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17/04/2019 | FRANCE | N°17-18286

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 17 avril 2019, 17-18286


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 mars 2017), qu'à la suite de la rupture et du naufrage du navire-citerne « [...] », battant pavillon de l'Etat des Bahamas, lors de son remorquage au large des côtes espagnoles, une partie de son chargement en hydrocarbures a été rejetée en mer provoquant une pollution maritime et côtière ; que l'Etat français a assigné les sociétés américaines American Bureau of Shipping, ABSG Consulting Inc. et ABS Group of Companies (les entités ABS), sociétés de

classification et de certification, devant le tribunal de grande instance ...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 mars 2017), qu'à la suite de la rupture et du naufrage du navire-citerne « [...] », battant pavillon de l'Etat des Bahamas, lors de son remorquage au large des côtes espagnoles, une partie de son chargement en hydrocarbures a été rejetée en mer provoquant une pollution maritime et côtière ; que l'Etat français a assigné les sociétés américaines American Bureau of Shipping, ABSG Consulting Inc. et ABS Group of Companies (les entités ABS), sociétés de classification et de certification, devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en responsabilité à raison de fautes commises dans leur activité de classification des navires et réparation du préjudice subi sur son territoire, dans sa mer territoriale et dans sa zone économique ; que les entités ABS ont décliné la compétence des juridictions françaises en se prévalant de l'immunité juridictionnelle de l'Etat des Bahamas, sur l'ordre et pour le compte duquel elles avaient agi par délégation pour la délivrance des certificats statutaires ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur les deuxième à sixième moyens, réunis :

Attendu que les entités ABS font grief à l'arrêt d'écarter l'exception d'immunité juridictionnelle, alors selon le moyen :

1°/ que la CNUDM a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 98/392/CE du Conseil du 23 mars 1998 et a ainsi été intégrée dans l'ordre juridique communautaire ; que la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, par un arrêt Intertanko du 3 juin 2008 (aff. C-308/06) que « la Convention de Montego Bay ne met pas en place des règles destinées à s'appliquer directement et immédiatement aux particuliers et à conférer à ces derniers des droits ou des libertés susceptibles d'être invoqués à l'encontre des Etats, indépendamment de l'attitude de l'Etat du pavillon du navire » ; qu'en l'état de cette doctrine, qui fixe l'interprétation d'un élément de l'ordre juridique communautaire, la Convention de Montego Bay, et en particulier son article 236, ne sauraient être tenus comme directement applicables en droit interne ; que peu importe, à cet égard, que la Convention de Montego Bay ait pu, sur certains points, codifier le droit international coutumier ; qu'en se fondant néanmoins sur l'article 236 de la Convention de Montego Bay pour refuser aux entités ABS le bénéfice d'une immunité de juridiction, la cour d'appel a violé l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

2°/ que les dispositions de la partie XII de la Convention de Montego Bay, et en particulier son article 236, ne créant d'obligations qu'à la charge des Etats parties, ne sont pas directement applicables en droit interne ; que peu importe, à cet égard, que la Convention de Montego Bay ait pu, sur certains points, codifier le droit international coutumier ; qu'en se fondant néanmoins sur l'article 236 de la Convention de Montego Bay pour refuser aux entités ABS le bénéfice d'une immunité de juridiction, la cour d'appel a violé les principes gouvernant l'application du droit international devant les juridictions internes ;

3°/ que l'article 236 de la Convention de Montego Bay soustrait les navires de guerre, navires auxiliaires et navires d'Etat utilisés exclusivement à des fins de service public non commerciales aux dispositions de la convention relatives à la protection et à la préservation du milieu marin ; qu'il n'a pas pour objet de régler les conditions dans lesquelles une société de classification et de certification des navires, délégataire d'un Etat étranger, peut bénéficier d'une immunité de juridiction lorsque sa responsabilité civile est recherchée à raison de l'exercice de ses activités ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 236 de la Convention de Montego Bay ;

4°/ que, selon l'article 229 de la Convention de Montego Bay, « aucune disposition de la convention ne porte atteinte au droit d'introduire une action en responsabilité civile en cas de pertes ou de dommages résultant de la pollution du milieu marin » ; qu'il résulte de cette disposition que la Convention de Montego Bay, qui ne comporte pas un régime de responsabilité civile propre à la pollution du milieu marin, abandonne la matière aux législations nationales ; qu'en retenant néanmoins que l'article 236 de la convention vise nécessairement tant les poursuites pénales que les poursuites civiles engagées à la suite d'un déversement de substances polluantes, la cour d'appel a violé les articles 229 et 236 de la Convention de Montego Bay ;

5°/ qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que les entités ABS sont intervenues exclusivement pour la classification et la certification du navire [...] ; qu'elles n'ont pas participé, de quelque manière que ce soit, à l'exploitation du navire ; qu'en les excluant du bénéfice de l'immunité de juridiction au motif que les entités ABS étaient « intervenues à l'acte de transport » effectué par un navire de commerce, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 236 de la Convention de Montego Bay ;

6°/ qu'en fondant sa décision sur l'article 16 de la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, pris comme l'expression d'une règle de droit international coutumier, la cour d'appel a soulevé un moyen d'office ; que, ne l'ayant pas soumis à la discussion préalable des parties, elle a méconnu le principe du contradictoire et violé l'article 16 du code de procédure civile ;

7°/ que l'article 16 de la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens vise les navires dont l'Etat est propriétaire et exploitant et écarte l'immunité de juridiction dans les procédures se rapportant à l'exploitation du navire ou au transport d'une cargaison se trouvant à son bord ; que cette disposition est étrangère à l'activité de classification et de certification des navires ; qu'en s'y référant néanmoins pour refuser le bénéfice de l'immunité de juridiction aux entités ABS dont la responsabilité civile était recherchée à raison de prétendues fautes commises dans leur activité de classification et de certification, la cour d'appel a violé, par fausse application, la règle de droit international coutumier codifiée à l'article 16 de la convention susvisée ;

8°/ qu'en fondant sa décision sur l'article XI de la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, la cour d'appel a soulevé un moyen d'office ; que, ne l'ayant pas soumis à la discussion des parties, elle a méconnu le principe du contradictoire et violé l'article 16 du code de procédure civile ;

9°/ que ceux qui agissent sur l'ordre ou pour le compte d'un Etat étranger bénéficient de l'immunité de juridiction lorsque l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de l'Etat et n'est donc pas un acte de gestion ; que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, l'acte litigieux à analyser pour déterminer si les entités ABS bénéficiaient de l'immunité de juridiction était constitué par le comportement fautif reproché à ces dernières par l'Etat français, tel que décrit dans ses écritures avant que la fin de non-recevoir tirée de l'immunité n'eût été soulevée ; qu'en se fondant, pour retenir que l'Etat français mettait en cause la responsabilité civile des entités ABS à raison des seuls manquements aux obligations contractuelles souscrites dans le cadre de leur activité de classification des navires, sur les conclusions développées par l'Etat français en cause d'appel, sans examiner l'assignation délivrée par l'Etat français le 26 février 2010 ni rechercher le fondement qui y était donné à l'action en responsabilité dirigée contre les entités ABS, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers ;

10°/ que l'Etat français reprochait aux entités ABS des négligences au cours de la réalisation de visites et inspections du navire [...] ; que, pour déterminer si les entités ABS bénéficiaient de l'immunité de juridiction, il y avait lieu d'examiner si ces négligences avaient été commises dans le cadre d'une activité participant à l'exercice de la souveraineté de l'Etat des Bahamas ; qu'en se fondant exclusivement sur la qualification juridique du manquement que l'Etat français déduisait de l'allégation d'une négligence, sans rechercher si le comportement concret imputé à faute aux entités ABS, à savoir un contrôle insuffisant du navire [...], n'était pas advenu dans le cadre de l'exercice de prérogatives de souveraineté déléguées par l'Etat des Bahamas, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers ;

11°/ en se déterminant uniquement au regard du fondement donné par l'Etat français, dans ses écritures d'appel, à sa demande, sans rechercher si, comme le soutenaient les entités ABS dans leurs écritures et comme les premiers juges l'avaient retenu, les activités de classification et les activités déléguées par l'Etat bahaméen portant sur le contrôle et la certification des navires ne constituaient pas en réalité une même activité ou à tout le moins des activités totalement imbriquées, de sorte que la question de l'immunité de juridiction ne pouvait être décidée sur le seul terrain de la classification du navire [...], la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction de l'Etat étranger ;

12°/ dans leurs conclusions d'appel, les entités ABS soutenaient que, quand bien même il serait considéré que les prétendues fautes d'ABS auraient été commises dans le cadre de son activité de classification, il y aurait lieu de considérer que les défaillances prétendues concernaient les contrôles destinés à contribuer à la sécurité en mer et que les actes y relatifs d'ABS ne constituaient pas de simples actes de gestion mais des actes participant de l'exercice d'une mission de service public par délégation de l'Etat des Bahamas, de sorte qu'ABS bénéficiait nécessairement de l'immunité de juridiction à ce titre ; qu'en omettant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que les activités de certification et de classification, qui relèvent de régimes juridiques différents, sont dissociables et que seule la première autorise une société de droit privé à se prévaloir de l'immunité juridictionnelle de l'Etat du pavillon qui l'a spécialement habilitée à délivrer, en son nom, au propriétaire d'un navire, la certification statutaire ;

Et attendu que l'arrêt retient que la responsabilité des entités ABS, sociétés de droit privé, est mise en cause, non pour leur activité de certification exercée au nom de l'Etat des Bahamas, mais pour celle de classification, en raison de manquements commis dans l'exécution des obligations de visites techniques et inspections périodiques auxquelles elles étaient tenues par la convention conclue avec le propriétaire du navire ; qu'abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par les huit premières branches, la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés American Bureau of Shipping, ABSG Consulting Inc. et ABS Group of Companies aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à l'Agent judiciaire de l'Etat la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept avril deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour les sociétés American Bureau of Shipping, ABSG Consulting Inc. et ABS Group of Companies.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'American Bureau Shipping, ABSG Consulting, Inc. et ABS Group of Companies ne peuvent se prévaloir d'une immunité de juridiction devant les tribunaux français et d'avoir ordonné la poursuite de la procédure engagée contre elles,

AUX MOTIFS QUE l'ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2016, l'affaire a été fixée à l'audience du 5 décembre 2016 à laquelle elle a été retenue puis mise en délibéré par mise au dispositif au greffe au 30 janvier 2017, puis prorogée à la date de ce jour ; que, par courrier en date du 23 décembre 2016, la cour, par l'entremise de la présidente de sa formation, a appelé l'attention des parties sur la teneur de l'article 236 de la CNUDM visée tant par l'Etat français en page 5 de ses écriture que par ABS en page 11 de ses conclusions en les invitant à s'expliquer sur la portée de cette disposition et à se communiquer mutuellement leurs observations dans le cadre d'une note en délibéré et à en rendre destinataire le ministère public en sa qualité de partie jointe ;

ET QUE la CNUDM, conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982 et ratifiée par l'Etat des Bahamas en 1983 puis par la France en 1996, à supposer qu'elle ne soit pas d'application directe, a été immédiatement incorporée au droit international coutumier par les Etats signataires (¿), ce processus d'incorporation ayant été entériné par la Cour de justice internationale (¿) et pris en compte par la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 ; que la CNUDM, qui a facilité la cristallisation en droit international coutumier de certains principes fondamentaux du droit de l'environnement, comporte un article 236, unique article de la section 10 du titre XII de ladite convention, consacré à la protection et à la préservation du milieu marin, qui prévoit sous l'intitulé immunité souveraine : « Les dispositions de la Convention relatives à la protection et à la préservation du milieu marin ne s'appliquent ni aux navires de guerre ou navires auxiliaires, ni aux autres navires ou aux aéronefs appartenant à un Etat ou exploités par lui lorsque celui-ci les utilise, au moment considéré, (c'est-à-dire aux navires bénéficiant d'une immunité), exclusivement à des fins de service public non commerciales » ; qu'il 'agit là d'une exemption de l'observation des règles substantielles posées en matière environnementale par le titre XII de la CNUDM s'appliquant aux navires qui y sont énumérés et qui bénéficient de l'immunité qui leur est, par ailleurs, reconnue par articles 32, 58, 95 et 96 de cette convention, dans le droit fil de la coutume internationale et de la Convention de Genève sur la haute mer conclue le 29 avril 1958 (¿) ; que cette exemption qui accompagne l'immunité, dont l'existence est rappelée comme le démontre l'intitulé, a été introduite pour instaurer une complète protection de navires non considérés comme une source importante de pollution ; qu'en tant que représentants de la souveraineté de l'État, en tant qu'instruments politiques et militaires de l'État, les navires de guerre posent des problèmes différents de ceux concernant les navires privés ; qu'ils ont droit à des immunités, parfois inscrites dans des textes ; que le navire de guerre est, en effet, non seulement un navire public de l'Etat du pavillon mais aussi un représentant et plus encore une émanation de sa souveraineté et les éléments de protection dont il bénéficie, et qui sont considérables (¿), créent en sa faveur les conditions optimales d'accomplissement de sa mission de souveraineté (...) ; qu'il en résulte, a contrario, que les navires d'Etat, autres que les navires de guerre et ceux qui leur sont assimilés par l'article 236, ne bénéficient ni de l'immunité accordée par la CNUDM à ces derniers bâtiments, ni de l'exemption inscrite à cet article et qui en est le complément et qu'à plus forte raison, les navires de commerce, ne bénéficient pas d'une telle protection, et sont, par conséquent, tenus, en cas d'actes de pollution, d'en répondre, aussi bien au pénal qu'au civil, devant les juridictions compétentes pour en connaître, désignées selon les règles qui résultent de l'ordre juridique de l'Etat du pavillon et de l'ordre juridique des Etats côtiers dont l'application au litige est déterminée en tenant compte des engagements internationaux qui peuvent les lier ; qu'il s'agit là de la reprise d'une règle insérée dans la Convention de Bruxelles du 10 avril 1926 relative aux immunités des navires d'État qui considère très précisément que les navires d'État affectés à une activité commerciale sont assimilés aux navires privés et ne génèrent en conséquence aucune espèce d'immunités, qu'elles soient « de juridiction » ou « d'exécution » (art. 1er et 2) (...), ce qui les prive de la possibilité de bénéficier de l'exemption prévue à l'article 236 ; que la CNUDM, qui a valeur de coutume, et le droit international coutumier consacrent ainsi une règle claire d'immunité pour les seuls navires de guerre et les navires qui leur sont assimilés et le fait que la Convention de 2004 n'ait pas pris effet pour la raison essentielle que de nombreux États ne l'ont pas ratifiée est sans emport dès lors qu'elle codifie une règle bien assise du droit international coutumier en privant d'immunité tant les navires d'Etat utilisés à des fins commerciales que les navires de commerce ; qu'il sera, ici, rappelé, à toutes fins, que la compétence des États à faire respecter les normes, à les sanctionner et à organiser la mise en oeuvre de la réparation civile pour se conformer aux articles 229 et 235 de la CNUDM fonctionne indépendamment de celui qui a commis l'infraction puisque cette Convention comme la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, ratifiée tant par les Bahamas que par la France, visent à propos de cette immunité, le seul navire mis en cause par l'événement, l'ensemble des intervenants à l'acte de transport effectué avec le navire étant par suite nécessairement concernés par ces Conventions et pouvant chercher à les invoquer, comme le fait ABS, qui se prévaut de la coutume internationale en visant la CNUDM dans ses écritures, cela pour revendiquer le bénéfice d'une telle immunité (...) ; qu'il importe peu que l'Etat des Bahamas n'ait ni signé ni ratifié la Convention du 2 décembre 2004 qui codifie une règle coutumière d'ores et déjà dégagée, dès lors que l'article 236 de la CNUDM, qui a une telle valeur et qui complète les articles 32, 58, 95 et 96 de cette Convention, manifeste la volonté émise, en matière de pollution, par les nombreux Etats qui ont ratifié ce traité, dont les Bahamas et la France, de limiter les immunités de juridiction et leurs mesures annexes dans les étroites limites des activités relevant de la souveraineté des Etats concernés ; que cela conduit à un renforcement de la légitimité de l'objectif de protection de l'environnement manifestement souhaitée par les Hautes Parties Contractantes qui ont entendu tout à la fois faciliter la répression en recourant notamment au droit pénal comme moyen de mise en oeuvre des obligations environnementales imposées par le droit international et permettre l'indemnisation rapide des victimes en s'adaptant à la particularité des délits de pollution maritime et aux conséquences environnementales et économiques catastrophiques du déversement de la cargaison d'un navire transportant plusieurs milliers de tonnes de substances polluantes ; qu'en l'espèce, il n'est pas douteux qu'ABS est une société commerciale privée, de même qu'il n'est pas contesté que le litige concerne son éventuelle responsabilité qui a pu être engagée, en tant qu'intervenant à l'acte de transport effectué par le navire de commerce [...], à l'occasion du déversement de substances polluantes ayant engendré des dommages de pollution subis sur le territoire, dans la mer territoriale ou la zone économique exclusive (ZEE) française, c'est-à-dire dans des eaux sur lesquelles la France exerce sa responsabilité en application de la CNUDM ; que ce type de navire, qui ne bénéficie d'aucune immunité, est, comme il a déjà été indiqué, exclu du bénéfice de l'exemption posée par l'article 236 de la CNUDM et entre, en application de son article XI , dans le champ d'application de la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dite Convention CLC 69/92, contrairement aux navires de guerre et assimilés qui n'ont pas été considérés comme une source importante de pollution impliquant la mise en place d'un système spécifique d'indemnisation fondé sur une responsabilité objective en principe canalisée sur le propriétaire ; qu'à cet égard, il est intéressant de relever, pour mieux asseoir cette démonstration, que selon ce même article XI, et pour les navires appartenant à un État contractant et utilisé à des fins commerciales, et par là même non exclus du champ d'application de cette convention, chaque État passible de « poursuites » devant les juridictions compétentes doit renoncer à toutes les défenses dont il pourrait se prévaloir en sa qualité d'État souverain, une personne, au sens de la même convention (cf. article premier), se définissant comme toute personne physique ou toute personne morale de droit public ou de droit privé, y compris un État et ses subdivisions politiques ; qu'ABS, qui invoque la coutume internationale en visant la CNUDM qui la prive pourtant du bénéfice tant de l'immunité que de l'exemption posée par l'article 236, ne saurait, au demeurant et sans contradiction, en solliciter le bénéfice en visant la coutume internationale ; que le raisonnement derrière lequel ABS entend, en dernier lieu, se retrancher pour soutenir qu'elle pourrait se prévaloir d'une immunité dans un litige de nature civile ignorée de cette Convention, va à l'encontre du développement considérable qu'a connu récemment le droit international de l'environnement ; que ce droit fait des dispositions du nouveau droit de la mer, que constitue la CNUDM, le droit cadre qui envisage, en son titre XII, tous les aspects de la préservation du milieu marin en cherchant, notamment, à faciliter la mise en oeuvre des obligations d'indemnisation dont l'organisation relève, en application de l'article 235 point 2 de cette Convention, de la compétence normative de l'Etat côtier, c'est-à-dire, au cas particulier, de la France dont les eaux et le territoire ont été atteints, ce qui est à même de lui conférer juridiction civile tant dans sa mer territoriale (cf. articles 28 et 192) que dans sa zone économique exclusive (cf. article 56 et 192 ) sur les personnes physiques et morales impliquées dans le sinistre, cela afin de se conformer aux obligations qui lui sont imparties par son article 194 (...) ; que l'article 236, qui limite le bénéfice de l'exemption qu'il institue aux seuls navires bénéficiant d'une immunité, vise donc nécessairement tant les poursuites pénales que les « poursuites civiles » engagées à la suite d'un déversement de substances polluantes, comme le démontre, au demeurant, notamment la teneur de la CLC 69/92 à laquelle la CNUDM fait référence (cf. notamment article 237) et qui exclut, comme il a été précédemment indiqué, de son champ d'application les seuls navires bénéficiant d'une immunité, c'est-à-dire les navires de guerre et les autres navires appartenant à un État ou exploités par lui et affectés exclusivement, à l'époque considérée, à un service non commercial d'État et par là même non considérés, dans leur globalité, comme une source importante de pollution maritime impliquant seule la mise en place d'une responsabilité objective ;

1°) ALORS QU' après la clôture des débats, le président et les juges ne peuvent inviter les parties à fournir les explications de droit ou de fait qu'ils estiment nécessaires ou à préciser ce qui paraît obscur, par la voie d'une note en délibéré, que sur des élément de droit ou de fait qui se trouvent dans le débat ; qu'en page 11 de leurs conclusions d'appel, les sociétés ABS se bornaient à rappeler les stipulations de l'article 94 de la CNUDM, selon lesquelles « tout Etat prend à l'égard des navires battant son pavillon les mesures nécessaires pour assurer la sécurité en mer, notamment en ce qui concerne a) la construction et l'équipement du navire et sa navigabilité » ; qu'en page 5 de ses conclusions d'appel, l'Etat se bornait à énoncer, dans son rappel des faits, que « compte tenu de la nature de la pollution et de son étendue sur plusieurs départements, des moyens matériels et humains importants ont dû être déployés par les services de l'Etat pour des opérations qui ont dû être effectuées tant sur le littoral que dans les eaux territoriales et la zone économique sur laquelle la France exerce sa responsabilité en application de la Convention des Nations unies de 1982 sur le droit de la mer (Montego Bay) » ; que ni les entités ABS ni l'Etat n'invoquaient les stipulations de l'article 236 de la CNUDM ; qu'en énonçant, pour inviter les parties à s'expliquer sur la portée de l'article 236 de la CNUDM, bien qu'il ne fût pas dans le débat, qu'elles avaient visé la CNUDM, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé les articles 16, 442, 444 et 445 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE les juges ne peuvent relever un moyen d'office en cours de délibéré sans rouvrir les débats ; qu'en relevant d'office, en cours de délibéré, le moyen pris de l'application de l'article 236 de la CNUDM, en se bornant à inviter les parties à présenter des observations, sans rouvrir les débats, la cour d'appel a violé les articles 16, 442, 444 et 445 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE, dans leurs conclusions d'appel, les entités ABS ne se sont jamais prévalues des stipulations de la CNUDM ; qu'elles se sont bornées à exposer qu'il résultait de l'article 94 de la CNUDM que l'amélioration de la sécurité de la navigation était une obligation étatique et constituait une mission de service public (conclusions récapitulatives d'appel des sociétés ABS, p. 11) ; qu'en énonçant, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de l'immunité de juridiction, qu'« ABS, qui invoque la coutume internationale en visant la CNUDM qui la prive pourtant du bénéfice tant de l'immunité que de l'exemption posée par l'article 236, ne saurait, au demeurant et sans contradiction, en solliciter le bénéfice en visant la coutume internationale », la cour d'appel a dénaturé les écritures des entités ABS, en violation de l'article 4 du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'American Bureau Shipping, ABSG Consulting, Inc. et ABS Group of Companies ne peuvent se prévaloir d'une immunité de juridiction devant les tribunaux français et d'avoir ordonné la poursuite de la procédure engagée contre elles,

AUX MOTIFS QUE la CNUDM, conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982 et ratifiée par l'Etat des Bahamas en 1983 puis par la France en 1996, à supposer qu'elle ne soit pas d'application directe, a été immédiatement incorporée au droit international coutumier par les Etats signataires ; que la CNUDM, qui a valeur de coutume, et le droit international coutumier consacrent une règle claire d'immunité pour les seuls navires de guerre et les navires qui leur sont assimilés ;

1°) ALORS QUE la CNUDM a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 98/392/CE du Conseil du 23 mars 1998 et a ainsi été intégrée dans l'ordre juridique communautaire ; que la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, par un arrêt Intertanko du 3 juin 2008 (aff. C-308/06) que « la Convention de Montego Bay ne met pas en place des règles destinées à s'appliquer directement et immédiatement aux particuliers et à conférer à ces derniers des droits ou des libertés susceptibles d'être invoqués à l'encontre des Etats, indépendamment de l'attitude de l'Etat du pavillon du navire » (point 64) ; qu'en l'état de cette doctrine, qui fixe l'interprétation d'un élément de l'ordre juridique communautaire, la Convention de Montego Bay, et en particulier son article 236, ne sauraient être tenus comme directement applicables en droit interne ; que peu importe, à cet égard, que la Convention de Montego Bay ait pu, sur certains points, codifier le droit international coutumier ; qu'en se fondant néanmoins sur l'article 236 de la Convention de Montego Bay pour refuser aux entités ABS le bénéfice d'une immunité de juridiction, la cour d'appel a violé l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

2°) ALORS QU' en toute hypothèse, les dispositions de la partie XII de la Convention de Montego Bay, et en particulier son article 236, ne créant d'obligations qu'à la charge des Etats parties, ne sont pas directement applicables en droit interne ; que peu importe, à cet égard, que la Convention de Montego Bay ait pu, sur certains points, codifier le droit international coutumier ; qu'en se fondant néanmoins sur l'article 236 de la Convention de Montego Bay pour refuser aux entités ABS le bénéfice d'une immunité de juridiction, la cour d'appel a violé les principes gouvernant l'application du droit international devant les juridictions internes.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'American Bureau Shipping, ABSG Consulting, Inc. et ABS Group of Companies ne peuvent se prévaloir d'une immunité de juridiction devant les tribunaux français et d'avoir ordonné la poursuite de la procédure engagée contre elles,

AUX MOTIFS QUE la CNUDM comporte un article 236 qui prévoit, sous l'intitulé immunité souveraine : « Les dispositions de la Convention relatives à la protection et à la préservation du milieu marin ne s'appliquent ni aux navires de guerre ou navires auxiliaires, ni aux autres navires ou aux aéronefs appartenant à un Etat ou exploités par lui lorsque celui-ci les utilise, au moment considéré, exclusivement à des fins de service public non commerciales » ; que cette exemption qui accompagne l'immunité a été introduite pour instaurer une complète protection de navires non considérés comme une source importante de pollution ; qu'il en résulte, a contrario, que les navires d'Etat, autres que les navires de guerre et ceux qui leur sont assimilés par l'article 236, ne bénéficient ni de l'immunité accordée par la CNUDM à ces derniers bâtiments ni de l'exemption inscrite à cet article et qui en est le complément et qu'à plus forte raison, les navires de commerce ne bénéficient pas d'une telle protection, et sont, par conséquent, tenus en cas d'actes de pollution, d'en répondre, aussi bien au pénal qu'au civil, devant les juridictions compétentes pour en connaître ; que les Hautes Parties Contractantes ont entendu tout à la fois faciliter la répression en recourant notamment au droit pénal comme moyen de mise en oeuvre des obligations environnementales imposées par le droit international et permettre l'indemnisation rapide des victimes en s'adaptant à la particularité des délits de pollution maritime ; qu'en l'espèce il n'est pas douteux qu'ABS est une société commerciale privée, de même qu'il n'est pas contesté que le litige concerne son éventuelle responsabilité qui a pu être engagée, en tant qu'intervenant à l'acte de transport effectué par le navire de commerce [...], à l'occasion du déversement de substances polluantes ayant engendré des dommages de pollution subis sur le territoire, dans la mer territoriale ou la zone économique exclusive française ; que ce type de navire, qui ne bénéficie d'aucune immunité, est exclu du bénéfice de l'exemption posée par l'article 236 de la CNUDM ; que l'article 236, qui limite le bénéfice de l'exemption qu'il institue aux seuls navires bénéficiant d'une immunité, vise donc nécessairement tant les poursuites pénales que les poursuites civiles engagées à la suite d'un déversement de substances polluantes ;

1°) ALORS QUE l'article 236 de la Convention de Montego Bay soustrait les navires de guerre, navires auxiliaires et navires d'Etat utilisés exclusivement à des fins de service public non commerciales aux dispositions de la convention relatives à la protection et à la préservation du milieu marin ; qu'il n'a pas pour objet de régler les conditions dans lesquelles une société de classification et de certification des navires, délégataire d'un Etat étranger, peut bénéficier d'une immunité de juridiction lorsque sa responsabilité civile est recherchée à raison de l'exercice de ses activités ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 236 de la Convention de Montego Bay ;

2°) ALORS QUE, selon l'article 229 de la Convention de Montego Bay, « aucune disposition de la convention ne porte atteinte au droit d'introduire une action en responsabilité civile en cas de pertes ou de dommages résultant de la pollution du milieu marin » ; qu'il résulte de cette disposition que la Convention de Montego Bay, qui ne comporte pas un régime de responsabilité civile propre à la pollution du milieu marin, abandonne la matière aux législations nationales ; qu'en retenant néanmoins que l'article 236 de la convention vise nécessairement tant les poursuites pénales que les poursuites civiles engagées à la suite d'un déversement de substances polluantes, la cour d'appel a violé les articles 229 et 236 de la Convention de Montego Bay ;

3°) ALORS QU' il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que les entités ABS sont intervenues exclusivement pour la classification et la certification du navire [...] ; qu'elles n'ont pas participé, de quelque manière que ce soit, à l'exploitation du navire ; qu'en les excluant du bénéfice de l'immunité de juridiction au motif que les entités ABS étaient « intervenues à l'acte de transport » effectué par un navire de commerce, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 236 de la Convention de Montego Bay.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'American Bureau Shipping, ABSG Consulting, Inc. et ABS Group of Companies ne peuvent se prévaloir d'une immunité de juridiction devant les tribunaux français et d'avoir ordonné la poursuite de la procédure engagée contre elles,

AUX MOTIFS QUE l'évolution du droit des immunités des Etats est caractérisée par l'abandon progressif de leur caractère absolu qui se reflète, s'agissant des cas de responsabilité autre que pénale, notamment de la responsabilité civile, commerciale, sociale, et pour ce qui a trait plus spécialement aux navires, dans l'article 16 de la nouvelle Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, ratifiée par la France par la loi n° 2011-734 du 28 juin 2011, mais qui n'est toujours pas entrée en vigueur et que l'Etat des Bahamas n'a pas signée ; que cette disposition qui prive les Etats étrangers de la possibilité d'invoquer l'immunité de juridiction dans les procédures concernant l'exploitation des navires utilisés par eux autrement qu'à des fins de service public non commerciales ne s'applique ni aux navires de guerre et navires auxiliaires, ni aux autres navires dont un Etat est le propriétaire ou l'exploitant et qui sont, pour le moment, utilisés exclusivement pour un service public non commercial et vise, en outre, les procédures se rapportant au transport de la cargaison ; que, même non ratifiée, une disposition d'un traité peut avoir force contraignante si elle reflète le droit international coutumier, soit qu'elle codifie ce dernier, soit qu'elle donne naissance à de nouvelles règles coutumières ; que le fait que la Convention de 2004 n'ait pas pris effet pour la raison essentielle que de nombreux Etats ne l'ont pas ratifiée est sans emport dès lors qu'elle codifie une règle bien assise du droit international coutumier en privant d'immunité tant les navires d'Etat utilisés à des fins commerciales que les navires de commerce ;

1°) ALORS QU' en fondant sa décision sur l'article 16 de la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, pris comme l'expression d'une règle de droit international coutumier, la cour d'appel a soulevé un moyen d'office ; que, ne l'ayant pas soumis à la discussion préalable des parties, elle a méconnu le principe du contradictoire et violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE l'article 16 de la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens vise les navires dont l'Etat est propriétaire et exploitant et écarte l'immunité de juridiction dans les procédures se rapportant à l'exploitation du navire ou au transport d'une cargaison se trouvant à son bord ; que cette disposition est étrangère à l'activité de classification et de certification des navires ; qu'en s'y référant néanmoins pour refuser le bénéfice de l'immunité de juridiction aux entités ABS dont la responsabilité civile était recherchée à raison de prétendues fautes commises dans leur activité de classification et de certification, la cour d'appel a violé, par fausse application, la règle de droit international coutumier codifiée à l'article 16 de la convention susvisée.

CINQUIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les sociétés American Bureau Shipping, ABSG Consulting, Inc. et ABS Group of Companies ne peuvent se prévaloir d'une immunité de juridiction devant les tribunaux français et d'avoir ordonné la poursuite de la procédure engagée contre elles,

AUX MOTIFS QUE, le [...], navire de commerce qui ne bénéficie d'aucune immunité, entre, en application de son article XI, dans le champ d'application de la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dite Convention CLC 69/92, contrairement aux navires de guerre et assimilés ; que selon ce même article XI, et pour les navires appartenant à un Etat contractant et utilisé à des fins commerciales, chaque Etat passible de poursuites devant les juridictions compétentes doit renoncer à toutes les défenses dont il pourrait se prévaloir en sa qualité d'Etat souverain, une personne, au sens de la même Convention, se définissant comme toute personne physique ou toute personne morale de droit public ou de droit privé, y compris un Etat et ses subdivisions politiques ; que la CLC 69/92 exclut de son champ d'application les seuls navires bénéficiant d'une immunité ;

ALORS QU' en fondant sa décision sur l'article XI de la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, la cour d'appel a soulevé un moyen d'office ; que, ne l'ayant pas soumis à la discussion des parties, elle a méconnu le principe du contradictoire et violé l'article 16 du code de procédure civile.

SIXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'American Bureau Shipping, ABSG Consulting, Inc. et ABS Group of Companies ne peuvent se prévaloir d'une immunité de juridiction devant les tribunaux français et d'avoir ordonné la poursuite de la procédure engagée contre elles,

AUX MOTIFS QUE, surabondamment, l'Etat français, après avoir rappelé qu'ABS est une organisation privée qui établit et applique, lorsqu'elle se livre à son activité de classification, des normes et standards techniques concernant un projet de construction navale, la construction elle-même, puis l'inspection des navires, précise que la responsabilité d'ABS est mise en cause non pas pour la délivrance d'un certificat de navigabilité au nom de l'Etat des Bahamas, activité qui relèverait de son activité de certification, mais pour l'inexécution de ses obligations lors des visites techniques et des inspections périodiques effectuées exclusivement dans le cadre de son activité de classification ; que l'Etat français précise aussi qu'il entend se prévaloir des seuls manquements aux obligations découlant de la convention conclue entre ABS et le propriétaire du [...] ; qu'il indique qu'il souhaite uniquement s'emparer des négligences dont ABS a fait preuve dans l'exercice d'une telle activité et non pas dans l'activité de certification (voir notamment conclusions de l'Etat français pages 25, 26 et 27) ; qu'il convient dès lors d'infirmer le jugement entrepris ;

1°) ALORS QUE ceux qui agissent sur l'ordre ou pour le compte d'un Etat étranger bénéficient de l'immunité de juridiction lorsque l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de l'Etat et n'est donc pas un acte de gestion ; que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, l'acte litigieux à analyser pour déterminer si les entités ABS bénéficiaient de l'immunité de juridiction était constitué par le comportement fautif reproché à ces dernières par l'Etat français, tel que décrit dans ses écritures avant que la fin de non-recevoir tirée de l'immunité n'eût été soulevée ; qu'en se fondant, pour retenir que l'Etat français mettait en cause la responsabilité civile des entités ABS à raison des seuls manquements aux obligations contractuelles souscrites dans le cadre de leur activité de classification des navires, sur les conclusions développées par l'Etat français en cause d'appel, sans examiner l'assignation délivrée par l'Etat français le 26 février 2010 ni rechercher le fondement qui y était donné à l'action en responsabilité dirigée contre les entités ABS, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers ;

2°) ALORS QUE l'Etat français reprochait aux entités ABS des négligences au cours de la réalisation de visites et inspections du navire [...] ; que, pour déterminer si les entités ABS bénéficiaient de l'immunité de juridiction, il y avait lieu d'examiner si ces négligences avaient été commises dans le cadre d'une activité participant à l'exercice de la souveraineté de l'Etat des Bahamas ; qu'en se fondant exclusivement sur la qualification juridique du manquement que l'Etat français déduisait de l'allégation d'une négligence, sans rechercher si le comportement concret imputé à faute aux entités ABS, à savoir un contrôle insuffisant du navire [...], n'était pas advenu dans le cadre de l'exercice de prérogatives de souveraineté déléguées par l'Etat des Bahamas, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers ;

3°) ALORS QU' en se déterminant uniquement au regard du fondement donné par l'Etat français, dans ses écritures d'appel, à sa demande, sans rechercher si, comme le soutenaient les entités ABS dans leurs écritures et comme les premiers juges l'avaient retenu, les activités de classification et les activités déléguées par l'Etat bahaméen portant sur le contrôle et la certification des navires ne constituaient pas en réalité une même activité ou à tout le moins des activités totalement imbriquées, de sorte que la question de l'immunité de juridiction ne pouvait être décidée sur le seul terrain de la classification du navire [...], la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction de l'Etat étranger ;

4°) ALORS QUE, dans leurs conclusions d'appel, les entités ABS soutenaient que, quand bien même il serait considéré que les prétendues fautes d'ABS auraient été commises dans le cadre de son activité de classification, il y aurait lieu de considérer que les défaillances prétendues concernaient les contrôles destinés à contribuer à la sécurité en mer et que les actes y relatifs d'ABS ne constituaient pas de simples actes de gestion mais des actes participant de l'exercice d'une mission de service public par délégation de l'Etat des Bahamas, de sorte qu'ABS bénéficiait nécessairement de l'immunité de juridiction à ce titre ; qu'en omettant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 17-18286
Date de la décision : 17/04/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

DROIT MARITIME - Navire - Société de classification - Responsabilité - Immunité de juridiction - Critère - Mission de certification ou de classification

Les activités de certification et de classification, qui relèvent de régimes juridiques différents, sont dissociables et seule la première autorise une société de droit privé à se prévaloir de l'immunité juridictionnelle de l'Etat du pavillon qui l'a spécialement habilitée à délivrer, en son nom, au propriétaire d'un navire, la certification statutaire. Justifie ainsi légalement sa décision d'écarter la fin de non-recevoir tirée de l'immunité juridictionnelle de l'Etat du pavillon, une cour d'appel qui retient que la responsabilité d'une société de droit privé est mise en cause, non pour son activité de certification exercée au nom d'un Etat mais pour celle de classification, en raison de manquements commis dans l'exécution des obligations de visites techniques et inspections périodiques auxquelles elles étaient tenues par la convention conclue avec le propriétaire du navire


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, 06 mars 2017

A rapprocher :Com., 26 mars 2013, pourvoi n° 12-21630, Bull. 2013, IV, n° 52 (cassation partielle sans renvoi)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 17 avr. 2019, pourvoi n°17-18286, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:17.18286
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