LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 septembre 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 842 FS-P+B+R+I
Pourvoi n° Y 19-12.885
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 30 SEPTEMBRE 2020
L'Agence France Presse (AFP), organisme autonome, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Y 19-12.885 contre l'arrêt rendu le 4 décembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant à M. F... K..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'Agence France Presse, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. K..., et l'avis de M. Desplan, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juillet 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Monge, conseiller rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Mme Mariette, conseillers, M. David, Mmes Ala, Prieur, Thomas-Davost, conseillers référendaires, M. Desplan, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 décembre 2018), M. K... a été engagé, le 29 juillet 1981, en qualité de journaliste rédacteur stagiaire par l'Agence France Presse (l'AFP) puis titularisé le 1er février 1982.
2. Licencié pour faute grave le 14 avril 2011, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement de diverses indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'AFP s'est désistée de l'appel qu'elle avait formé contre le jugement de condamnation au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, rendu le 24 septembre 2014.
3. Le 28 août 2012, le journaliste a saisi la commission arbitrale des journalistes. Celle-ci a retenu sa compétence pour statuer sur sa demande d'indemnité de licenciement et condamné l'AFP au paiement d'une certaine somme.
4. L'AFP a formé un recours en annulation contre cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes, de dire que le salarié est fondé à conserver la somme versée en exécution de la sentence et de le condamner aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure, alors « qu'il résulte des articles L. 7112-2 à L. 7112-4 du code du travail que seuls les journalistes salariés d'une entreprise de journaux et périodiques peuvent prétendre à l'indemnité de congédiement instituée par l'article L. 7112-3 qui est fixée par la commission arbitrale des journalistes lorsque l'ancienneté excède quinze années ; que la commission arbitrale des journalistes n'a donc pas de compétence concernant les journalistes salariés des agences de presse, qui ne sont pas des entreprises de journaux et périodiques, puisqu'ils ne peuvent pas bénéficier de l'indemnité de congédiement instituée par l'article L. 7112-3 ; qu'en jugeant cependant en l'espèce que la commission arbitrale des journalistes était compétente pour statuer sur le montant de l'indemnité de licenciement due au salarié en conséquence de son licenciement par l'AFP bien qu'il ne fût pas salarié d'une entreprise de journaux et périodiques, la cour d'appel a violé les articles L. 7112-2 à L. 7112-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Il n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. Les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail sont applicables aux journalistes professionnels au service d'une entreprise de presse quelle qu'elle soit.
8. Ayant rappelé que l'article L. 7111-3 du code du travail qui fixe le champ d'application des dispositions du code du travail particulières aux journalistes professionnels définit ceux-ci comme toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes ou périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources et relevé que les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du même code ne prévoyaient pas expressément que leur champ d'application serait limité aux entreprises de journaux et périodiques, la cour d'appel, qui a retenu, à bon droit, que si une restriction apparaissait dans l'article L. 7112-2 du code du travail relatif au préavis, elle ne saurait être étendue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4, en a exactement déduit que la demande d'annulation de la sentence, qui avait accueilli la demande de fixation de l'indemnité de licenciement du salarié en application de ce dernier texte, devait être rejetée.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Agence France Presse aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Agence France Presse et la condamne à payer à M. K... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l'Agence France Presse.
Il est fait grief à la décision attaquée d'AVOIR rejeté l'ensemble des demandes de l'Agence France presse, d'AVOIR dit que M. K... est fondé à conserver la somme de 192 803,66 euros versée en exécution de la sentence et d'AVOIR condamné l'Agence France presse aux dépens et au paiement à M. K... de la somme de 7000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE sur le moyen d'annulation tiré de l'incompétence de la juridiction arbitrale (article 1492, 1° du code de procédure civile), l'AFP soutient que l'article L. 7112-4 du code du travail, qui donne compétence à une commission arbitrale pour déterminer l'indemnité de licenciement due à un journaliste dont l'ancienneté est supérieure à 15 ans ou qui a été licencié pour faute grave, a, comme l'article L.7112-2 relatif au préavis, un domaine limité aux entreprises de journaux et périodiques et ne s'applique pas aux agences de presse ; que M. K... réplique, en premier lieu, que l'AFP a initialement reconnu la compétence de la Commission arbitrale dès lors qu'elle a accepté de participer à la désignation des arbitres ; qu'il fait valoir, en deuxième lieu, que la Fédération française des agences de presse (FFAP) à laquelle l'AFP est adhérente, reconnaît également cette compétence puisqu'elle est signataire, d'une part, de la convention collective nationale des journalistes dont l'article 44 consacre cette compétence, d'autre part, du règlement intérieur de la Commission arbitrale, et, qu'en l'espèce, c'est elle qui a désigné les deux arbitres patronaux ; qu'enfin, M. K... soutient qu'il ne résulte nullement des termes de l'article L.7112-4 du code du travail que son champ d'application serait limité aux entreprises de journaux et périodiques et que juger en ce sens créerait une inégalité de traitement avec les journalistes travaillant dans des agences de presse ou dans l'audiovisuel ; que le livre 1er de la septième partie du code du travail est relatif aux « Journalistes professionnels, professions du spectacle, de la publicité et de la mode » ; qu'au sein du titre 1er « Journalistes professionnels », dans le chapitre 2 consacré au « Contrat de travail », l'article L. 7112-3 dispose : « Si l'employeur est à l'initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d'année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze. » ; que l'article L 7112-4 prévoit : « Lorsque l'ancienneté excède quinze années, une commission arbitrale est saisie pour déterminer l'indemnité due. Cette commission est composée paritairement d'arbitres désignés par les organisations professionnelles d'employeurs et de salariés. Elle est présidée par un fonctionnaire ou par un magistrat en activité ou retraité. Si les parties ou l'une d'elles ne désignent pas d'arbitres, ceux-ci sont nommés par le président du tribunal de grande instance, dans des conditions déterminées par voie réglementaire. Si les arbitres désignés par les parties ne s'entendent pas pour désigner le président de la commission arbitrale, celui-ci est désigné à la requête de la partie la plus diligente par le président du tribunal de grande instance. En cas de faute grave ou de fautes répétées, l'indemnité peut être réduite dans une proportion qui est arbitrée par la commission ou même supprimée. La décision de la commission arbitrale est obligatoire et ne peut être frappée d'appel » ; qu'en premier lieu, contrairement à ce que prétend M. K..., la circonstance que l'AFP ait confié à son organisation professionnelle, la FFAP le soin de désigner les arbitres patronaux, et que cette fédération ait, de fait, procédé à la nomination, n'emportait pas renonciation au droit d'invoquer l'incompétence de la Commission arbitrale, cette juridiction étant juge de sa propre compétence et l'AFP lui ayant effectivement soumis le moyen tiré de l'inapplication de l'article L .7112-4 du code du travail aux agences de presse ;
qu'en second lieu, les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 précités, issus de la scission de l'ancien article L. 761-5 du code du travail après sa recodification, ne prévoient pas expressément que leur champ d'application serait limité aux entreprises de journaux et périodiques ; que si une telle restriction apparaît dans l'article L. 7112-2 relatif au préavis, et dans l'article L. 7112-5 relatif à la rupture à l'initiative du journaliste, - et à supposer qu'elle doive s'interpréter comme excluant les agences de presse -, elle ne saurait, en toute hypothèse, être étendue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4 alors que l'article L. 7111-3, qui fixe le champ d'application des dispositions du code du travail particulières aux journalistes professionnels, définit ceux-ci comme « toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes ou périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources » ; qu'il convient, par conséquent, d'écarter le moyen tiré de l'incompétence de la Commission arbitrale des journalistes et de rejeter la demande d'annulation de la sentence ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, de la demande de restitution des sommes versées à M. K... ; que l'AFP, qui succombe, ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et sera condamnée sur ce fondement à payer à M. B... la somme de 7 000 euros ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE « la commission retient de l'ensemble de ces faits que M. K... justifie d'une ancienneté de 30 ans au sens de la loi et de la convention collective nationale de travail des journalistes du 1er novembre 1976 refondue le 27 octobre 1987 étendue par arrêté du 2 février 1988 qui est applicable, qu'il est journaliste professionnel au sens des articles L. 7111-3 et L. 7112-1 du code du travail, employé par une agence de presse, que son dernier salaire brut effectif de référence, 13e mois inclus, représente la somme de 4964,14 euros, qu'il est âgé à la date de la rupture de 64 ans révolus, ce qui est admis par les parties, la qualité de M. K... comme journaliste professionnel au sens de l'article L.7111-3 du code du travail n'est pas contestée.
Sur la compétence de la commission : Il est soutenu par l'AFP que M. K... qu'elle emploie ne peut prétendre obtenir de la commission qu'elle fixe son indemnité de licenciement. La commission retient que M. K... a plus de 15 ans d'ancienneté et qu'il a été licencié pour faute grave. Il résulte de l'article L. 7112-4 du code du travail que lorsque l'ancienneté excède quinze années, une commission arbitrale est saisie pour déterminer l'indemnité due, en cas de faute grave ou de fautes répétées l'indemnité peut être réduite dans une proportion qui est arbitrée par la commission ou même supprimée. Cet article ne distingue pas entre les diverses catégories d'employeur de journalistes. Il résulte de l'article 44 de la convention collective nationale de travail des journalistes que les employeurs sans distinction, soumis à ladite convention, s'engagent à mettre en place la commission arbitrale des journalistes pour qu'elle soit saisie par le journaliste licencié pour faute grave ou fautes répétées afin de fixer l'indemnité de licenciement. L'article L.7l12-4 du code du travail ne fixe pas de quantum d'indemnité laissant toute liberté à la commission pour la détermination de celle-ci. L'arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2016 ne statue pas sur la compétence de la commission arbitrale des journalistes en cas de licenciement pour faute grave. Les conditions de l'article L.7112-4 du code du travail étant réunies, la saisine de la commission par M. K... est régulière. La commission arbitrale des journalistes est compétente » ;
1) ALORS QU'il résulte des articles L. 7112-2 à L. 7112-4 du code du travail que seuls les journalistes salariés d'une entreprise de journaux et périodiques peuvent prétendre à l'indemnité de congédiement instituée par l'article L. 7112-3 qui est fixée par la commission arbitrale des journalistes lorsque l'ancienneté excède quinze années ; que la commission arbitrale des journalistes n'a donc pas de compétence concernant les journalistes salariés des agences de presse, qui ne sont pas des entreprises de journaux et périodiques, puisqu'ils ne peuvent pas bénéficier de l'indemnité de congédiement instituée par l'article L. 7112-3 ; qu'en jugeant cependant en l'espèce que la commission arbitrale des journalistes était compétente pour statuer sur le montant de l'indemnité de licenciement due à M. K... en conséquence de son licenciement par l'agence France presse bien qu'il n'était pas salariés d'une entreprise de journaux et périodiques, la cour d'appel a violé les articles L. 7112-2 à L. 7112-4 du code du travail ;
2) ALORS QUE l'article 44 de la convention collective des journalistes dispose que « Les employeurs s'engagent dans le cadre de la législation en vigueur à respecter les règles suivantes de licenciement dans les cas particuliers ci-après :
b) Faute grave ou fautes répétées dans le service et notamment : voies de fait, indélicatesse, violation des règles d'honneur professionnel. Dans ce cas, si l'intéressé a été congédié sans préavis ni indemnités, après que les règles prévues par la loi ont été respectées, il pourra se pourvoir devant la commission arbitrale prévue par l'article L. 761-5 du code du travail ou toute autre juridiction compétente » ; que ce texte ne commande pas la compétence de la commission arbitrale des journalistes pour statuer sur l'indemnité de licenciement de tous les journalistes et certainement pas des journalistes des agences de presse dont le licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse par les juridictions prud'homales ; qu'en affirmant en l'espèce par motifs éventuellement adoptés qu'« Il résulte de l'article 44 de la convention collective nationale de travail des journalistes que les employeurs sans distinction, soumis à ladite convention, s'engagent à mettre en place la commission arbitrale des journalistes pour qu'elle soit saisie par le journaliste licencié pour faute grave ou fautes répétées afin de fixer l'indemnité de licenciement » pour en déduire la compétence de la commission arbitrale pour fixer l'indemnité de licenciement due à M. K... dont le licenciement a été définitivement jugé sans cause réelle et sérieuse et non pas fondé sur une faute grave, la cour d'appel a violé le texte susvisé.