LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Bureau Veritas international que sur le pourvoi incident relevé par la société Chantier naval Pierre Gléhen et fils ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Compagnie maritime des Iles du Nord (société Comarin) a confié à la société Chantier naval Pierre Gléhen et fils (société Gléhen) la construction du navire « Saint Barth ferry » puis a cédé, en cours de chantier, à la copropriété de navire Saint Barth ferry, dont elle a pris la gérance, ses droits à la construction ainsi qu'à l'exploitation du navire ; que les plans en ont été conçus par la société d'architectes navals BGV innovation, aujourd'hui en liquidation judiciaire, la société Coprema établissant le dossier de stabilité hydrostatique avec l'approbation de la société Bureau Veritas international (bureau Veritas) qui a délivré le certificat de franc-bord, tandis que la Société bretonne de construction navale (SBCN), assurée par la société Generali IARD, fournissait l'appareil propulsif ; qu'en raison d'incidents survenus après la recette du navire, lors de son acheminement sur son lieu d'exploitation, la société Comarin a saisi la chambre arbitrale maritime de Paris, institution d'arbitrage désignée par une clause compromissoire insérée au contrat de construction ; que, par un arrêt du 24 janvier 2002, la sentence arbitrale avant dire droit désignant un expert a été annulée, un arrêt du 6 mars 2003 refusant ensuite d'évoquer le fond du litige ; que la société Comarin, après avoir de nouveau saisi le tribunal arbitral, a demandé à un tribunal de commerce la réparation de son préjudice personnel à l'encontre de tous les intervenants ; que l'arrêt attaqué a retenu la compétence de cette juridiction pour l'ensemble du litige ;
Sur la recevabilité du pourvoi principal, contestée par les société Comarin et SBCN :
Attendu que ces sociétés contestent, par application des dispositions des articles 607 et 608 du code de procédure civile, la recevabilité de ce pourvoi immédiat, au motif que l'arrêt, après avoir retenu la compétence du tribunal de commerce pour l'ensemble du litige et décidé d'évoquer, s'est borné à rouvrir les débats pour permettre aux parties de conclure sur le fond, ne mettant pas ainsi fin à l'instance ;
Mais attendu que le pourvoi est immédiatement recevable en cas d'excès de pouvoir ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, de ce pourvoi :
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles 5 et 42 II du décret du 30 août 1984 relatif à la sauvegarde de la vie humaine en mer ;
Attendu que, pour dire le tribunal de commerce compétent dans les rapports de la société Comarin et du bureau Veritas, l'arrêt retient que celui-ci avait pour rôle de délivrer, non seulement, le certificat de franc-bord, mais aussi l'attestation de visite de construction du navire et qu'il devait, en outre, viser les plans de structure de la coque et approuver le dossier de stabilité hydrostatique et en déduit que ces prestations d'assistance technique hors classification relevaient d'une mission de caractère commercial consistant à vérifier la stabilité du navire ;
Attendu qu'en statuant ainsi, après avoir également relevé que les incidents lors de l'acheminement du navire étaient dus à un enfoncement anormal en raison d'un surpoids, alors qu'il résulte de l'ensemble des constatations effectuées que la responsabilité du bureau Veritas, société de classification habilitée, était mise en cause à l'occasion de l'établissement par elle du certificat de franc-bord, lequel constitue un titre de sécurité dont la délivrance, qui doit tenir compte de la structure et de la stabilité du navire, relève de l'exécution du service public administratif du contrôle des navires et ressortit ainsi à la compétence de la juridiction administrative, la cour d'appel, en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;
Sur la recevabilité du pourvoi incident, contestée par la SBCN :
Attendu que cette société conteste la recevabilité de ce pourvoi immédiat au même motif que celui précédemment énoncé ;
Mais attendu que le pourvoi est immédiatement recevable en cas d'excès de pouvoir ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, de ce pourvoi :
Vu les articles 1351 du code civil et 480, 1458 et 1485 du code de procédure civile, ces deux derniers textes dans leur rédaction antérieure à celle du décret du 13 janvier 2011 ;
Attendu que, pour dire le tribunal de commerce également compétent dans les rapports des sociétés Comarin et Gléhen, l'arrêt retient que la société Comarin ayant été révoquée de sa fonction de gérant de la copropriété Saint Barth Ferry, qualité en laquelle elle avait « essentiellement » saisi le tribunal arbitral, la clause compromissoire du contrat de construction navale ne s'appliquait plus à sa demande d'indemnisation d'un préjudice personnel ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de l'arrêt du 24 janvier 2002 que la demande d'arbitrage avait été présentée par la société Comarin tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant de la copropriété et de celui du 6 mars 2003 qu'à la demande de la société Comarin, qui n'avait plus, à ce moment, cette dernière qualité, la juridiction de l'État, après annulation de la sentence avant dire droit, avait refusé de se prononcer sur le fond, de sorte que la saisine des arbitres, devant lesquels les parties étaient ainsi renvoyées, portait nécessairement sur la partie du litige concernant l'indemnisation du préjudice personnel de la société Comarin, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation du jugement déféré et de constatation de la péremption de l'instance, l'arrêt rendu le 9 mai 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que les juridictions de l'ordre judiciaire sont incompétentes pour connaître du litige opposant la société Compagnie maritime des Iles du Nord (société Comarin) à la société Bureau Veritas international, d'une part, et à la société Chantier naval Pierre Gléhen et fils, d'autre part ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Dit qu'il appartiendra au tribunal arbitral de se prononcer, par priorité, sur sa compétence à l'égard des sociétés Coprema, BGV innovation, Bretonne de construction navale et Generali IARD et, pour le cas où cette compétence serait définitivement écartée, déclare le tribunal de commerce de Quimper compétent ;
Condamne la société Comarin aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour la société Bureau Veritas international
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement rendu le 21 janvier 2011 par le Tribunal de commerce de QUIMPER sur la compétence, d'AVOIR dit compétent le Tribunal de commerce de QUIMPER pour l'ensemble du litige et, après évocation, d'AVOIR rouvert les débats pour permettre à l'ensemble des parties de conclure au fond et, à cette fin, d'AVOIR renvoyé l'affaire et les parties à la mise en état ;
AUX MOTIFS QUE la société COMARIN soutient à juste titre que la compétence commerciale devait être retenue dès lors que, chargée non seulement de délivrer le certificat national de franc bord après accord de la commission de sécurité, la société BUREAU VERITAS, de droit privé, devait également délivrer l'attestation de visite de construction, donner son visa aux plans de structure de la coque ainsi qu'au dossier de stabilité du navire neuf, l'ensemble pour une rémunération totale HT de 89.400 euros prévue dans un contrat d'intervention sur un navire français non classé en date du 30 octobre 1998 stipulant dans ses conditions générales que hors du domaine de la classification elle accomplissait des missions d'assistance technique ; que la responsabilité de la société BUREAU VERITAS est recherchée précisément dans le cadre de telles missions de caractère commercial consistant en l'espèce à vérifier la stabilité du navire ; que s'agissant d'un litige entre sociétés commerciales relatif à la construction navale, la compétence du Tribunal de commerce de QUIMPER, non autrement discutée, sera donc retenue et le jugement réformé en ce sens ; que le Tribunal de commerce de QUIMPER étant en définitive compétent pour l'ensemble du litige, la Cour, juridiction d'appel, évoquera et rouvrira les débats pour permettre à l'ensemble des parties de conclure au fond, les dépens étant réservés ;
1°) ALORS QUE le certificat national de franc-bord, titre de sécurité et de prévention de la pollution exigé des navires français, n'est délivré par la société BUREAU VERITAS, par délégation du Ministre chargé de la marine marchande, qu'après des contrôles portant sur la stabilité des navires ; que lorsque la société BUREAU VERITAS est chargée de missions de vérification de la stabilité du navire et de la délivrance d'un certificat national de franc-bord, ces missions de contrôle relatives à la sécurité sont nécessairement réalisées en vue de cette délivrance et, par conséquent, dans le cadre de la mission de service public de sécurité des navires dont cette société est la délégataire ; qu'en affirmant que les missions de délivrance d'une attestation de visite de construction et de visa aux plans de structure de la coque et du dossier de stabilité du navire neuf qui avaient été confiées à la société BUREAU VERITAS revêtaient un caractère commercial, tout en relevant que cette société devait aussi délivrer un certificat national de franc-bord, en sorte que les missions de contrôle relatives à la sécurité du navire relevaient nécessairement de la mission de service public de la société, la Cour d'appel a violé les articles 3, 5 et 42 du décret n° 84-810 du 30 août 1984 et, par voie de conséquence, a excédé ses pouvoirs en méconnaissant la loi des 16 et 24 août 1790 et le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, lorsque la société BUREAU VERITAS n'a été contractuellement chargée de missions de contrôle portant sur la stabilité d'un navire qu'en vue de la délivrance d'un certificat national de franc-bord, ces missions n'ont été réalisées que dans le cadre de l'exécution, par cette société, de sa mission de service public de sécurité des navires ; qu'en affirmant que les missions de vérification de la stabilité du navire qui avaient été confiées à la société BUREAU VERITAS, en sus de la délivrance d'un certificat national de franc bord, revêtaient un caractère commercial, sans rechercher s'il ne résultait pas du contrat d'intervention du 30 octobre 1998 que de telles missions lui avaient été confiées en vue de la délivrance du certificat national de franc bord et avaient, ainsi, été réalisées dans le cadre de sa mission de service public, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3, 5 et 42 du décret n° 84-810 du 30 août 1984, du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires et de la loi des 16 et 24 août 1790, privant de ce fait la Cour de cassation des moyens de s'assurer qu'elle n'avait pas commis un excès de pouvoir.
Moyen produit au pourvoi incident par Me Bouthors, avocat aux Conseils pour la société Chantier naval Pierre Gléhen et fils
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le tribunal de commerce de Quimper était compétent pour l'ensemble du litige ;
aux motifs que la société Comarin a saisi la juridiction arbitrale essentiellement en qualité de mandataire du quirat qui était lui-même tenu par les termes du marché de construction du navire, spécialement par sa clause compromissoire ; qu'elle y avait adjoint accessoirement une demande propre d'indemnisation contre la même société ; qu'ayant été révoquée de son mandat durant la procédure arbitrale, cette clause particulière qui liait son mandant avec la défenderesse ne s'appliquait plus ; que tirant les conséquences de cette situation, la société Comarin s'est désistée de l'instance arbitrale puis a maintenu la demande indemnitaire dont elle avait dans l'intervalle saisi le juge consulaire ; que s'agissant d'un litige entre deux sociétés commerciales relatif à la construction navale, la compétence du tribunal de commerce de Quimper, non autrement discutée, sera donc retenue et le jugement réformé en ce sens ;
1°) alors que, d'une part, l'autorité de chose jugée qui s'attache à une décision irrévocable rend irrecevable toute nouvelle demande fondée sur la même cause, ayant le même objet et formée entre les mêmes parties ; qu'en déclarant le tribunal de commerce de Quimper compétent pour connaître de l'action en responsabilité intentée par la société Comarin en son nom propre contre le chantier naval Glehen et Fils quand, par deux arrêts irrévocables des 24 janvier 2002 et 6 mars 2003, la cour d'appel de Paris a définitivement jugé que la clause compromissoire, dont la société Comarin se prévalait alors à titre personnel, était effectivement applicable au litige qui l'opposait au chantier naval et, partant, que la Chambre arbitrale maritime de Paris avait compétence exclusive pour en connaître, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs en méconnaissant les dispositions de l'article 1351 du code civil et de l'article 480 du code de procédure civile ;
2°) alors que, d'autre part, nul de peut se contredire au détriment d'autrui ; qu'en déclarant le tribunal de commerce de Quimper compétent pour connaître du litige sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée (conclusions, p. 28 et s.), si la société Comarin avait, devant la chambre arbitrale maritime de Paris et la cour d'appel de Paris statuant sur le recours formé contre la sentence avant-dire droit du 7 juillet 2000, soutenu que la chambre arbitrale était seule compétente pour statuer sur l'action en responsabilité qu'elle intentait en son nom personnel contre le chantier naval, de sorte qu'elle était aujourd'hui irrecevable à soutenir la thèse inverse devant le juge judiciaire, la cour d'appel a derechef excédé ses pouvoirs en méconnaissance des dispositions de l'article 122 du code de procédure civile.