LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Jean Luc X... a été victime d'un assassinat, dont une cour d'assises a déclaré un accusé coupable et son épouse coupable de complicité ; que l'association JCLT, agissant en qualité d'administrateur ad hoc d'Alexander X..., Ophélie X..., Lucas X..., Dylan X... et Loïse X..., enfants de la victime, a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) d'une demande d'indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de l'article 706-3 du code de procédure pénale ;
Attendu que, pour allouer aux victimes au titre de leur action successorale diverses indemnités réparant notamment, d'une part, les souffrances endurées, d'autre part, un préjudice de "mort imminente", l'arrêt énonce que les souffrances physiques et morales endurées par la victime entre le début de l'agression commise à son encontre et sa mort, constituent un préjudice distinct de celui de l'angoisse de mort imminente qu'elle a éprouvée ; que le fait d'indemniser séparément ces préjudices ne revient pas à une double évaluation ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées, quelle que soit l'origine desdites souffrances, le préjudice lié à la conscience de sa mort prochaine, qualifié dans l'arrêt de préjudice d'angoisse de mort imminente, ne peut être indemnisé séparément, la cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice et violé le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il alloue à l'association JCLT, en qualité d'administrateur ad hoc des mineurs Ophélie X..., Lucas X..., Dylan X... et Loïse X..., et à Alexander X..., en leur qualité d'héritiers de Jean Luc X..., les sommes de 20 000 euros au titre des souffrances endurées et 30 000 euros au titre du préjudice lié à l'angoisse d'une mort imminente subi par Jean Luc X..., l'arrêt rendu le 4 août 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR alloué à l'association JCLT en qualité d'administrateur ad hoc des mineurs Ophélie X..., Lucas X..., Dylan X... et Loïse X..., en leur qualité d'héritiers de Jean-Luc X..., ainsi qu'à Alexander X..., les sommes de 20.000 euros au titre des souffrances endurées et de 30.000 euros au titre du préjudice lié à l'angoisse d'une mort imminente subi par M. Jean-Luc X... ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE les souffrances physiques et morales endurées par la victime entre le début de l'agression commise à son encontre et sa mort, constituent un préjudice distinct de celui de l'angoisse de mort imminente qu'elle a éprouvée ; que le fait d'indemniser séparément ces préjudices ne revient pas à une double évaluation ; qu'en l'espèce c'est par des motifs adoptés par la Cour que la CIVI a estimé établi le préjudice subi par Monsieur Jean-Luc X... au titre des souffrances endurées d'une part et du préjudice de mort imminente d'autre part ; qu'il convient toutefois d'infirmer la décision rendue en ce qu'elle a évalué ces postes de préjudices à respectivement 10.000 € et 15.000 € ; que les souffrances endurées par Monsieur Jean Luc X..., telles que résultant des multiples lésions décrites par le rapport d'autopsie, justifient de chiffrer le poste des souffrances endurées à 20.000 € ; que l'agonie vécue par Monsieur Jean Luc X..., telle qu'elle résulte également des conclusions du médecin légiste, la victime ayant subi des difficultés respiratoires majeures pendant une dizaine de minutes au cours desquelles elle a eu largement le temps de prendre conscience de l'imminence de sa mort, justifie de chiffrer ce poste à 30.000 € ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE le droit à réparation des souffrances physiques et morales endurées par la victime entre l'accident et son décès se transmet à ses héritiers ; que l'indemnisation des souffrances endurées répare non seulement les souffrances physiques mais également les souffrances morales découlant de l'accident ou de l'agression ; que cependant, il est admis qu'un préjudice distinct de vie abrégée, qualifié en l'espèce par l'association JCLT de « préjudice moral », caractérisé par la conscience et l'angoisse qu'a la victime de sa mort imminente, peut donner lieu à une indemnisation distincte de celle des souffrances physiques et morales endurées par la victime du fait des blessures ; qu'en l'espèce, il résulte du rapport d'autopsie médico-légale que Monsieur X... présentait des marques ecchymotiques de strangulation sur le cou à sa face antérieur ; qu'au niveau de l'os hyoïde, existait deux fractures ; que l'expert concluait que la mort avait été causée par insuffisance respiratoire prolongée et estimait un phénomène agonique d'au moins une dizaine de minutes ; qu'il observait également de multiples lésions de violence immédiatement antérieures à la strangulation ou quasiment concomitantes ; qu'il notait également, au niveau des membres supérieurs, une luxation de l'épaule gauche ; que la victime a non seulement souffert physiquement et moralement du fait de l'attaque subie et des blessures résultant des coups et de la strangulation, mais elle a de surcroît agonisé pendant plus de 10 minutes, s'est vu mourir, et à ce titre, a subi une souffrance psychique intense liée à l'angoisse d'une mort imminente, qu'il convient également d'indemniser ;
ALORS QUE le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice des souffrances endurées, il ne peut être indemnisé séparément ; qu'en indemnisant à la fois « les souffrances physiques et morales endurées par la victime entre le début de l'agression commise à son encontre et sa mort » et un préjudice moral, jugé « distinct », tiré « de l'angoisse de mort imminente qu'elle a éprouvée » (arrêt, p. 7, § 3), la Cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice et violé l'article 706-3 du Code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime.