LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 février 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 240 F-P+B+I
Pourvoi n° K 19-10.849
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2020
La société Carax, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° K 19-10.849 contre l'arrêt rendu le 19 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant à Mme B... T..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. de Leiris, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société Carax, de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme T..., et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 janvier 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. de Leiris, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre.
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 septembre 2018), la société Carax a relevé appel du jugement d'un conseil de prud'hommes rendu dans une affaire l'opposant à Mme T..., a remis au greffe ses conclusions le 30 juin 2017 et les a notifiées concomitamment à M. S..., qui était l'avocat de Mme T... devant le conseil de prud'hommes.
2. Mme T... a constitué M. S..., le 30 août 2017, puis soulevé un incident de caducité devant le conseiller de la mise en état. La société Carax a déféré à la cour d'appel l'ordonnance de ce conseiller constatant la caducité de sa déclaration d'appel.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
4. La société Carax fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 14 février 2018 constatant la caducité de sa déclaration d'appel, alors :
« 1°/ que le but poursuivi par la caducité en cas d'absence de notification des conclusions dans le délai requis est d'obliger l'appelant à faire connaître rapidement ses moyens à la partie qui n'a pas constitué avocat ; que ce but est atteint lorsque l'appelant a signifié ses conclusions avant l'expiration du délai à l'avocat mandaté par l'intimé, quand bien même celui-ci n'aurait-il pas régularisé son acte de constitution avant cette signification ; qu'en l'espèce, la société Carax a notifié ses conclusions et pièces au conseil de Mme T... par RPVA le 30 juin 2017, soit trois mois après la déclaration d'appel et M. S... a téléchargé l'ensemble des pièces transmises par Wetransfer le 7 juillet suivant avant de régulariser sa constitution le 30 août 2017 ; que la célérité de la procédure d'appel ayant été ainsi obtenue et, partant, le but atteint, la sanction de la caducité de la déclaration d'appel devenait disproportionnée ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a derechef violé l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde de des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ qu'en cas de force majeure, le conseiller de la mise en état peut écarter l'application des sanctions délais prévues aux articles 905-2 à 911 : qu'en l'espèce, la société Carax avait souligné que la notion de force majeure, telle qu'entendue par ce texte, était distincte de celle de cause étrangère en ce que son acception était exclusive du critère d'extériorité ; que dès lors, en se bornant, pour écarter la force majeure, à retenir que « l'appelante ne pouvait ignorer qu'elle n'avait pas reçu l'avis de constitution de son adversaire dans le cadre de l'instance devant la cour d'appel », sans répondre aux conclusions de la société Carax, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. En application de l'article 911 du code de procédure civile, sous les sanctions prévues par les articles 908 à 910 de ce code, les conclusions sont signifiées aux parties qui n'ont pas constitué avocat dans le mois suivant l'expiration du délai de leur remise au greffe de la cour d'appel ; cependant, si entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat.
6. L'appelant est mis en mesure de respecter cette exigence dès lors qu'il doit procéder à la signification de ses conclusions à l'intimé lui-même, sauf s'il a, préalablement à cette signification, été informé, par voie de notification entre avocats, de la constitution d'un avocat par l'intimé.
7. La notification de conclusions à un avocat qui n'a pas été préalablement constitué dans l'instance d'appel est entachée d'une irrégularité de fond et ne répond pas à l'objectif légitime poursuivi par le texte, qui n'est pas seulement d'imposer à l'appelant de conclure avec célérité, mais aussi de garantir l'efficacité de la procédure et les droits de la défense, en mettant l'intimé en mesure de disposer de la totalité du temps imparti par l'article 909 du code de procédure civile pour conclure à son tour. Il en découle que la constitution ultérieure par l'intimé de l'avocat qui avait été destinataire des conclusions de l'appelant n'est pas de nature à remédier à cette irrégularité.
8. Ayant, d'une part, relevé que l'appelante n'avait notifié ses conclusions dans le délai prévu par l'article 911 du code de procédure civile qu'à l'avocat qui avait assisté l'intimé en première instance et que l'appelante ne pouvait ignorer qu'elle n'avait pas reçu l'avis de constitution de son adversaire dans le cadre de l'instance devant la cour d'appel, faisant ainsi ressortir par cette considération que l'appelante ne s'était heurtée à aucun événement insurmontable, caractérisant un cas de force majeure, et, d'autre part, exactement retenu qu'il importait peu que l'intimé ait, postérieurement à la notification des conclusions, constitué l'avocat qui en avait été destinataire, c'est à bon droit, sans méconnaître les exigences du droit à un procès équitable, que la cour d'appel a constaté la caducité de la déclaration d'appel.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Carax aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour la société Carax
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 14 février 2018 constatant la caducité de la déclaration d'appel de la société Carax ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE selon l'article 908 du code de procédure civile, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure, à peine de caducité de l'appel constatée d'office par le conseiller de la mise en état en application de l'article 908 du code de procédure civile ; que l'article 911 du même code dispose également que l'appelant dispose d'un délai supplémentaire d'un mois pour notifier ses conclusions à l'intimé non constitué, à peine de caducité de l'appel ; que la société Carax soutient vainement que les conclusions d'incident étaient irrecevables comme ayant été présentées à la cour d'appel et non au conseiller de la mise en état seul compétent pour en connaitre alors qu'aux termes du dispositif desdites conclusions, les demandes ont été présentées au conseiller de la mise en état dont il convient de rappeler au visa de l'article 911 du code de procédure civile que ce conseiller de la mise en état devait, en l'absence de conclusions d'incident de l'appelant , relever d'office la caducité de la déclaration d'appel ; que le moyen tiré du fait que « les conclusions de caducité ont été couvertes quelques instants plus tard par des conclusions d'intimée portant appel incident est parfaitement inopérant dès lors que les conclusions de l'intimée portant mention d'un appel incident adressées à la cour d'appel n'ont aucune incidence sur les conséquences procédurales du non-respect par la partie adverse des délais qui sont réglementairement imposées pour notifier des conclusions en cas d'absence de constitution de l'intimée ; que l'examen des actes de procédure révèle que l'intimée n'a constitué avocat dans l'instance pendante devant la cour d'appel que le 30 août 2017, peu important que le conseil de celle-ci ait pu l'assister devant le conseil de prud'hommes et qu'il ait pu la représenter lors d'une audience de référé devant le premier président en vue de la constitution d'une garantie en lien avec l'exécution provisoire du jugement querellé, en sorte qu'en application des dispositions précédemment rappelées, l'appelante devait non seulement communiquer ses conclusions au greffe de la cour dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel mais aussi notifier lesdites conclusions à l'intimée non dument constituée dans le délai supplémentaire d'un mois que lui octroie l'article 911 du code de procédure civile ; que l'appelante ne peut davantage exciper de l'absence de délivrance de l'avis d'avoir à signifier la déclaration d'appel prévu par l'article 902 du code de procédure civile pour soutenir qu'elle était affranchie de l'obligation de signifier ses conclusions à l'intimée non constituée dans les délais prescrits, peu important là encore que l'intimée ait pu cacher qu'elle avait reçu la déclaration d'appel qu'elle avait nécessairement remise à son conseil à l'occasion du référé ; que dans ces conditions, l'appelante devait signifier ses conclusions à l'intimée non constituée au plus tard le 30 juillet 2017, ce qu'elle n'a pas fait ; qu'en conséquence, il est vain pour l'appelante de prétendre que Me S... avait néanmoins été de fait destinataire des conclusions dès le 30 juin 2017, puisque sa constitution n'avait pas été formalisée ; qu'il est aussi avéré que les textes qui prévoient la caducité de la déclaration d'appel pour le non-respect des délais qu'ils instaurent poursuivent le but nécessaire et légitime de favoriser la célérité de la procédure d'appel avec représentation obligatoire et établissent un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; que le respect des diligences procédurales prévues dans l'instance d'appel est conforme à l'exigence du procès équitable de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'appelante ne peut en conséquence arguer utilement du non-respect d'un procès équitable conformément aux dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales résultant de l'application de ces dispositions sanctionnant le non-respect par elle des dispositions précitées ; qu'enfin, il est vain de soutenir que les prétendues manoeuvres de l'adversaire tendant à retarder la régularisation de sa constitution afin d'obtenir la caducité de la déclaration d'appel sont constitutives d'un cas de force majeure ; que l'appelante ne pouvait ignorer qu'elle n'avait pas reçu l'avis de constitution de son adversaire dans le cadre de l'instance devant la cour d'appel ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'aux termes des dispositions des articles 908 à 911 du code de procédure civile, les conclusions de l'appelant doivent être adressées à la cour dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel à peine de caducité ; que sous la même sanction, les conclusions de l'appelant doivent être signifiées dans le mois suivant l'expiration de ce délai aux parties qui n'ont pas constitué ; qu'en l'espèce, l'intimé n'a constitué avocat que le 30 août 2017 ; que, par conséquent, les conclusions de l'appelant devaient être signifiées à madame B... T... au plus tard le 21 juillet 2017 ; que l'attitude de l'avocat de l'intimée, critiquée par le conseil de l'appelante ne peut caractériser ni la force majeure, ni l'atteinte au droit au procès équitable et la caducité n'est pas susceptible d'être ouverte par la notification des conclusions au fond de l'intimée ;
1°) ALORS QUE la caducité de la déclaration d'appel prévue en cas d'absence de notification par l'appelant de ses conclusions à l'intimé n'ayant pas constitué avocat dans le délai de quatre mois après la déclaration d'appel constitue une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge en ce qu'il prive définitivement l'appelant de son droit de former un appel principal en mettant fin à l'instance d'appel et en rendant irrecevable tout appel principal de l'appelant contre le même jugement à l'égard de la même partie ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde de des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) ALORS QUE le but poursuivi par la caducité en cas d'absence de notification des conclusions dans le délai requis est d'obliger l'appelant à faire connaître rapidement ses moyens à la partie qui n'a pas constitué avocat ; que ce but est atteint lorsque l'appelant a signifié ses conclusions avant l'expiration du délai à l'avocat mandaté par l'intimé, quand bien même celui-ci n'aurait-il pas régularisé son acte de constitution avant cette signification ; qu'en l'espèce, la société Carax a notifié ses conclusions et pièces au conseil de Mme T... par RPVA le 30 juin 2017, soit trois mois après la déclaration d'appel et Me S... a téléchargé l'ensemble des pièces transmises par Wetransfer le 7 juillet suivant avant de régulariser sa constitution le 30 août 2017 ; que la célérité de la procédure d'appel ayant été ainsi obtenue et, partant, le but atteint, la sanction de la caducité de la déclaration d'appel devenait disproportionnée ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a derechef violé l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde de des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°) ALORS QU'en cas de force majeure, le conseiller de la mise en état peut écarter l'application des sanctions délais prévues aux articles 905-2 à 911 : qu'en l'espèce, la société Carax avait souligné que la notion de force majeure, telle qu'entendue par ce texte, était distincte de celle de cause étrangère en ce que son acception était exclusive du critère d'extériorité ; que dès lors, en se bornant, pour écarter la force majeure, à retenir que « l'appelante ne pouvait ignorer qu'elle n'avait pas reçu l'avis de constitution de son adversaire dans le cadre de l'instance devant la cour d'appel », sans répondre aux conclusions de la société Carax, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.