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14/03/2018 | FRANCE | N°16-28302

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 14 mars 2018, 16-28302


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 8, § 1, et 25 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis ;

Attendu qu'il résulte de ces textes qu'une clause attributive de juridiction valable au regard du second et qui désigne un tribunal d'un Etat contractant prime la compétence spécia

le prévue au premier ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société allemande ...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 8, § 1, et 25 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis ;

Attendu qu'il résulte de ces textes qu'une clause attributive de juridiction valable au regard du second et qui désigne un tribunal d'un Etat contractant prime la compétence spéciale prévue au premier ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société allemande Bau-Maschinen-Service (le vendeur) a vendu à la société française Les Chapistes parisiens (l'acheteur) deux machines à chape, dont l'achat a été financé par un crédit souscrit auprès de la société française Crédit industriel et commercial (la banque) ; qu'à la suite d'un accident du travail survenu lors de l'utilisation d'un de ces matériels, l'acheteur a assigné le vendeur et la banque devant une juridiction française en résolution des contrats de vente et de prêt ; que la société allemande a soulevé une exception d'incompétence en invoquant une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux allemands ;

Attendu que, pour déclarer compétente la juridiction française en ce qui concerne la demande formée contre la société allemande, l'arrêt retient que les contrats d'achat de matériel et de financement sont liés par une relation d'interdépendance et que la pluralité de défendeurs étant établie par cette relation, la juridiction du siège de la banque est compétente pour connaître du litige, par application de l'article 8, § 1, du règlement ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, par une clause attributive de compétence, les parties au contrat de vente avaient désigné la juridiction du siège du vendeur pour connaître de leurs différends à naître et que cette clause, conforme aux dispositions de l'article 25 du règlement, avait créé une compétence exclusive au profit de la juridiction désignée et primait la compétence spéciale de l'article 8, § 1, du même texte concernant la pluralité de défendeurs et l'existence d'un lien de connexité avec une autre instance invoquée par l'acheteur, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la juridiction française compétente pour connaître de l'action de la société Les Chapistes parisiens contre la société Bau-Maschinen-Service, et condamne la société Bau-Maschinen-Service à payer à la société Les Chapistes parisiens la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux frais du contredit, l'arrêt rendu le 25 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que la juridiction française est incompétente pour connaître de l'action de la société française Les Chapistes parisiens contre la société allemande Bau-Maschinen-Service ;

Condamne la société Les Chapistes parisiens aux dépens, incluant ceux exposés devant les juges du fond ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mars deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société Bau-Maschinen-Service

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit le contredit de compétence formé par la société BMS BAU-MASCHINEN-SERVICE mal fondé et d'avoir renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Versailles pour examen de l'affaire au fond ;

Aux motifs propres que : « la société BMS soutient que la société LES CHAPISTES PARISIENS a expressément accepté la clause attributive de compétence au profit des tribunaux allemands de son siège, figurant au paragraphe 10 de ses conditions générales mises aux débats, qui selon la traduction, non contestée, qu'en fournit la demanderesse au contredit, stipule en matière de compétence que :

1. Au cas où le client est commerçant, la juridiction compétente est celle du siège de BMS Bau-Maschinen-Service AG ; nous nous réservons toutefois le droit d'assigner le client à son siège.

2. Sous réserve des conditions particulières contenues dans la confirmation de commande, le lieu d'exécution est le siège de l'entreprise.

Elle expose que cette acceptation est contenue dans la confirmation de commande du 20 février 2014, qui se réfère aux conditions générales, que la validité de la clause n'est, en l'espèce, pas contestée et qu'il ne peut lui être fait échec en attrayant dans la cause une pluralité de défendeurs, dont l'un, le CIC en l'occurrence, a son siège en France.

La société BMS se réfère aux dispositions de l'article 25 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, selon lequel :

1. Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet Etat membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue : (...)

5. Une convention attributive de juridiction faisant partie d'un contrat est considérée comme un accord distinct des autres clauses du contrat.

La validité de la convention attributive de juridiction ne peut être contestée au seul motif que le contrat n'est pas valable.

La société LES CHAPISTES PARISIENS plaide, pour sa part, l'interdépendance des contrats concomitants ou successifs, qui s'inscrivent dans une opération de location financière. Elle déclare ainsi n'avoir pas attrait le CIC dans le seul but de faire échec à la clause attributive de compétence, mais parce que la résolution de la vente, qu'elle sollicite, aura nécessairement une incidence sur le sort du financement des machines, consenti par cette banque.

Elle souligne que les dispositions de l'article 8 du règlement CE n° 1215/2012, invoqué par la société BMS, énoncent que : Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut aussi être attraite :

1) s'il y a plusieurs défendeurs devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à conditions que les demandes soient liées par un lien entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables, si les causes étaient jugées séparément (...).

Elle en déduit la parfaite compétence du tribunal de commerce de Versailles, dans le ressort duquel le CIC a son siège social, pour statuer sur ce litige.

La cour relève que, par une motivation pertinente qu'elle adopte, le tribunal de commerce de Versailles a exactement apprécié que la société LES CHAPISTES PARISIENS avait attrait la société BMS et le CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL devant lui afin de voir prononcer la résolution de la vente de deux machines à chaque type BMS-WORKER n° 1 ;

Que la résolution de la vente sollicitée devant lui opérait la révocation de l'obligation et remettait les choses au même état que si l'obligation n'avait pas existé ;

Que pour financer le matériel, dont elle a fait l'acquisition, la société LES CHAPISTES PARISIENS a souscrit auprès du CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, le 5 mars 2014, un contrat de crédit d'un montant de 68.650 euros, destiné à financer l'acquisition de 2 malaxeurs transporteurs et d'un plateau ;

Que les contrats d'achat de matériel et de financement étaient liés par une relation d'interdépendance ; que la pluralité de défendeurs était établie par cette relation ;

Que, par application de l'article 8 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, le tribunal de commerce de Versailles, dans le ressort duquel se trouve le siège social du CIC, était compétent pour connaître du présent litige, ce que la cour confirme.

La cour déboutera donc la société BMS de son contredit » ;

Et aux motifs éventuellement adoptés que : « la société LES CHAPISTES PARISIENS a attrait la société de droit allemand BAU-MASCHINEN-SERVICE et le CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL devant le Tribunal de Commerce de Versailles afin de voir prononcer la résolution de la vente de deux machines à chape type BMS-WORKER n° 1 ;

[...]que la résolution de la vente opère la révocation de l'obligation et remet les choses au même état que si l'obligation n'avait pas existé ;

[...] que pour financer le matériel dont elle a fait l'acquisition la société LES CHAPISTES PARISIENS a souscrit auprès du CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL le 5 mars 2014 un contrat de prêt d'un montant de 68 650 € destiné à financer « l'acquisition de 2 malaxeurs transporteurs et d'un plateau » ;

[...] que les contrats d'achat de matériel et de financement sont liés par une relation d'interdépendance ; que la pluralité de défendeurs est établie par cette relation ;

[...] que l'article 6 du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 énonce que « Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre
s'il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément » ;

[...] que le Tribunal de Commerce de Versailles se déclarera compétent pour traiter du présent litige » ;

1. Alors que, d'une part, lorsqu'elle est valable, la clause exclusive d'élection du for prime la compétence spéciale susceptible d'être invoquée en raison d'une interdépendance entre des litiges qui impliquent plusieurs codéfendeurs ; qu'en l'espèce, en retenant la compétence de la juridiction française en raison d'une telle interdépendance nonobstant la stipulation et l'acceptation d'une clause exclusive d'élection du for au profit des juridictions allemandes, valable et applicable au contrat conclu entre les sociétés BMS BAU-MASCHINEN-SERVICE et LES CHAPISTES PARISIENS, la Cour d'appel a donc violé, par fausse application, l'article 8 du règlement UE n° 1.215/2012 du 12 décembre 2012 et, par refus d'application, son article 25 ;

2. Alors que, d'autre part, une convention attributive de juridiction faisant partie d'un contrat est considérée comme un accord distinct des autres clauses du contrat ; qu'en l'espèce, la décision de la Cour d'appel d'écarter la clause d'élection du for insérée aux conditions générales de vente de la société BMS BAU-MASCHINEN-SERVICE ne pouvait donc reposer sur la considération, nécessairement inopérante, selon laquelle la résolution sollicitée par la société LES CHAPISTES PARISIENS, si elle aboutissait, révoquerait l'obligation et remettrait les choses au même état que si elle n'avait pas existé, sauf à priver cette décision de base légale au regard de l'article 25 du règlement UE n° 1.215/2012 du 12 décembre 2012 ;

3. Alors qu'enfin et à titre subsidiaire, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite, s'il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l'un d'eux à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si elles étaient jugées séparément ; qu'il incombe à la juridiction nationale, au regard de tous les éléments du dossier, d'apprécier l'existence d'un risque de décisions inconciliables si les demandes étaient jugées séparément ; qu'en l'espèce, en retenant ce chef de compétence tiré de l'interdépendance entre des litiges impliquant des codéfendeurs sans rechercher ni même apprécier s'il existait un risque de décisions inconciliables dans l'hypothèse où la juridiction allemande, statuant sur les demandes formées contre la société BMS BAU-MASCHINEN-SERVICE, serait saisie parallèlement à la juridiction française, statuant sur les demandes formées contre le CIC, la Cour d'appel a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 du règlement UE n° 1.215/2012 du 12 décembre 2012.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 16-28302
Date de la décision : 14/03/2018
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Civile

Analyses

UNION EUROPEENNE - Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 - Article 8 - Pluralité de défendeurs - Juridiction compétente - Domaine d'application - Exclusion - Cas - Clause attributive de juridiction

CONFLIT DE JURIDICTIONS - Compétence internationale - Clause attributive de juridiction - Domaine d'application - Détermination - Cas - Compétence exclusive - Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 - Article 8 - Pluralité de défendeurs

Une clause attribuant compétence aux juridictions d'un Etat membre prime la compétence spéciale prévue à l'article 8, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, dès lors qu'elle est valable au regard de l'article 25 du même règlement


Références :

articles 8, § 1, et 25 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I bis)

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 25 octobre 2016

Sur le domaine d'application des clauses d'attribution de juridiction, qui dérogent aux règles générales de détermination de compétence, cf. :CJCE, arrêt du 19 juin 1984, Tilly Russ e.a., C-71/83.Dans le cadre de l'article 23 de la Convention de Lugano du 23 octobre 2007, à rapprocher :1re Civ., 13 décembre 2017, pourvoi n° 16-22412, Bull. 2017, I, n° 246 (rejet)


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 14 mar. 2018, pourvoi n°16-28302, Bull. civ.Bull. 2018, I, n° 53
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Bull. 2018, I, n° 53

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau, Me Le Prado

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.28302
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