LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon les arrêts attaqués (Montpellier, 15 octobre 2015 et 15 décembre 2016), que M. et Mme S... sont propriétaires d'une parcelle bâtie bordée d'une allée dont elle est séparée par un fossé longé d'une haie d'acacias implantée sur leurs fonds ; que la commune de [...] (la commune) leur a demandé de supprimer cette haie, au motif que celle-ci était dangereuse pour les passants ; qu'estimant que l'élagage réalisé était insuffisant, la commune a mis en demeure M. et Mme S... de procéder à l'abattage des arbres, avant d'y procéder elle-même sans les en prévenir ; que M. et Mme S... ont assigné la commune, sur le fondement de la voie de fait, en réalisation forcée de travaux de remise en état et en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation de l'arrêt du 15 octobre 2015 ;
Mais sur le moyen relevé d'office après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile :
Vu la loi des 16-24 août 1790, ensemble l'article 76, alinéa 2, du code de procédure civile ;
Attendu que l'abattage, même sans titre, d'une haie implantée sur le terrain d'une personne privée qui en demande la remise en état ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'administration et n'a pas pour effet l'extinction d'un droit de propriété, de sorte que la demande de remise en état des lieux relève de la seule compétence de la juridiction administrative ; qu'il y a donc lieu de relever d'office l'incompétence du juge judiciaire au profit de la juridiction administrative ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi :
REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 décembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente pour connaître du litige ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Condamne M. et Mme S... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la commune de [...].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt avant-dire-droit attaqué, rendu le 15 octobre 2015 par la cour d'appel de Montpellier, d'avoir prononcé le renvoi de l'affaire à la mise en état, d'avoir prononcé le rabat de l'ordonnance de clôture, et d'avoir invité les parties à présenter leurs observations sur la nouvelle définition de la voie de fait telle que résultant de la décision du tribunal des conflits en date du 17 juin 2013 ;
Aux motifs que « les époux S... sont propriétaires d'une parcelle sur laquelle est implantée leur maison qui est bordée sur son côté est par l'allée de [...] dont elle est séparée par un fossé ; entre ce fossé et la clôture se trouve une haie d'acacias, objet du présent litige ; qu'alléguant de l'existence d'un risque pour la sécurité des passants la commune leur a demandé, par courrier simple en date du 12 juin 2009 de supprimer cette haie ; qu'ils précisent avoir fait procéder à l'élagage de cette haie ainsi qu'au rabattage des arbres ; que considérant que les travaux étaient insuffisants la commune les a mis en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 5 août 2009 de procéder à un élagage complet sous huitaine ; que devant leur refus la commune a fait procéder à l'élagage des arbres le 4 novembre 2009 sans les en avertir ; qu'ils indiquent que de jurisprudence constante ces faits sont constitutifs d'une voie de fait ; que la jurisprudence civile est conforme à la jurisprudence administrative ; que le juge judiciaire peut constater cette voie de fait ; que la commune de [...] fait soutenir l'incompétence du juge judiciaire car pour elle la demande présentée par les appelants doit s'analyser comme la résultante d'un refus de la commune de réaliser les travaux qui sont demandés ; qu'il s'agit donc d'un refus d'acte administratif qui relève de la compétence exclusive du tribunal administratif ; qu'il s'agit aussi d'une remise en cause de travaux réalisés dans un but de sécurité et donc d'intérêt général relevant des pouvoirs de police du maire ; qu'au plan matériel il résulte du constat d'huissier qu'elle a fait faire que la haie se trouve sur la ligne divisoire car le fossé constitue une partie du domaine public ; qu'il ne s'agit pas d'une voie de fait ; que la cour rappelle que par ordonnance en date du 11 août 2011, devenue définitive à ce jour à défaut d'appel de la part des parties, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la commune de [...] ; que donc la commune de [...] est irrecevable à soutenir à nouveau devant la cour une telle exception d'incompétence ; la cour rappellera qu'au titre de la dernière jurisprudence du tribunal des conflits la notion de voie de fait ne s'analyse plus comme une atteinte grave à la propriété privée ou une atteinte à une liberté fondamentale mais comme une atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction du droit de propriété ; que la cour constate qu'aucune des deux parties n'a conclu au vu de cette dernière analyse du tribunal de conflits qui cependant intéresse la solution du litige ; qu'en conséquence la cour, renvoyant l'affaire à la mise en état, invite les parties à présenter leurs observations sur ce point, tous droits et demandes des parties réservés ;
Alors que devant la cour d'appel et devant la Cour de cassation, l'incompétence peut être relevée d'office si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction administrative, de sorte que l'ordonnance du juge de la mise en état rejetant l'exception d'incompétence du juge judiciaire n'est pas définitive, quand bien même elle n'aurait pas fait l'objet d'un recours des parties ; qu'en retenant que l'ordonnance du juge de la mise en état du 11 août 2011, rendue par le tribunal de grande instance de Perpignan, était devenue définitive à défaut d'appel des parties, quand cette ordonnance avait rejeté une exception d'incompétence du juge judiciaire, qui pouvait toujours être relevée d'office par la juridiction de second degré ou par la Cour de cassation, la cour d'appel a violé les articles 74, 92 et 771 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt au fond infirmatif attaqué, rendu le 15 décembre 2016 par la cour d'appel de Montpellier, d'avoir débouté la commune de [...] en l'ensemble de ses demandes, de l'avoir condamnée à faire enlever les souches des arbres coupés, à replanter des acacias de même taille que ceux abattus, espacés de 50 cm, sur la longueur totale du côté est de la parcelle des époux S..., et à remplacer la clôture endommagée à l'identique, ainsi que de l'avoir condamnée à payer la somme de 10.000€ aux époux S... à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi ;
Aux motifs que « par ordonnance en date du 11/08/11, devenue définitive à ce jour à défaut d'appel de la part des parties, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la commune de [...] ; que la cour rappelle qu'il résulte de l'ordonnance du juge de la mise en état en date du 11/08/11 que la commune de [...] a été déboutée en son exception d'incompétence ; que cette décision, bien que susceptible d'appel immédiat par application des dispositions de l'article 775 du code de procédure civile, n'a pas fait l'objet d'un recours ; que donc elle est devenue définitive et que donc la juridiction judiciaire est définitivement compétente pour connaître de ce litige ; que donc la commune de [...] sera déboutée en ce chef de demande ; que la cour rappellera aussi que le juge de la mise en état, dans le cadre de cette décision définitive, a dit, après avoir rappelé les conditions légales de la voie de fait : « il n'est pas contesté que la commune a fait procéder elle-même à l'élagage de la haie d'acacias implantée sur la propriété des époux S... ; l'acte matériel portant atteinte à la propriété immobilière d'autrui est donc caractérisé ; il résulte des éléments versés aux débats que cet acte n'a été précédé d'aucune décision prise conformément aux règles applicables en la matière et notifiée aux époux S... afin de leur permettre de formuler leurs observations, d'acquiescer à la décision ou d'exercer les voies de recours c'est bien sur le fondement de la voie de fait que les époux pages ont engagé une action devant le tribunal de céans » ; que la cour dira en conséquence qu'il résulte de cette décision rejetant l'exception d'incompétence soulevée par la commune de [...], que la notion de voie de fait a été parfaitement caractérisée par le juge de la mise en état et que sa décision étant devenue définitive, faute de recours exercé par l'une ou l'autre des parties, elle s'impose en tant que telle à la cour ; que la cour infirmera en conséquence la décision entreprise en ce qu'elle a fait droit à la demande de la commune de [...] et accueillera les époux S... en leur demande d'indemnisation ; que la cour dira que s'agissant d'une atteinte à la propriété immobilière des époux S..., ceux-ci sont fondés à demander la remise en état des lieux tels qu'existant au jour de l'exercice de la voie de fait par la commune ; qu'en conséquence la cour condamnera la commune de [...] à faire enlever les souches des arbres coupés ; à replanter des acacias de même taille que ceux abattus, espacés de 50 cm sur la longueur totale du côté est de leur parcelle qui jouxte l'allée des [...] et à remplacer la clôture endommagée à l'identique ; que la cour condamnera aussi la commune de [...] à payer aux époux S... une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts en raison de la violation de la propriété privée et de l'absence dorénavant de toute haie empêchant une vue directe dans leur propriété ; que la commune sera aussi condamnée à payer une somme de 5.000 euros sur la base des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile aux époux S... et aux entiers dépens de toute la procédure » (arrêt attaqué, p. 5 et 6) ;
1°) Alors que devant la cour d'appel et devant la Cour de cassation, l'incompétence peut être relevée d'office si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction administrative, de sorte que l'ordonnance du juge de la mise en état rejetant l'exception d'incompétence du juge judiciaire n'est pas définitive, quand bien même elle n'aurait pas fait l'objet d'un recours des parties ; qu'en retenant que l'ordonnance du juge de la mise en état du 11 août 2011, rendue par le tribunal de grande instance de Perpignan, était devenue définitive à défaut d'appel des parties, quand cette ordonnance avait rejeté une exception d'incompétence du juge judiciaire, qui pouvait toujours être relevée d'office par la juridiction de second degré ou par la Cour de cassation, la cour d'appel a violé les articles 74, 92 et 771 du code de procédure civile.
2°) Alors que, subsidiairement, c'est seulement lorsque le juge a, en se prononçant sur la compétence, tranché dans le dispositif du jugement la question de fond dont dépend cette compétence que sa décision a autorité de chose jugée sur la question de fond ; qu'en retenant qu'il résultait de l'ordonnance du 11 août 2011, rendue par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Perpignan, que la notion de voie fait avait été parfaitement caractérisée et que cette décision étant devenue définitive, faute de recours exercé par l'une ou l'autre des parties, elle s'impose en tant que telle à la cour, cependant que, dans le dispositif de sa décision, le juge de la mise en état s'était borné à rejeter l'exception d'incompétence soulevée par les époux S..., sans se prononcer sur la commission d'une voie de fait par la commune de [...], la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355, du code civil, ensemble les articles 77 et 95 du code de procédure civile ;
3°) Alors encore que le juge est tenu de ne pas dénaturer les écrits clairs et précis soumis à son examen par les parties ; que l'ordonnance du 11 août 2011 rendue par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Perpignan énonce, dans ses motifs, que « c'est donc bien sur le fondement de la voie de fait que Monsieur et Madame Z... S... ont engagé une action devant le tribunal de céans, action qu'il appartiendra aux juges du fond de trancher », et, dans son dispositif, « Rejette l'exception d'incompétence » et « Renvoie l'affaire à la mise en état (cabinet) du 20 octobre 2011 » ; qu'il résulte clairement de ces énonciations que le juge de la mise en état n'a pas entendu trancher la question de fond tenant à la commission d'une voie de fait par la commune de [...], mais qu'il a expressément indiqué renvoyer cette question à la juridiction du fond ; qu'en retenant qu'il résultait de cette décision que la notion de voie fait a été parfaitement caractérisée par le juge de la mise en état et que sa décision étant devenue définitive, faute de recours exercé par l'une ou l'autre des parties, elle s'impose en tant que telle à la cour, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette ordonnance, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
4°) Alors qu'en tout état de cause, la voie de fait suppose une décision manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; que dans le cadre de sa mission de police municipale, le maire est tenu d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ; que cette mission comprend notamment tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui inclut la coupe de végétaux empiétant sur la voie publique et présentant un danger pour les passants ; qu'en retenant qu'il résultait de l'ordonnance du 11 août 2011, qui a rejeté l'exception d'incompétence du juge judiciaire, que le juge de la mise en état avait parfaitement caractérisé la notion de voie de fait, dès lors que l'élagage de la haie d'acacias des époux S... portait atteinte à la propriété immobilière d'autrui, et que cet acte n'avait été précédé d'aucune décision prise conformément aux règles applicables en la matière ni notifiée aux époux S... afin de leur permettre de formuler leurs observations, d'acquiescer à la décision ou d'exercer les voies de recours, sans rechercher si l'action de la commune de [...] n'était pas justifiée immédiatement par le danger que présentait la haie d'acacias des époux S... pour les passants, de sorte qu'elle était susceptible de se rattacher au pouvoir de police du maire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, ainsi que des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ;
5°) Alors enfin que la voie de fait n'est caractérisée que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; qu'en retenant que le juge de la mise en état avait parfaitement caractérisé la notion de voie de fait, au motif que l'élagage de la haie d'acacias implantée sur la propriété des époux S... portait atteinte à la propriété immobilière d'autrui, sans constater que cet acte avait entraîné l'extinction du droit de propriété des époux S..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III.