à M. [U] [N], domicilié [Adresse 3],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) [Localité 1] - siège de Bastia, [Adresse 4],
4°/ à la Mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN), dont le siège est [Adresse 5],
5°/ à la société Calypso, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lemoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. et Mme [I], de la SCP BaraducBaraduc, Duhamel et RameixDuhamel et Rameix, avocat de M. [N] et de la société Calypso, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat - direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Lemoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 10 juillet 2019), M. et Mme [I] ont relevé appel, le 6 juillet 2017, du jugement d'un tribunal de grande instance ayant, d'une part, condamné in solidum M. [N] et la société Calypso à payer une certaine somme à M. [I] et à l'Agent judiciaire de l'Etat et, d'autre part, rejeté les demandes de Mme [I].
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais, sur le moyen relevé d'office
3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
4. Il résulte des deux premiers de ces textes que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626) pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.
5. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que le dispositif des conclusions de M. et Mme [I] comporte des demandes tendant à « fixer », « condamner », « dire et juger », mais qu'ils s'abstiennent de conclure expressément à la réformation ou à l'annulation du jugement déféré, de sorte que leur appel est dénué d'objet.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 6 juillet 2017, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver M. et Mme [I] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat et M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [I]
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR condamné in solidum M. [U] [N] et la société d'assurances Calypso à payer à M. [G] [I] la somme de 143.032,48 euros en capital, deniers ou quittances, provisions non déduites et d'AVOIR rejeté la demande de Mme [C] [C] épouse [I] ;
AUX ENONCIATIONS QUE [S] [I] et [C] [C] épouse [I], le 6 juillet, d'une part, la SA Calypso et [U] [N], le 22 juillet 2017, d'autre part, ont fait appel d'un jugement du tribunal de grande instance de Bastia du 16 mai 2017 qui, dans l'instance les opposant entre eux, ainsi qu'à l'agent judiciaire de l'Etat, la MGEN et la Cpal [Localité 2] (?) a condamné in solidum [U] [N] et la SA Calypso à payer à [G] [I] la somme de 145.037,38 euros en capital, en derniers ou quittances, provisions non déduites ;
AUX ENONCIATIONS QUE selon conclusions du 30 novembre 2017, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, [S] [I] et [C] [C] épouse [I] demandent de : fixer l'indemnisation des préjudices patrimoniaux ainsi qu'il suit : * 21.023,97 euros au titre des pertes de gains actuels, * 320.857,37 euros au titre des pertes de gains futurs, * 135.147,81 euros au titre de l'incidence professionnelle ? condamner les appelants à payer au concluant la somme totale de 477.029,15 euros au titre des préjudices patrimoniaux, - dire et juger que cette perte de revenus constitue le préjudice patrimonial du concluant après déduction de toutes sommes perçues de l'employeur, - dire que les frais bancaires sont imputables à l'accident du 15 juin 2011 ; En conséquence, - condamner les appelants à payer la somme de 3.721,20 euros au titre du préjudice bancaire du concluant, - confirmer le jugement pour le surplus, - condamner les appelants à payer au concluant la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
ET AUX MOTIFS QUE l'appel, ainsi que le précise l'article 542 du code de procédure civile, ne peut tendre qu'à la réformation ou à l'annulation par la cour du jugement querellé ; il ne défère à la cour que la seule connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément, conformément à l'article 562 du même code, et celle-ci ne peut statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions, selon l'article 954 du code de procédure civile. Or, [S] [I] et [C] [C] épouse [I] concluent pour partie à la confirmation du jugement, et sollicitent pour le reste de « fixer? », « condamner? », « dire et juger? », dire? » (cf. le dispositif de leurs conclusions du 30 novembre 2017), mais s'abstiennent cependant de conclure expressément à la réformation ou l'annulation du jugement déféré. Leur appel est ainsi donc dénué d'objet, puisque ne tendant pas à la réformation ou à l'annulation du jugement ;
1) ALORS QUE les juges sont tenus de ne pas dénaturer les conclusions dont ils sont saisis ; que l'appelant qui formule des prétentions plus amples ou contraires à celles accueillies par le premier juge, demande par là-même l'infirmation du jugement de première instance ; qu'en l'espèce, il ressort de la procédure que les époux [I] ont interjeté appel d'un jugement du tribunal de grande instance de Bastia du 16 mai 2017 qui a condamné in solidum [U] [N] et la SA Calypso à payer à [G] [I] la somme de 145.037,38 euros en capital, en derniers ou quittances, provisions non déduites ; que dans le dispositif de leurs conclusions du 30 novembre 2017, les époux [I] demandaient de condamner [U] [N] et la société Calypso à payer à [G] [I] la somme totale de 477.029,15 euros au titre des préjudices patrimoniaux, après déduction de toutes sommes perçues de l'employeur, outre 3.721,20 euros au titre du préjudice bancaire et de confirmer le jugement pour le surplus ; qu'en affirmant que dans le dispositif de leurs conclusions d'appel, les époux [I] ne demandaient pas l'infirmation du jugement du 16 mai 2017, quand il ressortait de ses propres constatations qu'ils formulaient des demandes indemnitaires d'un montant supérieur à celui alloué en première instance, la cour d'appel les a dénaturées en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE la cour d'appel doit statuer sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions de chaque parties, éclairées par les moyens développés dans le corps de celles-ci ; que dans le corps de leurs conclusions, les époux [I] faisaient valoir que « le jugement devra être infirmé » sur la perte des gains professionnels actuels car « la rémunération n'a pas été maintenue par l'employeur : les primes et indemnités liées à l'activité n'ayant pas été versées ; ces mêmes primes et indemnités n'ayant pas été versées, les avis d'imposition ne peuvent être les pièces de référence pour le calcul de la perte économique » (concl., p. 3 § 11) ; qu'ils soutenaient, s'agissant de la perte de gains professionnels futurs, que « le jugement devra être infirmé sur ce point » car « la perte de gains professionnels résulte du manque à gagner du concluant de la date de la consolidation jusqu'à celle de son départ à la retraite théorique lequel, s'il n'avait pas été victime de cet accident en 2011, était fixé au 21 février 2020 » (concl. p. 6) ; qu'ils faisaient valoir, s'agissant de l'incidence professionnelle, que « le jugement sera infirmé en ce qu'il a chiffré l'incidence professionnelle à la somme de 104.265 euros » (concl. p. 9 § 1 et 2) ; qu'en considérant que l'appel des consorts [I] est dénué d'objet pour la seule raison que dans le dispositif de leurs conclusions ils n'ont pas expressément indiqué que leur appel tendait à la réformation ou à l'annulation du jugement, la cour d'appel qui a refusé de tenir compte, pour déterminer le sens des prétentions formulées dans le dispositif de leurs conclusions, de la demande d'infirmation figurant expressément, à plus reprises, dans le corps des conclusions des époux [I], a violé l'article 954 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE les juges du fond ne doivent pas porter une atteinte excessive au droit d'accès à un tribunal ; que dans le corps de leurs conclusions, les époux [I] demandaient expressément, à plusieurs reprises, l'infirmation du jugement de première instance ; que dans le dispositif de leurs conclusions, ils formulaient des demandes indemnitaires d'un montant supérieur à celui alloué en première instance ; qu'en déclarant sans objet l'appel des consorts [I] pour la seule raison que dans le dispositif de leurs conclusions, ils n'avaient pas expressément indiqué que leur appel tendait à la réformation ou à l'annulation du jugement, la cour d'appel qui a fait preuve d'un formalisme excessif, a porté atteinte à la substance même du droit d'accès à un tribunal en violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.