LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 18-85.366 F-P+B+I
N° 1824
SM12
15 OCTOBRE 2019
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
REJET du pourvoi formé par :
- M. L... G...,
contre l'arrêt n° 250 de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 4 juillet 2018, qui, pour diffamation envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 septembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lavaud ;
Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de Me Laurent GOLDMAN et de la société civile professionnelle RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA, avocats en la Cour et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Vu le mémoire personnel et les mémoires en défense produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le procureur de la République a fait citer devant le tribunal correctionnel M. G..., du chef précité et également pour provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en raison de la couverture d'un livre écrit par lui, ainsi décrite : "Le titre « Les milliards d'lsraël », suivi du sous-titre « Escrocs juifs et financiers internationaux » sont inscrits dans une typographie et sur un fond de couleur vert évoquant un billet de dollar américain. Ils surmontent le portait encadré d'un homme brun en costume fumant un cigare. Cet homme tient dans sa main gauche aux doigts recroquevillés un sac estampillé du symbole monétaire du dollar, tandis qu'il tend sa main droite qui sort du cadre juste au-dessus d'une banderole supportant l'inscription suivante « Comment prendre l'argent dans la poche des goys »" ; que M. G... a relevé appel du jugement qui l'a déclaré coupable de ces deux infractions et que le ministère public a formé un appel incident ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
Attendu que, pour écarter l'exception de nullité de la citation tirée de ce que le même propos était poursuivi sous une double qualification, l'arrêt énonce que le délit de diffamation aggravée vise à protéger l'honneur et la considération d'une personne ou d'un groupe de personnes, tandis que le délit de provocation à la haine, à la discrimination et à la violence a pour objet de préserver une valeur sociale et la paix civile, de sorte que les deux délits, qui ne sont pas incompatibles entre eux, visent la protection d'intérêts distincts ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que, ces deux infractions visées à la prévention ne comportant pas d'éléments constitutifs inconciliables entre eux, il n'a pu résulter de cette qualification cumulative aucune incertitude dans l'esprit du prévenu quant à l'étendue de la poursuite, la cour d'appel a fait une exacte application du texte visé au moyen ;
D'où il suit que, nouveau et mélangé de fait en sa seconde branche, en ce qu'il invoque pour la première fois devant la Cour de cassation l'existence d'une action engagée devant le juge des référés, postérieurement à la délivrance de l'acte de poursuite, et comme tel irrecevable, le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 29, alinéa 1, et 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
Attendu que, pour confirmer le jugement s'agissant du délit de diffamation publique raciale, l'arrêt énonce que la couverture incriminée, qui associe notamment les mots "juifs" et "escrocs", mais qui doit se comprendre dans sa totalité, ne vise pas seulement des "escrocs juifs", mais, par la généralisation qui résulte de la composition de la page, vise l'ensemble des Juifs auxquels elle impute de s'enrichir de manière illégale au détriment des personnes non-juives, ce qui constitue un fait susceptible de preuve et attentatoire à l'honneur puisque pénalement répréhensible ;
Attendu qu'en statuant ainsi et dès lors que ce propos, figurant en couverture d'un ouvrage censé l'illustrer, renfermait l'imputation de faits contraires à l'honneur ou à la considération, suffisamment précis, qui visait un groupe de personnes pris en raison de leur seule appartenance à une religion déterminée, et excédait les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel, devant laquelle il n'était pas soutenu que le corps de l'ouvrage contredirait la définition du groupe visé qui résultait de l'examen de la seule couverture, n'a méconnu aucun des textes visés au moyen ;
Qu'en effet, s'il appartient aux juges de relever toutes les circonstances qui sont de nature à leur permettre d'apprécier le sens et la portée des propos incriminés et de caractériser l'infraction poursuivie, c'est à la condition, s'agissant des éléments extrinsèques auxdits propos, qu'ils aient été expressément invoqués devant eux ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. G... devra payer à la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M.G... devra payer à l'Union des étudiants juifs de France, l'association J'accuse ! Action internationale pour la justice et l'association SOS Racisme-Touche pas à mon pote au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze octobre deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.