LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à Mme G... D... du désistement de son pourvoi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 13 avril 2018), qu'S... D... est décédé le [...], laissant pour lui succéder son épouse, Mme Z... Y..., ses deux filles, Mmes G... et J... D..., et son petit-fils, M. T..., venant par représentation de sa mère, N... D... ; que, par acte du 10 décembre 2013, M. U..., époux de Mme G... D..., a assigné les héritiers en paiement d'une créance de salaire différé ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. U... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen, que le descendant d'un exploitant agricole qui, âgé de plus de 18 ans, a participé directement et effectivement à l'exploitation, sans être associé aux bénéfices ni aux pertes et sans contrepartie de salaire en argent, est réputé légalement bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé ; que son conjoint qui a participé à l'exploitation dans les mêmes conditions, est également réputé bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé ; qu'en rejetant la demande de créance de salaire différé de M. U... sur la succession de son beau-père S... D..., au motif qu'il n'avait pas travaillé à l'exploitation de ce dernier en même temps que son épouse, elle-même reconnue titulaire d'une créance de salaire différé, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition de concomitance des participations du descendant et de son conjoint, et ainsi violé les articles L. 321-15 et L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime ;
Mais attendu qu'après avoir rappelé qu'en application de l'article L. 321-15 du code rural et de la pêche maritime, le conjoint du descendant ne peut prétendre à une créance de salaire différé que s'il a travaillé, concomitamment avec celui-ci, sur l'exploitation de ses beaux-parents, la cour d'appel, qui a relevé que M. U... sollicitait une telle créance pour une période distincte de celle pour laquelle son épouse en bénéficiait, en a exactement déduit, sans ajouter une condition à la loi, que sa demande ne pouvait être accueillie ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. U... fait grief à l'arrêt de dire prescrite et donc irrecevable, sa demande fondée sur la théorie de l'enrichissement sans cause, alors, selon le moyen, que le délai de prescription de l'action fondée sur l'enrichissement sans cause, exercée subsidiairement à l'action en paiement d'une créance de salaire différé ne court qu'à compter du décès de l'exploitant agricole ; qu'en jugeant que le délai quinquennal de prescription de cette action avait couru à compter de chaque mois au cours duquel M. U... avait participé à l'exploitation de son beau-père S... D..., soit, pour la dernière échéance, du 30 novembre 1986, de sorte qu'elle était prescrite au jour de l'introduction de l'action le 10 décembre 2013, quand M. U... n'avait pu exercer l'action fondée sur l'enrichissement sans cause, subsidiairement à l'action principale en paiement d'une créance de salaire différé, avant l'ouverture de la succession de son beau-père, décédé le [...], la cour d'appel a violé les articles 1371 et 1224 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir énoncé que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause n'a pas pour objet de faire reconnaître une créance de salaire différé mais constitue une action mobilière soumise à la prescription de droit commun, la cour d'appel, qui a relevé que M. U... affirmait avoir travaillé sur l'exploitation de ses beaux-parents de 1976 à1986, sans être rémunéré, a retenu qu'il avait donc connu, chaque mois, les faits lui permettant d'exercer son action, ce dont elle a exactement déduit que le délai pour agir avait expiré le 18 juin 2013 ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. U... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à Mme Y..., Mme J... D... et à M. T... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, signé par Mme Wallon, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile en remplacement du conseiller rapporteur empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mai deux mille dix neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour M. U....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté la demande de salaire différé de M. O... U... et de l'avoir condamné, in solidum avec Mme G... D... épouse U..., à payer à Mme J... K..., M. F... T... et Mme Z... Y... veuve D... la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
AUX MOTIFS QUE « considérant que M. O... U... invoque une créance de salaire différé pour la période du 1er octobre 1976 au 30 novembre 1986 au titre de sa participation à l'exploitation de ses beaux-parents ;
Considérant que son épouse, fille de ceux-ci, bénéficie d'une créance de salaire différé pour la période du 17 mai 1970 au 21 juillet 1974 soit pour une période antérieure ;
Considérant que l'article L 321-15 du code rural et de la pêche maritime dispose :
« si le descendant est marié, si son conjoint participe également à l'exploitation dans les conditions mentionnées à l'article L 321-13, chacun des époux sera réputé légalement bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé au taux fixé au deuxième alinéa dudit article L 321-13 » ;
Considérant que l'article L 321-13 du code rural et de la pêche maritime réserve aux seuls « descendants » le bénéfice d'un contrat de travail à salaire différé ;
Considérant que l'article L 321-15 du même code permet d'attribuer ce salaire au conjoint du descendant participant « également » à l'exploitation ;
Considérant que cet article étend ainsi le bénéfice du contrat de travail à salaire différé au conjoint du descendant à la condition que celui-ci « participe également » à l'exploitation dans les conditions de l'article L 321-13 ;
Considérant, d'une part, que le conjoint du descendant n'est donc pas titulaire d'un droit propre ; que son droit est une extension de celui du descendant ; qu'il est lié au siens ;
Considérant, dès lors, que le descendant doit lui-même pouvoir prétendre, pour la période concernée, à une créance de salaire différé ;
Considérant, d'autre part, que le verbe « participer » est employé au présent et non à un autre temps tel le passé composé ;
Considérant qu'il résulte de l'adverbe « également » associé à un verbe ainsi employé que le conjoint doit travailler, « en même temps », que le descendant participant à l'exploitation dans les conditions de l'article L 321-13 pour bénéficier de ce contrat ;
Considérant que l'application de l'article L 321-15 est ainsi subordonnée à la condition que le conjoint du descendant travaille concomitamment avec celui-ci sur l'exploitation de ses beaux-parents ;
Considérant que tel n'est pas le cas en l'espèce ;
Considérant que la demande formée par les appelants sur le fondement de cette disposition sera rejetée ; »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Sur la rémunération du travail de monsieur O... U...
Il résulte de l'article L 321-15 alinéa 1er du code rural que le bénéfice du salaire différé est reconnu au conjoint du descendant qui participe également à l'exploitation ; l'application de ce texte suppose donc une implication concomitante des deux conjoints dans l'exploitation agricole de l'ascendant de l'un d'eux .
Tel n'est pas le cas de monsieur O... U... qui de l'aveu même des demandeurs, aurait pris la suite de son épouse lorsque cette dernière a quitté la ferme. Sa demande de salaire différé doit donc être rejetée. » (jugement, p. 5 in fine et 6) ;
ALORS QUE le descendant d'un exploitant agricole qui, âgé de plus de 18 ans, a participé directement et effectivement à l'exploitation, sans être associé aux bénéfices ni aux pertes et sans contrepartie de salaire en argent, est réputé légalement bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé ; que son conjoint qui a participé à l'exploitation dans les mêmes conditions, est également réputé bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé ; qu'en rejetant la demande de créance de salaire différé de M. O... U... sur la succession de son beau-père S... D..., au motif qu'il n'avait pas travaillé à l'exploitation de ce dernier en même temps que son épouse, elle-même reconnue titulaire d'une créance de salaire différé, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition de concomitance des participations du descendant et de son conjoint, et ainsi violé les articles L 321-15 et L 321-13 du code rural et de la pêche maritime.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré prescrite et donc irrecevable la demande de M. O... U... fondée sur la théorie de l'enrichissement sans cause et de l'avoir condamné, in solidum avec Mme G... D... épouse U..., à payer à Mme J... K..., M. F... T... et Mme Z... Y... veuve D... la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
AUX MOTIFS QUE
« Considérant que l'action tendant à obtenir le bénéfice d'un contrat de travail à salaire différé naît, compte tenu de son objet, au jour de l'ouverture de la succession de l'exploitant ;
Mais considérant que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause n'a pas pour objet de faire reconnaître une créance de salaire différé mais constitue une action mobilière soumise à une prescription calculée conformément au droit commun ;
Considérant qu'elle a donc pour point de départ, en application de l'article 2224 du code civil, le jour où son titulaire a connu les faits lui permettant de l'exercer ;
Considérant que M. U... affirme qu'il a travaillé sur l'exploitation de ses beaux-parents de 1976 à 1986 ; qu'il savait qu'il n'était pas rémunéré ; qu'il a donc connu, chaque mois, les « faits lui permettant » d'exercer une telle action ;
Considérant que la prescription court donc à compter de chaque échéance mensuelle soit, pour la dernière, du 30 novembre 1986 ;
Considérant que l'action fondée sur un enrichissement sans cause était soumise à une prescription trentenaire avant la loi du 18 juin 2008 qui a réduit la prescription à cinq ans ;
Considérant que, compte tenu des dispositions transitoires de la loi, le délai pour agir a donc expiré le 18 juin 2013 ;
Considérant que la demande formée au titre de l'enrichissement sans cause est ainsi prescrite et, en conséquence, irrecevable ;
Considérant que la mesure d'instruction demandée est donc sans objet ;
Considérant que le jugement sera donc confirmé en ses dispositions querellées ;
Considérant que les appelants devront donc payer une somme unique de 2 500 euros aux intimés au titre des frais irrépétibles exposés par eux en cause d'appel ; que, compte tenu du présent arrêt, leur demande aux mêmes fins sera rejetée ; » (arrêt p.8 in fine et p.9)
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE « l'article 1371 du code civil définit les quasi-contrats comme les faits purement volontaires de l'homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers et quelquefois un engagement réciproque des deux parties ; il en est ainsi de l'enrichissement sans cause, invoqué par monsieur O... U... à l'encontre de la succession de Monsieur S... D..., laquelle se serait, selon lui, enrichie par le produit de son travail, alors que lui-même, ayant travaillé sans rémunération et avec son propre matériel sur les terres du défunt, se serait appauvri.
L'exercice de l'action de in rem verso, qui n'est pas fondée sur les dispositions du droit successoral, n'est pas retardé jusqu'à l'ouverture de la succession comme en matière de salaire différé mais répond aux exigences de la prescription de droit commun.
Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
L'article 26 de la loi du 18 juin 2008, portant réforme de la prescription, prévoit que les dispositions qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, soit le 18 juin 2008, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Cette durée était antérieurement de trente ans.
Monsieur O... U... affirme avoir travaillé dans l'exploitation de Monsieur S... D... entre 1976 et 1986. Selon les dispositions anciennes, il aurait dû agir entre 2006 et 2016. L'application de la loi nouvelle le 18 juin 2008 a donc porté sur le travail accompli entre le 18 juin 1978 et le 30 novembre 1986 et elle conduit à fixer le nouveau terme du délai de prescription au 18 juin 2013 pour les cinq dernières années de travail.
Monsieur O... U... a agi le 10 décembre 2013. Sa demande n'est donc pas recevable. » ;
ALORS QUE le délai de prescription de l'action fondée sur l'enrichissement sans cause, exercée subsidiairement à l'action en paiement d'une créance de salaire différé ne court qu'à compter du décès de l'exploitant agricole ; qu'en jugeant que le délai quinquennal de prescription de cette action avait couru à compter de chaque mois au cours duquel M. U... avait participé à l'exploitation de son beau-père S... D..., soit, pour la dernière échéance, du 30 novembre 1986, de sorte qu'elle était prescrite au jour de l'introduction de l'action le 10 décembre 2013, quand M. U... n'avait pu exercer l'action fondée sur l'enrichissement sans cause, subsidiairement à l'action principale en paiement d'une créance de salaire différé, avant l'ouverture de la succession de son beau-père, décédé le [...], la cour d'appel a violé les articles 1371 et 1224 du code civil.